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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 16
ARRET DU 26 SEPTEMBRE 2023
(n° 73 /2023 , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/10405 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDTB
Décision déférée à la Cour : Décision du 29 Juillet 2016 -Tribunal arbitral de PARIS RG n°
DEMANDEURS AU RECOURS :
Monsieur [S] [D]
[Adresse 3], [Localité 1]
Madame [E] [D]
[Adresse 3], [Localité 1]
S.A.S. FRAQUIN
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social : [Adresse 5], [Localité 6]
S.A.S. VILOU
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social : [Adresse 5], [Localité 6]
Ayant pour avocat postulant : François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Ayant pour avocat plaidant : Me Olga ZAKHAROVA-RENAUD, avocat au barreau de PARIS
DEFENDERESSES AU RECOURS :
S.A.S. ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social : [Adresse 2] [Localité 4]
S.A.S. ITM ALIMENTAIRE SUD EST
ayant son siège social : [Adresse 2] [Localité 4]
SAS ITM ENTREPRISES
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social : [Adresse 2] [Localité 4]
Ayant pour avocat postulant : Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque: B0936
Ayant pour avocat plaidant : Me Bruno CHEMAMA, avocat au barreau de PARIS, toque : K002
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 22 juin 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, présidente de chambre
M. François MELIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
Mme [E] [D] et M. [S] [D] (ci-après les époux [D]) sont adhérents du groupement Intermarché depuis 1997.
En 2008, la société Fraquin a acquis un point de vente exploité par la SAS Vilou à [Localité 6].
Le 1er décembre 2008 la société Vilou et les époux [D] ont conclu, d’une part, un contrat d’adhésion, et, d’autre part, un contrat d’enseigne avec la société ITM Entreprises, pour une durée de quinze ans expirant le 1er décembre 2023.
Un litige est ensuite apparu entre les parties à propos, notamment, des conditions tarifaires et des sources d’approvisionnement.
Le 23 février 2015, la société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D] ont engagé une procédure d’arbitrage contre les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Sud-Est et ITM Alimentaire International (ci-après les sociétés ITM). Ils ont demandé :
– A titre principal la résolution du contrat d’enseigne et la condamnation des sociétés ITM à payer la somme de 512 701, 34 euros au titre des marges servies ainsi que des dommages et intérêts d’un montant de 4 412 793 euros ou, subsidiairement, de 871 372 euros ou, plus subsidiairement, de 768 000 euros HT ;
– A titre subsidiaire qu’il soit jugé que le contrat aura pour terme le dernier jour du douzième mois suivant le prononcé de la sentence ;
– A titre plus subsidiaire qu’il soit jugé que le contrat aura pour terme le 1er décembre 2018 et que les sociétés ITM soient condamnées à supprimer les « bassins de prix » ;
– En tout état de cause que la société ITM Entreprises soit condamnée à céder l’action qu’elle détient dans le capital de la société Vilou d’une part et dans la société Fraquin d’autre part, à M. [D] ou à la société Fraquin, que les droits d’associée de la société ITM Entreprises soient suspendus jusqu’à la cession effective des actions, que la société ITM Entreprises soit condamnée à payer la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les frais et honoraires du tribunal arbitral, et que soit ordonnée l’exécution provisoire de la sentence.
Par une sentence rendue à Paris le 29 juillet 2016, le tribunal arbitral ad hoc composé de MM. Jean-Pascal Chazal et Philippe Jacques, arbitres, et de M. Dany Cohen, président, s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande relative à l’action de la société Vilou détenue par la société ITM Entreprises et a débouté les sociétés Vilou et Fraquin ainsi que les époux [D] de l’ensemble de leurs demandes.
La sentence signée par les trois arbitres comporte une opinion partiellement dissidente de l’arbitre Jean-Pascal Chazal.
Le 28 octobre 2016, les époux [D] et les sociétés Vilou et Fraquin ont formé un recours contre la sentence.
Par un arrêt avant-dire droit du 26 juin 2018 (n° 16/21967), la cour a notamment :
– Demandé à l’Autorité de la concurrence de donner un avis sur la conformité aux articles L. 420-1 et L. 420-2, alinéa 2 du code de commerce, 101 du TFUE, 1 et 5 du règlement (UE) n° 330/2010 de la durée du contrat d’enseigne conclu entre la société ITM Entreprise, la société Vilou et M. et Mme [D].
– Ordonné la radiation de l’affaire et dit qu’elle sera rétablie à la demande de la partie la plus diligente lorsque l’Autorité de la concurrence aura rendu son avis.
– Réservé le surplus des demandes ainsi que les dépens.
Par un arrêt du 6 juillet 2021 (n° 20/10405), la cour a ordonné un sursis à statuer.
Par un avis du 27 septembre 2021 (n° 21-A-11), l’Autorité de la concurrence a retenu que :
« La combinaison des statuts de la SAS Vilou et du contrat d’enseigne qui la lie avec la société ITM Entreprises, franchiseur, confère au franchiseur une influence déterminante sur la société d’exploitation d’où peut se déduire l’existence d’un contrôle conjoint.
L’opération d’affiliation du franchisé doit, par conséquent, être qualifiée d’opération de concentration excluant en l’espèce, l’examen, au regard du droit des pratiques anticoncurrentielles, des clauses qui, ensemble, confèrent au franchiseur une influence déterminante.
Il en résulte que la clause de durée du contrat d’enseigne passé entre ITME, la société Vilou et Monsieur et Madame [D] ne peut être appréhendée sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce. »
Par des conclusions notifiées le 12 juin 2023, M. [D], Mme [D], la société Fraquin et la société Vilou demandent à la cour de :
– Débouter les sociétés ITM Entreprises, ITM alimentaire Sud-Est et ITM Alimentaire International de leurs argumentations et de leurs demandes ;
– Annuler partiellement la sentence rendue le 29 juillet 2016 :
a) Pour absence de conformité du Tribunal arbitral à la mission qui lui était confiée en ne statuant pas en équité, en ne statuant pas sur le caractère anticoncurrentiel de la durée du contrat de franchise de 15 ans et en s’affranchissant du texte des articles 5.1 et 5.2 du contrat sur lequel il devait statuer ;
b) Pour contrariété de la sentence à l’ordre public dans sa motivation comme dans sa solution ;
c) Pour absence de motivation de la sentence sur le moyen déterminant de l’article L 420′ 2, soulevé par les arbitres ;
Vu la clause compromissoire du contrat de franchise,
– Renvoyer les parties à saisir une nouvelle juridiction arbitrale pour statuer à nouveau ;
– Condamner les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Sud-Est, et ITM Alimentaire International au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François TEYTAUD dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par des conclusions notifiées le 12 juin 2023, les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire International et ITM Alimentaire Sud-Est demandent à la cour de :
– constater que l’Autorité de la concurrence, par Avis n°21-A-11 en date du 27 septembre 2021, a dit que la durée du contrat d’enseigne « ne peut, par conséquent, être appréhendée en tant que telle, pour les motifs rappelés ci-avant (voir paragraphes 65 et suivants), sous l’angle des articles L. 420-1 et L. 420-2 alinéa 2, du code de commerce, ni sous celui de l’article 101 du TFUE » ;
– juger que les griefs invoqués sur le fondement du 3° et du 5° de l’article 1492 du code de procédure civile ne sont pas fondés ;
– juger que le grief invoqué sur le fondement du 6° de l’article 1492 du code de procédure civile est tout à la fois irrecevable et mal fondé ;
En conséquence :
– rejeter le recours en annulation formé par les sociétés Vilou et Fraquin et les époux [D], et les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
– A titre infiniment subsidiaire, constater, en cas d’annulation, l’accord des parties pour que le litige soit à nouveau soumis à un tribunal arbitral ;
– En tout état de cause, condamner in solidum les sociétés Vilou et Fraquin et les époux [D], à leur payer la somme de 200.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Les condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Bonaldi-Nut, avocat à la cour, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée le 13 juin 2023.
MOTIFS
1) Sur la demande d’annulation de la sentence pour absence de respect de la mission d’amiable compositeur
Moyens des parties
La société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D] soutiennent que le tribunal n’a pas statué en équité alors que la clause compromissoire lui imposait de statuer en amiable compositeur. Ainsi, il a retenu que la durée du contrat de franchise de 15 ans n’est pas contraire au droit européen ni au droit français, sans expliquer en quoi sa décision serait conforme à l’équité. Ils indiquent reprocher au tribunal arbitral de ne pas avoir confronté sa décision à l’équité et non pas d’avoir méconnu cette équité.
Les sociétés ITM répondent que le tribunal s’est conformé à sa mission dès lors qu’il s’est prononcé en équité, qu’il n’a pas méconnu les dispositions d’ordre public et a vérifié leur conformité à l’équité. Elles ajoutent que la cour ne peut pas contrôler les motifs d’équité de la sentence mais doit se borner à déterminer si les arbitres ont retenu une solution équitable, ce qui est le cas.
Règles applicables
Aux termes de l’article 1492, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation d’une sentence arbitrale est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».
En outre, l’article 1478 du même code dispose : « Le tribunal arbitral tranche le litige conformément aux règles de droit, à moins que les parties lui aient confié la mission de statuer en amiable composition ».
Le tribunal arbitral, auquel les parties ont conféré la mission de statuer comme amiable compositeur, doit faire ressortir dans sa sentence qu’il a pris en compte l’équité.
Ce recours ne conduit pas au contrôle de la pertinence du raisonnement du tribunal arbitral statuant comme amiable compositeur, compte tenu du principe de prohibition de la révision au fond de la sentence.
Réponse de la cour
L’article 14 du contrat d’enseigne stipule, notamment, que « tous les litiges auxquels le contrat pourra donner lieu, notamment au sujet de sa validité, de son interprétation, de son exécution et de sa résiliation, seront résolus par la voie de l’arbitrage » et que les arbitres « statueront en amiables compositeurs ».
Concernant la question de la durée du contrat d’enseigne à laquelle le moyen d’annulation se réfère, la sentence a relevé que :
– la société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D] considèrent que la longue durée du contrat le rend illicite au regard des dispositions de l’article 5.1, a), du règlement européen n° 330/2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (sentence p. 4) ;
– faute pour le contrat d’enseigne de contenir une obligation de non-concurrence au sens de ce règlement, la limitation de durée prévue par cet article 5 ne lui est pas applicable (sentence p. 6) ;
– le contrat remplit les conditions pour bénéficier de l’exemption prévue par le règlement en ce qui concerne les accords verticaux ne renfermant pas une obligation de non-concurrence d’une durée supérieure à 5 ans (sentence p. 6) ;
– les sociétés ITM sont donc fondées à revendiquer le bénéfice de l’exemption européenne (sentence p. 7) ;
– « eu égard à la progression des bénéfices réalisés par la société Vilou comme au fait qu’elle ne semble pas avoir subi d’inconvénients autres que la perte, certaines années, de certaines remises, il n’apparait pas que son maintien au sein du réseau ITM pour le reste de la durée contractuelle attente clairement à ses intérêts, en sorte que l’équité ne commande pas d’infléchir la solution ci-dessus » (sentence p. 7) ;
– il y a néanmoins lieu de vérifier si le contrat d’enseigne échappe à la limite de durée de 10 ans édictée par l’article L 330-1 du code de commerce (sentence p. 7) ;
– le droit français ne peut toutefois pas fonder une remise en cause du contrat car cette limite de 10 ans ne frappe que les contrats comportant une clause d’exclusivité et car le contrat est dépourvu d’une telle clause (sentence p. 7 et 8) ;
– « l’absence de considérations d’équité évoquée dans la partie relative au droit européen vaut pareillement à ce stade du raisonnement » (sentence p. 8) ;
– il n’y a donc pas lieu de faire droit aux demandes de réduction de la durée du contrat d’enseigne (sentence p. 8).
Ainsi, le tribunal arbitral a examiné la demande au regard des dispositions du droit de l’Union européenne et du droit français, avant de rechercher si l’équité commandait une solution différente.
Le tribunal s’est ainsi conformé à sa mission d’amiable compositeur, la cour n’ayant pas à vérifier la pertinence de son appréciation en équité.
Le moyen d’annulation est donc rejeté.
2) Sur la demande d’annulation de la sentence faute d’avoir statué sur le caractère anticoncurrentiel de la durée du contrat
Moyens des parties
La société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D] soutiennent que le tribunal arbitral n’a pas statué sur le caractère anti-concurrentiel de la durée du contrat, alors qu’il l’a pourtant relevé d’office et qu’il a demandé, par un courrier du 28 juin 2016, aux parties leurs observations sur l’application de l’article L 420-1 du code de commerce. Ils en déduisent qu’il n’a pas respecté sa mission.
Les sociétés ITM font valoir que le tribunal arbitral a répondu à la demande tendant à la réduction de la durée du contrat d’enseigne et que le grief vise en réalité simplement un défaut de réponse à un moyen. Ils ajoutent qu’en tout état de cause, le tribunal n’a pas relevé d’office l’application de l’article L 420-1 mais s’est borné à demander aux parties leurs observations sur la conformité du contrat à cet article. Enfin, ils indiquent que le moyen prétendument omis était inopérant compte tenu de l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui énonce que la clause du contrat ne peut pas être appréhendée sur le fondement des articles L 420-1 et L 420-2 du code de commerce.
Règles applicables
Aux termes de l’article 1492, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation d’une sentence arbitrale est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».
Réponse de la cour
Le courrier du 28 juin 2016 du président du tribunal arbitral est rédigé dans les termes suivants : « La durée du contrat ayant été contestée par les demandeurs sur le fondement de l’article L 330-1 du code de commerce, le Tribunal s’est, comme vous vous en souvenez, interrogé sur ce point lors de l’audience, mais au regard des règles de droit de la concurrence et en particulier de l’article L 420-1. Il souhaite en conséquence recueillir vos observations sur cette question ‘ notamment quant aux justifications économiques de la durée choisie ».
Il ne résulte pas de ce courrier que le tribunal arbitral a décidé de relever d’office le moyen pris de l’application de l’article L 420-1 du code de commerce, qui n’avait pas été invoqué par les parties dans leurs mémoires. La sentence indique d’ailleurs que « le tribunal n’a fait ainsi qu’inciter les parties à débattre de l’analyse ‘ donc de la qualification juridique ‘ d’un fait qui est déjà dans le débat » (p. 2).
Le moyen d’annulation, qui repose sur l’allégation selon laquelle le tribunal arbitral a relevé d’office l’application de l’article L 420-1 manque donc en fait, comme l’indiquent les sociétés ITM.
En ne statuant pas dans la sentence sur l’application de cet article L 420-1, le tribunal arbitral n’a dès lors pas manqué à sa mission.
Le moyen d’annulation est donc rejeté.
3) Sur la demande d’annulation de la sentence faute d’avoir tenu compte de l’article 5.1 du contrat dans son ensemble
Moyens des parties
La société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D] soutiennent que le tribunal arbitral a retenu que l’article 5. 1 du contrat d’enseigne prévoit que la société Vilou devait s’approvisionner par préférence auprès des filiales d’approvisionnement du Groupement des mousquetaires, alors qu’en réalité, cet article interdit surtout à la société Vilou de s’affilier ou de s’approvisionner à toute centrale de distribution, de sorte qu’elle était obligée de s’approvisionner auprès du Groupement des mousquetaires ou de ses filiales. La sentence doit donc être annulée partiellement car le tribunal arbitral a statué sans tenir compte de l’article 5.1 du contrat de franchise dans son ensemble et n’a donc pas respecté sa mission.
Les sociétés ITM répondent que ce moyen repose en réalité sur une allégation de dénaturation du contrat par le tribunal et tend à une révision du raisonnement des arbitres, ce qui ne relève pas du contrôle du juge de l’annulation. Par ailleurs, ce faisant, le tribunal n’a pas méconnu sa mission.
Règle applicable
Aux termes de l’article 1492, 3°, le recours en annulation est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».
Le contrôle de la conformité de la sentence à l’ordre public ne doit pas tendre à une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l’annulation.
Réponse de la cour
Ainsi que l’indiquent les sociétés ITM, ce moyen tend en réalité à critiquer l’appréciation des stipulations contractuelles retenue par le tribunal arbitral.
Or, il n’entre pas dans les pouvoirs de procéder à la révision au fond de la sentence.
Le moyen est donc rejeté.
4) Sur la demande d’annulation de la sentence pour contrariété à l’ordre public
Moyens des parties
La société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D] soutiennent que la sentence est contraire à l’ordre public. Ils indiquent que le contrat litigieux est un contrat d’adhésion d’une durée de 15 ans et prévoit une triple exclusivité d’enseigne, d’activité et d’approvisionnement, que l’interdiction de s’affilier ou de s’approvisionner auprès de toute centrale de distribution concurrente est une clause de non-concurrence au sens de l’article 5.a du règlement n° 330/2010, que la société ITM Entreprise peut exclure le franchisé qui exploite un autre fonds sous une enseigne concurrente de sa société en l’obligeant à vendre ses actions s’il ne respecte pas cette triple exclusivité (art. 13 des statuts de la société Vilou), et qu’en outre, l’objet social de la société Vilou est limité à l’exploitation du fonds sous l’enseigne Intermarché ou sous une enseigne appartenant à ITM Entreprises. Ils ajoutent que la durée de 15 ans est anti-concurrentielle car il s’agit d’un frein à la mobilité du point de vente et un obstacle à l’entrée sur le marché. Selon eux, la sentence conduit à donner effet à une clause qui heurte l’article 5 du règlement n° 330/2010, l’article L 330-1 du code de commerce qui limite à 10 ans la durée des clauses d’exclusivité, ainsi que les articles L 420-1 et L 420-2 du code de commerce. Ils considèrent que l’avis de l’autorité de la concurrence du 27 septembre 2021 est de surcroit infondé, notamment car le Groupement des mousquetaires exerce une influence déterminante sur son franchisé et car si cet avis a retenu la qualification d’opération de concentration, une opération de concentration qui se trouve sous les seuils peut faire l’objet d’un contrôle a posteriori au regard du droit des pratiques anti-concurrentielles.
Les sociétés ITM répondent que la sentence ne méconnait pas l’ordre public dès lors que les arbitres ont bien examiné la question de la durée du contrat à la fois du point de vue du droit européen et sous l’angle du droit français. Le débat sur l’application des articles L 420-1 et L 420-2 est clos depuis l’avis de l’Autorité de la concurrence. En tout état de cause, les demandeurs critiquent l’avis mais leurs critiques sont insuffisantes à justifier l’annulation de la sentence.
Règles applicables
Aux termes de l’article 1492, 5°, du code de procédure civile, le recours en annulation d’une sentence arbitrale est ouvert si « la sentence est contraire à l’ordre public ».
Le contrôle de la conformité de la sentence à l’ordre public ne doit pas tendre à une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l’annulation.
L’annulation de la sentence n’est encourue que lorsque la solution donnée au litige, et non le raisonnement suivi par les arbitres, heurte concrètement l’ordre public.
Réponse de la cour
En premier lieu, les demandeurs au recours soutiennent que pour écarter l’application de l’article 5.a du règlement 330/2010, le tribunal arbitral a retenu que le contrat ne contenait pas d’obligation de non-concurrence au sens de ce règlement et qu’il en est ainsi car le tribunal ne s’est pas conformé à sa mission lorsqu’il a jugé que le contrat ne contenait pas d’obligation d’approvisionnement exclusif. Ils indiquent que « le tribunal arbitral a donc écarté l’application de l’article 5.a) du règlement 330/2010 qui est d’ordre public, parce qu’il n’a pas respecté sa mission » (conclusions p. 19). Toutefois, ce moyen manque en fait puisqu’il a déjà été indiqué que le tribunal n’a pas failli à sa mission sur ce point.
En deuxième lieu, les demandeurs au recours invoquent la contrariété de la sentence à l’ordre public en ce qu’elle a refusé d’appliquer l’article L 330-1 du code de commerce, qui est d’ordre public et dispose qu’« est limitée à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d’exclusivité par laquelle l’acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s’engage vis à vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d’objets semblables ou complémentaires en provenance d’un autre fournisseur ». Néanmoins, contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal arbitral n’a pas refusé d’appliquer cet article L 330-1 mais a recherché si ses conditions d’application sont réunies et a considéré que tel n’était pas le cas car ce texte concerne les contrats comportant une clause d’exclusivité et que le contrat litigieux ne comporte pas une telle clause (sentence p. 7). Le moyen d’annulation doit donc être rejeté, en ce qu’il contient en réalité une critique de la motivation de la sentence et tend à sa révision au fond.
En troisième lieu, les demandeurs au recours font valoir que la sentence est contraire à l’ordre public en ce qu’elle n’a pas mis en ‘uvre l’article L 420-1 du code de commerce qui énonce que sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises. Cependant, comme le relèvent les sociétés ITM, les demandeurs n’établissent pas que cet article L 420-1 est applicable puisqu’ils ne démontrent pas l’existence d’une entente. Dans son avis n° 21-A-11 du 27 septembre 2021, l’autorité de la concurrence a d’ailleurs retenu que l’opération d’affiliation de la société Vilou à la société ITM Entreprise constitue une opération de concentration. Le moyen est en conséquence rejeté.
