Droits des héritiers : 8 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/16064

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Droits des héritiers : 8 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/16064
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8 mars 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
21/16064

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8

ARRÊT AU FOND

DU 08 MARS 2023

N° 2023/ 105

N° RG 21/16064

N° Portalis DBVB-V-B7F-BIMQD

[P] [R]

[O] [C] épouse [R]

C/

[D] [X]

[K] [X]

[J] [X]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Laetitia GABORIT

Me Alexa PECCIARINI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge des contentieux de la protection de NICE en date du 16 Septembre 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/00667.

APPELANTS

Monsieur [P] [R]

né le 16 Janvier 1945 à [Localité 9] (75), demeurant [Adresse 1]

Madame [O] [C] épouse [R]

née le 19 Février 1939 à [Localité 5] (80), demeurant [Adresse 1]

représentés par Me Laetitia GABORIT, avocat au barreau de NICE

INTIMES

Monsieur [D] [X]

né le 04 Février 1993 à [Localité 6] (83), demeurant [Adresse 4]

Monsieur [K] [X]

né le 16 Juin 1995 à [Localité 6] (83), demeurant [Adresse 2]

Monsieur [J] [X]

né le 01 Juin 1998 à [Localité 10] (86), demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Alexa PECCIARINI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Mars 2023.

ARRÊT

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Mars 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

Suivant contrat conclu sous signatures privées, Madame [A] [H] veuve [X] a donné à bail d’habitation aux époux [P] [R] et [O] [C] un appartement avec garage situé dans un ensemble immobilier en copropriété dénommé ‘[Adresse 7], pour une durée de trois ans commençant à courir le 1er août 1998 et renouvelable par tacite reconduction, moyennant un loyer mensuel de 6.000 francs révisable annuellement en fonction de la variation de l’indice de référence, et une provision pour charges de 1.000 francs.

La bailleresse est décédée le 1er septembre 2003, laissant pour unique héritier son fils [I] [X], et pour légataires de la quotité disponible ses trois petits-enfants [D], [U] et [J] [X].

[I] [X] est lui-même décédé le 29 juillet 2009, laissant pour héritiers ses trois enfants susnommés, et pour légataire sa compagne [F] [W] [L] [N], à laquelle il avait entendu transmettre l’usufruit de la totalité de ses biens.

Une première procédure judiciaire a opposé les parties au sujet de la validité d’un congé pour vendre délivré pour l’échéance du 1er août 2010, qui n’a cependant pas été menée jusqu’à son terme.

Par exploit d’huissier du 31 juillet 2020, les consorts [D], [U] et [J] [X] ont signifié aux époux [R] un commandement de payer un arriéré locatif de 64.800 euros, visant la clause résolutoire stipulée dans le bail.

Les locataires ont saisi le 30 septembre 2020 le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nice pour contester la validité de ce commandement, obtenir la communication des décomptes de régularisation des charges, et demander paiement d’une somme de 11.572 euros après compensation entre les loyers réclamés d’une part, et ceux payés entre les mains du Trésor Public et du syndicat des copropriétaires en exécution d’un avis à tiers-détenteur et d’une saisie-attribution d’autre part.

À l’appui de leur contestation de la validité du commandement, les époux [R] faisaient valoir que les consorts [X] n’avaient pas qualité à agir sans le concours de l’usufruitière du bien, et que l’acte était nul faute de détailler la créance réclamée, en l’absence de toute régularisation des charges. Ils invoquaient également la prescription de l’action en paiement des loyers échus antérieurement au 1er août 2017.

En défense, les consorts [X] ont conclu au rejet des prétentions adverses, au constat de la résiliation de plein droit du bail par l’effet de la clause résolutoire, subsidiairement au prononcé de la résiliation judiciaire pour manquement des locataires à leurs obligations, et par suite à leur expulsion.

Ils ont également réclamé paiement des loyers échus pour les périodes d’août 2015 à mars 2016, mars 2017 à mai 2017 et août 2017 à septembre 2019, des charges locatives restant dues, d’une indemnité d’occupation jusqu’à la libération effective des lieux et d’une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Par jugement rendu le 16 septembre 2021, le tribunal a :

– déclaré irrecevable l’exception de nullité du commandement faute d’avoir été soulevée avant toute défense au fond ou fin de non recevoir,

– rejeté la fin de non recevoir tirée d’un défaut de qualité à agir,

– rejeté la demande en paiement des loyers et charges échus antérieurement au 1er août 2017, pour cause de prescription,

– condamné en revanche les époux [R] à payer la somme de 36.423,30 euros au titre des loyers échus entre août 2017 et septembre 2019 et des charges restant dues pour la période d’octobre 2017 à septembre 2020,

– débouté les locataires de leur demande en compensation,

– constaté la résiliation de plein droit du bail à compter du 30 septembre 2020 par l’effet de la clause résolutoire, et ordonné en conséquence l’expulsion des occupants,

– condamné les époux [R] au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle de 1.400 euros à compter du 1er octobre 2020 jusqu’à la libération effective des lieux,

– débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

– et condamné les époux [R] aux dépens, ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 1.200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les époux [R] ont interjeté appel de cette décision par déclaration adressée le 15 novembre 2021 au greffe de la cour.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 26 janvier 2022, les époux [P] [R] et [O] [C] réitèrent en premier lieu l’exception de nullité du commandement, dont ils considèrent qu’elle était parfaitement recevable en première instance, faute de détailler la créance de charges réclamée, en l’absence de toute régularisation de celles-ci durant le cours du bail.

Ils maintiennent également la fin de non recevoir tirée d’un défaut de qualité à agir des consorts [D], [U] et [J] [X] en ce qu’ils ne sont que nus-propriétaires du bien, se prévalant en ce sens d’un courrier de Maître [V], notaire en charge des opérations de partage de la succession de [I] [X].

Ils exposent d’autre part avoir versé les loyers et provisions pour charges correspondant aux mois d’avril 2016 à février 2017, juin et juillet 2017, entre les mains du service des impôts des particuliers de [Localité 8] en exécution d’un avis à tiers-détenteur, puis à compter du mois d’octobre 2019 entre celles du syndic de la copropriété en vertu d’une saisie-attribution. Considérant qu’ils se sont ainsi acquittés de dettes dont une partie a été déclarée prescrite par le premier juge, ils se prétendent créanciers après compensation d’une somme de 11.572 euros.

Ils demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

– d’annuler le commandement délivré le 31 juillet 2020,

– de déclarer irrecevable l’action diligentée par les consorts [X],

– de les condamner au paiement d’une somme de 11.572 euros,

– d’ordonner la production des décomptes de charges,

– et de condamner les intimés aux entiers dépens, ainsi qu’au paiement d’une somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions en réplique notifiées le 5 avril 2022, les consorts [D], [U] et [J] [X] précisent en premier lieu que, par suite de la réduction du legs consenti à Madame [W] à la quotité disponible, ils détiennent ensemble les 13/16èmes des droits en pleine propriété du bien.

Ils exposent d’autre part que le commandement de payer portait uniquement sur les loyers, et non sur les charges mentionnées pour mémoire, et qu’ils ont produit aux débats les décomptes de régularisation des charges émanant du syndic pour les exercices compris entre le 1er octobre 2015 et le 30 septembre 2020.

Ils font valoir que les paiements effectués par les locataires entre les mains du Trésor Public ou du syndicat des copropriétaires ne peuvent ouvrir droit à répétition, dès lors qu’ils correspondaient à des échéances effectivement dues qui ont été déduites de l’arriéré réclamé.

Ils ajoutent que la reconnaissance par les époux [R] d’une dette de loyer à l’occasion de la précédente instance ayant donné lieu à un jugement avant dire droit du 17 mai 2017 a interrompu le cours de la prescription en application de l’article 2240 du code civil.

Ils concluent à la confirmation du jugement déféré, excepté :

– en ce qu’il a déclaré prescrite l’action en paiement de la dette locative antérieure au 1er août 2017, pour laquelle ils formulent une demande à hauteur de 31.200 euros au titre des loyers et charges correspondant aux périodes d’août 2015 à mars 2016 et de mars 2017 à mai 2017,

– en ce qu’il a rejeté leur demande en dommages-intérêts pour résistance abusive, qu’ils réitèrent en cause d’appel à concurrence de 5.000 euros.

Ils poursuivent enfin la condamnation de la partie adverse aux entiers dépens d’appel, ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 23 janvier 2023.

DISCUSSION

Sur l’exception de nullité du commandement :

Le moyen tiré de la nullité d’un acte juridique sur lequel l’une des parties fonde ses prétentions ne constitue pas une exception de procédure au sens de l’article 73 du code de procédure civile, mais une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause, de sorte que c’est à tort que le premier juge l’a déclaré irrecevable.

En vertu de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, le commandement de payer visant la clause résolutoire du bail doit notamment contenir à peine de nullité le montant mensuel du loyer et des charges et le décompte de la dette.

En l’espèce, les consorts [X] font justement observer que le commandement litigieux détaillait le montant des loyers et des provisions pour charges échus depuis le 1er avril 2015, mais que la créance réclamée en définitive ne portait que sur les loyers, de sorte que sa validité n’était pas subordonnée à la régularisation préalable des charges.

D’autre part, même si l’action en recouvrement des loyers les plus anciens était prescrite, l’acte conservait son plein effet pour la partie de la créance demeurant exigible.

