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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 08 DECEMBRE 2023
(n°172, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 22/01658 – n° Portalis 35L7-V-B7G-CFC3A
Décision déférée à la Cour : jugement du 21 décembre 2021 – Tribunal de commerce de PARIS – 1ère chambre – RG n°2019033007
APPELANTS
S.A.S.U. [E] S PROD, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé
[Adresse 1]
[Localité 5]
Immatriculée au rcs de Créteil sous le numéro 792 168 114
M. [F] [O]
Né le 3 octobre 1960 à [Localité 6]
De nationalité française
Exerçant la profession de dirigeant de société
Demeurant [Adresse 2]
Représentés par Me Michel POMBIA, avocat au barreau de PARIS, toque E 237
INTIMEE
S.A.R.L. EDITIONS DE BERTHOLENE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé
[Adresse 4]
[Localité 3]
Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 329 980 270
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocate au barreau de PARIS, toque K 0065
Assistée de Me Gill DINGOMÉ plaidant pour la SELARL DINGOME NGANDO & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K 027
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 4 octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique RENARD, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mme Véronique RENARD a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Véronique RENARD, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 21 décembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris qui a :
– débouté M. [O] et la société [E]’s Prod de leur demande d’ordonner une expertise et de la demande de la société [E]’s Prod de condamnation de la société Editions de Bertholène à lui payer à titre provisionnel les sommes de 155 051 euros et 1 000 000 euros,
– débouté M. [O] de sa demande de condamner la société Editions de Bertholène à lui verser la somme de 100 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral,
– débouté M. [O] de sa demande de condamner la société Editions de Bertholène a lui payer la somme de 155 051 euros au litre des reversements commerciaux,
– débouté M. [O] de sa demande de condamner la société Editions de Bertholène à lui payer la somme de 1 000 000 euros à titre de manque à gagner,
– débouté la société Editions de Bertholène de sa demande de condamner la société [E]’s Prod à lui payer la somme de 8 270,74 euros à titre de restitution,
– débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement M. [O] et la société [E]’s Prod aux dépens de l`instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,62 euros dont 15.72 euros de TVA,
Vu l’appel interjeté le 19 janvier 2022 par M. [O] et la société [E]’s Prod,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 11 mai 2023 par M. [O] et la société [E]’s Prod, appelants, qui demandent à la cour de :
– recevoir les concluants en leurs fins et moyens,
– débouter la société des Editions de Bertholène de l’ensemble de ses défenses et moyens,
– reformer le jugement entrepris dans ses dispositions attaquées,
Statuant à nouveau :
A titre principal,
– prononcer la résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société des Editions de Bertholène et la société [E]’s Prod,
– prononcer la résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société des Editions de Bertholène et M. [O],
– prononcer la résiliation de l’accord de reversement commercial du 18 juillet 1990 entre la société des Editions de Bertholène et M. [O],
– condamner la société Editions de Bertholène à verser à titre provisionnel à la [E]’s Prod la somme de 355 963,095 euros à titre de préjudice subi et
1 000 000 euros à titre de manque à gagner, à régler à M. [O] la somme de 100 000 euros à titre de réparation du préjudice moral, à verser à la société [E]’s Prod des intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 3 avril 2015 sur la somme de 355 963,095 euros, ordonner l’exécution provisoire (sic) et la capitalisation des intérêts à compter du jugement à intervenir (sic), et la condamner à leur verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
– ordonner une mesure d’expertise et désigner tel expert qu’il plaira avec pour mission de :
– se rendre dans les locaux de la société des Editions de Bertholène, [Adresse 4], et dans tout autre lieu qui serait utile pour procéder à ses constatations,
– se faire communiquer par toutes les parties copie de tous les documents (contrats, éléments comptables, supports discographiques, films et de manière générale tous documents et pièces qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission), relatifs aux accords de reversement commercial conclus entre d’une part les demandeurs et/ou toutes les entreprises liées avec elles (en activité ou radiées telles que [E]’s Productions, [E]’s International Production, AJIP et [E]’s Prod), et d’autre part la défenderesse et toutes les entreprises liées avec elle et/ou avec son fondateur [Z] [I] (en activité, en procédure collective ou radiées telles que Création de [Localité 7], Mélodie, Rue Stendhal, Média 7, Musique et communication’),
– se faire communiquer en particulier tous les documents relatifs à l’accord de reversement commercial entre les parties ou les entreprises liées avec elles, se rapportant à l”uvre musicale «TROP DE BLA BLA» de la chanteuse [S] [V], dite [C],
– se faire communiquer des documents ou pièces par toute personne ayant participé à l’exécution de ces accords, l’entendre s’il y a lieu,
– déterminer le montant de l’ensemble des recettes (provenant des droits d’exploitation, de représentation, de reproduction ‘) encaissées par la société des Editions de Bertholène et/ou toutes les entreprises liées avec elles, se rapportant aux ‘uvres faisant l’objet de ces accords,
– déterminer en particulier le montant des revenus générés par l’exploitation de l”uvre «Trop de Bla Bla» dans le cadre de sa diffusion publique, de l’achat/streaming de l”uvre, du placement de l”uvre en synchronisation et de la vente de partition/paroles,
-déterminer singulièrement tous les aspects financiers du contrat de synchronisation conclu entre l’auteur-compositeur, l’éditeur et l’annonceur, dans la cadre de l’exploitation de la chanson «Trop de Bla Bla » dans la campagne publicitaire télévisuelle de l’assureur MMA,
– déterminer le total des sommes versées aux demandeurs (ou aux entreprises liées à elles) par la défenderesse et/ou les autres sociétés liées à elles, dans le cadre de ces accords,
– déterminer le manque à gagner de la société [E]’s Prod et de M. [O], en fonction des usages du secteur,
– entendre les parties en leurs dires et observations ainsi que tout sachant,
– d’une manière générale, fournir tous les éléments permettant au tribunal (sic) de déterminer les responsabilités éventuellement encourues,
– décrire et évaluer les préjudices éventuellement subis par les demandeurs dans le cadre de l’exécution de ces accords, ainsi que leur manque à gagner,
– avant de rédiger son rapport, communiquer sa note de synthèse aux parties et leur impartir un délai pour présenter leurs observations et réponses,
– fixer le délai dans lequel l’expert devra déposer son rapport au secrétariat du greffe de ce tribunal (sic),
– dire qu’il en sera référé au juge en cas de difficultés,
– dire que la provision à consigner sera avancée par les demandeurs,
A titre subsidiaire :
– condamner la société Editions de Bertholène à verser à la société [E]’s Prod la somme de 355 963,095 euros à titre de préjudice subi et 1 000 000 euros à titre de manque à gagner, et à verser à M. [O] une somme de 100 000 euros à titre de réparation de préjudice moral, la condamner à verser à la société [E]’s Prod des intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 3 avril 2015 sur la somme de 355 963,095 euros, ordonner l’exécution provisoire et la capitalisation des intérêts à compter du jugement à intervenir, et la condamner à verser à M. [O] et à la société [E]’s Prod une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er juin 2023 par la société Editions de Bertholène, intimée, qui demande à la cour de :
– déclarer la Sarl Editions de Bertholène recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions et accueillir son appel incident,
Y faisant droit et statuant à nouveau,
In limine litis (sic),
– déclarer l’action de la société [E]’s Prod et de M. [O] irrecevable pour défaut de qualité et d’intérêt à agir,
– déclarer irrecevables les prétentions, demandes, fins et conclusions de la société [E]’s Prod et de M. [O] portant sur la demande de résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société Editions de Bertholène et la société [E]’s Prod, la demande de résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société Editions de Bertholène et M. [O], la demande de résiliation de l’accord de reversement commercial du 18 juillet 1990 entre la société Editions de Bertholène et M. [O], aux motifs que ces prétentions ne tendent pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, et en outre, lesdites prétentions ne sont pas non plus l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire d’une prétention soumise au premier juge, en application des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile,