En quatrième lieu, les demandeurs au recours allèguent que la sentence est contraire à l’ordre public, faute d’appliquer l’article L 420-2, alinéa 2, du code de commerce qui pose qu’est prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Néanmoins, si les demandeurs au recours allèguent que le groupement Intermarché occupe une position dominante sur le marché français, ils se bornent à procéder par des affirmations générales, sans délimiter le marché pertinent ni fournir des éléments précis de preuve d’une telle position, de l’impossibilité de s’approvisionner auprès des fournisseurs de son choix ou de fixer librement ses prix. Le moyen est donc rejeté.
5) Sur la demande d’annulation de la sentence pour défaut de motivation
Moyens des parties
La société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D] soutiennent que la sentence est muette sur la question de l’application de l’article L 420-2 du code de commerce, qui est d’ordre public, et sur les notes en délibéré demandées aux parties à propos de cette application, de sorte qu’il faut retenir qu’il y a une absence de motivation.
Les sociétés ITM répondent que ce grief est irrecevable car il a été invoqué pour la première fois dans des conclusions du 6 mars 2018, soit au-delà du délai initial pour conclure. En tout état de cause, le juge de l’annulation ne peut pas sanctionner un défaut de réponse à un simple grief dès lors que la sentence est motivée ; et une annulation pour défaut de motifs ne se conçoit que dans le cas d’une absence totale de motivation, alors qu’en l’espèce la sentence est longuement motivée.
Règle applicable
L’article 1492, 6°, du code de procédure civile dispose que le recours en annulation est ouvert « si la sentence n’est pas motivée ». Il n’appartient pas au juge du contrôle de sanctionner la pertinence de la motivation mais son absence ou son inexistence.
Réponse de la cour
Contrairement à ce que soutiennent les sociétés ITM, les demandeurs au recours ont, dès leurs conclusions notifiées le 30 janvier 2017, soutenu que le tribunal n’a pas statué au regard des dispositions de l’article L 420-2 du code de commerce. Leur moyen est dès lors recevable.
Les sociétés ITM indiquent, sans être contestées, que les demandeurs au recours ont invoqué devant le tribunal arbitral l’article L 420-2, alinéa 2, uniquement à propos de la question des conditions tarifaires, qui devaient, selon eux, recevoir la qualification d’abus de dépendance économique car ces conditions conduisent à imposer aux franchisés les prix de revente (mémoire devant le tribunal du 4 avril 2016, p. 24).
La sentence contient une motivation développée sur la question des prix imposés (pages 2, 3, 4), aux termes de laquelle le tribunal a retenu que les instructions précises données aux points de vente afin qu’ils ne dépassent pas un certain niveau de prix érodent certes la liberté qu’a le franchisé de fixer ses prix de revente (sentence p. 2), que toutefois « la pression à la baisse n’est incriminée par la loi (tant interne qu’européenne) et les autorités de concurrence que dans l’hypothèse, non alléguée ici, de prix prédateurs » (sentence p. 3), que « la société Vilou a maintes fois pratiqué des prix supérieurs aux plafonds conseillés » (sentence p. 3) et qu’ « on ne saurait donc conclure à l’existence de prix imposés » (sentence p. 3).
Ainsi, la sentence contient bien une motivation sur la question des prix de revente, dont le tribunal était saisi.
Il résulte de cette motivation que le tribunal a exclu l’allégation de prix imposés et en a implicitement mais nécessairement déduit que l’article L 420-2 invoqué par les demandeurs au recours ne trouvait pas application, la pertinence d’une telle motivation n’entrant pas dans le champ du contrôle de la cour.
Le moyen est donc rejeté.
6) Sur les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile
La société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D], qui succombent, sont condamnés in solidum à payer aux sociétés ITM la somme globale de 50 000 euros.
Leur demande formée au titre de cet article 700 est quant à elle rejetée.
7) Sur les dépens
La société Vilou, la société Fraquin ainsi que les époux [D], qui succombent, sont condamnés in solidum aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Juge recevable le moyen d’annulation pour défaut de motivation de la sentence ;
Déboute la société Vilou, la société Fraquin, Mme [E] [D] et M. [S] [D] de l’ensemble de leurs demandes ;
Condamne in solidum la société Vilou, la société Fraquin, Mme [E] [D] et M. [S] [D] la somme globale de 50 000 euros aux sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire International et ITM Alimentaire Sud-Est ;
Condamne in solidum la société Vilou, la société Fraquin, Mme [E] [D] et M. [S] [D] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Bonaldi-Nut, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE