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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 14 FEVRIER 2023
(n° 20 /2023 , 15 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10727 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2P6
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale internationale finale rendue à Paris le 12 avril 2021 (CCI n° 24091/JPA)
APPELANTES
CAPITAL ENERGY PROYECTOS ENERGETICOS, S.L.U.
société de droit espagnol immatriculée au Registre de commerce de MADRID volume 37509, page 210, feuille M-668655 sous le numéro B-87996336
ayant son siège social : Paseo Club Deportivo [Adresse 2] (ESPAGNE)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Société CAPITAL ENERGY SOLAR EOLICA, S.L.
société de droit espagnol immatriculée au Registre de commerce de MADRID volume 20623, page 210, feuille M-668655 sous le numéro B-84125400
ayant son siège social : [Adresse 3])
prise en la personne de ses représentants légaux,
Société GREEN CAPITAL POWER, S.L.
société de droit espagnol immatriculée au Registre de commerce de MADRID volume 27791, page 72, feuille M-500825 sous le numéro B-85945475
ayant son siège social : Paseo Club Deportivo [Adresse 1]
[Adresse 1])
Représentée par Me Bernard GRELON de l’AARPI LIBRA AVOCATS, avocat postulant et plaidant du barreau de PARIS, toque : E0445
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
Société ALFANAR COMPANY
société de droit saoudien inscrite au Registre de commerce sous le numéro 10100057263
ayant son siège social : [Adresse 4])
Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
Assistée par Me Marianne KECSMAR, avocat plaidant du barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 12 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président
Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [S] [R] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d’un recours en annulation contre une sentence arbitrale finale rendue à Paris le 12 avril 2021, sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (« CCI »), dans un litige opposant :
– d’une part, les sociétés de droit espagnol Capital Energy Proyectos Energéticos SLU, Capital Energy Solar Eólica SL et Green Capital Power SL (ci-après : « les sociétés Capital Energy »), qui possèdent un portefeuille de parcs éoliens qu’elles développent pour les vendre à des sociétés intéressées par leur construction et leur exploitation ;
– de l’autre, la société de droit saoudien Alfanar Company (ci-après : Alfanar), qui exerce une activité de producteur indépendant d’énergie renouvelable.
2. Le différend trouve son origine dans l’exécution d’un contrat de vente et d’acquisition (« Sale and Purchase Agreement », ci-après : « SPA ») conclu le 25 juillet 2017, par lequel la société Alfanar s’est engagée à acheter aux sociétés Capital Energy des participations dans des sociétés détenant 23 parcs éoliens situés en Espagne si son offre lors de l’enchère organisée par le Gouvernement espagnol pour l’octroi de droits de production et de développement d’énergie renouvelables était couronnée de succès.
3. Afin de participer à cet appel d’offres, Alfanar a fourni une garantie bancaire de 43 200 000 euros, qui fut ultérieurement réduite à 32 049 000 euros.
4. Le 21 février 2018, les sociétés Capital Energy et la société Alfanar ont conclu un accord de novation (« Novation Agreement »), modifiant certaines dispositions du SPA et réduisant à sept le nombre de parcs éoliens à acheter.
5. Le 5 octobre 2018, la société Alfanar a notifié aux sociétés Capital Energy sa décision de mettre un terme au SPA, tel que modifié par l’accord de novation, en invoquant le fait que ces sociétés ne démontraient pas que les parcs éoliens avaient acquis le statut de « ready to build » conformément à ce que prévoyait l’accord de novation. Elle a demandé aux sociétés Capital Energy la restitution des sommes payées ainsi que le remboursement de la garantie bancaire pour le cas où celle-ci serait mise en ‘uvre par les autorités espagnoles.
6. Par courriers des 10 et 11 octobre 2018, les sociétés Capital Energy ont exprimé leur désaccord quant aux conséquences de cette rupture de relations contractuelles.
7. C’est dans ces circonstances que la société Alfanar a, le 29 novembre 2018, introduit une procédure d’arbitrage devant la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale en application de la clause compromissoire prévue à l’article 14 du SPA et à l’article 7 de l’accord de novation, dont les termes sont identiques.
8. Par une sentence arbitrale finale rendue le 12 avril 2021, le tribunal arbitral a décidé que:
Alfanar a valablement mis un terme au SPA et au Novation Agreement ;
Les sociétés Capital Energy doivent restituer et payer à Alfanar tous les montants perçus en application du SPA et du Novation Agreement, à hauteur de la somme de 7 138 901 euros, avec intérêts au taux légal espagnol à compter de la date de notification de la sentence arbitrale aux défenderesses à l’arbitrage ;
Les sociétés Capital Energy doivent indemniser à hauteur de 75 % tout encaissement par les autorités espagnoles de la garantie bancaire émise en lien avec les 7 parcs éoliens identifiés dans le cadre du Novation Agreement d’une puissance de 158,7 MW et ce, dans les limites du montant de 5 713 200 euros (correspondant à 75% du montant de la garantie non libérée par les autorités espagnoles, soit 7 617 600 euros), avec intérêts au taux légal espagnol jusqu’au paiement intégral de la somme due ;
Les sociétés Capital Energy doivent payer à Alfanar la somme de (i) 747 326,25 euros correspondant aux frais juridiques et dépens engagés par cette dernière dans le cadre de l’arbitrage ainsi que la somme de (ii) 226 447,50 euros correspondant à la somme payée par la société Alfanar à la CCI avec intérêts.
