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2 mars 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
22/03567
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 02 MARS 2023
N° RG 22/03567 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MZZG
[K] [B] [Y]
[C] [Y]
c/
S.A.R.L. [N] DIFFUSION
Nature de la décision : APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le : 02 MARS 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 28 juin 2022 par le Tribunal de Commerce de LIBOURNE (RG : 2022000682) suivant déclaration d’appel du 22 juillet 2022
APPELANTS :
[K] [B] [Y]
né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 7] (ETATS UNIS)
de nationalité Américaine, demeurant [Adresse 1]
[C] [Y]
née le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistés par Me Hubert BIARD de la SELARL CVS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A.R.L. [N] DIFFUSION, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]
Représentée par Me Jacques VINCENS de la SELARL ME JACQUES VINCENS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
Greffier lors du prononcé : Séléna BONNET
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
La SARL [N] Diffusion, qui exerce une activité de commerce de gros de vaisselle et verrerie de ménage, a été constituée le 9 février 2004.
Jusqu’au [Date décès 4] 2018, son capital social était composé de 149 270 parts sociales réparties comme suit :
– [H] [N] : 74.625 parts sociales
– [V] [N] : 74.625 parts sociales
– [X] [E] épouse [N] : 20 parts sociales.
Mme [H] [N] est décédée le [Date décès 4] 2018.
Suite à son décès, les 74.625 parts sociales qu’elle détenait dans la société [N] Diffusion ont été dévolues à son époux M. [K] [Y] et à leur fille unique, Mme [C] [Y], lesquels demeurent en indivision sur ces parts.
Par acte sous seing privé du 24 octobre 2018, Mme [X] [N] a cédé ses 20 parts sociales à Mme [P] [S] épouse [I], fille de Mme [V] [N].
Par courriers recommandés des 5 février 2019, M. [K] [Y] et sa fille Mme [C] [Y] ont sollicité leur agrément en qualité de copropriétaires indivis de la moitié des 74.625 parts, mais l’assemblée générale de la société [N] Diffusion du 12 février 2019 le leur a refusé.
Par courrier du 16 mai 2019, l’indivision a mis en demeure la société de l’indemniser à la suite de ce refus à hauteur de 597.000 euros correspondant au prix de 8 euros la part et de rembourser le compte courant dont Mme [H] [Y] se trouvait titulaire.
En réponse par lettre officielle de son conseil en date du 9 juillet 2019, la société a remboursé le compte courant créditeur de Mme [H] [Y] par un chèque de 64.000 euros mais a refusé l’indemnisation des parts pour le montant proposé.
Après une mise en demeure infructueuse, M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] ont assigné la SARL [N] Diffusion devant le tribunal de commerce de Libourne qui, dans un jugement du 14 mai 2021, les a déboutés de leur demande tendant à voir déclarer acquis l’agrément de l’indivision en tant qu’associée de la société.
Par courrier du 30 juin 2021, M. [K] [Y], agissant au nom et pour le compte de l’indivision [Y] et en qualité de copropriétaires indivis, a mis en demeure la société [N] Diffusion de convoquer une nouvelle assemblée générale extraordinaire afin qu’il soit statué, conformément aux dispositions de l’article 15 des statuts, sur l’agrément de l’indivision [Y] ‘en qualité de propriétaires indivis de l’intégralité des 74.625 parts sociales numérotées de 1 à 490, de 38068 à 75135 et de 112204 à 149270″.
Faute de réponse, M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] ont, par acte d’huissier du 31 mars 2022, assigné la société [N] Diffusion devant le juge des référés du tribunal de commerce de Libourne aux fins notamment d’ordonner la désignation d’un mandataire ad hoc avec pour mission de convoquer une assemblée générale extraordinaire afin que celle-ci statue sur l’agrément des membres de l’indivision [Y] en leur qualité de copropriétaires indivis de 74.625 parts sociales conformément à l’article 15 des statuts de la société [N] Diffusion.
Par ordonnance de référé du 28 juin 2022, le président du tribunal de commerce de Libourne a:
– constaté que la SARL [N] Diffusion oppose aux demandes de M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] une fin de non-recevoir constituant une contestation sérieuse,
– décliné sa compétence,
– renvoyé les parties à mieux se pourvoir,
– condamné solidairement M. [Y] et Mme [Y] à payer à la SARL [N] Diffusion 1 000 euros d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement M. [Y] et Mme [Y] aux entiers dépens comprenant les frais de l’ordonnance taxés à la somme de 57,65 euros.
Pour statuer ainsi, le premier juge a estimé que la fin de non-recevoir soulevée par la société [N] Diffusion, selon laquelle l’indivision constituée entre les requérants est dénuée de personnalité juridique et ne peut à ce titre être agréée comme associée, constitue une contestation sérieuse qui ne relève pas de la compétence du juge des référés.
Les consorts [Y] ont relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 22 juillet 2022.
