Droits des Compositeurs : 28 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/12084

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Droits des Compositeurs : 28 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/12084
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 16

ARRET DU 28 NOVEMBRE 2023

(n° 84 /2023 , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/12084 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBPK

Décision déférée à la Cour : sentence « arbitrale finale » rendue à Paris le 13 mai 2022, par le tribunal arbitral composé de M. [J] [H], arbitre unique (n° AFA 15/82)

DEMANDERESSE AU RECOURS :

G.I.E. OC’VIA CONSTRUCTION

prise en la personne de ses représentants légaux,

ayant son siège social : [Adresse 1]

Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant : Me Christophe CABANNES, avocat au barreau de PARIS,

DEFENDERESSES AU RECOURS :

Société EHTP

prise en la personne de ses représentants légaux,

ayant son siège social : [Adresse 4]

Société NGE GENIE CIVIL

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social : [Adresse 4]

S.A.S. GUINTOLI

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social : [Adresse 4]

Ayant pour avocat postulant : Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Ayant pour avocats plaidants : Me Xavier PIETRA, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE et Me Franck DENEL, avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 21 septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Mme Marie LAMBLING, conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

Par un contrat de partenariat approuvé par décret n°2012-887 du 18 juillet 2012, RESEAU FERRE DE FRANCE, devenu SNCF RESEAU, a confié à la société OC’VIA SA la conception, le fonctionnement, la maintenance, le renouvellement et le financement du contournement ferroviaire de [Localité 3]-[Localité 2] (ci-après C[Localité 3][Localité 2]).

Par un contrat de conception-construction du 28 juin 2012, la société OC’VIA a confié au Groupement d’Intérêt Economique OC’VIA Construction (ci-après le GIE OC’VIA CONSTRUCTION), composé des sociétés BOUYGUES TP, BOUYGUES TP REGION FRANCE, SPIE BATIGNOLLES, SPIE BATIGNOLLES TPCI, COLAS RAIL, COLAS ROUTE C[Localité 3][Localité 2], ALSTOM TRANSPORT, VALERIAN, DPT TERRASSEMENT la conception, la construction et la mise à disposition de la ligne ferroviaire C[Localité 3][Localité 2].

Par un premier contrat de sous-traitance du 24 mars 2014 (contrat n°9000153370), le GIE OC’VIA CONSTRUCTION a attribué au Groupement d’entreprises solidaires GUINTOLI-EHTP-NGE GENIE CIVIL (le groupement GUINTOLI), composé des sociétés GUINTOLI, EHTP et NGE CG, la réalisation des travaux préparatoires de terrassement, d’ouvrage d’art et de rétablissement de communication.

Un second contrat de sous-traitance a été conclu par les deux mêmes parties le 20 mai 2014 pour un prix ferme de 59 040 298,90 euros HT dont l’objet est pour un lot principal, les terrassements et les assainissements, pour un lot accessoire n°1 la réalisation des ouvrages d’art et pour un lot accessoire n°2 l’exploitation de l’emprunt de [I]. Ce contrat était accompagné par des Conditions Administratives Particulières, des Conditions générales et des Spécifications techniques détaillées. Ce contrat comprend une clause compromissoire en son article 32-2 des Conditions générales qui prévoit un arbitrage en amiable composition.

A la suite de différends entre les parties, le Groupement GUINTOLI a assigné le 6 juillet 2015 le GIE OC’VIA CONSTRUCTION devant le tribunal de commerce de Nîmes aux fins de voir prononcer la nullité du second contrat de sous-traitance. Le tribunal a jugé le 19 février 2016 qu’il était incompétent pour connaître de ce litige en raison de la clause compromissoire figurant dans le contrat de sous-traitance.

Sur contredit formé par le groupement GUINTOLI, la cour d’appel de Nîmes a jugé le 16 juin 2016 que le tribunal de commerce était seul compétent pour connaître de l’action initiée par le Groupement GUINTOLI à l’encontre de OC’VIA SA qui n’était pas signataire du second contrat de sous-traitance.

Parallèlement, le GIE OC’VIA CONSTRUCTION a saisi par lettre du 3 août 2015 l’Association Française d’Arbitrage du litige l’opposant au Groupement GUINTOLI.