Au fond,
– confirmer le jugement rendu le 21 décembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a débouté M. [O] et la société [E]’s Prod de toutes leurs demandes,
– débouter la société [E]’s Prod et M. [O] de l’intégralité de leurs prétentions, demandes, fins et conclusions,
– rejeter l’intégralité des prétentions, demandes, fins et conclusions de la société [E]’s Prod et de M. [O] en ce qu’elles portent sur :
a) l’existence d’un accord de reversement commercial entre la société [E]’s Prod, M. [O] et la société Editions de Bertholène,
b) la détermination de la part éditoriale et des droits éditoriaux (droits de reproduction mécanique et droits d’exécution publique) dans les accords de rétrocession éditoriaux conclus par la société Editions de Bertholène avec la société [E]’s Prod en 1990 et en 1996,
c) la demande d’expertise de la société [E]’s Prod et de M. [O],
d) la demande de résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société Editions de Bertholène et la société [E]’s Prod,
e) la demande de résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société Editions de Bertholène et M. [O],
f) la demande de résiliation de l’accord de reversement commercial du 18 juillet 1990 entre la société Editions de Bertholène et M. [O],
g) la demande de la société [E]’s Prod tendant à obtenir la condamnation de la société Editions de Bertholène à la somme de 355 963, 095 euros au titre du préjudice subi,
h) la demande de la société [E]’s Prod tendant à obtenir la condamnation de la société Editions de Bertholène à la somme de 1 000 000 euros au titre du manque à gagner,
i) la demande de M. [O] tendant à obtenir la condamnation de la société Editions de Bertholène à la somme de 100 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral,
j) les demandes des appelants formulées à titre subsidiaire qui sont identiques à leurs demandes formulées à titre principal
– infirmer le jugement du 21 décembre 2021 et déclarer que la société [E]’s Prod et M. [O] ne rapportent pas la preuve de l’existence d’un accord écrit de reversement commercial dont la charge leur incombe,
– infirmer le jugement du 21 décembre 2021 et condamner la société [E]’s Prod à la somme de 8 270,74 euros représentant la restitution de la somme globale perçue indûment et sans cause par la société [E]’s Prod en 2014 et en 2015,
– condamner in solidum M. [O] et la société [E]’s Prod à la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum M. [O] et la société [E]’s Prod aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Etevenard, avocat aux offres de droit,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 15 juin 2023 ;
SUR CE,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que M. [O] disant avoir pour pseudonyme « [E]’s Production » est producteur de musique africaine en France à travers différentes sociétés et confie l’édition des ‘uvres qu’il produit à la société Editions de Bertholène.
M. [O] a exercé son activité à travers plusieurs entités dont l’entreprise en nom propre [O] [F] (RCS 332 822 097) ayant pour nom commercial [E]’s Productions créée en 1985 et radiée le 12 avril 1990 au motif qu’elle n’a jamais eu d’activité, la SARL [E]’s International Production (RCS 395 133 416) créée en 1994 et radiée le 5 août 2004, la SARL AJIP (RCS 439 297 474) créée en 2001 et radiée le 16 février 2012, et enfin la SAS [E]’s Prod (RCS 792 168 114), société appelante, créée en 2013, et toujours en activité.
La société Editions de Bertholène a pour activité la production et l’édition de phonogrammes.
Le 23 septembre 1987 Mme [S] [V] dite « [C] » et la société Editions de Bertholène ont conclu un contrat de cession et d’édition de l”uvre musicale intitulée « Trop de Bla Bla » créée fin 1987 ou début 1988. Par contrat séparé du même jour, « [C] » et la société Editions de Bertholène ont signé un contrat de cession du droit d’adaptation audiovisuelle concernant la même ‘uvre. Les deux contrats ont été régulièrement déclarés à la SACEM.
La société « [E]’s Production » a conclu en 1988 avec « [C] » un contrat de licence exclusive de fabrication, distribution et vente de tout support matériel de l”uvre musicale « Trop de Bla Bla » pour une durée de deux ans.