Par conclusions déposées le 11 janvier 2023, M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] demandent à la cour de :
– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Libourne du 28 juin 2022,
Et, statuant à nouveau,
– juger M. [Y] et sa fille Mme [Y] recevables et bien fondés en l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
En conséquence,
– désigner tel mandataire ad’ hoc qu’il plaira à la cour d’appel, avec pour mission de convoquer l’assemblée générale extraordinaire de la SARL [N] Diffusion afin que celle-ci statue sur les agréments de chacun des membres composant l’indivision [Y] représentée par M. [Y], en leur qualité de copropriétaires indivis de 74 625 parts sociales,
– condamner la SARL [N] Diffusion à régler à M. [Y] et sa fille Mme [Y], chacun, une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance,
– condamner la SARL [N] Diffusion aux entiers dépens de première instance,
En tout état de cause,
– déclarer les conclusions de la SARL [N] Diffusion irrecevables,
– débouter la SARL [N] Diffusion de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la SARL [N] Diffusion à régler à M. [Y] et sa fille Mme [Y], chacun, une somme de 3 000 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en appel,
– condamner la SARL [N] Diffusion aux entiers dépens de l’instance d’appel.
Les appelants exposent que la décision de l’assemblée générale statuant sur leur demande d’agrément est essentielle en ce qu’elle fait courir le délai légal de 3 mois pour l’obligation de rachat par les associés de la société des titres sociaux en application des dispositions des articles L. 223-13 et L. 223-14 du code de commerce. Ils soulignent que le défaut de réponse de la société [N] à leur demande d’agrément les prive depuis 4 ans de tous les droits attachés aux parts sociales héritées puisqu’ils ne peuvent ni profiter, faute d’agrément, du statut d’associé, ni être indemnisés via le rachat de leurs parts sociales. Ils estiment que la société [N] leur oppose, de manière dilatoire, un défaut de formalisme dans la demande d’agrément dans le seul but de retarder sa décision de refus d’agrément.
Ils soutiennent qu’étant saisi par application des articles L. 223-27 alinéa 7 et R. 223-20 du code de commerce qui lui attribuent une compétence spécifique, le juge des référés ne pouvait pas se déclarer incompétent au motif d’une contestation sérieuse.
S’ils conviennent que l’indivision est dépourvue de personnalité morale, ils affirment que la qualité d’associé peut être reconnue, non pas à l’indivision de l’associé décédé, mais à chaque héritier indivisaire à titre personnel et individuel, sans que les parts sociales soient pour autant attribuées.
Ils ajoutent qu’en application de l’article 15 des statuts de la société qui prévoit la nécessité d’obtenir un agrément afin d’acquérir le statut d’associé, ils ont formulé une demande d’agrément par courrier du 30 juin 2021 adressé par M. [Y] au nom et pour le compte de l’indivision [Y] en sa qualité de propriétaire indivis de l’intégralité des 74.325 parts et que face à l’inaction de la société et afin de répondre au formalisme dicté par la jurisprudence établie, ils ont chacun, par courriers séparés du 27 décembre 2022, sollicité à titre personnel et individuel, en tant que cotitulaire indivis de la totalité des 74.325 parts, un agrément afin de devenir associé de la société.
Ils concluent que la désignation d’un mandataire ad hoc ayant pour mission de convoquer une assemblée générale extraordinaire afin de statuer sur leurs demandes d’agrément est indispensable afin de faire valoir leurs droits financiers au titre de la valeur des droits sociaux et leurs droits personnels en tant qu’associés.
Par conclusions déposées le 4 janvier 2023, la société [N] Diffusion demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance de référé du tribunal de commerce de Libourne du 28 juin 2022 déférée,
En tout état de cause,
– déclarer irrecevables les demandes présentées par M. [Y] et sa fille, Mme [Y],
– débouter M. [Y] et Mme [Y] de l’ensemble de leurs demandes,
– condamner M. [Y] et sa fille Mme [Y] in solidum au paiement d’une somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.
Elle invoque le défaut d’intérêt et de qualité à agir des appelants, que ceux-ci agissent au titre de l’indivision, celle-ci étant dépourvue de personnalité juridique, ou en qualité de coindivisaires individuels, l’agrément ne pouvant être accordé aux membres de l’indivision sans savoir la part de capital que chacun représente.
Au visa de l’article 905 du code de procédure civile, l’affaire a fait l’objet le 2 septembre 2022 d’une ordonnance de fixation à bref délai à l’audience du 19 janvier 2023 avec clôture de la procédure le 5 janvier 2023.
Lors de l’audience du 19 janvier 2023, les parties ont donné leur accord sur la révocation de l’ordonnance de clôture du 5 janvier 2023 et la clôture de l’instruction du dossier au jour de l’audience, afin que les dernières conclusions des appelants soient dans les débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rabat de clôture
Il y a lieu de révoquer l’ordonnance fixant la clôture de l’instruction au 5 janvier 2023 et d’accueillir les conclusions et pièces postérieures en l’état de l’accord des parties.
