Droits des héritiers : 1 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/00683

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Droits des héritiers : 1 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/00683
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1 mars 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
20/00683

N° RG 20/00683 – N° Portalis DBV2-V-B7E-INEC

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 1er MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

14/04505

Tribunal de grande instance d’Evreux du 10 septembre 2019

APPELANTS :

Monsieur [R] [Z]

né le 2 février 1975 à [Localité 10]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représenté par Me Pauline COSSE de la Scp BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau de l’Eure et assisté par Me Sébastien PINARD, avocat au barreau de Paris

Monsieur [Y] [Z]

né le 4 mars 1980 à [Localité 10]

[Adresse 3]

[Localité 6]

représenté par Me Pauline COSSE de la Scp BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau de l’Eure et assisté par Me Sébastien PINARD, avocat au barreau de Paris

INTIMES :

SA CNP ASSURANCES

RCS de Paris 341 737 062

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me Henri BONTE de la Selarl HBH AVOCATS, avocat au barreau de Rouen

Monsieur [P] [A]

né le 22 février 1947 à [Localité 11]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté et assisté par Me Valérie LEMAITRE-NICOLAS de la Scp LEMAITRE-NICOLAS, avocat au barreau de l’Eure plaidant par Me Pauline BROSSEAU

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 7 novembre 2022 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER,

DEBATS :

A l’audience publique du 7 novembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 1er février 2023, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 1er mars 2023.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 1er mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [J] [A] est décédé le 12 juillet 2011. Il a laissé pour lui succéder son fils, [P] [A], et ses petits-fils, [R] et [Y] [Z], venant en représentation de sa fille [I] [A] épouse [Z] prédécédée le 23 décembre 1997.

Par acte d’huissier de justice du 9 octobre 2014, MM. [R] et [Y] [Z] ont fait assigner leur oncle devant le tribunal de grande instance d’Evreux aux fins d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage, de la succession de M. [J] [A] et de rapport de donations octroyées par ce dernier à son fils.

Par jugement du 10 septembre 2019, le tribunal a :

– ordonné l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de M. [J] [A],

– commis pour procéder aux opérations liquidatives Me [B], notaire à Conches-en-Ouche, sous le contrôle du juge de la mise en état du tribunal de grande instance d’Evreux ou son délégataire,

– dit qu’en cas d’empêchement du notaire, il sera procédé à son remplacement par ordonnance rendue sur simple requête de la partie la plus diligente,

– rappelé que le notaire commis doit convoquer les parties et rendre compte au juge commis, des difficultés rencontrées, et qu’il peut s’adjoindre un expert si la valeur ou la consistance des biens le justifie,

– rappelé que le notaire doit dresser un état liquidatif établissant les comptes entre copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir dans un délai d’un an,

– rappelé qu’en cas de désaccord entre les copartageants sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmet au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d’état liquidatif,

– rappelé enfin que toutes les demandes alors faites par les copartageants entre les mêmes parties constituent une seule instance et que toute demande distincte est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à l’établissement du rapport par le juge commis,

– désigné le juge de la mise en état de la chambre civile du tribunal de grande instance d’Evreux en qualité de juge commissaire au partage,

– dit qu’en cas d’empêchement des notaires ou du juge ainsi commis, il sera procédé à leur remplacement par ordonnance du président du tribunal rendue sur simple requête à la demande de la partie la plus diligente,

– débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande d’expertise médicale,

– débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande tendant à ce que soit prononcée l’annulation du contrat d’assurance-vie n°180061494 souscrit par M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne,

– débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande tendant à ce que les primes versées sur le contrat d’assurance-vie n°180061494 souscrit par M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne soient rapportées à la succession,

– condamné M. [P] [A] à rapporter à la succession de M. [J] [A] des donations à hauteur de 41 350,13 euros,

– débouté M. [P] [A] de sa demande tendant à ce que M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] versent au débat, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les justificatifs des sommes reçues par Mme [I] [A] épouse [Z] de M. [J] [A],

– débouté les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté toute demande plus ample ou contraire,

– ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

Par déclaration du 6 février 2020, MM. [R] et [Y] [Z] ont formé appel du jugement.

Suivant exploit du 17 juillet 2020, ils ont fait intervenir à la cause la Sa Cnp Assurances.

Par ordonnance du 8 février 2022, le conseiller de la mise en état a :

– débouté MM. [R] et [Y] [Z] de leurs demandes de communication sous astreinte des originaux de tous les agendas de M. [J] [A] détenus par M. [P] [A], notamment les agendas de 2008, 2010 et 2011, et des originaux du ou des chéquier(s) de la Caisse d’Epargne de M. [J] [A] contenant les souches des chèques à compter du 7 mai 2009,

– condamné ces derniers à payer à M. [P] [A] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 11 octobre 2022, MM. [R] et [Y] [Z] demandent de voir, en application des articles 414-1, 778, 843, 892 du code civil, 1364 du code de procédure civile, et L.132-13 du code des assurances :

– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :

. commis Me [B] pour procéder aux opérations liquidatives de la succession de M.[J] [A],

. débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande tendant à ce que soit prononcée l’annulation du contrat d’assurance-vie n°180061494 souscrit par M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne,

. débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande tendant à ce que les primes versées sur le contrat d’assurance-vie n°180061494 souscrit par M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne soient rapportées à la succession,

. limité à la somme de 41 350,13 euros le montant devant être rapporté par M. [P] [A] à la succession de M. [J] [A],

. débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– désigner Me [P] [L], notaire à [Localité 12] (Eure), pour procéder aux opérations de compte, liquidation, et partage de la succession de M. [J] [A],