Par une sentence « arbitrale partielle » rendue à Paris le 12 août 2017, le tribunal arbitral composé de M. [J] [H], arbitre unique, a notamment :

” jugé que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION, en ne fournissant pas au Groupement GUINTOLI, au moment de la conclusion du second contrat de sous-traitance, une copie de l’acte général de cautionnement constituant le cautionnement flotte, annexé au sous-traité et à l’avenant prévoyant l’application de l’acte de cautionnement au contrat litigieux, seuls documents donnant au sous-traitant l’assurance de l’existence de la garantie exigée par la loi pour assurer la sécurité financière du marché, n’a pas respecté les dispositions d’ordre public de l’article 14 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 ;

” jugé, conformément à la loi, que le second contrat de sous-traitance est nul et, que l’ordre public dont il est le gardien en tant que juge, ne lui permet pas d’user de ses pouvoirs d’amiable compositeur pour corriger éventuellement cette solution en se fondant sur l’équité ;

” statué en équité sur les créances réciproques du GIE OC’VIA CONSTRUCTION et du Groupement GUINTOLI à la suite de cette annulation et décidé qu’il désignera un expert par une ordonnance de procédure en lui confiant la mission d’évaluer l’indemnité de restitution conformément aux prescriptions de la sentence.

Par une sentence rectificative rendue le 20 septembre 2017, l’arbitre unique a rectifié sa première sentence en fixant sa date de prononcé au 12 septembre 2017 et non au 12 août 2017.

Le GIE OC’VIA CONSTRUCTION a formé un recours en annulation contre ces sentences par déclaration du 6 novembre 2017.

Par arrêt du 19 novembre 2019, la cour d’appel de Paris a rejeté le recours en annulation.

Par arrêt du 23 juin 2021, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le GIE OC’VIA CONSTRUCTION.

Par sentence « arbitrale finale » rendue à Paris le 13 mai 2022, le tribunal arbitral composé de M. [J] [H], arbitre unique, a notamment:

” jugé que le montant des dépenses utiles exposées par les sociétés GUINTOLI, EHTP et NGE GENIE CIVIL pour l’exécution du marché de sous-traitance annulé par la sentence arbitrale partielle du 12 septembre 2017 s’élève, hors frais généraux et frais financiers, à la somme de 53 090 421 euros HT, après soustraction des dépenses de restauration des voieries assumées par le Groupement GUINTOLI ;

” jugé que le montant des dépenses utiles, frais généraux et frais financiers inclus, exposées par les sociétés GUINTOLI, EHTP et NGE GENIE CIVIL pour l’exécution du marché de sous-traitance annulé par la sentence arbitrale partielle du 12 septembre 2017 s’élève à la somme de 60 464 334 euros HT ;

” fixé en équité, après déduction des sommes encaissées par le Groupement GUINTOLI (soit 36 553 511 euros) le montant de l’indemnité de restitution dont les sociétés GUINTOLI, EHTP et NGE GENIE CIVIL sont créancières à l’égard du GIE OC’VIA CONSTRUCTION à la somme de 23 910 823 euros ;

” condamné en équité, le GIE OC’VIA CONSTRUCTION à payer aux sociétés GUINTOLI, EHTP et NGE GENIE CIVIL la somme de 23 910 823 euros hors taxes, majorée des intérêts calculés au taux légal, à compter de la sentence jusqu’à parfait paiement, après application de l’anatocisme des intérêts au taux de 2 % entre le 1 er janvier 2022 et la date de la sentence, à charge pour les sociétés de répartir entre elles les sommes allouées ;

” dit qu’il est équitable que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION doive s’acquitter du paiement de la TVA applicable à cette somme et l’a condamné au paiement de cette somme.

Le GIE OC’VIA CONSTRUCTION a formé un recours en annulation contre cette sentence par déclaration du 24 juin 2022.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 30 juin 2023, le GIE OC’VIA CONSTRUCTION demande à la cour de :

– le déclarer recevable et bien fondé en son recours en annulation contre la sentence arbitrale du 13 mai 2022,

– déclarer cette sentence nulle et de nul effet dans son intégralité ;

– condamner les sociétés défenderesses à restituer les sommes versées par le GIE en application de la sentence ;

– renvoyer, en application de l’article 1493 du code de procédure civile, l’affaire à la mise en état et inviter les parties à s’exprimer sur un refus de voir la cour d’appel statuer sur le fond du litige dans les limites de la mission des arbitres;

