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1ère Chambre
ARRÊT N° 284/23
N° RG 21/01394
N° Portalis
DBVL-V-B7F-RM5E
M. [R] [T] – décédé le
13.10.2021 – [Y]
Mme [U] [Z] veuve [Y]
M. [V] [Y]
C/
S.A. LOIRE-ATLANTIQUE
DEVELOPPEMENT – SELA
Etablissement [Localité 6]
METROPOLE
LOIRE-ATLANTIQUE
DEVELOPPEMENT – SELA
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIERE, Présidente de chambre
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats, et Monsieur [R] DANTON, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 6 juin 2023 devant Madame Caroline BRISSIAUD, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 17 octobre 2023 par Madame Véronique VEILLARD, substituant la présidente légitimement empêchée, par mise à disposition au greffe après prorogations du délibéré indiqué au 19 septembre 2023 à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [R] [T] [Y]
-décédé le 13.10.2021-
[Adresse 11]
[Localité 7]
Madame [U] [Z] veuve [Y], es nom et es qualité d’intervenante au soutien des intérêts de son époux Monsieur [R] [Y], décédé, en sa qualité d’héritière
-INTERVENANT VOLONTAIRE-
née le 21 Mars 1942 à [Localité 6]
[Adresse 11]
[Localité 7]
Monsieur [V] [Y], intervenant au soutien des intérêts de son père Monsieur [R] [Y], en sa qualité d’héritier
-INTERVENANT VOLONTAIRE-
né le 11 Mars 1966 à [Localité 6]
[Adresse 12]
[Localité 5]
Représentés par Me Antoine PLATEAUX de la SELARL PUBLI-JURIS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉES :
S.A. LOIRE-ATLANTIQUE DEVELOPPEMENT – SELA
[Adresse 3]
[Localité 6]
N’ayant pas constitué avocat
Etablissement [Localité 6] METROPOLE, Etablissement de coopération intercommunale représenté par sa Présidente en exercice régulièrement habilitée par délibération de son conseil métropolitain, venant aux droits de la société LOIRE-ATLANTIQUE DEVELOPPEMENT – SELA
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Pierrick CARADEUX de la SELARL CARADEUX CONSULTANTS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
****
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 23 juin 2006, [Localité 6] Métropole a décidé la création d’une zone d’aménagement concertée (ZAC), dite ‘Haute-Forêt / Maison Neuve II’, dans le ressort des communes de [Localité 9] et de [Localité 13] (44).
La société Loire-Atlantique Développement-Sela (société Lad-Sela) a été désignée comme aménageur par voie de concession d’aménagement, signée le 4 juillet 2005. Ce contrat a fait l’objet d’un avenant de résiliation n° 6 signé le 4 novembre 2019, de sorte que [Localité 6] Métropole s’est substituée aux droits de la société Lad-Sela.
Au cours de l’année 2009, la société Lad-Sela a engagé une procédure d’expropriation pour obtenir la maîtrise foncière de la zone d’aménagement de la ZAC où se situent trois parcelles appartenant à M. et Mme [Y], cadastrées section AY n° [Cadastre 1] et n°[Cadastre 2] et section AZ n° [Cadastre 8].
M. et Mme [Y], après avoir contesté la légalité des arrêtés déclaratifs d’utilité publique et de cessibilité pris en 2008, ont obtenu que l’ordonnance d’expropriation du 23 février 2009 soit considérée comme privée de base légale et ont été rétablis dans leur droit de propriété sur les parcelles considérées.
Le 14 janvier 2014, M. et Mme [Y] ont adressé à la mairie de [Localité 13] trois déclarations d’intention d’aliéner portant sur les parcelles ci-dessus décrites, au prix de 50 € le m².
La société Loire Atlantique Développement- Sela a formulé une proposition sur la base d’une valeur de 12 € le m² et faute d’accord, a saisi le juge de l’expropriation aux fins de fixation du prix des terrains destinés à être vendus.
Par jugement du 12 mai 2015, le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Nantes a considéré que le prix retenu en 2010 (12 € le m²) devait être réévalué à 15 € le m2. En conséquence, les parcelle AY n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2] et AZ n° [Cadastre 8] ont été respectivement valorisées à hauteur de 29.955 €, 213.555 € et 254.130 €.
M. et Mme [Y] ont relevé appel de ce jugement, lequel a été déclaré irrecevable par arrêt de la cour d’appel de Rennes du 22 juillet 2016.
Sur pourvoi formé par M. et Mme [Y], la Cour de cassation a, suivant arrêt du 19 octobre 2017, cassé la décision d’appel et renvoyé l’examen de l’affaire à la cour d’appel de Rennes autrement composée.
Parallèlement à l’instance en cours s’agissant de la fixation du prix, suivant acte d’huissier du 12 avril 2016, la société Loire Atlantique Développement-Sela a fait assigner M. et Mme [Y] devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir déclarer parfaite la vente des parcelles cadastrées AY n° [Cadastre 1] et AY n° [Cadastre 2] et AZ n° [Cadastre 8] sur le fondement de l’article L.213-7 du code de l’urbanisme du fait de leur silence pendant un délai de deux mois à dater du caractère définitif du jugement rendu 12 mai 2015.
Par ordonnance du juge de la mise en état du 22 février 2018 statuant sur incident, il a été sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes saisie sur renvoi après cassation.
Par arrêt du 21 septembre 2018, la cour d’appel de Rennes a déclaré recevables les appels principal et incident formés contre la décision du juge de l’expropriation du 12 mai 2015 et a modifié le quantum de l’indemnité due par la société Loire Atlantique Développement-Sela à M. et Mme [Y] en le fixant à hauteur de :
– 228.717 € pour la parcelle AZ [Cadastre 8],
– 192.200 € pour la parcelle AY [Cadastre 2],
– 29.955 € pour la parcelle AY [Cadastre 1].
Cet arrêt du 21 septembre 2018 a fait l’objet d’un nouveau pourvoi des époux [Y] en date du 21 novembre 2018, que la cour de cassation a rejeté le 19 décembre 2019.
M. et Mme [Y] ont parallèlement introduit un recours en révision contre cet arrêt le 6 février 2019 dont ils se sont finalement désistés par conclusions datées du 12 février 2021.
Nantes Métropole venant aux droits de la société Loire-Atlantique Développement-Sela a poursuivi la procédure en reconnaissance de vente parfaite en sollicitant la remise au rôle de l’affaire.
C’est dans ce contexte que par jugement du 11 février 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a :
– dit n’y avoir lieu à révocation de l’ordonnance de clôture,
– dit qu’il ne sera pas tenu compte de la note en délibéré envoyée le 10 décembre 2020 par [Localité 6] Métropole venant aux droits de la société Loire Atlantique Développement-Sela, ni de la nouvelle pièce qui y était jointe,
– donné acte à [Localité 6] Métropole qu’elle intervient aux droits de la société Loire Atlantique Développement-Sela et déclaré cette intervention recevable,
– dit que le présent jugement vaut vente par [R] [Y] et [U] [Z] épouse [Y] de trois parcelles situées sur la commune de [Localité 13] cadastrées section AY n° [Cadastre 1], AY n° [Cadastre 2] et AZ n° [Cadastre 8] au profit de [Localité 6] Métropole aux prix suivants :
– 29.955 € pour la parcelle AY [Cadastre 1],
– 192.200 € pour la parcelle AY [Cadastre 2],
– 228.717 € pour la parcelle AZ [Cadastre 8],
– ordonné la publication du jugement à intervenir au Service de Publicité Foncière compétent,
– débouté [R] [Y] et [U] [Z] épouse [Y] de l’ensemble de leurs demandes,
– condamné [R] [Y] et [U] [Z] épouse [Y] à payer à [Localité 6] Métropole la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné [R] [Y] et [U] [Z] épouse [Y] aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par la Selarl Caradeux Consultants, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Suivant déclaration du 2 mars 2021, M. et Mme [Y] ont demandé l’annulation de ce jugement et à défaut son infirmation, en ce qu’il a prononcé la vente des parcelles au profit de [Localité 6] Métropole, ordonné la publication du jugement au service de la publicité foncière, les a déboutés de l’ensemble de leurs demandes et en ce qu’il les a condamnés à verser la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
M. [R] [Y] étant décédé le 13 octobre 2021, son fils, M. [V] [Y] et son épouse, Mme [U] [Z] épouse [Y], sont intervenus volontairement à l’instance en qualité d’héritiers, par conclusions du 24 mai 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [U] [Z] veuve [Y] et M. [V] [Y] (les consorts [Y]) ont transmis leurs dernières conclusions le 17 avril 2023 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions en application de l’article 455 alinéa 1er du code de procédure civile.