– juger que M. [P] [A] a bénéficié de donations rapportables qu’il a recelées pour un montant total de 56 647,42 euros, en conséquence, le condamner à le rapporter à la succession, et juger qu’il ne pourra prétendre à aucune part sur lesdites sommes recelées et restera redevable du paiement des droits de succession afférents à celles-ci,

– annuler le contrat d’assurance-vie n°180061494 souscrit auprès de la Sa Cnp Assurances le 15 juillet 2010 au bénéfice de M. [P] [A] pour insanité d’esprit du souscripteur et, en conséquence, condamner ladite société à rapporter à la succession la somme de 60 000 euros correspondant au montant des primes versées, et condamner M. [P] [A] à restituer à la Sa Cnp Assurances les sommes et intérêts sur les assurances-vie dont il est bénéficiaire,

– à titre subsidiaire, juger que ledit contrat d’assurance-vie constitue une donation déguisée au profit de M. [P] [A] et, en conséquence, condamner celui-ci à rapporter à la succession de M. [J] [A] la somme de 60 000 euros correspondant au montant du capital versé au titre dudit contrat,

– à titre très subsidiaire, juger que la prime unique de 60 000 euros versée au titre dudit contrat d’assurance-vie est manifestement exagérée et, en conséquence, condamner M. [P] [A] à rapporter à la succession de M. [J] [A] ladite somme de 60 000 euros,

– dans tous les cas,

. confirmer le jugement pour le surplus,

. débouter M. [P] [A] de l’intégralité de ses demandes,

. condamner M. [P] [A] à la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement d’intérêts de retard au taux de l’intérêt légal à compter du 12 juillet 2010, qui seront capitalisés annuellement à compter de cette date, conformément à l’article 1343-2 du code civil,

. condamner M. [P] [A] aux entiers dépens de première instance et d’appel,

. débouter la Sa Cnp Assurances de l’intégralité de ses demandes.

Par dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2022, M. [P] [A] sollicite de voir sur la base de l’article 852 du code civil :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Evreux le 10 septembre 2019 en ce qu’il a :

. ordonné l’ouverture des opérations de comptes, liquidation, et partage de la succession de M. [J] [A],

. commis pour procéder aux opérations liquidatives Me [B], notaire à Conches-en-Ouche, sous le contrôle du juge de la mise en état du tribunal de grande instance d’Evreux ou son délégataire,

. débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande d’expertise médicale,

. débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande tendant à ce que soit prononcée l’annulation du contrat d’assurance-vie n°180061494 souscrit par M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne,

. débouté M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] de leur demande tendant à ce que les primes versées sur le contrat d’assurance-vie n°180061494 souscrit par M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne soient rapportées à la succession,

– infirmer et en conséquence réformer ledit jugement en ce qu’il a :

. condamné M. [P] [A] à rapporter à la succession de M. [J] [A] des donations à hauteur de 41 350,13 euros,

. débouté M. [P] [A] de sa demande tendant à ce que M. [R] [Z] et M. [Y] [Z] versent au débat, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les justificatifs des sommes reçues par Mme [I] [A] épouse [Z] de M. [J] [A],

. débouté les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

. rejeté toute demande plus ample ou contraire,

. ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage,

– débouter MM. [R] et [Y] [Z] de toutes leurs demandes à son encontre,

– condamner ces derniers à verser aux débats, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les justificatifs des sommes reçues par Mme [I] [A] épouse [Z] en provenance de M. [J] [A],

– condamner MM. [R] et [Y] [Z] aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Lemaitre-Nicolas conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

– condamner in solidum ces derniers au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code précité au titre des frais irrépétibles de première instance et de celle de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

Par dernières conclusions notifiées le 23 septembre 2020, la Sa Cnp Assurances demande de voir :

– juger irrecevable l’appel en intervention forcée formé par MM. [R] et [Y] [Z] à son encontre,

– condamner solidairement ces derniers à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 4 novembre 2022.

MOTIFS

Sur la désignation du notaire liquidateur

MM. [R] et [Y] [Z] demandent la réformation du jugement par lequel a été désignée Me [B] en qualité de notaire liquidateur. Ils avancent que Me [P] [L] est actuellement en charge des opérations de succession et que la désignation d’un autre notaire ne connaissant pas le dossier pourrait ralentir les opérations de liquidation-partage.

M. [P] [A] ne développe aucun moyen et conclut à la confirmation du jugement sur ce point.

Le choix de Me [B] a été fait par le tribunal à défaut de suggestion par les parties du nom d’un notaire liquidateur.

En l’état, il n’est pas démontré que Me [P] [L] assume toujours sa charge de notaire et qu’il existe un risque de perte de temps dans la prise de connaissance de ce dossier par Me [B].

La décision du tribunal sera donc confirmée.

Sur le contrat d’assurance-vie souscrit par M. [J] [A]

– Sur sa nullité pour insanité d’esprit

Le tribunal a rejeté la demande d’annulation de ce contrat au motif que l’établissement bancaire auprès duquel il avait été souscrit n’était pas partie à la procédure.

En cause d’appel, les appelants ont fait assigner l’assureur, la Sa Cnp Assurances qui conclut à l’irrecevabilité de cet appel en intervention forcée, aucun élément juridique n’ayant été révélé par le jugement ou n’étant apparu après le jugement.

M. [P] [A] confirme cette fin de non-recevoir tirée de l’absence d’évolution du litige. Il souligne que les consorts [Z] avaient connaissance de l’identité de l’assureur dès la production du contrat d’assurance-vie en cause au cours des débats devant le tribunal. En tout état de cause, il soulève l’irrecevabilité de cette action en nullité pour prescription acquise depuis le 13 juillet 2015.