– condamner respectivement chacune des sociétés défenderesses à verser au GIE OC’VIA CONSTRUCTION une somme de 30.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;

En tout état de cause,

– débouter les sociétés défenderesses de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 juillet 2023, le Groupement GUINTOLI demande à la cour de :

A titre principal,

– déclarer irrecevable le moyen d’annulation de la sentence arbitrale du 13 mai 2022 tiré d’une violation des articles 1492-1° et 1492-5°du code de procédure civile, motif pris que le tribunal arbitral aurait statué sur un litige inarbitrable et violé l’ordre public en disant équitable que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION doive s’acquitter de la TVA applicable à l’indemnité de restitution et le condamne au paiement de cette somme ;

– juger infondé l’ensemble des moyens d’annulation soulevés par le GIE OC’VIA CONSTRUCTION au soutien de son recours en annulation contre la sentence arbitrale du 13 mai 2022 ;

En conséquence:

– rejeter le recours en annulation contre la sentence arbitrale du 13 mai 2022 ;

– conférer l’exequatur à la sentence arbitrale du 13 mai 2022 ;

– condamner le GIE OC’VIA CONSTRUCTION à payer à chacune des sociétés GUINTOLI, EHTP et NGE GENIE CIVIL la somme de 150 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner le GIE OC’VIA CONSTRUCTION aux entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés par Maître Michel GUIZARD, avocat inscrit au Barreau de PARIS, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, s’il devait être jugé, soit que le tribunal arbitral a statué sur un litige inarbitrable, soit qu’il a violé l’ordre public en disant équitable que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION doive s’acquitter de la TVA applicable à l’indemnité de restitution et le condamne au paiement de cette somme ;

– juger infondés les autres moyens d’annulation soulevés par le GIE OC’VIA CONSTRUCTION ;

En conséquence :

– n’annuler que partiellement la sentence arbitrale du 13 mai 2022, uniquement en ce qu’elle a « dit équitable que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION doive s’acquitter de la TVA applicable à cette somme et le condamne au paiement de cette somme » ;

– conférer l’exequatur aux autres dispositions de la sentence arbitrale du 13 mai 2022 ;

– condamner le GIE OC’VIA CONSTRUCTION à payer à chacune des sociétés GUINTOLI, EHTP et NGE GENIE CIVIL la somme de 150 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner le GIE OC’VIA CONSTRUCTION aux entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés par Maître Michel GUIZARD, avocat inscrit au Barreau de PARIS, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023.

MOTIFS

Sur le premier moyen d’annulation tiré de la méconnaissance par l’expert de la mission d’amiable compositeur et du défaut de motivation (article 1492, 3° et 6° du code de procédure civile)

Moyens des parties

Le recourant fait valoir en substance que la condamnation mise à sa charge par la sentence d’un montant de 53.090,421€ HT n’a fait l’objet d’aucune motivation et d’aucune confrontation à l’équité ; qu’il a pourtant contesté tout au long de la procédure le montant et les modalités de calcul de cette somme, réclamée par le Groupement GUINTOLI correspondant au montant retenu par l’expert [N] ; que le tribunal devait justifier cette somme dans son intégralité et non pas seulement sur certains aspects et ne pouvait simplement transcrire l’appréciation de l’expert dans sa décision comme s’il était lié par cet avis, sauf à déléguer son appréciation à ce dernier ce qui est impossible. Il relève ainsi que si le tribunal a justifié de façon systématique le montant retenu de 28.244.133€ HT – constitué principalement du matériel et des dépenses postérieures à l’arrêt – il est resté silencieux sur le reste de la condamnation réclamé par le groupement GUINTOLI. Il en conclut que le tribunal a violé tant sa mission que son obligation de motivation.

Le Groupement GUINTOLI répond que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION n’a jamais contesté le chiffre de 55 975 978€ retenu par l’expert [N] au titre des dépenses de chantier et que ses critiques ne portaient que sur la méthodologie employée par l’expert, critiques auxquelles le tribunal a répondu. Il estime que la sentence est motivée en équité sur l’évaluation de toutes les dépenses ayant servi de base au calcul de l’indemnité de restitution. Il en conclut que le moyen tiré d’un défaut de motif manque en fait. Il fait valoir qu’en réalité, sous couvert du moyen de nullité invoqué, le GIE OC’VIA CONSTRUCTION conteste au fond la sentence arbitrale en ce qu’elle a refusé d’accueillir sa demande de complément d’expertise. Il estime que le tribunal s’est conformé à sa mission dès lors qu’il s’est prononcé en équité sur l’indemnité de restitution en recherchant une solution conforme à l’équité et en prenant en considération l’équité pour statuer.

Règles applicables

Aux termes de l’article 1492, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation d’une sentence arbitrale est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».

En outre, l’article 1478 du même code dispose : « Le tribunal arbitral tranche le litige conformément aux règles de droit, à moins que les parties lui aient confié la mission de statuer en amiable composition ».

Le tribunal arbitral, auquel les parties ont conféré la mission de statuer comme amiable compositeur, doit faire ressortir dans sa sentence qu’il a pris en compte l’équité.

Ce recours ne conduit pas au contrôle de la pertinence du raisonnement du tribunal arbitral statuant comme amiable compositeur, compte tenu du principe de prohibition de la révision au fond de la sentence.

L’article 1492, 6°, du code de procédure civile dispose par ailleurs que le recours en annulation est ouvert « si la sentence n’est pas motivée ».

Réponse de la cour

La mission confiée à l’arbitre consistait à statuer en équité sur les créances réciproques du GIE OC’VIA CONSTRUCTION et du Groupement GUINTOLI à la suite de l’annulation du second contrat de sous-traitance et à fixer en équité le montant de l’indemnité de restitution due par le GIE OC’VIA CONSTRUCTION au Groupement GUINTOLI.

Pour juger que le montant des dépenses utiles exposées par le groupement GUINTOLI est de 53.090.421€ HT (hors frais généraux et frais financiers), l’arbitre a examiné dans une partie III consacrée aux motifs de la sentence (pages 164 à 255) d’une part les critiques du GIE OC’VIA CONSTRUCTION relatives aux expertises (A) et d’autre part dans une seconde partie (B) intitulée « sur la détermination de l’indemnité de restitution » les raisons expliquant les difficultés rencontrées par le groupement GUINTOLI (a) puis le calcul des dépenses matériels à retenir pour fixer l’indemnité de restitution (b). Ce point b) se décline en 7 points consacrés notamment au montant des dépenses résultant des frais de la remise en état des voiries, des frais généraux et des frais financiers. Aux termes de chacun de ces points, sont développées l’analyse de l’expert, les positions respectives des parties et la « position » motivée du tribunal.

Pour fixer en équité le montant de l’indemnité de restitution due par le GIE OC’VIA CONSTRUCTION à la somme de 23.910.833€, l’arbitre a, dans une partie IV, intitulée « sur l’appréciation en équité du montant de l’indemnité de restitution » examiné les positions respectives des parties (A et B) puis exposé la « position » motivée du tribunal (C) se référant à l’équité tout au long de son raisonnement (page 259 à 253).

Ce faisant, le tribunal arbitral n’a fait que statuer comme il lui était demandé en équité par une décision motivée sur le montant de l’indemnité de restitution due par le GIE OC’VIA CONSTRUCTION.

Les critiques du GIE OC’VIA CONSTRUCTION développées pages 29 à 31 de ses conclusions relatives au plan adopté par l’arbitre et à la démarche suivie par ce dernier ne relèvent pas de la compétence du juge de l’annulation qui ne saurait apprécier le bien-fondé du raisonnement suivi par l’arbitre.

Le grief du GIE OC’VIA CONSTRUCTION portant sur les points 740 à 745 de la sentence – développé page 33 à 35 de ses conclusions – tiré du défaut de réponse de l’arbitre aux demandes du groupement GUINTOLI, n’entre dans aucun des cas d’ouverture du recours en annulation.

En outre, le grief tiré de ce que le tribunal arbitral aurait simplement transcrit l’appréciation de l’expert dans sa décision comme s’il était lié par cet avis est sans lien avec un défaut de motivation ou le non-respect par l’arbitre de sa mission.

Par ailleurs, s’agissant du grief fait à l’arbitre concernant les points 746 et suivants de la sentence tiré de ce qu’il ne s’est pas expliqué sur une somme figurant pour la première fois paragraphe 753 de la sentence et d’avoir ainsi fixé l’indemnité de restitution sans jamais se prononcer sur une somme de 27.731.854€ HT, force est de constater que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION, sous couvert d’un défaut de motivation, critique en réalité le décompte figurant paragraphe 753 de la sentence intitulé « Synthèse » et le calcul final figurant paragraphe 823 de la sentence. Ces critiques qui portent sur le bien-fondé du raisonnement suivi par l’arbitre ne relèvent pas de la compétence du juge de l’annulation.

Le moyen tiré de la méconnaissance par l’expert de la mission d’amiable compositeur et du défaut de motivation manque donc en fait et doit en conséquence être rejeté.

Sur le second moyen d’annulation tiré du non-respect du principe de la contradiction par le tribunal et de la violation de l’article 1492, 4° et 5° du code de procédure civile

Moyens des parties

Le recourant reproche au tribunal d’avoir visé dans la sentence une version de l’ordonnance de procédure n°14 qui ne lui a pas été communiquée « ce qui est en soi constitutif d’un manquement flagrant au principe de contradiction ». Il reproche en outre au tribunal de s’être fondé sur cette version de l’ordonnance n°14 – qui n’est pas celle qui a été communiquée aux parties – pour rendre sa décision et évaluer à la somme de 24 millions d’euros l’indemnité de restitution alors que la version de l’ordonnance n°14 communiquée aux parties et à l’expert, a conduit ce dernier à une évaluation de l’indemnité de restitution comprise dans une fourchette située entre 13 et 16 millions d’euros. Il en conclut qu’en le privant de sa faculté de préparer correctement sa défense au regard des préoccupations de l’arbitre dont il est resté dans l’ignorance, celui-ci a porté atteinte au principe du contradictoire et au principe d’égalité des armes.

Le Groupement GUINTOLI réplique qu’il s’agit d’une erreur matérielle pouvant être réparée selon les modalités prévues par l’article 1485 alinéa 2 du code de procédure civile, que l’expert a effectué sa mission en exécution de l’ordonnance communiquée aux parties, que les mentions erronées de la sentence n’ont aucune incidence sur la décision, aucun élément n’étant produit par le recourant en ce sens. Il relève d’une part que la répartition 70/30 figurant dans l’un des paragraphes de l’ordonnance n°14, non communiquée aux parties, a été proposée par l’expert [B] dans son rapport et mise en ‘uvre par l’expert [N] sur le fondement de l’ordonnance communiquée aux parties, que d’autre part, l’autre paragraphe figurant dans l’ordonnance n°14 visée par la sentence fait double emploi avec le second paragraphe figurant dans l’ordonnance n°14 communiquée aux parties, qu’enfin la version de l’ordonnance n°14 communiquée aux parties et à l’expert aboutissait au constat que ce dernier évaluait l’indemnité de restitution dans une fourchette située entre 13,4 et 16,9M€.

Règles applicables

L’article 1492, 4° et 5° prévoit que le recours en annulation est ouvert si le principe de la contradiction n’a pas été respecté ou si la sentence est contraire à l’ordre public.

Le principe de la contradiction permet d’assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès et notamment le respect de l’égalité des armes. Il interdit qu’une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire.

Réponse de la cour

Aux termes de l’ordonnance de procédure n°14 du 22 septembre 2021, le tribunal arbitral demande à l’expert, M. [C] [N], de :

– Bien vouloir procéder comme il en avait exprimé l’intention en conclusion de son rapport du 15 février 2021 « à l’ajustement de ses conclusions compte-tenu des travaux confiés à l’expert [R] [B], portant notamment sur l’utilité de l’affectation des matériels et des dépenses postérieures à la fin du chantier en juillet 2015 et qui pourront avoir une incidence sur le chiffrage présenté ci-dessus »

– Bien vouloir permettre à l’arbitre d’avoir une vision complète du dossier, fournir une deuxième évaluation de l’indemnité de restitution incluant en plus des dépenses résultant des factures du 1er septembre au 30 juin 2016 jugées utiles par M. [B], les dépenses exclues par M. [B] car ayant pour objet les travaux de sécurisation du chantier « constituées par les assainissements provisoires ‘ merlons de terres ‘ rétablissement des voies routières ‘ mise en place puis enlèvement de glissières en béton ».

Cette ordonnance de procédure n°14 telle que ci-dessus reproduite, a été communiquée aux parties et à l’expert, dont le rapport complémentaire qui la reproduit dans son intégralité en sa page 1, a été remis au tribunal arbitral le 5 novembre 2021 sur le fondement de celle-ci.

La mention de l’ordonnance de procédure n°14 du 22 septembre 2021 reproduite page 168 de la sentence comprend deux paragraphes supplémentaires qui ne figurent pas dans l’ordonnance n°14 précitée communiquée à l’expert et aux parties :

– Prendre en considération dans cette estimation les conclusions de l’avis de M. l’expert [B] du 12 octobre 2020 concluant que « les modifications en atelier à partir du mois d’août jusqu’au 16 février 2015, date de fin des modifications nouvelles apportées au matériel, sont à la charge du groupement GUINTOLI et que jusqu’à fin juillet 2014 les montants supplémentaires sont à prendre en charge sur la base de l’imputabilité technique retenue dans l’avis n°1 à savoir 70% à la charge du GIE OC’VIA CONSTRUCTION et 30% à la charge du GROUPEMENT GUINTOLI,

– Bien vouloir inclure également dans cette deuxième estimation le montant des dépenses résultant de la mise en sécurité du chantier exclues par M. l’expert [B] décrites dans ses réponses aux questions de l’arbitre, comme « constituées par les assainissements provisoires – merlons de terres ‘ rétablissement des voies routières ‘ mise en place puis enlèvement de glissières en béton ».

Toutefois, force est de constater d’une part que cette version de l’ordonnance figurant page 168 de la sentence n’a été communiquée ni à l’expert, ni à aucune des parties, ce dernier ayant rendu son rapport complémentaire sur la base de l’ordonnance de procédure n°14 communiquée aux parties et d’autre part que cette reproduction erronée de l’ordonnance n°14 page 168 de la décision a été sans incidence sur le contenu de celle-ci.

En effet, il résulte de la lecture de la sentence que l’arbitre, pour évaluer l’indemnité de restitution, s’est fondé en particulier sur l’avis de l’expert [B] et l’analyse de l’expert [N] telle que résultant de son rapport complémentaire établi sur le fondement de l’ordonnance n°14 communiquée aux parties.

Au regard de ces constatations, il ne peut être valablement soutenu par le GIE OC’VIA CONSTRUCTION, que le tribunal a violé le principe de contradiction parce qu’il a « fait usage » et s’est « fondé sur une ordonnance qui n’a pas été contradictoirement communiquée » et ce faisant l’a privé de sa faculté de préparer correctement sa défense au regard « des préoccupations » de l’arbitre dont il est resté dans l’ignorance alors que la mention d’une version erronée de l’ordonnance n°14 dans la sentence constitue une simple erreur matérielle.

Le moyen tiré d’une violation du principe de la contradiction n’est donc pas fondé.

Sur la recevabilité du troisième moyen d’annulation tiré de l’incompétence du tribunal pour statuer sur la TVA et de la violation de l’ordre public (article 1492, 1° et 5°du code de procédure civile)

Moyens des parties

Le Groupement GUINTOLI soulève in limine litis l’irrecevabilité du moyen en ses deux branches par application de l’article 1466 du code de procédure civile relevant que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION n’a pas soulevé devant l’arbitre l’incompétence du tribunal pour statuer sur la demande relative au paiement de la TVA de sorte qu’il ne peut reprocher à ce dernier d’avoir statué sur une demande inarbitrale, pas plus qu’il ne peut lui faire grief d’avoir rendu une solution contraire à l’ordre public.

Le GIE OC’VIA CONSTRUCTION n’a pas fait d’observation sur ce point, ses développements portant sur le bien-fondé du moyen d’annulation.

Règles applicables

L’article 1466 du code de procédure civile dispose que « La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ».

Les dispositions de l’article 1466 ne vise pas les seules « irrégularités » procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences arbitrales, à l’exception des moyens tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public.

Réponse de la cour

En l’espèce, force est de constater que le moyen développé par le recourant est tiré de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public au motif que l’arbitre ne pouvait statuer sur l’assiette de la TVA car le résultat auquel la sentence aboutit est en contradiction avec des dispositions fiscales d’ordre public sur la TVA.

En application des principes précités, la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité du troisième moyen d’annulation doit être rejetée.