Par contrat du 18 juillet 1990, la société Editions de Bertholène a consenti à « [E]’s Production c/o M. [O] [E] », un intéressement de 50 % de sa part éditoriale (droits de représentation mécanique et droits d’exécution publique) produite par les ‘uvres qu’elle édite ou sera amenée à éditer à la demande de [E]’s Production.
En 2015, après des déclarations publiques de « [C] » sur ses rémunérations relatives à l’exploitation de l”uvre « Trop de Bla Bla » M. [O] a estimé que la société Editions de Bertholène lui avait reversé moins de la moitié des recettes éditoriales que celle-ci avait perçues sur cette ‘uvre et a réclamé un complément de rémunération à l’éditeur. Ce dernier lui a réclamé les accords de reversement concernant l”uvre « Trop de Bla Bla » qui n’étaient pas en sa possession et faute d’obtenir ces éléments, a cessé, tout reversement commercial à compter du mois d’avril 2015.
C’est dans ces conditions que par acte du 3 juin 2019, M. [O] et la société [E]’s Prod ont fait assigner la société Editions de Bertholène devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir paiement d’une somme provisionnelle en réparation des préjudices subis ainsi qu’une mesure d’expertise et que le jugement dont appel a été rendu.
Sur la recevabilité de l’action de M. [O] et de la société [E]’s Prod
La société Editions de Bertholène soulève l’irrecevabilité de l’action de M. [O] et de la société [E]’s Prod pour défaut de qualité et d’intérêt à agir dès lors que ces derniers ne produisent aucun élément de rattachement ni avec elle ni avec l”uvre « Trop de Bla Bla », la société [E]’s Productions qui a, à la suite d’une erreur des services comptables de l’éditeur, reçu des reversements ayant été radiée en 1990, et la SAS [E]’s Prod, appelante, ayant été créée en 2013 tandis que M. [O] n’apporte pas la preuve qu’il existe un contrat en son nom concernant l”uvre en cause.
Les appelants s’approprient les motifs du jugement pour s’opposer à la fin de non- recevoir et reprennent leurs arguments selon lesquels la société Editions de Bertholène a réglé à la société [E] s Prod, pour l’exploitation du titre « Trop de Bla Bla », la somme de 5 251,85 euros TTC pour l’année 2014, celle de 4 376,54 HT pour l’année 2013 et celle de 2 524,16 euros pour l’année 2012 et que par ailleurs la société intimée a réclamé, par l’intermédiaire de son conseil, le remboursement de la somme de 47 891,75 euros représentant la totalité des sommes qui auraient été perçues indûment et sans cause par la société [E]’s International Production de 2005 à 2014. S’agissant de M. [O], il est indiqué que celui-ci a apporté l”uvre musicale « Trop de Bla Bla » à la société Editions de Bertholène. Les appelants ajoutent que les deux derniers chèques ont été établis par la société Editions de Bertholène au profit de M. [O], ce qui constituerait la preuve « de la parfaite connaissance qu’elle avait de la situation des demandeurs », enfin que les dernières factures présentées à M. [I] (les Editions de Bertholène) pour paiement ne créent aucune ambiguïté sur l’existence de la nouvelle entreprise de M. [O].
Il résulte de la production de son extrait d’immatriculation au RCS que la SAS [E]’s Prod, société appelante, ayant pour nom commercial AJIP et ayant commencé son activité le 13 mars 2013 a été créée le 2 avril 2013 et immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 792 168 114. Elle ne peut donc pas être signataire de l’accord de rétrocession éditorial (sic) signé entre les Editions de Bertholène et « [E]’s Production c/o M. [O] [E] » le 18 juillet 1990. A cette date, il n’est justifié de l’existence d’aucune société dirigée par M. [O], la SARL [E]’s International Production ayant été créée en 1994 et radiée le 5 août 2004, la SARL AJIP créée en 2001 et radiée en 2012.
Pour autant, la société Editions de Bertholène sollicite le remboursement de la somme de 8 270,74 euros de rétrocessions commerciales payées en 2014 et 2015 à la société [E]’s Prod, ce qui démontre à suffisance qu’elle a accepté que les relations contractuelles initialement établies avec « [E]’s Production c/o M. [O] [E] » se poursuivent avec les différentes sociétés dirigées par M. [O], dont la société [E] s Prod. Cette dernière a donc qualité et intérêt à agir dans le cadre de la présente procédure.
S’agissant de M. [O], ce dernier réclame réparation d’un préjudice moral qu’il aurait subi du fait « de la rupture brutale des relations avec l’intimée et du comportement déloyal de cette dernière ». Il a donc également qualité et intérêt à agir dans le cadre de la présente procédure.
La fin de non- recevoir sera en conséquence rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
Sur les demandes nouvelles
Les appelants reconnaissent dans leurs écritures que leurs demandes tendant à voir prononcer la résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société des Editions de Bertholène et la société [E] s Prod, des accords de reversements commerciaux entre la société des Editions de Bertholène et M. [O] et de l’accord de reversement commercial du 18 juillet 1990 entre la société des Editions de Bertholène et M. [O] ne figuraient pas au dispositif de leurs écritures de première instance mais font valoir que ces prétentions étaient développées et sollicitées dans leur argumentaire, et en conséquence sous-entendues devant les premiers juges.
Pour autant, en application combinée des articles 446-2 alinéa 2 et 860 du code de procédure civile, devant le tribunal de commerce, lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions et moyens par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, elles comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions, et le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
En conséquence en l’espèce, le tribunal de commerce n’a pas été saisi des demandes de M. [O] et de la société [E] s Prod qui ne figuraient pas au dispositif de leurs dernières conclusions, de sorte que ces demandes sont présentées pour la première fois devant la cour. Ayant un fondement différent de l’action en rétrocession de droits éditoriaux, ces demandes n’en sont pas l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. Elles sont donc nouvelles et comme telles doivent être déclarées irrecevables.
Sur l’existence d’un accord de reversement commercial entre les parties concernant la chanson « Trop de Bla Bla »
La société Editions de Bertholène soutient en substance qu’aucun contrat éditorial n’a été conclu par écrit entre les parties concernant l”uvre « Trop de Bla Bla », et en particulier aucun accord écrit de reversement commercial que M. [O] a affirmé avoir signé en 1988 et qui constituerait la seule preuve valable de l’existence dudit accord, que ce n’est qu’à la suite d’une erreur de ses services comptables qu’elle a cru avoir formalisé en bonne et due forme un contrat écrit de reversement commercial avec l’entreprise [E] s Productions portant sur le titre « Trop de Bla Bla ».
En l’espèce, M. [O] et la société [E]’s Prod ne se prévalent d’aucun contrat d’édition mais d’un accord de reversements commerciaux ou de rétrocession éditoriale avec la société Editions de Bertholène, ce contrat étant défini comme étant un acte par lequel un éditeur d”uvre musicale – la société Editions de Bertholène – consent à son cocontractant un intéressement sur les recettes éditoriales d”uvres musicales. En conséquence les développements de la société intimée consacrés à l’exigence d’un écrit sont inopérants.
M. [O] soutient avoir présenté [C] à l’éditeur. A cet égard il produit une « note » de cette dernière, datée de mai 2018 et non conforme à l’article 202 du code de procédure civile, mais qui toutefois indique que « M. [O] est le premier contracteur du titre « TROP DE BLA BLA et l’apporteur de ladite ‘uvre à Monsieur [Z] [I] aux Editions Bertholène ».
Aucun accord de rétrocession commerciale sur les recettes éditoriales de la chanson «Trop de Bla Bla » qui aurait été conclu en 1988 n’est versé aux débats par M. [O] qui ne s’en prévaut d’ailleurs pas.
En revanche, par courriers des 23 juin et 13 décembre 1989, la société Editions de Bertholène informait « [E]’s Production – à l’attention de M. [E] [O] » des droits perçus au titre des 525ème , 526ème, 527ème et 528ème répartitions et de la part lui revenant «au regard de notre accord de reversement commercial sur le titre de [C] «Trop de Bla Bla » et autres ».
Ces éléments sont de nature à démontrer l’existence d’un accord de reversement commercial entre l’entreprise en nom propre [O] [F] ayant pour nom commercial [E]’s Productions ou [E]’s Production et les Editions de Bartholène, ce avant le mois de juin 1989, et l’éditeur ne peut sérieusement soutenir que c’est à la suite d’une erreur de ses services comptables qu’il a cru avoir formalisé en 1988 avec M. [O] un contrat écrit de reversement commercial et ainsi rétrocédé une partie des recettes éditoriales sur le titre en cause.
Par ailleurs, il a été dit que par contrat du 18 juillet 1990, les Editions de Bertholène et « [E]’s Production c/o M. [O] [E] » ont conclu un « accord de rétrocession éditorial », annulant et remplaçant tous les accords préalables, par lequel « EDITIONS DE BERTHOLENE consent un intéressement de 50% de sa part éditoriale produite par les ‘uvres qu’elle édite ou sera amenée á éditer à la demande de [E]’S PRODUCTION ”, ce pour la durée de protection des copyrights. Si cet accord ne fait pas mention du titre « Trop de Bla Bla » ni n’indique « les ‘uvres faisant l’objet des présentes », il n’est pas contesté qu’à la date où il a été conclu, les Editions de Bertholène éditait l”uvre « Trop de Bla Bla ».
La société intimée produit 21 factures de reversements commerciaux émises du 14 janvier 1991 au 6 mars 2015 par la société JIP [E]’s International Production ou la SARL AJIP ou encore par [E] s Prod AJIP et réglées par elle, dont seule la dernière mentionne le titre « Trop de Bla Bla » de [C].
Enfin par courrier du 23 avril 2015, la société Editions de Bertholène écrivait au conseil de l’époque des appelants :« Je ne comprends pas votre demande dans la mesure où depuis plus de 10 ans votre client a reçu ces décomptes sous cette forme, nous les a facturés sans jamais les contester et a encaissé nos règlements. En tout état de cause, je me dois de vous indiquer que les droits versés à votre client pendant toutes ces années étaient générés principalement par la chanson « Trop de Bla Bla ” de [C] ([S] [V]). Or, nous n’avons retrouvé dans nos archives aucune trace d’un accord de reversement commercial de droits éditoriaux concernant « Trop de Bla Bla » (‘ ) En conséquence, je mets en demeure votre client de me fournir ce document ».
L’ensemble de ces éléments démontrent à suffisance que les parties sont convenues de reversements commerciaux au profit de la société appelante concernant le titre « Trop de Bla Bla » de [C].
Sur les demandes de la société [E]’s Prod et de M. [O]
Il est constant que l’éditeur a cessé tout reversement commercial au profit de la société [E] s Prod à compter d’avril 2015 au motif qu’elle ne lui produisait pas l’accord de reversement commercial qu’elle lui réclamait.
Devant la cour, la société [E] s Prod sollicite ainsi à titre principal la condamnation de la société Editions de Bertholène à lui verser à titre provisionnel la somme de 355 963,09 euros à titre de préjudice subi, avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 3 avril 2015 et capitalisation des intérêts et la somme de 1 000 000 euros à titre de manque à gagner, ainsi qu’une mesure d’expertise. M. [O] réclame quant à lui la somme de 100 000 euros à titre de réparation d’un préjudice moral.
La recevabilité de ces demandes n’est pas contestée par l’intimée.
En cours de première instance, ont été produits les relevés SACEM de janvier 2019 à octobre 2021 ainsi qu’un courriel du département juridique de la SACEM du 24 novembre 2021 selon lequel le montant des droits d’auteurs répartis aux Editions de Bertholène à raison de l”uvre intitulée « Trop de Bla Bla » depuis janvier 2015 et jusqu’à octobre 2021 inclus s’élève à 51 716, 19 euros.
Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande d’expertise comme n’étant pas justifiée ainsi que la demande de provision de la société [E] s Prod.
Il résulte des éléments ci-énoncés relatifs à la situation respective des parties et au contentieux existant entre elles que M. [O] ne rapporte pas la preuve du préjudice moral qu’il invoque et qui résulterait de la rupture brutale des relations avec l’intimée et du comportement déloyal de la société Editions de Bertholène. Le jugement sera donc également confirmé en ce qu’il a rejeté ce chef de demande.