MM. [R] et [Y] [Z] répondent que le moyen relatif à l’absence d’établissement bancaire dans la procédure, tiré d’office par le tribunal, constitue une circonstance de droit née du jugement modifiant les données juridiques du litige. Ils ajoutent que leur action n’est pas prescrite, qu’ils l’ont engagée moins de cinq ans après avoir eu communication le 12 juin 2015 de la demande d’adhésion audit contrat d’assurance-vie.

L’article 555 du code de procédure civile prévoit que les personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l’évolution du litige implique leur mise en cause.

L’évolution du litige n’est caratérisée que par la révélation d’une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci modifiant les données juridiques du litige.

Dans le cas présent, les consorts [Z] ont formulé une demande d’annulation du contrat d’assurance-vie ‘Yoga’ n°180061494 14 devant le tribunal. Dès ce stade, ils savaient que ce contrat avait été souscrit le 15 juillet 2010 par M. [J] [A] auprès de la Sa Cnp Assurances. Ils disposaient donc des éléments leur permettant de la faire intervenir en première instance aux fins d’annulation dudit contrat. Ils ne démontrent pas que depuis la clôture des débats de première instance une évolution du litige, consistant en la modification de la qualité de co-contractante de la Sa Cnp Assurances, est survenue. Le tribunal n’a pas révélé la circonstance tenant à la nécessité d’attraire en justice toutes les parties au contrat dont la nullité est demandée.

L’intervention forcée de la Sa Cnp Assurances en appel est donc irrecevable.

En outre, en application de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour d’appel n’est pas saisie par l’exception d’irrecevabilité pour cause de prescription de l’action en nullité du contrat soulevée par M. [P] [A] qui ne l’a pas énoncée dans le dispositif de ses écritures.

En définitive, le rejet de la demande d’annulation du contrat d’assurance-vie prononcé par le tribunal ne peut qu’être confirmé.

– Sur sa requalification en donation déguisée

MM. [R] et [Y] [Z] font valoir qu’au vu de la faible espérance de vie de M. [J] [A] à la date du contrat, de son état de santé très précaire, et de l’inutilité de cet acte pour celui-ci, ce contrat d’assurance-vie a eu pour véritable objet de circonvenir les règles de succession et de distraire une très large partie des biens de la succession future de leur grand-père pour avantager son fils à leur détriment ; que le montant de 60 000 euros de cette donation déguisée doit être rapporté.

M. [P] [A] réplique que lui-même et son épouse n’ont utilisé aucune manoeuvre ; que M. [J] [A] n’était aucunement sous influence et avait parfaitement conscience de son engagement en signant un tel contrat qui n’était pas dépourvu d’intérêt pour lui ; que le montant des fonds engagés n’était pas disproportionné par rapport à la situation financière de celui-ci ; que ce contrat n’a pas été souscrit pour désavantager ses petits-fils et pour se dépouiller au bénéfice de son fils.

Il incombe à l’héritier qui allègue l’existence d’une donation déguisée de prouver que la personne décédée avait souscrit le contrat en cause avec une intention libérale au profit de son cohéritier et une volonté de dissimulation, révélatrice du désir de créer une apparence trompeuse.

En l’espèce, le contrat d’assurance-vie a été conclu par M. [J] [A] le 15 juillet 2010 alors que son état de santé physique, mental comme cognitif, était stable, comme il ressort de la synthèse du Dr [U] du 20 juillet 2010, et ne laissait pas présager son décès presqu’un an plus tard.

De plus, il ressort des relevés du compte de dépôt n°11425 00200 0420621 14333 25 de M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne Normandie que des rachats partiels programmés de 300 euros par mois ont été effectués sur ce contrat à compter du 1er octobre 2010, tels que prévus par le certificat d’adhésion dudit contrat, ce qui lui permettait de compléter ses revenus mensuels. L’existence de cet avantage ne permet pas de requalifier ce placement en une libéralité indirecte. En effet, l’aléa attaché par principe au contrat d’assurance-vie, dont les effets dépendent de la durée de vie du souscripteur, existait bien au moment de sa souscription le 15 juillet 2010, date à laquelle l’état de santé de M. [J] [A] n’était pas alarmant.

Les consorts [Z] ne démontrent pas que leur grand-père était animé par la volonté de se dépouiller de manière irrévocable au profit de son fils [P] et de les déshériter au bénéfice de ce dernier.

La donation déguisée alléguée n’est pas caractérisée. La demande de rapport de la somme de 60 000 euros est rejetée. La décision du premier juge ayant statué en ce sens sera confirmée.

– Sur la réintégration de sa prime à l’actif de succession

MM. [R] et [Y] [Z] avancent que la prime de 60 000 euros versée à la signature du contrat était manifestement exagérée au vu des facultés de leur grand-père, qui était âgé de presque 91 ans, n’avait aucune personne à charge, et dont l’état de santé était précaire eu égard à sa maladie d’Alzheimer et à ses chutes répétées ; que ce dernier avait une chance très faible de bénéficier de ce contrat jusqu’à son terme ; que cette prime était également manifestement excessive par rapport aux facultés financières de M. [J] [A] (épargne liquide de

107 000 euros, revenus de 2 600 euros par mois) ; que ce contrat n’était pas utile car ses avoirs étaient déjà placés sur divers comptes d’épargne ; que ses revenus suffisaient à couvrir le coût mensuel de l’Ehpad de 2 200 euros et les frais de souscription s’élevaient à plus d’une année d’intérêts, que le seul objectif de ce contrat était d’avantager M. [P] [A] à leur détriment.