Sur la recevabilité des conclusions de l’intimée
Les consorts [Y] soulèvent l’irrecevabilité des conclusions de la société [N] Diffusion au motif que celles-ci ne saisissent pas valablement la cour, faute de demander la confirmation de l’ordonnance rendue en première instance et d’exposer ses prétentions au fond.
Il sera cependant observé que dans le dispositif de ses dernières conclusions déposées le 4 janvier 2023, l’intimée réclame la confirmation de l’ordonnance critiquée.
Par conséquent, et sans qu’il y ait lieu d’examiner son bien-fondé, la fin de non-recevoir invoquée sera écartée en ce qu’elle est devenue sans objet.
Sur la désignation d’un mandataire
Pour se déclarer incompétent sur la demande de M. [K] [Y] et Mme [C] [Y], le juge des référés a considéré qu’il existait une contestation sérieuse quant à la qualité à agir de l’indivision constituée entre les demandeurs puisque dénuée de personnalité juridique, elle ne peut être agréée comme associée.
Les consorts [Y] concluent à l’infirmation de l’ordonnance déférée et sollicitent la désignation d’un mandataire avec pour mission de ‘convoquer une assemblée générale extraordinaire de la société [N] Diffusion afin que celle-ci statue sur l’agrément de chacun des membres de l’indivision [Y] représentée par M. [Y], en leur qualité de propriétaires indivis de 74.625 parts sociales’, sur le fondement de l’article L. 223-7 alinéa 7 du code de commerce. Ce texte permet à tout associé de SARL de demander en justice la désignation d’un mandataire aux fins de convoquer l’assemblée des associés et de fixer son ordre du jour.
Selon l’article R 223-30, le mandataire est désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce statuant en référé.
Il est exact que ce texte qui introduit un référé spécial n’exige pas pour son application la preuve ni d’un cas d’urgence, ni de l’absence de contestation sérieuses, ni d’aucune autre condition du référé ordinaire des articles 872 ou 873 du code de procédure civile comme l’existence d’un péril imminent, ou d’un fonctionnement anormal de la société.
Il reste que l’article L. 223-27 alinéa 7, en ce qu’il prévoit que : ‘Tout associé peut demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée et de fixer son ordre du jour.’, suppose nécessairement que la qualité d’associé des demandeurs ne soit pas sérieusement contestable, dès lors que les pouvoirs du juge des référés sont limités à la seule désignation d’un mandataire, dans l’hypothèse en particulier d’une carence de la gérance de la SARL.
Aux termes de l’article L. 223-13 du code de commerce, ‘Les parts sociales sont librement transmissibles par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens entre époux et librement cessibles entre conjoints et entre ascendants et descendants.
Toutefois, les statuts peuvent stipuler que le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant ne peut devenir associé qu’après avoir été agréé dans les conditions prévues à l’article L. 223-14. A peine de nullité de la clause, les délais accordés à la société pour statuer sur l’agrément ne peuvent être plus longs que ceux prévus à l’article L. 223-14, et la majorité exigée ne peut être plus forte que celle prévue audit article. En cas de refus d’agrément, il est fait application des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 223-14. Si aucune des solutions prévues à ces alinéas n’intervient dans les délais impartis, l’agrément est réputé acquis. (…)’
En l’espèce, l’article 15 des statuts de la société prévoit que ‘la transmission des parts sociales par voie de succession ou de liquidation de communauté est soumise à l’agrément de la majorité des associés représentant au moins les trois-quarts des parts sociales, sauf pour ses héritiers déjà associés, en cas de transmission pour cause de mort, et pour les conjoints déjà associés, en cas de liquidation de communauté.’
Il est constant que M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] n’ont pas la qualité d’associés faute d’avoir été agréés suite au décès de Mme [H] [N].
Dès lors, ils ne sont manifestement pas fondés à utiliser la procédure de référé spécifique prévue aux articles L. 223-27 et R. 223-30 précités pour obtenir la désignation d’un mandataire, sauf à se faire reconnaître implicitement la qualité d’associé.
Par conséquent, si le juge des référés du tribunal de commerce ne pouvait pas se déclarer incompétent, il devait à tout le moins dire que la demande présentée par les consorts [Y] excédait ses pouvoirs, pour les débouter.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Les appelants en supporteront la charge in solidum.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] seront condamnés in solidum à payer à la société [N] Diffusion la somme de 1.500 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
– Ordonne la révocation de l’ordonnance de clôture du 5 janvier 2023 et prononce une nouvelle clôture au jour de l’audience des plaidoiries,
– Rejette la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité des conclusions de la société [N] Diffusion,
– Infirme l’ordonnance déférée en ce que le juge des référés s’est déclaré incompétent sur la demande de désignation d’un mandataire,
Statuant à nouveau de ce chef,
– Déboute M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] de leur demande de désignation d’un mandataire,
– Confirme les autres dispositions de l’ordonnance,
– Condamne in solidum M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] à payer à la société [N] Diffusion la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne in solidum M. [K] [Y] et Mme [C] [Y] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,