Ils demandent à la cour de :
– admettre l’intervention volontaire de M. [V] [Y] et Madame [U] [Z] épouse [Y] en qualité d’héritiers de M. [R] [Y],
– annuler à titre principal et pour excès de pouvoir le jugement du 11 février 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Nantes (RG n°18/04784) en tant qu’il prononce la vente de trois parcelles cadastrées section AY n° [Cadastre 1], AY n° [Cadastre 2] et AZ n° [Cadastre 8] au profit de Nantes Métropole, ordonne la publication du jugement au service de la publicité foncière compétente, déboute les défendeurs de l’ensemble de leurs demandes et les condamnent au versement d’une somme de 3.000 euros et aux entiers dépens,
– infirmer, à titre subsidiaire, le jugement du 11 février 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Nantes (RG n°18/04784) en tant qu’il prononce la vente de trois parcelles cadastrées section AY n° [Cadastre 1], AY n° [Cadastre 2] et AZ n° [Cadastre 8] au profit de Nantes Métropole, ordonne la publication du jugement au service de la publicité foncière compétente, déboute les défendeurs de l’ensemble de leurs demandes et les condamnent au versement d’une somme de 3.000 euros et aux entiers dépens,
– débouter, en tout état de cause, la Saem Lad-Sela et [Localité 6] Métropole de leurs demandes tendant à faire constater le caractère parfait de la vente des parcelles cadastrées section AY n° [Cadastre 1] et n° [Cadastre 2] et section AZ n° [Cadastre 8] en application de l’article L.213-7 du code de l’urbanisme,
– condamner la Saem Lad-Sela et [Localité 6] Métropole au versement d’une somme de 50.000 euros pour préjudice moral et troubles dans les conditions d’existence du fait du caractère abusif de la présente action en justice,
– condamner la Saem Lad-Sela et [Localité 6] Métropole au versement d’une amende de 3.000 euros pour recours abusif sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile,
– condamner la Saem Lad-Sela et [Localité 6] Métropole la somme de 10.000 € chacune par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Saem Lad-Sela et [Localité 6] Métropole aux entiers dépens.
Nantes Métropole venant aux droits de la société Loire-Atlantique Développement-Sela a transmis ses dernières conclusions le 17 avril 2023 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions en application de l’article 455 alinéa 1er du code de procédure civile.
Elle demande à la cour de :
– débouter M. [V] [Y] et Mme [U] [Z] épouse [Y] de l’ensemble de leurs demandes,
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nantes du 11 février 2021,
– condamner M. [V] [Y] et Mme [U] [Z] épouse [Y] au paiement de la somme de 5.000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
MOTIVATION DE LA COUR
A titre liminaire, la recevabilité de l’intervention volontaire de M. [V] [Y] et de Mme [U] [Z] épouse [Y] en qualité d’héritiers de feu [R] [Y] décédé le 13 octobre 2021 ne fait l’objet d’aucune contestation. Ces derniers ont communiqué un acte de notoriété dressé le 11 mai 2022 par Me [O] [S] Notaire associé à [Localité 10].
Il y a donc lieu de recevoir M. [V] [Y] et de Mme [U] [Z] épouse [Y] en leurs interventions volontaires ès qualité d’héritiers de [R] [Y], décédé en cours de procédure.
1°/ Sur la demande d’annulation du jugement
Pour solliciter l’annulation du jugement sur le fondement de l’article 12 du code de procédure civile, les consorts [Y] rappellent que la société Lad-Sela et [Localité 6] Métropole s’étaient bornées tant dans l’assignation que dans leurs dernières conclusions à solliciter la reconnaissance de la vente parfaite des parcelles litigieuses, en se fondant sur les dispositions de l’article L.213-7 du code de l’Urbanisme, au regard du seul jugement rendu le 12 mai 2015, devenu définitif le 20 juin suivant.
Ils exposent que cette demande ainsi formulée était nécessairement vouée au rejet, le jugement du 12 mai 2015 n’ayant plus le caractère d’une décision définitive après la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 22 juillet 2016 qui avait à tort déclaré leur appel irrecevable.
Ils soutiennent qu’en examinant d’office l’application de l’article L. 213-7 du code de l’urbanisme au regard d’une décision autre que le jugement du 12 mai 2015, en l’occurrence l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 21 septembre 2018, le tribunal a commis un excès de pouvoir.
Nantes Métropole réplique que le tribunal a parfaitement respecté les dispositions de l’article 12 du code de procédure civile précité.
Elle rappelle qu’au moment de son assignation (délivrée le 12 avril 2016), le jugement du 12 mai 2015 était devenu définitif par l’expiration du délai d’appel d’un mois et que ce n’est que par la reconnaissance ultérieure, par la cour de cassation, de la recevabilité de l’appel interjeté par M. et Mme [Y], que le caractère définitif du jugement a été remis en cause. Elle ajoute que l’arrêt après renvoi de cassation rendu le 21 septembre 2018, par lequel il a été définitivement statué sur le prix des parcelles préemptées, a été communiqué aux débats en première instance et porté à la connaissance du tribunal.
Elle estime que le tribunal était donc tenu d’examiner le bien-fondé des demandes au regard de l’arrêt du 21 septembre 2018. Elle ajoute que les premiers juges n’ont modifié ni le fondement juridique du litige ni l’objet de la procédure, qui était de voir constater la vente parfaite sans attacher spécifiquement cette demande au jugement du 12 décembre 2015.
L’article 12 du code de procédure civile dispose que ‘Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d’appel si elles n’y ont pas spécialement renoncé.’
En l’espèce, dans le cadre de l’assignation et des dernières conclusions, [Localité 6] Métropole venant aux droits de la société Lad-Sela formulait ses demandes comme suit :
‘- dire et juger que les conditions de l’article L.213-7 et celles de l’article R.213-12 du code de l’urbanisme sont remplies,
– constater l’accord sur le prix intervenu entre les parties à raison de leur silence pendant un délai de deux mois à dater du caractère définitif du jugement rendu le 12 mai 2015 intervenu le 20 juin 2015
– dire et juger que le jugement à intervenir vaut acte authentique de vente entre les parties (‘)’
Il est admis que le juge tire de l’article 12 du code de procédure civile le pouvoir de requalifier les prétentions des parties sous réserve qu’il ne dénature pas les demandes et qu’il ne modifie pas l’objet du litige.
Par ailleurs, tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, le juge doit vérifier, même d’office, que les conditions d’application de la loi sont remplies. Il ne doit cependant introduire aucun élément ou moyen nouveau.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 19 février 2020, [Localité 6] Métropole demandait au tribunal de juger que les conditions de l’article L.213-7 et celles de l’article R.213-12 du code de l’urbanisme sont remplies.
Le tribunal a tranché le litige en application de cet article. Le fondement juridique de la demande en constatation du caractère parfait de la vente n’a donc pas été modifié.
Par ailleurs, l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 21 septembre 2018 statuant définitivement sur la fixation du prix des parcelles préemptées s’est substitué au jugement du 12 mai 2015.
Cet arrêt a été versé aux débats et sa portée au regard de l’application de l’article L.213-7 précité a pu être contradictoirement discutée par les parties dans leurs conclusions respectives.
Le tribunal ne pouvait donc ignorer cet élément porté à sa connaissance, nonobstant le fait que dans le dispositif de ses dernières conclusions, Nantes Métropole visait toujours le jugement du 12 mai 2015.
Il en résulte qu’en procédant à l’examen de la demande aux fins de déclaration de vente parfaite sur le fondement de l’article L.213-7 du code de l’urbanisme au regard de l’arrêt du 21 septembre 2018, le tribunal n’a fait qu’interpréter les conclusions de Nantes Métropole pour tenir compte de l’évolution du litige sans modifier l’objet de celui-ci.
Le tribunal n’a par conséquent commis aucun excès de pouvoirs ni méconnu les termes de son office tels qu’ils sont rappelés à l’article 12 du code de procédure civile.
Les consorts [Y] seront donc déboutés de leur demande d’annulation du jugement rendu le 11 février 2021 par le tribunal judiciaire de Nantes.
2°/ Sur le caractère parfait de la vente
L’article L.213-7 alinéa 2 du code de l’urbanisme dispose que ‘en cas de fixation judiciaire du prix et pendant un délai de deux mois après que la décision juridictionnelle est devenue définitive, les parties peuvent accepter le prix fixé par la juridiction ou renoncer à la mutation. Le silence des parties dans ce délai vaut acceptation du prix fixé par le juge et transfert de propriété à l’issue de ce délai, au profit du titulaire du droit de préemption.’
Les consorts [Y] soutiennent que le juge de première instance aurait commis une erreur de droit en constatant qu’ils n’avaient jamais explicitement renoncé à la vente des parcelles litigieuses à la suite de la fixation définitive du prix par la cour d’appel de Rennes.
Ils exposent que l’article L. 213-7 alinéa 2 du code de l’urbanisme énonce l’alternative suivante pour le vendeur du bien préempté, en cas de fixation judiciaire du prix :
– si le vendeur accepte le prix fixé, le transfert de propriété doit être constaté, sauf si le titulaire du droit de préemption se retire de l’opération avant l’expiration du délai de deux mois,
– si le vendeur n’accepte pas le prix fixé, le transfert de propriété ne peut intervenir, sous réserve que le refus du vendeur a été expressément notifié au titulaire du droit de préemption.
Ils rappellent que cet article n’a pas pour effet de déroger à l’article 1583 du code civil selon lequel la vente ne peut être parfaite et la propriété acquise que s’il existe un accord sur la chose et sur le prix.
Nantes Métropole expose qu’en application des dispositions précitées, le propriétaire du bien qui fait l’objet du droit de préemption ne dispose que de deux possibilités : accepter le prix de vente fixé par voie judiciaire ou renoncer à la vente.
L’intimée rappelle qu’à défaut de se prononcer dans l’un de ces deux sens, le propriétaire est réputé avoir accepté tacitement le prix fixé par le juge au terme d’un délai de deux mois à compter de la notification de la décision définitive.
Elle soutient qu’ en l’espèce, les consorts [Y] sont restés silencieux dans le délai de deux mois suivant la notification de l’arrêt du 21 septembre 2018 puisqu’ ils n’ont ni accepté le prix de vente fixé par voie judiciaire, ni renoncé expressément à la vente.
Elle estime en effet qu’aux termes du courrier du 25 septembre 2018, l’avocat des appelants a seulement exprimé le désaccord de ses clients avec le prix fixé par voie judiciaire, sans jamais indiquer que ceux-ci renonçaient à leur projet de vente. Elle souligne que tel n’est d’ailleurs pas le cas, puisque les consorts [Y] ont continué à initier des procédures en vue de passer outre les décisions de préemption, révélant sans ambiguïté la poursuite de leur projet de vente.
Au cas particulier, par courrier recommandé du 25 septembre 2018 réceptionné par la société Lad-Sela le 26 septembre 2018, l’avocat de M. et Mme [Y] indiquait ‘que suite à la réception de l’arrêt n°17/08451 rendu le 21 septembre 2018 par la chambre de l’expropriation de la cour d’appel de Rennes sur le fondement de l’article L. 213-7 du code de l’urbanisme’, ‘Je vous informe que mes clients n’acceptent pas le prix fixé par les juges d’appel, de telle sorte qu’aucun transfert de propriété ne pourra être acté, à l’issue de l’expiration du délai de deux mois visé par l’article précité du code de l’urbanisme.’
L’existence et les termes de ce courrier empêchent de considérer que M. et Mme [Y] seraient restés silencieux pendant plus de deux mois suivants la décision définitive de fixation du prix. Il ressort en effet de cette lettre recommandée que ces derniers ont expressément notifié à la société Lad-Sela qu’ils n’acceptaient pas le prix.
Il est évident, au regard du caractère antagoniste des deux choix possibles ouverts au vendeur préempté, qu’en déclarant ne pas accepter le prix, M. et Mme [Y] ne pouvaient que renoncer à la vente.
Au surplus, en précisant explicitement qu’aucun transfert de propriété ne pourra être acté sur le fondement de l’article L.213-7 al. 2 du code de l’urbanisme, M. et Mme [Y] ont, de fait, exprimé une renonciation à vendre. En tout état de cause, aucune vente à un tiers ne pouvait prospérer compte tenu des décisions de préemption existantes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils ont cherché à anéantir les décisions de préemption.
Comme le rappelle à juste titre les consorts [Y], l’article L. 213-7 al. 2 du code de l’urbanisme n’a pas pour effet de déroger à l’article 1583 du code civil, selon lequel, la vente ne peut être parfaite et la propriété acquise que s’il existe un accord sur la chose et sur le prix.
Ainsi, dès lors que M. et Mme [Y] n’avaient pas accepté le prix judiciairement fixé et qu’ils avaient expressément notifié leur refus au titulaire du droit de préemption par courrier réceptionné le 26 septembre 2018 par la société Lab-Sela, soit dans le délai de deux mois suivant l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 21 septembre 2018 ayant définitivement statué sur le prix, aucun transfert de propriété ne pouvait intervenir.
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens développés par les consorts [Y], il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– dit que le présent jugement vaut vente par [R] [Y] et [U] [Z] épouse [Y] de trois parcelles situées sur la commune de [Localité 13], cadastrées Section AY n°[Cadastre 1], AY n°[Cadastre 2] et AZ n°[Cadastre 8], au profit de [Localité 6] Métropole aux prix suivants :
– 29.955 € pour la parcelle AY n°[Cadastre 1],
– 192.200 € pour la parcelle AY n°[Cadastre 2],
– 228.717 € pour la parcelle AZ n° [Cadastre 8],
– ordonné la publication du jugement à intervenir au service de Publicité Foncière compétent.
Nantes Métropole venant aux droits de la société Lad-Sela sera déboutée de sa demande tendant à faire constater le caractère parfait de la vente des parcelles AZ n°[Cadastre 8] et AY n°[Cadastre 1] et n°[Cadastre 2] en application de l’article L. 213-7 du code de l’urbanisme.
3°/ Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts
M. et Mme [Y] sollicitent sur le fondement de l’article 1240 du code civil, le versement d’une somme de 50.000 euros en réparation de leur préjudice moral et des troubles causés dans leurs conditions d’existence, du fait du caractère abusif de l’action en justice.
Il incombe donc à M. et Mme [Y] de démontrer que l’action introduite par [Localité 6] Métropole était fautive et qu’il en est résulté pour eux un préjudice.
Il est rappelé que l’exercice d’une action en justice, expression fondamentale du droit d’accès au juge, ne peut être qualifié d’abusif qu’en cas de légèreté blâmable, de mauvaise foi ou d’intention de nuire.
La cour relève que par un jugement du 12 mai 2015, le juge de l’expropriation près le tribunal de grande instance de Nantes a considéré que le prix retenu de 12 € / m² en 2010 devait être réévalué à 15 € / m² en 2015 et a fixé le prix des parcelles appartenant à M. et Mme [Y] (AY [Cadastre 2] = 213.555 €, AY [Cadastre 1] = 29.955 € et AZ [Cadastre 8] = 254.130 €). Ce jugement a été notifié aux consorts [Y] le 20 mai 2015.
Les consorts [Y] ont relevé appel de ce jugement selon déclaration d’appel postée le 25 juin 2015 reçue par pli recommandé le 29 juin suivant, c’est-à-dire tardivement au regard du délai d’un mois qui leur était imparti.
Par un arrêt rendu le 22 juillet 2016 dans la procédure enregistrée sous le numéro de RG 15/05251, la cour d’appel de Rennes a d’ailleurs déclaré l’appel des consorts [Y] irrecevable.
Il ne saurait donc être reproché à la société Lad-Sela, compte tenu de l’irrecevabilité apparente de l’appel interjeté le 25 juin 2015 par M. et Mme [Y], d’avoir assigné ces derniers devant le tribunal de grande instance de Nantes le 12 avril 2016 aux fins de faire constater le caractère parfait de la vente en application des dispositions de l’article L. 213-7 du code de l’urbanisme.
Le titulaire du droit de préemption était en effet fondé à croire que le jugement du 12 mai 2015 présentait un caractère définitif dans la mesure où ce n’est que postérieurement à la délivrance de l’assignation que la cour de cassation, dans un arrêt du 19 octobre 2017, a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Rennes ayant jugé irrecevable comme étant tardif l’appel des époux [Y].
Par ailleurs, la procédure de fixation du prix a finalement débouché sur un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 21 septembre 2018 qui a fixé les prix d’acquisition des parcelles dans des conditions qui n’étaient pas défavorables à la société Lad-Sela, à savoir :
– parcelle AY [Cadastre 1] : 29.955,00 €,
– parcelle AY [Cadastre 2] : 192.200,00 €,
– parcelle AZ [Cadastre 8] : 228.717,00 €.
La cour ne voit donc pas à quel titre la société Lad-Sela aurait dû se désister comme le soutiennent les consorts [Y].
Il est certain qu’en appel, [Localité 6] Métropole succombe in fine dans son action tendant à voir déclarer la vente parfaite. Toutefois, le caractère abusif de l’action ne saurait se déduire de cette circonstance, ce d’autant que l’action ne peut être qualifiée de manifestement vouée à l’échec dans la mesure où le premier juge a fait droit à la demande en reconnaissance du caractère parfait de la vente.
Au surplus, les consorts [Y] ne démontrent pas que la société Lad-Sela et [Localité 6] Métropole auraient agi en vertu d’un droit totalement inexistant. L’illégalité alléguée tant des décisions individuelles de préemption que du traité de concession publique d’aménagement signé le 4 juillet 2005 n’étant pas avérée au vu des décisions rendues par les juridictions administratives.
En définitive, les consorts [Y] échouent à démontrer que l’action a été introduite et conduite par la société Lad-Sela puis par [Localité 6] Métropole avec légèreté blâmable, mauvaise foi ou encore avec l’intention de nuire.
En outre, il n’est justifié par aucune pièce de l’ampleur du préjudice moral allégué, étant observé que M. et Mme [Y] puis les consorts [Y] ont eux-même introduit un nombre important de recours, tant devant les juridictions judiciaires qu’administratives, dont plusieurs ont fait l’objet de rejets ou de désistements, de sorte qu’ils ont contribué à la durée exceptionnelle de cette procédure et aux troubles et tracas induits.
Par ces motifs substitués, le jugement sera confirmé en ce qu’ils les a déboutés de leur demande indemnitaire.
4°/ Sur l’amende civile
Les consorts [Y] sollicitent également la condamnation de la société Lad-Sela au paiement d’une amende civile de 3.000 €.
Or, le prononcé d’une amende civile relève de l’appréciation de la cour. Les parties ne sont pas fondées à en faire la demande. En l’occurrence, la cour considère n’y avoir lieu au prononcé d’une telle sanction. La demande est rejetée.
5°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné les consorts [Y] aux dépens et à payer à [Localité 6] Métropole la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles.
Nantes Métropole qui succombe en appel, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et par conséquent, déboutée de ses demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’est pas inéquitable de la condamner à verser aux consorts [Y] la somme de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Reçoit M. [V] [Y] et de Mme [U] [Z] épouse [Y], en leurs interventions volontaires ès qualité d’héritiers de [R] [Y] décédé en cours de procédure,
Déboute M. [V] [Y] et de Mme [U] [Z] épouse [Y] de leur demande d’annulation du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nantes le 11 février 2021,
Infirme le jugement rendu le 11 février 2021 par le tribunal judiciaire de Nantes en tant qu’il prononce la vente de trois parcelles cadastrées section AY n°[Cadastre 1], AY n°[Cadastre 2] et AZ n°[Cadastre 8], au profit de Nantes Métropole, ordonne la publication du jugement au service de la publicité foncière compétente, déboute les défendeurs de l’ensemble de leurs demandes et les condamnent au versement d’une somme de 3.000 €, et aux entiers dépens,
Statuant à nouveau des chefs du jugement infirmé et y ajoutant :
Déboute [Localité 6] Métropole de sa demande tendant à faire constater le caractère parfait de la vente des parcelles cadastrées section AY n° [Cadastre 1] et n° [Cadastre 2], et Section AZ n° [Cadastre 8] en application de l’article L. 213-7 du code de l’urbanisme,
Déboute M. [V] [Y] et de Mme [U] [Z] épouse [Y] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Déboute M. [V] [Y] et de Mme [U] [Z] épouse [Y] de leur demande aux fins d’amende de 3.000 € sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile,
Déboute [Localité 6] Métropole de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne [Localité 6] Métropole à payer à M. [V] [Y] et Mme [U] [Z] épouse [Y] la somme globale de 6.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne [Localité 6] Métropole aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER P/ LA PRÉSIDENTE
Légitimement empêchée