M. [P] [A] n’explicite pas d’autres moyens que ceux précisés dans les développements ci-dessus.

L’article L.132-13 du code des assurances prévoit que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. 

Le caractère manifestement exagéré ou non des primes versées s’apprécie à la date du versement de la prime, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur. L’utilité de la souscription est aussi l’un des critères devant être pris en compte pour évaluer le caractère exagéré ou non des primes versées. En revanche, l’intérêt des héritiers réservataires ne constitue pas un critère d’appréciation de celui-ci, dès lors que l’article L.132-13 ne soumet aucun d’eux aux règles successorales du rapport et de la réduction.

Il incombe aux appelants de prouver le caractère excessif de la prime à la date de son versement.

A la souscription du contrat d’assurance-vie, M. [J] [A], âgé de presque 91 ans, disposait de plusieurs comptes d’épargne à la Caisse d’Epargne et de prévoyance de Normandie, dont le solde était de 102 499 euros au 4 juillet 2010, ainsi que de deux compte-titres ouverts dans la même banque d’un solde de 86 215 euros au jour de son décès, aucun autre document contemporain de la date de souscription n’étant versé aux débats, soit un patrimoine financier au moins égal à 150 000 euros le 15 juillet 2010.

M. [J] [A] percevait une pension de retraite d’environ 2 600 euros par mois et avait pour dépense principale le coût mensuel de son hébergement à l’Ehpad de 2 165 euros.

Ses facultés financières lui permettaient d’effectuer le versement d’une prime de 60 000 euros représentant 40 % de son épargne globale, d’autant plus que ce contrat d’assurance-vie présentait une utilité pour lui en ce qu’il constituait un instrument d’épargne plus rémunérateur (taux minimum garanti sur huit ans de 2,50 %) sans prise de risque de capital.

Comme il a été jugé ci-dessus, l’état de santé de M. [J] [A] au 15 juillet 2010 ne permettait pas d’envisager un risque à très court terme de disparition anticipée entraînant une absence de compensation des frais de souscription sur la durée du contrat. La table de mortalité TGH05 issue de l’annexe 14 de l’article A.335-1 du code des assurances produite par les appelants n’a qu’une valeur indicative sur l’espérance de vie escomptée d’une personne en fonction de son âge à la date de souscription d’un contrat d’assurance-vie.

Dès lors, le caractère manifestement exagéré de la prime versée sur le contrat d’assurance-vie souscrit auprès de la Sa Cnp Assurances n’est pas prouvé. La demande de rapport de cette prime à l’actif de la succession de M. [J] [A] est rejetée. La décision du premier juge ayant statué en ce sens sera confirmée.

Sur les rapports et les réintégrations à la succession

MM. [R] et [Y] [Z] fondent leurs demandes sur les articles 843 et 1993 du code civil. Ils font valoir que M. [P] [A] est le seul auteur des nombreux paiements et retraits d’espèces suivants, réalisés au moyen des avoirs bancaires de son père et pour l’essentiel à l’insu de ce dernier : 35 500 euros de chèques à son propre ordre, 793,74 euros par chèque et 2 356,38 euros par carte bancaire de dépenses personnelles, et 16 500 euros de retraits d’espèces.

Ils indiquent que M. [P] [A] ne prouve pas une quelconque volonté de M. [J] [A] de le dispenser du rapport de ces sommes ; qu’étant titulaire d’une procuration sur tous les comptes de ce dernier à compter du 7 mai 2009 et ayant la qualité de mandataire, il ne justifie pas des sommes qu’il a engagées ; que l’augmentation de 236 % des débits de M. [J] [A] à partir du 7 mai 2009 est anormale puisqu’à compter du 27 juin 2009, il est entré en Ehpad et a cessé de faire de nombreuses dépenses courantes.

M. [P] [A] répond que les appelants ne justifient pas des calculs aboutissant au taux de 236 % ; qu’il y a eu une hausse importante des dépenses à compter de l’entrée en maison de retraite de son père dont le coût était de 2 000 euros par mois ; que s’y sont ajoutés le coût de l’achat d’un trousseau complet et d’autres dépenses ponctuelles ; que les dépenses de son père ont toujours été proportionnées à ses revenus et à son capital ; qu’il a produit les documents bancaires demandés ; qu’il est de bonne foi ; qu’il a géré l’administratif et les finances de son père à la demande de celui-ci à partir de 2009 jusqu’à son décès et qu’il ne s’est emparé de rien.

L’article 843 alinéa 1er du code civil prévoit que tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Il s’en déduit que, sauf dispense expresse de rapport, les dons manuels et les donations indirectes, dont la preuve peut être apportée par tous moyens par celui qui en invoque l’existence, sont présumées rapportables.

Enfin, l’article 1993 du code précité précise que tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.

– Sur quatre chèques établis à l’ordre de M. [P] [A] d’un montant total de 35 500 euros

M. [P] [A], bénéficiaire d’une procuration sur les comptes de son père, ne conteste pas avoir établi les chèques suivants et les avoir signés :

– chèque de 3 000 euros daté du 7 octobre 2009, fait à son ordre, et tiré sur le compte de dépôt n°11425 00200 0420621 14333 25 de M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne Normandie le 30 octobre 2009,

– chèque de 30 000 euros daté du 10 novembre 2009, fait à son ordre, tiré sur ledit compte le 13 novembre 2009, et qui a donné lieu à une déclaration de don manuel auprès des services des impôts le 16 novembre 2009,

– chèque de 1 500 euros daté du 10 décembre 2010, fait à l’ordre de M. et Mme [A] [P], et tiré sur ledit compte le 21 décembre 2010,

– chèque de 1 000 euros daté du 17 mars 2011, fait à son ordre, et tiré sur ledit compte le 21 mars 2011.

M. [P] [A] précise que les chèques de 3 000, 1 500, et 1 000 euros sont des dons qui constituent des présents d’usage au sens de l’article 852 du code civil et au regard des revenus et du patrimoine de son père.

Selon l’article 852 du code civil, les frais de nourriture, d’entretien, d’éducation, d’apprentissage, les frais ordinaires d’équipement, ceux de noces et les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant. Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant.

M. [P] [A] ne donne aucune précision sur les circonstances de l’établissement de ces trois chèques, ni sur l’occasion ou l’usage auquel ils se rattachent. Ils ne peuvent donc pas être qualifiés de présents d’usage et leurs montants sont rapportables.

M. [P] [A] s’en rapporte à justice s’agissant du chèque de 30 000 euros. Il explique que ce don manuel lui a été octroyé par M. [J] [A] pour acheter un véhicule afin notamment de le véhiculer et de lui permettre de lui faire plaisir car il ne l’avait pas vu pendant plusieurs années.

Toutefois, M. [P] [A] ne prouve pas la volonté de son père de le dispenser de rapporter cette donation.

Il sera donc tenu de rapporter la somme totale de 35 500 euros à l’actif de la succession.

– Sur les dépenses de 793,74 euros

M. [P] [A] a établi les chèques suivants et les a signés :

– deux chèques de 150 euros chacun, datés des 27 octobre 2010 et 24 février 2011, à l’ordre de l’association diocésaine de [Localité 10]/[Localité 8] et tirés sur le compte précité respectivement les 18 novembre 2010 et 14 mars 2011,

– chèque de 393,74 euros daté du 24 février 2011, à l’ordre d’Erdf, et tiré sur le compte précité le 2 mars 2011.

Il a également établi un chèque de 100 euros le 4 mars 2010 pour le paiement du denier du culte selon le talon du chéquier versé aux débats. Celui-ci a été tiré sur le compte précité le 19 mars 2010.

Il explique que son père, qui n’avait pas perdu sa foi religieuse, lui a demandé d’établir ces trois chèques pour l’association diocésaine de [Localité 10]/[Localité 8].

Ces trois chèques n’ont pas profité à M. [P] [A], lequel justifie que ceux des 4 mars et 27 octobre 2010 ont été encaissés par l’association diocésaine de [Localité 10] à titre de dons pour le denier de l’église. Les appelants ne démontrent pas davantage que le montant de ces chèques a bénéficié indirectement à M. [P] [A]. Il ressort des pièces versées aux débats que M. [J] [A] avait l’habitude de regarder les retransmissions de messes à la télévision le dimanche matin. Dans ses dernières volontés contenues dans un écrit du 27 mars 1991, il a souhaité être incinéré avec une cérémonie religieuse au crematorium. Cette attitude est cohérente avec ces trois dons faits au diocèse de rattachement de sa paroisse à Cherbourg, contrairement à ce qu’indiquent les appelants.

La demande de rapport de la somme totale de 400 euros sera rejetée.

S’agissant du chèque pour Erdf, M. [P] [A] avance qu’il l’a établi par erreur sur le chéquier de son père mais qu’il l’a remboursé en numéraire en mars 2011 lorsqu’il est venu lui rendre visite. Il ajoute que si son montant devait être rapporté, il s’agirait d’un enrichissement sans cause de l’actif de la succession.

Cependant, la dépense de 393,74 euros n’a pas été faite dans l’intérêt de M. [J] [A], mais dans celle de son fils. Ce dernier n’apporte pas la preuve qu’il lui en a remboursé le montant, laquelle aurait pu l’être par le biais d’un relevé faisant figurer le montant correspondant du retrait d’espèces sur son compte personnel et d’une attestation d’une personne présente lors de la remise alléguée de ladite somme à son père en mars 2011.

M. [P] [A], mandataire de la gestion des comptes bancaires de son père, devra réintégrer cette dépense à l’actif de succession.

– Sur les dépenses de 2 356,38 euros

MM. [R] et [Y] [Z] justifient que des paiements ont été effectués par carte bancaire pour ce montant entre le 3 août 2009 et le 13 juillet 2011 à partir du compte de dépôt précité de M. [J] [A]. Ils ont été réalisés pour des dépenses de restaurant, de vêtements, de station-service, d’hôtel, de supermarchés, de chocolats, d’un concessionnaire voiture et de péage.

Ils exposent qu’il n’est pas justifié que ces dépenses ont été faites par M. [J] [A] ; qu’elles l’ont été par M. [P] [A] qui était en possession de la carte bancaire de celui-ci ; que l’agenda 2009 de M. [J] [A] montre qu’à partir de son entrée à la maison de retraite il ne sortait plus au restaurant, sauf à de très rares exceptions.

M. [P] [A] répond qu’il a seul utilisé la carte bancaire mais avec son père ou à la demande de son père qui conservait l’habitude d’avoir des espèces, que ce dernier se rendait régulièrement au restaurant avec sa famille notamment pour manger des frites, ce qui a été le cas le 30 mai 2011 ; qu’il n’est nullement établi que les autres sommes lui ont profité exclusivement.

En l’espèce, les frais de restaurant Café de [Localité 5] de 85,90 euros réglés le 30 mai 2011 ont été exposés lors d’une visite de sa famille à M. [J] [A] mentionnée dans les fiches de transmission infirmières. Eu égard aux facultés financières de ce dernier telles que décrites ci-dessus, ils constituent un présent d’usage non rapportable.