9. Les sociétés Capital Energy ont formé un recours en annulation contre cette sentence arbitrale devant la cour de céans le 3 juin 2021.
10. La clôture de l’instruction a été prononcée le 22 novembre 2022 et l’affaire appelée à l’audience de plaidoiries du 12 décembre 2022.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
11. Dans leurs dernières conclusions de recours en annulation (n° 2) communiquées par voie électronique le 15 septembre 2022, les sociétés Capital Energy Proyectos Energeticos, Capital Energy Solar Eolica et Green Capital Power demandent à la cour, au visa des articles 1520 3°, 4° et 5° du code de procédure civile, de bien vouloir :
– dire bien fondé le recours en annulation sur le fondement des articles 1520-3°, 1520-4° et 1520-5° du code de procédure civile,
En conséquence,
– annuler la sentence pour violation de l’article 1520-°3, le tribunal arbitral ne s’étant pas conformé à sa mission ;
– annuler la sentence pour violation de l’article 1520-°4, le tribunal arbitral n’ayant pas respecté le principe de la contradiction et le principe d’égalité des armes ;
– annuler la sentence pour violation de l’article 1520-°5, la sentence n’étant pas conforme à l’ordre public international ;
En toute hypothèse,
– rejeter l’ensemble des demandes de la société Alfanar,
– condamner la société Alfanar à verser aux sociétés Capital Energy Proyectos Energéticos SLU, Capital Energy Solar Eólica SL et Green Capital Power SL la somme de 40 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
12. Dans ses dernières conclusions récapitulatives et en réponse (n° 2) communiquées par voie électronique le 14 novembre 2022, la société Alfanar demande à la cour, au visa des articles 1520, 3°, 4° et 5° du code de procédure civile, de bien vouloir :
– débouter les sociétés Capital Energy Proyectos Energeticos SLU, Capital Energy Solar Eolica SL et Green Capital Power SL de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
– rejeter le recours en annulation formé par les sociétés Capital Energy Proyectos Energeticos SLU, Capital Energy Solar Eolica SL et Green Capital Power SL ;
– rappeler que le rejet du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence rendue le 12 avril 2021 par le tribunal arbitral composé de Mme [D] [H], M. [X] [I] et M. [G] [U] ;
– condamner les sociétés Capital Energy Proyectos Energeticos SLU, Capital Energy Solar Eolica SL et Green Capital Power SL au paiement de 200 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la présente procédure.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
13. Les sociétés Capital Energy invoquent trois moyens d’annulation tirés de la violation par le tribunal arbitral de la mission qui lui avait été confiée (A), du non-respect du principe de la contradiction (B) et de la contrariété de la sentence rendue avec l’ordre public international (C).
A. Sur le premier moyen tiré de la violation de sa mission par le tribunal arbitral
14. Les sociétés Capital Energy font grief au tribunal arbitral de ne s’être pas conformé à la mission qui lui avait été confiée faute d’avoir statué en droit et pour s’être écarté des règles procédurales régissant l’instance arbitrale sans l’accord de l’ensemble des parties.
15. Elles font valoir sur le premier point que :
– les parties n’ayant pas donné au tribunal arbitral le pouvoir de statuer en amiable compositeur ou de décider ex aequo et bono, il lui appartenait de statuer selon les règles du droit choisi par les parties, soit le droit espagnol conformément aux articles 12 du SPA et 6 de l’accord de novation ;
– en écartant l’application de l’article 1124 du code civil espagnol en ce qui concerne seulement les causes de la rupture contractuelle et en l’appliquant en revanche en ce qui concerne les conséquences de cette rupture, à savoir la restitution à la société Alfanar des sommes perçues par les sociétés Capital Energy, le tribunal arbitral a sélectionné arbitrairement, au lieu d’appliquer un régime, légal ou contractuel, dans son intégralité ;
– le tribunal arbitral a ainsi statué en amiable compositeur et ne s’est pas conformé à sa mission de statuer en droit ;
– il s’est également écarté des règles de droit espagnol pour déclarer les sociétés Capital Energy tenues de payer la société Alfanar à hauteur de 75 % des sommes encaissées par les autorités espagnoles au titre de la garantie bancaire, en remplaçant l’application de la règle de droit, prévoyant l’anéantissement rétroactif du contrat après la résolution, par sa propre appréciation subjective, pour faire survivre l’obligation contractuelle de remboursement de la garantie bancaire à l’encontre des sociétés Capital Energy après la résolution et sans limitation dans le temps, leur imposant ainsi un engagement perpétuel.