Sur le troisième moyen d’annulation tiré de l’incompétence du tribunal pour statuer sur la TVA et de la violation de l’ordre public (article 1492, 1° et 5°du code de procédure civile)

Moyens des parties

Le recourant reproche en substance au tribunal de s’être déclaré compétent pour statuer sur l’assiette de la TVA en décidant de l’applicabilité de celle-ci à la totalité des sommes versées alors qu’il s’agit d’une question qui échappe à l’amiable composition s’agissant de règles issues du code général des impôts relevant de l’ordre public de direction sur lequel les parties ne peuvent compromettre. Il ajoute qu’à supposer que le tribunal ait été compétent, il ne pouvait statuer comme il l’a fait car le résultat auquel la sentence aboutit est en contradiction avec des dispositions fiscales d’ordre public sur la TVA.

Le Groupement Guintoli réplique que ce moyen manque en droit, en ce qu’il est contraire à la jurisprudence soutenue par la doctrine unanime. Il ajoute que la solution consacrée par la sentence ne peut heurter l’ordre public puisque l’arbitre n’a pas prononcé une condamnation au paiement de la TVA.

Règles applicables

Selon l’article 1492, 1° du code de procédure civile, le recours en annulation n’est ouvert que si le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.

Aux termes de l’article 1492, 5°, du code de procédure civile, le recours en annulation d’une sentence arbitrale est ouvert si « la sentence est contraire à l’ordre public ».

Le contrôle de la conformité de la sentence à l’ordre public ne doit pas tendre à une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l’annulation.

L’annulation de la sentence n’est encourue que lorsque la solution donnée au litige, et non le raisonnement suivi par les arbitres, heurte concrètement l’ordre public.

Réponse de la cour

Si les contestations relatives à l’assiette, au quantum, à l’exigibilité de l’impôt échappent par nature à l’arbitrage, il n’en est pas de même des litiges portant sur la mise en ‘uvre d’une convention par laquelle les parties répartissent entre elles la charge des taxes engendrées par leur rapport de droit (Paris, 4 avril 2023 n°22/00408).

En l’espèce, il ressort du mémoire du groupement GUINTOLI que celui-ci a demandé à l’arbitre de dire que le GIE OC’VIA CONSTRUCTION devra s’acquitter du paiement de la TVA applicable à la créance de restitution. Dans son mémoire final devant le tribunal arbitral, le GIE OC’VIA CONSTRUCTION n’a pas fait d’observation sur cette demande.

Ce faisant, l’arbitre n’a pas statué sur l’assiette de la TVA comme le prétend le recourant, mais a pris en considération, à la demande d’une des parties, dans le cadre du calcul de l’indemnité de restitution en réparation du préjudice subi par le groupement GUINTOLI, les incidences de la fiscalité.

L’arbitre étant compétent pour statuer de la sorte et le résultat auquel la sentence aboutit n’étant pas en contradiction avec des dispositions fiscales d’ordre public sur la TVA, le quatrième moyen d’annulation pris en ses deux branches n’est pas fondé.

Sur les autres demandes

Le GIE OC’VIA CONSTRUCTION, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Il sera condamné à payer à chacune des sociétés composant le groupement GUINTOLI la somme de 50.000€ à ce titre.

Succombant à l’instance, le GIE OC’VIA CONSTRUCTION est condamné aux dépens avec distraction.

PAR CES MOTIFS :

Rejette la fin de non-recevoir tirée des dispositions de l’article 1466 du code de procédure civile,

Déclare recevable le moyen tiré de l’incompétence du tribunal et de la violation de l’ordre public,

Rejette le recours en annulation formée contre la sentence arbitrale finale en date du 13 mai 2022 rendue par l’arbitre unique, M. [J] [H],

Dit que ce rejet confère l’exequatur à la sentence rendue le 13 mai 2022 par l’arbitre unique, M. [J] [H],

Condamne le groupement d’intérêt économique OC’VIA CONSTRUCTION à payer la somme de 50 000 euros à chacune des sociétés composant le groupement GUINTOLI, soit la somme de 50 000 euros à la société GUINTOLI, celle de 50 000 euros à la société EHTP et celle de 50 000 euros à la société NGE GENIE CIVIL, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne le groupement d’intérêt économique OC’VIA CONSTRUCTION aux dépens avec distraction.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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