En revanche, M. [P] [A] ne démontre pas que, lors d’autres visites à son père, s’était instauré l’usage d’aller avec lui au restaurant. La seule photocopie d’une photographie, dont la date de février 2010 mentionnée à la main sur celle-ci n’est pas vérifiable, est insuffisante à apporter la preuve de ses affirmations contraires.

Les dépenses de restaurant autres que celle du 30 mai 2011 ne s’analysent donc pas en des présents d’usage.

M. [P] [A] ne prouve pas davantage que les autres dépenses réglées au moyen de la carte bancaire qu’il a seul utilisée au cours de ladite période ont été faites au bénéfice et à la demande de M. [J] [A].

Mandataire de la gestion des comptes bancaires de son père, il devra réintégrer le montant total de 2 270,48 euros (2 356,38 euros ‘ 85,90 euros) à l’actif de la succession.

– Sur les retraits d’espèces de 16 500 euros

MM. [R] et [Y] [Z] font valoir que ces opérations ont été effectuées entre le 7 juillet 2009 et le 11 juillet 2011 ; que dès qu’il est entré en Ehpad le 27 juin 2009, M. [J] [A] n’avait plus aucun besoin en espèces pour faire ses courses ; qu’il ne s’est jamais servi d’une carte bancaire pour retirer des espèces à un distributeur ; que de nombreux retraits égaux ou supérieurs à 500 euros sont d’un montant sans aucune corrélation avec les besoins limités voire inexistants de M. [J] [A] ; que certains ont été réalisés lors des hospitalisations de celui-ci ; qu’il appartient à M. [P] [A] de prouver l’emploi qu’il a fait des fonds de son père ; qu’il n’a pas exposé de frais funéraires.

M. [P] [A] précise qu’il a effecté tous ces retraits par carte bancaire à la demande et au profit de son père qui ne possédait pas de carte préalablement ; que ce dernier la conservait ; que les appelants ne prouvent pas que ces retraits sont des dons manuels effectués par M. [J] [A] à son profit ; que les facultés financières de son père, habitué à un certain train de vie, lui permettaient de prélever ces sommes pour ses besoins quotidiens, pour aller au restaurant et pour faire des présents d’usage à sa famille et à sa compagne ; que deux retraits ont été effectués sur le livret B au moment des fêtes de fin d’année ; qu’au cours des cinq jours précédant le décès de son père, il a effectué des retraits en vue de l’inhumation et avant que les comptes soient bloqués.

Il est justifié que des retraits d’espèces, oscillant entre 300 à 1 000 euros, ont été effectués par carte bancaire sur le compte de dépôt de M. [J] [A] entre le 21 juillet 2009 et le 11 juillet 2011, pour un montant total de 13 500 euros. Sont également prouvés trois retraits d’espèces de 1 000 euros chacun par le même procédé les 7 juillet et 22 décembre 2009 et 29 avril 2010 sur le livret B n°11425 00200 01206214396 de M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne Normandie.

Avant l’entrée de M. [J] [A] en Ehpad le 27 juin 2009, celui-ci retirait des espèces directement au guichet de la banque. Il ressort des relevés de son livret B qu’il a prélevé en moyenne 583 euros par mois en 2007 (7 000 euros/12 mois) et

613 euros par mois en 2008 (7 360 euros /12 mois). Il ne réalisait pas de retraits d’espèces sur son compte de dépôt.

A compter du 27 juin 2009 et au moyen des procurations bancaires dont il était titulaire sur les comptes de son père, M. [P] [A] a effectué des retraits de numéraire au distributeur sur le compte de dépôt et le livret B d’un montant total de 5 000 euros jusqu’au 31 décembre 2009, soit une moyenne de 833 euros par mois calculée sur six mois, et de 10 500 euros du 1er janvier 2010 au 23 juin 2011, soit une moyenne de 583 euros par mois calculée sur 18 mois.

Même si l’admission de M. [J] [A] en Ehpad le déchargeait de dépenses courantes de nourriture et d’entretien d’un domicile personnel, il devait faire face à des dépenses personnelles, notamment d’hygiène, de loisirs, de santé, correspondant à un train de vie qu’il était légitime de conserver dans les mêmes proportions même s’il a subi des hospitalisations ponctuelles.

La comparaison des moyennes mensuelles de retraits effectués jusqu’au 27 juin 2009 par M. [J] [A], puis à partir de ladite date par M. [P] [A], montre que leurs montants n’ont pas augmenté en 2010 et jusqu’au 23 juin 2011. La moyenne mensuelle des retraits de 2009 a été majorée d’environ 235 euros par rapport à la moyenne mensuelle des retraits effectués en 2007-2008 de 598 euros. Cette augmentation n’a pas perduré au-delà du 31 décembre 2009 et se justifie par les dépenses nécessitées dans les six mois de l’admission de M. [J] [A] en maison de retraite et par celles exposées par la poursuite de ses relations avec sa compagne Mme [M] [E] également pensionnée dans le même Ehpad comme occupant la chambre en face de la sienne. Les seules déclarations de Mme [F], fille de Mme [M] [E], produites par les appelants sont insuffisantes à remettre en cause ce fait.

Dès lors, les retraits d’espèces effectués jusqu’au 23 juin 2011 au bénéfice de M. [J] [A] ne constituent pas des libéralités rapportables.

S’agissant des retraits de 500 euros effectués quelques jours avant le décès de ce dernier les 24 juin et 11 juillet 2011, M. [P] [A] justifie que 200 euros ont été prévus pour la cérémonie funéraire selon le bon de commande du 13 juillet 2011 qu’il a faite auprès des pompes funèbres générales de [Localité 13]. Les seules déclarations de ses deux filles qui attestent dans son intérêt sont insuffisantes, à défaut de facture ou d’autres éléments objectifs, à prouver l’affectation du reliquat de 800 euros au bénéfice et à la demande anticipée de M. [J] [A] avant son décès.

Le retrait injustifié de la somme totale de 800 euros sera réintégré à l’actif de la succession de M. [J] [A].

– Sur le véhicule Fiat panda

MM. [R] et [Y] [Z] exposent que, par conclusions du 6 septembre 2021, M.[P] [A] a admis s’être fait céder à titre gratuit le véhicule Fiat panda de M. [J] [A] le 25 décembre 2008 qu’il ne leur a jamais proposé ; que la valeur de ce véhicule à ladite date est au moins égale à 1 500 euros qu’il devra rapporter.

M. [P] [A] réplique que les appelants n’ont jamais soulevé l’argument relatif à cette cession en première instance, ni dans leurs premières conclusions d’appel ; qu’il n’y a aucune fraude de sa part ; que cette cession constitue un présent d’usage non rapportable ; qu’ayant été acheté neuf par M. [J] [A] en 1994, ce véhicule n’avait plus aucune valeur vénale 14 ans après et n’aurait pas pu être revendu ; qu’il l’a accepté avant sa mise à la casse et face au refus des consorts [Z] de le prendre car ils n’en avaient pas l’utilité.

Il ressort du certificat de cession d’un véhicule daté du 25 décembre 2008 que M. [J] [A] a cédé à titre gratuit à son fils son véhicule Fiat panda immatriculé pour la première fois le 27 juin 1994.

La situation financière de M. [J] [A] en 2008 et la valeur limitée de ce véhicule ancien de 14 ans lui permettait d’offrir ce cadeau de [H] à son fils. A défaut d’apporter la preuve de la volonté de M. [J] [A] d’obliger son fils au rapport de la valeur de ce présent d’usage, les consorts [Z] seront déboutés de leur demande en ce sens.

* * *

En définitive, M. [P] [A] sera condamné à rapporter et à réintégrer à l’actif de la succession de M. [J] [A] la somme totale de 38 964,22 euros avec intérêts au taux légal à compter des conclusions récapitulatives notifiées le 30 novembre 2019 par les consorts [Z] devant le tribunal et avec le bénéfice de la capitalisation en application de l’article 1343-2 du code civil. La décision du tribunal ayant arrêté une somme supérieure sera infirmée.

Sur le recel successoral

MM. [R] et [Y] [Z] soutiennent que délibérément M. [P] [A] n’a pas déclaré aux opérations de succession devant le notaire les donations dont il a été bénéficiaire ; que cette volonté de dissimulation constitutive d’un recel s’est manifestée au jour de la déclaration de succession auprès de l’administration fiscale et de l’acte de notoriété le 26 novembre 2011 ; qu’elle s’est aussi concrétisée par la multiplicité des virements opérés par M. [P] [A] par internet du livret B au compte de dépôt de son père dont il détenait le chéquier pour s’établir notamment le chèque de 30 000 euros à son profit.

Ils ajoutent que ce n’est que dans ses conclusions du 6 septembre 2021 que M. [P] [A] a révélé avoir bénéficié d’une donation du véhicule Fiat panda et avoir été le seul utilisateur de la carte bancaire de M. [J] [A] et donc l’auteur et le bénéficiaire de tous les retraits et paiements réalisés avec celle-ci ; que l’ampleur et la diversité des détournements qu’il a réalisés démontrent sa volonté de s’accaparer par tous moyens la plus grande partie du patrimoins de son père à leur détriment.

M. [P] [A] fait valoir que le recel successoral qui lui est reproché ne peut matériellement pas être constitué, car le jugement du 10 septembre 2019 ordonnant l’ouverture des opérations de liquidation partage de la succession n’est pas définitif ; que les appelants ne démontrent pas l’intention frauduleuse et la mauvaise foi qui l’auraient animé ; qu’au contraire, il a été transparent ; que le don manuel de

30 000 euros a été déclaré au service des impôts ; qu’il a géré l’administratif et les finances de son père à la demande de celui-ci à partir de 2009 jusqu’à son décès.

L’article 778 du code civil prévoit que, sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier. Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part. L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. 

La charge de la preuve des éléments matériel (un ou des faits de nature à rompre l’égalité du partage successoral) et intentionnel (toute fraude intentionnelle faite au détriment des autres héritiers) du recel successoral incombe à la partie qui l’invoque contre son cohéritier. La mauvaise foi s’apprécie in concreto, en recherchant ce que l’héritier savait et voulait effectivement au moment du détournement ou de la dissimulation.

Il n’est pas nécessaire que l’héritier demandeur prouve son préjudice ou que l’avantage recherché par le receleur soit réalisé.

Dans le cas présent, contrairement à ce qu’indique M. [P] [A], peu importe le moment où les faits constitutifs du recel ont été commis, même avant le décès si, après l’ouverture de la succession, ils n’ont pas été révélés à la succession.

L’examen des relevés du livret B et du compte de dépôt de M. [J] [A] a fait apparaître de nombreuses dépenses personnelles de M. [P] [A] et l’établissement de chèques à son profit, pour un total non négligeable de

38 964,22 euros au cours de la période entre le 3 août 2009 et le décès de son père. Ces agissements ont été facilités par la procuration dont il était titulaire sur lesdits comptes à partir du 7 mai 2009, par l’usage par ses seuls soins de la carte bancaire et du chéquier de son père, par la réalisation de plusieurs virements via internet, et par le fait que M. [J] [A] n’était plus destinataire des relevés et documents bancaires désormais envoyés à l’adresse de M. [P] [A] et qu’il était confronté à une baisse de son efficience intellectuelle globale associée à des troubles cognitifs légers à modérées telle que relevée par le Dr [U] dans sa synthèse du 21 avril 2009.

M. [P] [A] n’a pas fait état spontanément de sa procuration et des opérations et mouvements bancaires précités lors de l’ouverture des opérations amiables de liquidation-partage, mais seulement lorsqu’il a été confronté aux demandes de rapport formées contre lui par les appelants qui avaient obtenu de la Caisse d’Epargne Normandie les relevés des comptes de M. [J] [A]. Il ne conteste pas avoir indiqué tardivement dans ses conclusions du 6 septembre 2021 en cause d’appel qu’il était le seul utilisateur de la carte bancaire de son père.

En abusant de la procuration bancaire dont il disposait sur les comptes de son père, M. [P] [A] a bénéficié de nombreux règlements et de chèques dans son intérêt exclusif, à l’insu de ses neveux, et donc dans l’intention de porter atteinte à l’égalité entre eux. En conséquence, il s’est rendu coupable d’un recel successoral sur la somme de 38 964,22 euros. Il sera privé de tous ses droits sur celle-ci et redevable du paiement des droits de succession afférents.

Sur la production sous astreinte de justificatifs d’une donation de M. [J] [A] à Mme [I] [A] épouse [Z]

M. [P] [A] avance qu’en 1996, sa soeur, mère des appelants, a bénéficié de leur père d’une donation de fonds pour l’acquisition d’un immeuble comme en attestent son épouse et sa fille qui ont été témoins de propos de M. [Y] [Z] ; qu’une somme de 80 000 francs a été remise par M. [J] [A] à M. [H] [Z] époux de Mme [I] [A] le 17 octobre 1990 ; que le refus des appelants de produire les relevés des comptes de celle-ci de 1990 doit s’analyser comme un aveu.

MM. [R] et [Y] [Z] indiquent qu’en cause d’appel, M. [P] [A] ne verse pas de pièces nouvelles et ne clarifie pas ses demandes qui ont été rejetées par le tribunal ; qu’ils ont sollicité en vain la copie des relevés bancaires de leur mère à l’époque de la donation alléguée mais que ceux-ci ne sont plus disponibles.

En l’espèce, Mme [W] [O] épouse de M. [P] [A] atteste avoir entendu M. [Y] [Z] en 2010 lui indiquer que sa mère lui avait dit que M. [J] [A] lui avait remis une somme conséquente pour l’achat d’un immeuble.

Mme [X] [A], fille de M. [P] [A], déclare que M. [Y] [Z] lui a parlé à plusieurs reprises du projet de sa mère d’acquérir un terrain pour y construire une maison grâce à l’aide financière de leur grand-père.

M. [P] [A] produit également la copie du livret A de M. [J] [A] à la Caisse d’Epargne Ecureuil mentionnant le retrait d’un chèque de 80 000 francs le 17 octobre 1990 au bénéfice de M. [H] [Z].

Cependant, aucune corrélation n’existe entre les déclarations des proches de M. [P] [A] et l’opération bancaire du 17 octobre 1990. D’une part, aucune date d’un éventuel don manuel de M. [J] [A] à sa fille n’est évoquée dans les propos rapportés de M. [Y] [Z]. D’autre part, la remise d’un chèque de 80 000 francs, non pas à Mme [I] [A] épouse [Z], mais à son époux, peut avoir une toute autre cause que celle alléguée par M. [P] [A]. Ces seuls éléments ne caractérisent pas une donation de M. [J] [A] au bénéfice de sa fille.

Il n’y a donc aucune utilité à solliciter la production des justificatifs de sommes reçues de son père par la mère des appelants. Au surplus, la communication par la banque de relevés bancaires de celle-ci est impossible du fait de l’expiration du délai d’archivage de 10 ans depuis son décès en 1997, comme il ressort du courriel de réponse du 28 octobre 2021 de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] à une demande en ce sens de M. [R] [Z] du 15 septembre 2021 pour le 2ème semestre 1990 et pour les années 1996 et 1997.

Le jugement du tribunal ayant rejeté cette prétention sera confirmé.

Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, M. [P] [A] sera condamné aux dépens d’appel avec bénéfice de distraction au profit de l’avocat qui en a fait la demande.

Il n’est pas inéquitable de le condamner aussi à payer aux appelants la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés pour cette procédure d’appel.

Dans leurs rapports entre eux, les appelants seront condamnés in solidum à payer à la Sa Cnp Assurances la somme de 2 000 euros au titre de ses frais de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Dans les limites de l’appel formé,

Déclare irrecevable l’intervention forcée en appel de la Sa Cnp Assurances formée par MM.[R] et [Y] [Z],

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné M. [P] [A] à rapporter à la succession de M. [J] [A] des donations à hauteur de

41 350,13 euros,

Statuant à nouveau sur ce chef infirmé et y ajoutant,

Condamne M. [P] [A] à rapporter et à réintégrer à l’actif de la succession de M. [J] [A] la somme totale de 38 964,22 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2019,

Ordonne la capitalisation des intérêts moratoires année par année,

Dit que M. [P] [A] ne pourra prétendre à aucune part sur ladite somme recelée et sera redevable du paiement des droits de succession afférents à celle-ci,

Condamne M. [P] [A] à payer à MM. [R] et [Y] [Z], pris ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter de cette décision,

Condamne in solidum MM. [R] et [Y] [Z] à payer à la Sa Cnp Assurances la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus des demandes,

Condamne M. [P] [A] aux dépens d’appel avec bénéfice de distraction au profit de Me Lemaître-Nicolas, avocate, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente de chambre,

 


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