16. Elles soutiennent sur le deuxième point qu’en conduisant une des audiences d’examen des preuves (« Evidentiary Hearing ») de façon virtuelle alors qu’elles s’y étaient opposées, le tribunal arbitral a violé les règles procédurales régissant l’instance arbitrale, en ce que:
– le Règlement de procédure CCI de 2017, seul applicable, ne prévoyait pas une telle possibilité ;
– les parties avaient exprimé un accord de principe pour la tenue d’une audience présentielle ;
– la société Alfanar a unilatéralement modifié sa position ;
– en revenant sur l’accord initial des parties, le tribunal s’est affranchi des règles procédurales qui s’imposaient à lui.
17. En réponse, la société Alfanar réplique, sur le premier point, que :
– pour statuer sur la rupture des stipulations contractuelles, le tribunal arbitral s’est fondé sur une interprétation des articles 1124, 1255 et 1091 du code civil espagnol à l’aune de la jurisprudence espagnole en la matière et n’a pas fait une application sélective du dit droit, de sorte qu’il n’a statué en équité et a respecté sa mission de statuer en droit ;
– les demanderesses demandent en réalité à la cour de s’immiscer dans le raisonnement des arbitres et de réviser le fond du litige pour sanctionner une prétendue application sélective de la règle de droit, méconnaissant ainsi l’étendu limitée du contrôle qu’exerce le juge de l’annulation ;
– la décision du tribunal relativement à la garantie bancaire était fondée sur l’article 1124 du code civil espagnol et sur les stipulations contractuelles, de sorte que les arbitres ont statué en application du droit espagnol et en parfaite conformité avec leur mission.
18. Elle fait valoir, sur le deuxième point, que :
– le tribunal arbitral a motivé sa décision de tenir l’audience d’examen des preuves par vidéoconférence en raison de l’imprévisibilité de la situation sanitaire liée au Covid-19 et de son obligation de conduire la procédure avec célérité et efficacité après renvoi des audiences à plusieurs reprises, au regard des diverses dispositions du Règlement CCI de 2017 et de l’interprétation qu’en fait la CCI ;
– il ne s’est pas écarté du Règlement d’arbitrage de la CCI dès lors que, conformément à l’Appendice IV de ce Règlement, au Guide du Secrétariat sur l’arbitrage CCI et à la note de la CCI sur les mesures possibles visant à atténuer les effets de la pandémie du Covid-19, le tribunal arbitral peut interpréter les articles 25(2) et 26 du Règlement comme permettant l’utilisation des techniques de visioconférence, qui sont des solutions admises par la pratique et qui ne constituent pas une violation de la mission arbitrale ;
– en tout état de cause, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de l’annulation de sanctionner une mauvaise application des règles de procédure.
SUR CE :
En droit
19. Selon l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
20. Cette mission, définie par la convention d’arbitrage, est délimitée principalement par l’objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu’il y ait lieu de s’attacher uniquement à l’énoncé des questions figurant dans l’acte de mission.
21. Il appartient ainsi au tribunal arbitral de statuer dans les limites des demandes qui lui sont formées, de sorte que s’il accorde plus que ce qui avait été demandé, sa sentence est susceptible d’être annulée pour méconnaissance de sa mission.
22. L’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d’en exiger la stricte application et les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l’équité ou l’intérêt commun bien compris des parties l’exige.
23. L’arbitre ne s’écarte pas de sa mission s’il use de la liberté qui lui est accordée par le droit applicable au différend, l’usage par un tribunal arbitral d’une liberté d’appréciation que lui confère la règle applicable pour statuer sur une demande ne suffisant pas à qualifier ce pouvoir d’amiable composition.
24. Le tribunal arbitral s’écarte de sa mission s’il ne respecte pas les règles procédurales qui ont été arrêtées par les parties. Cet écart, en ce qu’il porte sur une règle procédurale, ne saurait toutefois emporter l’annulation de la sentence que s’il est établi qu’il a pu causer à une partie un grief ou qu’il a eu une incidence sur l’issue du litige et si l’irrégularité procédurale avait été soulevée préalablement devant le tribunal arbitral.
(i) Sur le moyen pris en sa première branche
25. Les articles 12 du SPA et 6 de l’accord de novation stipulent que ces conventions sont régies par le droit espagnol. Les clauses compromissoires contenues dans leurs articles 14 et 7 ne confèrent pas au tribunal arbitral appelé à trancher un éventuel différend la faculté de statuer en amiable compositeur.
26. Dans le cadre ainsi fixé, le tribunal arbitral était saisi par la société Alfanar d’une demande tendant à la restitution par les sociétés Capital Energy des sommes qu’elles avaient perçues au titre du SPA, tel que modifié par l’accord de novation, après qu’Alfanar eut notifié à ces sociétés son intention de mettre un terme aux contrats à raison de manquements à leurs obligations contractuelles. Elle sollicitait par ailleurs, sur le fondement des clauses du SPA et de l’accord de novation, le remboursement de 75 % des pertes subies en cas d’exécution de la garantie bancaire.
27. Les sociétés Capital Energy concluaient au rejet de ces demandes, soutenant en substance que la défaillance qui leur était imputées par la demanderesse était en réalité due au comportement de celle-ci. Elles considéraient par ailleurs qu’Alfanar ne pouvait prétendre à aucun remboursement au titre de la garantie dès lors qu’il n’était pas établi que cette garantie avait été exécutée et que la relation contractuelle entre les parties avait été résolue de façon rétroactive.
28. Après avoir rappelé les positions et arguments respectifs des parties, tribunal arbitral juge que la rupture de la relation contractuelle par la société Alfanar était justifiée, en considérant que cette société était en droit de se fonder sur les stipulations contractuelles pour mettre fin au SPA et à l’accord de novation. Il écarte, pour ce faire, l’application de l’article 1124 du code civil espagnol estimant, au regard de la doctrine juridique espagnole, que cet article s’applique par défaut lorsque les parties ne se sont pas mises d’accord sur les causes et les conséquences de la fin de leur relation contractuelle. Il précise que cette position résulte de l’application du principe de l’autonomie des parties établi par l’article 1255 du même code, tel qu’interprété par la Cour suprême espagnole (sentence attaquée, §§ 489 à 491).
29. Il décide que la société Alfanar est en droit de réclamer la restitution des sommes versées aux sociétés Capital Energy sur le fondement de l’article 1124 du code civil espagnol, tel qu’interprété par la Cour suprême espagnole. Il retient, à cet égard, que les défenderesses n’avaient pas atteint le statut de « ready to built » à la date butoir prévue par le contrat. Il en conclut que la clause prévue à l’article 3.2(9) de l’accord de novation doit s’appliquer, et précise que cette clause n’est pas contraire à l’article 1256 du code civil espagnol et qu’elle s’impose aux sociétés Capital Energy, qui y ont consenti, en vertu de l’article 1091 du même code (sentence attaquée, §§ 506, 522 et 523).
30. Procédant à une interprétation des clauses du SPA et de l’accord de novation, il considère, sur la garantie bancaire, que les obligations découlant de ces stipulations sont restées en vigueur après la cessation de ces contrats et que leur effet n’est pas limité dans le temps, pour juger que les défenderesses seront tenues de rembourser les sommes encaissées par les autorités espagnoles, dans la limite de 75 % du plafond de garantie, après réception d’un avis de paiement (sentence attaquée, §§ 537 à 541).
31. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Capital Energy, il ne saurait être déduit de cette motivation que le tribunal se serait institué en amiable compositeur pour statuer en équité. Les termes mêmes de la sentence démontrent au contraire qu’il s’est attaché à appliquer le droit espagnol, tel qu’interprété par la doctrine et la jurisprudence, sans chercher à s’en affranchir.
32. L’application distributive du régime contractuel, sur les causes de la rupture, et du régime légal, sur ces conséquences, telle que dénoncée par les sociétés Capital Energy, résulte de considérations tirées de l’interprétation de ce droit par le tribunal arbitral, considérations qui ne font aucune référence à l’équité et qu’il n’appartient pas à la cour d’apprécier, en sa qualité de juge de l’annulation, sauf à entrer dans un processus de révision de la sentence qui ne relève pas de son office.
33. De même, la solution retenue par le tribunal arbitral sur la garantie bancaire procède-t-elle d’une interprétation et d’une application du droit espagnol et des contrats litigieux dont il n’appartient pas à la cour d’apprécier la pertinence ou le bien fondé, le contrôle de la « stricte application de la loi » auquel l’invitent les sociétés Capital Energy s’apparentant à une révision de la sentence au fond. Il en va pareillement de la prétendue erreur liée à la non-prise en considération de la prohibition par ce droit des engagements perpétuels, qui relèvent de l’appréciation du tribunal arbitral quant au fond de l’affaire.
34. Il s’ensuit que le moyen pris en sa première branche ne peut être accueilli.
(ii) Sur le moyen pris en sa deuxième branche
35. Il résulte des pièces versées aux débats que :
– le calendrier procédural établi par le tribunal arbitral prévoyait, dans sa version initiale, la tenue d’audiences d’examen des preuves (« Evidenciary hearings ») les 25 et 27 mars 2020 ;
– ces audiences n’ont pu avoir lieu en raison de l’état d’urgence sanitaire déclaré par les autorités espagnoles du fait de la pandémie de Covid-19 ;
– dans ce contexte, après avoir recueilli les positions respectives des parties, le tribunal arbitral a décidé qu’une audience devait avoir lieu, ainsi que le demandaient les sociétés Capital Energy, mais qu’elle pourrait se tenir dans une autre ville que celle initialement prévue. Il a également appelé l’attention des parties sur le fait que cette audience pourrait, en fonction des restrictions mises en place, se tenir totalement ou partiellement à distance (ordonnance de procédure n° 21) ;
– après plusieurs reports et échanges sur le calendrier et le lieu de tenue des audiences, le tribunal arbitral a fixé de nouvelles dates, en précisant que les audiences se tiendraient soit en personne, soit à distance (entièrement ou partiellement), en fonction des restrictions sanitaires. Il a invité les parties à se concerter sur les dispositions à prendre pour que les audiences puissent se tenir de manière sûre et sécurisée, et les a invitées à discuter d’un protocole pour le cas où les audiences devraient se tenir à distance (ordonnance de procédure n° 23) ;
– la situation sanitaire ayant imposé de nouveaux reports, les parties se sont opposées sur la possibilité d’organiser des audiences à distance, les sociétés Capital Energy s’y refusant, en demandant le report de l’audience à une date qui ne soit pas antérieure à mars 2021, la société Alfanar faisant de son côté valoir que l’audience ne pouvait être reportée indéfiniment ;
– constatant ce désaccord le tribunal arbitral a arrêté de nouvelles dates et invité les parties à trouver un accord sur la possibilité de tenir une audience hybride, précisant qu’à défaut d’accord, l’audience se déroulerait de manière entièrement virtuelle (ordonnance de procédure n° 26) ;
– la demande de réexamen de cette décision formulée par les sociétés Capital Energy a été rejetée par le tribunal arbitral (ordonnance de procédure n° 27) ;
– les audiences ont en définitive eu lieu par visioconférence, les 14 et 17 décembre 2020, selon un protocole convenu par les parties et adopté par le tribunal (ordonnance de procédure n° 28).
36. Il est acquis aux débats que la procédure arbitrale était soumise au Règlement d’arbitrage de la CCI dans sa version de 2017.
37. L’article 22 de ce Règlement, relatif à la conduite de l’arbitrage, énonce notamment que :
1 Le tribunal arbitral et les parties font tous leurs efforts pour conduire la procédure d’arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coût, eu égard à la complexité et à l’enjeu du litige.
2 Afin d’assurer une gestion efficace de la procédure et après avoir consulté les parties, le tribunal arbitral adopte les mesures procédurales qu’il juge appropriées et qui ne se heurtent à aucun accord des parties. [‘]
38. Aux termes de l’article 25 relatif à l’instruction de la cause :
1 Le tribunal arbitral instruit la cause dans les plus brefs délais par tous moyens appropriés.
2 Après avoir étudié les observations écrites des parties et tous les documents invoqués, le tribunal arbitral entend les parties ensemble en personne si l’une d’elles en fait la demande ou, à défaut d’une telle demande, il peut de sa propre initiative décider de les entendre. [‘]
39. Et, selon l’article 26, relatif aux audiences :
1 Lorsqu’une audience est tenue, le tribunal arbitral cite les parties à comparaître devant lui, en observant un délai convenable, au jour et lieu qu’il a fixés.
2 Si l’une des parties, bien que régulièrement convoquée, ne se présente pas, sans excuse valable, le tribunal arbitral a le pouvoir de tenir néanmoins l’audience.
3 Le tribunal arbitral règle le déroulement des audiences auxquelles toutes les parties sont en droit d’être présentes. Sauf accord du tribunal arbitral et des parties, elles ne sont pas ouvertes aux personnes étrangères à la procédure.
4 Les parties comparaissent en personne ou par représentants dûment habilités. Elles peuvent également être assistées de conseils
40. Dans le cadre ainsi défini, le tribunal arbitral a considéré, dans son ordonnance de procédure n° 26, que ni le règlement d’arbitrage de la CCI, ni la lex arbitrii ne s’opposaient à ce que l’audition des preuves eût lieu par des moyens virtuels, relevant à cet égard que:
Although Article 25(2) of the ICC Rules provides that ‘… the arbitral tribunal shall hear the parties together in person if any of them so requests…’, the ICC Guidance Note on Possible Measures Aimed at Mitigating the Effects of the COVID-19 Pandemic clarifies that ‘this language can be construed as referring to the parties having an opportunity for a live, adversarial exchange and not to preclude a hearing taking place ‘in person’ by virtual means if the circumstances so warrant’
[Bien que l’article 25(2) du Règlement CCI dispose que « … le tribunal arbitral entend les parties ensemble en personne si l’une d’entre elles le demande… », la Note d’orientation de la CCI sur les mesures possibles visant à atténuer les effets de la pandémie de COVID-19 précise que « cette formulation peut être interprétée comme faisant référence aux parties ayant l’opportunité d’un échange contradictoire en direct et n’exclut pas une audience ayant lieu “en personne” par des moyens virtuels si les circonstances le justifient »]
41. Il s’est, ce faisant, livré à une interprétation du règlement d’arbitrage, en se référant aux solutions admises par la pratique et aux procédures suivies devant la CCI sans méconnaître les termes de sa mission, la cour relevant que :
– contrairement à ce qu’affirment les sociétés Capital Energy, ledit règlement ne prévoit pas formellement le principe d’audiences « présentielles », le moyen qu’elles développent de ce chef procédant d’une interprétation des dispositions précitées qu’elles opposent à celle retenue par le tribunal arbitral ;
– en l’absence d’une règle formelle que viendrait violer la décision prise par le tribunal arbitral, il n’appartient pas au juge de l’annulation de se prononcer sur le bienfondé de son interprétation et de la motivation qui la sous-tend ;
– l’accord initial des parties sur la tenue d’audiences physiques ne saurait être utilement invoqué par les demanderesses au recours, cet accord ayant été remis en cause par la société Alfanar, qui s’opposait à des renvois indéfinis dans un contexte particulièrement contraint ;
– le tribunal a relevé que la durée des auditions concernées et la complexité des questions abordées ne constituaient pas un obstacle au recours à des moyens de visioconférence, ce que les sociétés Capital Energy ne contestent pas ;
– il a pris en considération les incertitudes liées à la situation sanitaire ainsi que l’impératif de célérité et d’efficacité de la procédure qui s’imposait également à lui en vertu du même Règlement de procédure.
42. Il en résulte que le moyen pris en sa deuxième branche ne peut être accueilli.
B. Sur le deuxième moyen tiré du non-respect du principe de la contradiction et de l’égalité des armes
43. Les sociétés Capital Energy font grief au tribunal arbitral de n’avoir pas respecté le principe de la contradiction et de l’égalité des armes en conduisant l’instance arbitrale de façon à nuire systématiquement à leurs intérêts et en accordant des prérogatives injustifiées à la société Alfanar, en ce que :
– le tribunal arbitral a rejeté leur demande de communication des documents par la société Alfanar en lien avec la garantie bancaire ‘ notamment ses échanges avec les autorités espagnoles ‘ pour être en mesure de débattre du bien-fondé de la demande d’Alfanar sur ce point ;
– il n’a pas sanctionné les communications tardives de cette société ;
– il a imposé une audience virtuelle malgré l’opposition des sociétés Capital Energy, portant ainsi atteinte à leurs droits procéduraux ;
– il a appliqué de façon sélective la règle de droit issue de l’article 1124 du code civil espagnol au détriment des sociétés Capital Energy.
44. La société Alfanar réplique que :
– elle n’a aucunement occulté des documents émanant des autorités espagnoles au sujet de la garantie bancaire durant la procédure arbitrale ;
– les sociétés Capital Energy n’établissent pas en quoi le tribunal n’aurait pas respecté le principe de la contradiction et de l’égalité des armes alors que les parties ont eu l’opportunité de débattre de la demande de production de documents complémentaires et de la question de l’encaissement de la garantie ;
– il en va de même pour toutes les décisions relatives aux communications ou rejets de documents, que le tribunal a motivées par des ordonnances de procédure sans qu’aucune des parties ne soit placée dans une situation de net désavantage par rapport à l’autre ;
– le fait de tenir des audiences par visioconférence ne constitue pas en soi une atteinte au droit des parties d’être entendues dans le respect des principes de la contradiction et d’égalité ;
– chaque partie a pu pleinement développer et discuter tous ses moyens de fait et de droit qui ont servi à la décision du tribunal arbitral sur l’application de l’article 1124 du code civil espagnol, une prétendue rupture d’égalité dans l’application de la règle de droit ne constituant pas un grief d’annulation de l’article 1520 4° du code de procédure civile.
SUR CE :
En droit
45. L’article 1520, 4°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le principe de la contradiction n’a pas été respecté.
46. Le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu’elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire.
47. L’égalité des armes, qui constitue un élément du procès équitable protégé par l’ordre public international, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause ‘ y compris les preuves ‘ dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à son adversaire.
(i) Sur le moyen pris en sa première branche
48. Il résulte des pièces versées aux débats que :
– les sociétés Capital Energy ont sollicité du tribunal arbitral qu’il ordonne à la société Alfanar la communication des documents relatifs à ses échanges avec les autorités espagnoles afin de déterminer si la garantie bancaire fournie par Alfanar avait été mise en ‘uvre ;
– la société Alfanar ayant répondu n’avoir pas ces documents en sa possession, le tribunal arbitral a, par son ordonnance de procédure n° 7 du 16 décembre 2019, pris acte de cette déclaration et rejeté la demande de communication de pièces formée par les sociétés Capital Energy ;
– ces dernières ont indiqué être en désaccord avec la motivation de cette ordonnance, faisant valoir que la société Alfanar n’avait pas confirmé si, depuis octobre 2018, les autorités espagnoles compétentes avaient pris des décisions ou délivré des résolutions/ou communication concernant le retrait des parcs éoliens des sociétés Capital Energy ou l’exécution de la garantie bancaire ;
– l a société Alfanar a réaffirmé n’avoir pas de documents supplémentaires, en soutenant notamment que les défenderesses n’identifiaient pas les documents sollicités ni même ne prouvaient qu’ils eussent existé ;
– le tribunal arbitral a, en conséquence, confirmé son ordonnance de procédure.
49. Pour conclure à une violation du principe de la contradiction et de l’égalité des armes, les sociétés Capital Energy soutiennent que la pièce n° 17 produite par la société Alfanar dans le cadre de la présente procédure établit l’existence d’échanges entre cette société et les autorités espagnoles au sujet de la garantie bancaire, dont la défenderesse au recours n’aurait pas fait état lors de la procédure arbitrale.
50. Cette pièce est une ordonnance de la Direction générale de la politique énergétique et des mines du ministère espagnol pour la transition écologique et le défi démographique. Datée du 29 novembre 2021, elle mentionne notamment que :
Le 15 octobre 2018, le 5 avril 2019 et le 30 décembre 2019, ALFANAR CO a déposé des requêtes auprès de la Direction générale de la politique énergétique et des mines aux termes desquelles elle a demandé à désister du registre du régime de rémunération spécifique en état de pré-allocation pour 712.125,00 kW de puissance inscrite sous le code ERP-000106-2017-E, et que soient libérées les garanties afférentes à ladite inscription.
La Direction générale de la politique énergétique et des mines a répondu auxdites requêtes dans sa décision du 18 novembre 2021. Elle y a donné acte du désistement demandé par ALFANAR CO et rejeté la requête de libération de la garantie afférente à l’inscription au registre du régime de rémunération spécifique en état de pré-allocation.
51. Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses au recours, il ne saurait être déduit de ces éléments que la société Alfanar aurait « caché la vérité au tribunal arbitral et aux sociétés Capital Energy, par un propos délibérément inexact » dès lors que :
– il n’est pas contesté que les requêtes des 5 avril et 30 décembre 2019 ne concernent pas les parcs éoliens litigieux et que celle du 15 octobre 2018 a bien été communiquée lors de la procédure arbitrale, de sorte que les parties ont pu en débattre régulièrement ;
– la pièce n° 17 ne fait état d’aucun échange d’informations entre Alfanar et les autorités espagnoles entre cette requête et le 18 novembre 2021, date de la réponse qu’elle a suscité ;
– cette réponse, comme l’ordonnance qui en fait état, sont postérieures à la procédure arbitrale de sorte qu’il ne saurait être fait grief à la société Alfanar de n’en avoir pas fait mention ;
– la société Alfanar a produit en cours d’arbitrage, le 13 décembre 2019, un document 14.23 confirmant l’identification par les autorités espagnoles des parcs éoliens de Capital Energy retirés de l’enchère publique ;
– les parties ont ainsi été à même de débattre tant de la production des pièces disponibles que de celles-ci, les sociétés Capital Energy ne démontrant aucune atteinte aux principes de la contradiction et de l’égalité des armes en ce qui regarde la garantie bancaire.
52. Le moyen développé de ce chef, qui manque en fait, sera donc rejeté.
(ii) Sur le moyen pris en sa deuxième branche
53. Les sociétés Capital Energy font grief au tribunal arbitral de n’avoir pas sanctionné par des irrecevabilités la production tardive par la société Alfanar de requêtes et de pièces.
54. S’il n’est pas contesté que les productions en cause sont intervenues avec des retards respectifs de 7 et 22 minutes par rapport à l’horaire prescrit par le tribunal arbitral, les demanderesses au recours n’établissent aucune atteinte au principe de la contradiction dès lors que les parties ont été mises à même de débattre de ces pièces et de ces requêtes, tant pour ce qui regarde leur admission que leur contenu au regard des prétentions et moyens échangés, aucun préjudice n’étant démontré à raison des retards constatés.
55. Elles ne sauraient davantage se prévaloir d’une atteinte à l’égalité des armes dès lors qu’il résulte des éléments de la procédure qu’elles-mêmes ont bénéficié de l’admission par le tribunal arbitral de productions tardives d’attestations de témoins et d’un rapport d’expert auxquelles la société Alfanar s’était opposée.
56. Enfin, l’admission par le tribunal, durant une audience d’examen des preuves consacrée à l’audition d’un témoin, d’un courriel cité par celui-ci dans sa déclaration et qui n’avait pas été versé aux débats auparavant, ne caractérise pas une atteinte au principe de la contradiction, la société Alfanar faisant justement valoir sur ce point que cette production est intervenue avant la clôture des débats et que les parties ont été à même de discuter de la pièce en question.
57. Le moyen étant inopérant, il sera rejeté de ces chefs.
(iii) Sur le moyen pris en sa troisième branche
58. S’il est constant que les sociétés Capital Energy se sont opposées au principe du recours la visio-conférence pour la tenue des audiences d’examen des preuves, elles ne démontrent pas en quoi l’organisation retenue par le tribunal arbitral pour la conduite de la procédure et la tenue de ces audiences aurait porté atteinte au principe de la contradiction et de l’égalité des armes.
59. La cour relève sur ce point que :
– les demanderesses au recours n’établissent pas, ni même n’allèguent, que les parties n’auraient pas été traitées sur un pied d’égalité lors de ces audiences, dont l’organisation a été arrêtée par le tribunal sur la base d’un protocole concerté avec les parties, auquel elles ont donné leur accord ;
– il n’est pas davantage démontré qu’elles n’auraient pas été en mesure de faire valoir leurs arguments et moyens ou d’accéder au tribunal dans des conditions propres à garantir le respect de la contradiction et de l’égalité des armes ;
– invitées par le tribunal à prendre position sur ce point, les parties ont indiqué n’avoir aucune réclamation ou réserve sur la conduite de la procédure, ainsi qu’il résulte de la transcription de l’audience du 17 décembre 2020 produite aux débats;
– elles ne sauraient donc se prévaloir d’une quelconque violation de ce chef devant le juge de l’annulation.
60. D’où il suit que cette branche du moyen doit être écartée.
(iv) Sur le moyen pris en sa quatrième branche
61. Les demanderesses au recours font grief au tribunal arbitral d’avoir fondé sa décision sur la « dissociation de l’applicabilité de l’article 1124 du code civil espagnol selon qu’il s’agisse de l’appliquer aux sociétés Capital Energy ou la société Alfanar », dissociation qu’elles regardent comme révélatrice d’une rupture d’égalité dans l’application de la règle de droit.
62. Elles critiquent, ce faisant, le raisonnement suivi par les arbitres et la motivation de la sentence, qu’il n’appartient pas au juge de l’annulation d’apprécier.
63. Cette branche du moyen, inopérante, sera elle aussi rejetée.
C. Sur le troisième moyen tiré de la contrariété de la sentence à l’ordre public international
64. Les sociétés Capital Energy soutiennent que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence arbitrale serait contraire à l’ordre public international :
– en raison des atteintes portées à leurs droits procéduraux par le tribunal arbitral, telles que précédemment décrites ;
– du fait de la reconnaissance d’un engagement perpétuel par leur condamnation à indemniser 75 % de la garantie qui serait encaissée par les autorités espagnoles auprès de la société Alfanar sans aucune limitation temporelle, une telle sanction heurtant tout à la fois la conception française de l’ordre public international que le droit espagnol applicable au litige.
65. La société Alfanar réplique que :
– le tribunal a conduit la procédure arbitrale dans le respect des droits procéduraux de chacune des parties, les demanderesses au recours ayant renoncé à se prévaloir des prétendues irrégularités procédurales et donc d’une violation de l’ordre public procédural devant le juge de l’annulation ;
– la seule prétendue violation d’une loi de police espagnole ne peut conduire en elle-même à l’annulation d’une sentence arbitrale, l’obligation d’indemniser 75 % de la garantie n’est pas sans limitation temporelle.
SUR CE :
En droit
66. Il résulte de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile que le juge de l’annulation doit rechercher si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est compatible avec l’ordre public international.
67. L’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge de l’annulation s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international.
68. Le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte de manière manifeste, effective et concrète les principes et valeurs compris dans l’ordre public international.
(i) Sur le moyen pris en sa première branche
69. Si l’égalité des armes entre les parties représente un élément du procès équitable protégé par l’ordre public international, il résulte des constatations et motifs qui précèdent qu’aucune violation de ce principe n’est caractérisée en l’espèce, pas plus qu’une violation du principe de la contradiction, qui n’a pas été retenue, les moyens et arguments développés à ce titre par les sociétés Capital Energy, qui ne sont que la reprise de ceux articulés au soutien du deuxième moyen, ci-avant examiné, manquant en fait.
70. Ce moyen ne saurait donc prospérer.
(ii) Sur le moyen pris en sa deuxième branche
71. La sentence querellée condamne les sociétés Capital Energy conjointement et solidairement, à indemniser la demanderesse à hauteur de 75 % pour tout encaissement de la garantie bancaire par les autorités espagnoles qui concerne les 158,7 MW correspondant aux sept parcs éoliens contractuels, charge à la société Alfanar de joindre, lors de l’envoi de sa demande de remboursement la preuve de l’encaissement de cette garantie par les autorités espagnoles.
72. Contrairement à ce que soutiennent les demanderesses au recours, ce chef du dispositif ne constitue pas un « engagement perpétuel » mais une condamnation à indemniser des pertes relatives à la mise en ‘uvre d’une garantie dont l’exécution, qui ne dépend pas de la seule volonté de la société Alfanar mais de la mise en ‘uvre du recouvrement de cette garantie par les autorités compétentes, est enserrée par la loi espagnole dans un délai de prescription.
73. Le moyen, qui manque en fait, est donc, là encore, inopérant.
74. Il résulte de ce qui précèdent qu’aucun des griefs articulés par les sociétés Capital Energy n’est de nature à emporter annulation de la sentence querellée. Le recours en annulation formée par les demanderesses sera donc rejeté.
D. Sur les frais et dépens
75. Les sociétés Capital Energy, qui succombent, seront condamnées aux dépens, la demande qu’elles forment au titre de l’article 700 du code de procédure civile étant rejetée.
76. Elles seront en outre condamnées à payer à la société Alfanar une somme de 50 000 euros au titre des frais irrépétibles exposées par cette dernière et non compris dans les dépens, sur le fondement du même article.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par les sociétés Capital Energy Proyectos Energeticos SLU, Capital Energy Solar Eolica SL et Green Capital Power SL contre la sentence arbitrale finale rendue le 12 avril 2021 sous l’égide de la chambre de commerce internationale de la cour internationale d’arbitrage dans l’affaire n° 24091/JPA ;
2) Condamne in solidum les sociétés Capital Energy Proyectos Energeticos SLU, Capital Energy Solar Eolica SL et Green Capital Power SL à payer à la société Alfanar Company la somme de cinquante mille euros (50 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
3) Condamne in solidum les sociétés Capital Energy Proyectos Energeticos SLU, Capital Energy Solar Eolica SL et Green Capital Power SL aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,