Il convient en conséquence de rejeter l’exception de nullité soulevée.

Sur la fin de non recevoir tirée d’un défaut de qualité à agir :

À l’appui de ce moyen, les époux [R] se prévalent d’un courrier de Maître [V], notaire en charge des opérations de partage de la succession de [I] [X], en date du 5 septembre 2016, dans lequel il était indiqué que le défunt avait entendu léguer l’intégralité de l’usufruit de ses biens à Madame [W].

Toutefois, [I] [X] n’était pas le seul propriétaire de l’appartement donné à bail, mais se trouvait en indivision avec ses trois enfants par l’effet du legs qui leur avait été consenti par leur grand-mère.

D’autre part, le notaire précisait dans ce même courrier que le legs fait à Madame [W] devait être réduit à la quotité disponible, qui n’était ici que d’un quart en pleine propriété en application de l’article 917 du code civil, les héritiers ayant expressément déclaré lui faire abandon de cette quote-part.

Les consorts [D], [U] et [J] [X] sont donc coïndivisaires du bien avec Madame [F] [W] [L] [N], et pouvaient valablement faire délivrer sans le concours de cette dernière un commandement de payer, qui constitue un acte conservatoire au sens de l’article 815-2 du code civil, puis poursuivre en justice la résiliation du bail, s’agissant cette fois d’un acte d’administration ouvert par l’article 815-3 du même code à ceux qui possèdent au moins deux tiers des droits indivis, comme tel est le cas en l’espèce.

Le jugement entrepris doit être en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir tirée d’un défaut de qualité à agir.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription :

En vertu de l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi modificative du 24 mars 2014, les actions dérivant d’un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En l’espèce, c’est par de justes motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a considéré qu’il ne résultait pas clairement de la lecture du jugement avant dire droit rendu le 17 mai 2017 par le tribunal d’instance de Nice que les époux [R] aient reconnu être débiteurs des loyers repris au commandement, de sorte que l’article 2240 du code civil ne pouvait recevoir application.

D’autre part, il convient de relever que, si les bailleurs avaient effectivement formulé à l’audience du 15 mars 2017 une demande en paiement à hauteur de 103.600 euros, l’interruption de la prescription qui y était attachée s’est trouvée non avenue du fait de la péremption de l’instance, en vertu de l’article 2243 du même code.

Le jugement doit donc être encore confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes en paiement des loyers et des charges échus plus de trois années avant la délivrance du commandement du 31 juillet 2020.

Sur la demande de production des décomptes de charges :

Le premier juge a justement relevé que cette demande était devenue sans objet du fait de la production de ces décomptes en cours d’instance, les mêmes documents étant versés au dossier d’appel, de sorte que la cour est en mesure de vérifier le montant de la créance réclamée à ce titre par les bailleurs après régularisation des provisions versées.

Sur la demande en compensation :

Les consorts [X] font justement valoir que leurs locataires sont mal fondés à leur réclamer la restitution des loyers payés entre les mains de tiers en exécution d’un avis à tiers-détenteur ou d’une saisie-attribution, que ce soit par voie d’action ou de compensation, alors qu’il s’agissait de créances parfaitement exigibles et qu’elles ont été exclues du décompte de la dette locative retenu par le tribunal, tel que précisément détaillé dans les motifs de son jugement.

Sur la résiliation du bail :

Il résulte de l’ensemble des motifs qui précèdent que le tribunal a pu justement constater la résiliation de plein droit du bail à compter du 30 septembre 2020 en application de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, par l’effet d’un commandement de payer visant la clause résolutoire resté infructueux plus de deux mois, et ordonner l’expulsion des époux [R] avec toutes ses conséquences de droit.

Sur la demande accessoire en dommages-intérêts :

La résistance opposée par les époux [R], tant en première instance qu’en cause d’appel, aux demandes légitimes formées par les consorts [X], qui n’avait pour but que de se maintenir indûment dans les lieux alors qu’ils ont accumulé une dette locative considérable, doit être qualifiée de dilatoire et d’abusive au sens des articles 32-1 et 559 du code de procédure civile, et a occasionné à la partie adverse un préjudice indépendant du simple retard qui sera réparé par l’octroi d’une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts, le jugement devant être réformé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable l’exception de nullité du commandement de payer et rejeté la demande accessoire en dommages-intérêts présentée par les consorts [X],

Statuant à nouveau de ces chefs,

Juge recevable mais mal fondé le moyen tiré de la nullité du commandement,

Condamne solidairement les époux [R] à payer aux consorts [X] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et dilatoire,

Y ajoutant, condamne les époux [R] aux entiers dépens de l’instance d’appel, ainsi qu’au paiement d’une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par les intimés.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT

 


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