A titre subsidiaire, la société [E] s Prod réclame les mêmes montants à titre définitif, soit la somme de 355 963,09 euros à titre de préjudice subi avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 3 avril 2015 et capitalisation des intérêts ainsi que la somme de 1 000 000 euros à titre de manque à gagner.
La recevabilité de ces demandes n’est pas plus contestée.
La somme de 355 963, 09 euros se décompose comme suit :
1. pour le titre « Trop de Bla Bla » :
– Campagne publicitaire MMA : 60 000 euros : 2 = 30 000 euros x 10 ans (2013 à 2022) = 300 000 euros
– Diffusion publique : 51 716, 19 € : 2 = 25 858,09 euros
2. Pour l’auteur-compositeur [P] [W] : 6 552 euros
3. Pour toutes les autres ‘uvres musicales : 23 553 euros.
S’agissant du titre « Trop de Bla Bla », il n’est pas contesté que la demande relative à la campagne publicitaire MMA correspond à des droits de synchronisation, lesquels ne sont pas compris dans la part éditoriale prévue par les accords de rétrocession éditoriaux conclus avec la société [E] s Prod qui concerne uniquement les droits de reproduction mécanique et les droits d’exécution publique. Cette demande doit en conséquence être rejetée.
Par ailleurs, les relevés de la SACEM établissent que l’éditeur a perçu la somme de 51 716,19 euros au titre de sa part éditoriale de 2015 à 2021. L’intéressement de la société [E] S Prod s’élevant à 50%, la société Editions de Bertholène aurait dû lui reverser la somme de 25 858,10 euros, l’intimée ne pouvant opposer à la société [E]’s Prod une répartition différente tenant compte d’accords qu’elle a passés avec un autre éditeur.
Cette somme au paiement duquel la société Editions de Bertholène sera condamnée portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt faute pour le courrier du 3 avril 2015 de comporter une mise en demeure de payer une quelconque somme, et les intérêts se capitaliseront dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
S’agissant des ‘uvres d'[P] [W], les relevés de la SACEM produits ne font état d’aucune part éditoriale revenant à la société Editions de Bertholène pour cet auteur-compositeur ; en conséquence, le jugement qui a rejeté ce chef de demande doit être confirmé.
Il en est de même de la somme réclamée à hauteur de 23 553 euros « pour toutes les autres ‘uvres musicales » qui n’est pas explicitée ni justifiée.
Enfin il est sollicité par la société appelante le paiement de la somme de 1 000 000 d’euros au titre d’un manque à gagner, laquelle n’est cependant justifiée ni dans son principe ni dans son montant. Le jugement qui a rejeté une telle demande doit en conséquence être également confirmé.
Sur la demande reconventionnelle de la société Editions de Bertholène
Il résulte des développements qui précèdent que la société Editions de Bertholène est mal fondée à solliciter le remboursement par la société [E] s Prod de la somme de 8 270, 74 euros indûment perçue par elle.
Sur les autres demandes
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles seront confirmées, celles relatives aux dépens infirmées et la société Editions de Bertholène sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Enfin les appelants ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l’action de la société [E]’s Prod et de M. [O].
Déclare irrecevables les demandes tendant à voir prononcer la résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société des Editions de Bertholène et la société [E] s Prod, la résiliation des accords de reversements commerciaux entre la société des Editions de Bertholène et M. [O] et la résiliation de l’accord de reversement commercial du 18 juillet 1990 entre la société des Editions de Bertholène et M. [O].
Confirme le jugement dont appel sauf en ce qu’il a condamné solidairement M. [O] et la société [E] s Prod aux dépens de l`instance.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Editions de Bertholène à payer à la société [E] s Prod la somme de 25 858,09 euros correspondant à son intéressement dans la part éditoriale produite par le titre « Trop de Bla Bla » de l’auteur-compositeur [C], avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Rejette le surplus des demandes.
Condamne la société Editions de Bertholène à payer à la société [E] s Prod et à M. [O] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Editions de Bertholène aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente