Rupture anticipée du CDD : la responsabilité de l’employeur

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Rupture anticipée du CDD : la responsabilité de l’employeur
Ce point juridique est utile ?

Aux termes de l’article L1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8.


 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/02174 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M5YJ

[Y]

C/

Société [S] FORMATION

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 28 Février 2020

RG : F15/02651

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 15 MARS 2023

APPELANTE :

[X] [Y]

née le 25 Septembre 1990 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Pascale REVEL de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Alexandra MANRY, avocat au barreau de LYON,

INTIMÉE :

Société [S] FORMATION

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, avocat au barreau de LYON,ayant pour avocat plaidant Me Olivier CHENEDE de la SELARL CAPSTAN OUEST, avocat au barreau de NANTES

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 18 Janvier 2023

Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, président

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 15 Mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SARL [S] FORMATION fait partie du groupe « [S] », créé en 2002, groupe spécialisé dans le portage salarial, basé à [Localité 10].

Elle relève de la Convention Collective des Organismes de Formation.

Mme [X] [Y] a été embauchée, suivant contrat de professionnalisation du 25 février 2013, en qualité de commerciale en vue d’obtenir la qualification d’assistante commerciale, puis par contrat de professionnalisation du 12 septembre 2013, en qualité de commerciale niveau A1, coefficient 100, en vue d’obtenir un BTS Négociation Relation Client.

L’échéance du contrat était le 30 juillet 2015.

Mme [Y] a quitté ses fonctions le 7 mai 2015.

Par lettre recommandée du 19 mai 2015, la SARL [S] FORMATION a convoqué Mme [Y] à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, prévu le 26 mai 2015, à [Localité 10].

Mme [Y] ne s’est pas présentée à cet entretien.

Par lettre du 4 juin 2015, la société [S] FORMATION a notifié à Mme [Y] la rupture anticipée du CDD pour faute lourde, lui reprochant son absence à son poste de travail, des actes de concurrence déloyale, de détournement et d’appropriation de fichiers appartenant à l’entreprise.

Mme [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de LYON par requête du 8 juillet 2015.

Le 22 juillet 2015, la SARL [S] a déposé plainte contre Mme [Y], pour abus de confiance.

Le 18 juillet 2016, la SARL [S] a déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d’instruction, contre Mme [Y], pour abus de confiance et recel de bien obtenu à l’aide d’un abus de confiance.

Le 17 avril 2019, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu.

Par jugement du 28 février 2020, le conseil de prud’hommes de LYON a dit que la rupture du contrat de travail de Mme [Y] résulte d’un accord tacite entre les parties avec une prise d’effet au 5 juin 2015, débouté les parties de l’ensemble de leurs demandes et partagé les dépens par moitié entre les parties.

Le 18 mars 2020, Mme [Y] a fait appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures, notifiées le 24 septembre 2020, Mme [Y] demande à la cour :

d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit que la rupture du contrat de travail résulte d’un accord tacite et partagé les dépens ;

juger que la rupture qui lui a été notifiée est abusive et condamner la SARL [S] FORMATION à lui verser les sommes suivantes :

551,43 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 55,14 € pour congés payés afférents

2241,40 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat à durée déterminée

6 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture vexatoire

292,16 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés

confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SARL [S] FORMATION de toutes ses demandes

infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamner la société [S] FORMATION à lui payer la somme de 2 000 € au titre des frais exposés en première instance

Y ajoutant

condamner la société [S] FORMATION à lui payer la somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposée en appel

débouter la société [S] FORMATION de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile

condamner la société [S] FORMATION aux dépens.

Par conclusions notifiées le 10 décembre 2020, la SARL [S] demande à la cour de :

confirmer la décision entreprise, en ce qu’elle a débouté Madame [Y] de l’ensemble de ses demandes ;

infirmer la décision entreprise, en ce qu’elle l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes ;

rejeter l’ensemble des demandes de Madame [Y].

faire droit à sa demande reconventionnelle pour concurrence déloyale et intention de nuire ;

chiffrer cette condamnation à la somme de 10.000 euros ;

condamner Madame [Y] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile

condamner Mme [Y] aux dépens

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022.

SUR CE

Sur la rupture du contrat de travail :

Mme [Y] rappelle que

l’employeur qui invoque une faute lourde doit apporter la preuve de l’existence des faits reprochés, de leur incidence grave sur le bon fonctionnement de l’entreprise et de l’intention de nuire du salarié

en l’absence de clause de non-concurrence, le salarié qui retrouve sa liberté à l’issue du contrat de travail, ne doit pas exercer une activité similaire dans des conditions déloyales

lorsqu’une relaxe est prononcée, la mesure de licenciement si elle s’appuie sur les mêmes faits, est dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Elle soutient que

elle a créé son compte VIADEO tant à des fins personnelles que professionnelles, sur lequel elle indique être commerciale chez [S]

elle pouvait avoir qui elle souhaitait comme contact VIADEO

la société [S] possède des pages VIADEO

selon le RGPD, une adresse email est considérée comme une donnée personnelle dès lors qu’elle contient le nom et le prénom du salarié

la société [S] FORMATION n’établit pas que le compte VIADEO aurait été ouvert par ses soins

la première plainte déposée par la société ESENDO a fait l’objet d’un classement sans suite et la seconde d’une ordonnance de non-lieu.

Elle ajoute que la preuve de l’intention de nuire n’est pas établie, ni la perte de clientèle, qui lui serait imputable.

Elle conteste avoir été en absence injustifiée et soutient qu’une rupture conventionnelle avait été régularisée ; qu’elle avait restitué les effets professionnels et que la passation des dossiers était effectuée.

Elle soutient, que lorsqu’elle a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec la société MANAGERS EN MISSION, elle en a informé la société [S], avec laquelle elle était engagée en contrat de professionnalisation.

La SARL [S] réplique :

que Mme [Y] a piraté toute la base de données clients, appartenant à l’entreprise

qu’avant son départ, Mme [Y] avait modifié son identifiant pour accéder à son compte personnel VIADEO, qu’elle a conservé à titre personnel

qu’elle a constaté sa perte de clientèle en faisant des copies d’écran et impressions pour reconstituer une base clients sur EXCEL

qu’elle a perdu près d’un million de chiffre d’affaires annuel, soit 50%, depuis 2015, sur son agence de [Localité 6]

que les seuls faits reprochés à la salariée légitimant la rupture sont les actes de déloyauté, manifestant son intention de nuire à la société tandis que les faits postérieurs ne justifient que l’octroi d’une indemnisation

que l’absence de faute pénale n’abroge en rien l’intention de nuire

A titre subsidiaire, elle demande que la rupture soit requalifiée en faute grave et souligne qu’au jour de la lettre de rupture, Mme [Y] n’avait pas repris ses fonctions depuis le 18 mai 2015.

Elle ajoute :

que les faits reprochés dans la lettre de rupture sont distincts de ceux ayant justifié la plainte pénale ;

que Mme [Y] produit des conditions générales, datées du 17 juin 2015, soit postérieures aux faits reprochés

que Mme [Y] n’avait pas de compte VIADEO avant de travailler pour l’entreprise et que ce compte est la propriété de l’entreprise ;

que le fait de ne pas donner spontanément son mot de passe est une faute sanctionnable ;

que le fichier client interne géré de l’intérieur et non plus sur VIADEO, elle ne pouvait plus communiquer spontanément vers l’extérieur avec ses clients et prospects

que c’est pendant l’exécution du contrat de travail que Mme [Y] a piraté les fichiers informatique pour se faire embaucher par un concurrent

La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l’intention de nuire qui la caractérise.

La lettre de rupture du contrat de professionnalisation est ainsi motivée :

« Nous vous avons embauchée le 1er octobre 2013 dans le cadre d’un contrat de
professionnalisation en CDD, courant jusqu’au 30 juillet 2015, en qualité de Commerciale.

Vous avez été embauchée sur notre Agence de [Localité 5], où vous deviez avec votre Responsable local, Monsieur [W] [G], développer la clientèle régionale de l’entreprise.

C’est la raison pour laquelle, dès votre embauche et avec l’aide de la Directrice Commerciale, Madame [L] [F], vous avez ouvert un compte « VIADEO » pour y créer et poster vos contacts professionnels et améliorer votre prospection commerciale.

Or, force est de constater que celle-ci a été pertinente puisque notre bureau de [Localité 5] réalise un chiffre d’affaires conséquent et que vous percevez mensuellement des primes liées à cette activité.

Or, la situation – jusqu’ici parfaite — a totalement dérapé fin avril 2015, date à laquelle vous avez souhaité quitter l’entreprise de manière anticipée.

Vous vous en êtes donc d’abord ouverte auprès de votre Responsable, Monsieur [G], qui a transmis votre demande au Siège, à [Localité 10].

Vous avez été transparente, en ce sens que vous nous avez indiqué qu’à compter du mois de septembre 2015, vous iriez travailler en qualité de Responsable d’Agence chez notre concurrent la société « CADRES EN MISSION », pour y développer son activité dans le secteur du biomédical, bien implanté dans la région lyonnaise, entreprise présidée par :

Monsieur [A] [O], au siège social de [Localité 10],

Monsieur [M] [D], à [Localité 5], pour son agence locale.

Même si cette nouvelle ne nous agréait pas, comme vous n’aviez pas de clause de non-concurrence, il était logique que vous puissiez développer votre activité professionnelle.

Nous avons donc tout fait pour que ce départ se déroule dans les meilleures conditions.

A ce titre, nous avions même accepté à votre demande que vous quittiez l’entreprise avant le 30 juillet 2015, à l’issue des examens de votre contrat de de professionnalisation, pour vous permettre de vous repositionner.

Or et alors même que ce départ devait bien se passer, vous avez totalement changé la donne en piratant notre compte professionnel « VIADEO » le 3 mai 2015, compte qui contenait, à l’époque, près de 1 042 contacts quasi exclusivement professionnels (notamment des consultants inscrits dans notre entreprise avant octobre 2013, donc antérieurement à votre embauche), vu sa vocation, et vous nous en avez empêché l’accès, en changeant votre adresse mail d’accès ainsi que les codes d’accès.

A partir de ce moment, le lien de confiance a été rompu puisque vous aviez la volonté d’utiliser un outil professionnel à des fins privées, notamment en nous faisant une concurrence déloyale, au profit d’une entreprise concurrente.

De fil en aiguille, il a été impossible ensuite de communiquer avec vous et de vous faire changer d’avis.

Il s’avère qu’aujourd’hui ce compte fonctionne toujours, vous continuez à l’alimenter et étonnamment, vous ne faites plus état de votre appartenance à l’entreprise alors même que votre contrat de travail n’a pas pris fin. Vous nous faites donc de la concurrence déloyale.

De plus et après consultation approfondie de celui-ci, il s’avère aussi que vous y postiez des contacts personnels et n’ayant rien à voir avec votre activité professionnelle.

Mieux, vous n’avez pas repris vos fonctions le lundi 18 mai 2015, alors même que nous n’avions trouvé aucun terrain d’entente définitif pour rompre votre contrat de travail.

Vous nous avez donc mis dans une situation extrêmement délicate, où vous avez abusé de notre confiance et avez piraté nos fichiers « clients » pour les utiliser à des fins privées et accessoirement auprès d’un tiers, qui n’est autre que notre concurrent direct et principal (la société « CADRES EN MISSIONS »), sur le marché du portage salarial, au sein duquel notre entreprise évolue.

Il suffit de consulter leur site internet pour se rendre compte que le marché lyonnais constitue, pour eux, un de leur plus gros vecteur de développement.

Votre démarche de départ volontaire a aussi été accentuée par le fait que vous avez remis spontanément l’ensemble de vos outils professionnels (mobile, pc, clés, etc’) à votre responsable, Monsieur [G].

Vous comprendrez bien qu’une telle attitude est inadmissible et matérialise une volonté de nuire évidente aux intérêts de notre entreprise.

C’est donc la raison pour laquelle nous avons voulu avoir une clarification de vos intentions et vous avons convoquée officiellement le 19 mai 2015 à un entretien préalable en vue de la rupture anticipée de votre CDD, le 26 mai 2015.

Si vous avez retiré le recommandé de votre lettre de convocation le 20 mai 2015, vous ne vous êtes pas pour autant présentée à l’entretien.

Nous n’avons donc plus aucune nouvelle de vous depuis cette date, étant entendu que, sur notre compte « VIADEO », vous avez exclu de vos contacts, votre Directrice Commerciale, qui n’est autre que votre responsable hiérarchique directe et votre Responsable, Monsieur [G].

Nous comprenons difficilement toutes ces démarches.

Nous avons, de plus, constaté que vous aviez supprimé un certain nombre de contacts de notre compte « VIADEO ».

Face à une telle attitude inadmissible, nous avons décidé de vous notifier la rupture anticipée de votre contrat de professionnalisation à durée déterminée pour faute lourde, vos procédés et actions matérialisant, sans conteste, par votre déloyauté absolue, votre intention de nuire à l’entreprise.

Nous nous réservons d’ailleurs la possibilité de porter plainte, au plan pénal, à votre encontre, auprès du procureur de la république de [Localité 6], pour abus de confiance, au sens de l’article 314-1 du Code Pénal, pour détournement de fichiers de clientèle appartenant à l’entreprise.

Nous vous sommons donc, à réception de la présente, de nous retourner l’ensemble des contacts clients et de cesser voire concurrence déloyale à l’encontre de l’entreprise.

En conséquence de ce qui précède, votre contrat de travail prendra donc fin immédiatement à réception de la présente.

Nous vous rappelons synthétiquement le motif de la rupture de votre contrat de travail

Violation des règles les plus élémentaires de loyauté à l’encontre de votre employeur,

Absence à votre poste de travail,

Restitution de tous vos effets professionnels aux fins de votre départ de l’entreprise,

Volonté non dissimulée et assumée d’exercer une concurrence déloyale à l’encontre de l’entreprise pendant la relation de travail et a posteriori,

Détournement et appropriation de fichiers appartenant à l’entreprise, en vue de votre propre prospection commerciale.

Fort de ces éléments, nous tiendrons tous vos documents de fin de contrat à notre disposition à notre agence de [Localité 10].

D’ici là, nous attendons la restitution de l’ensemble de nos fichiers clients figurant sur notre compte professionnel VIADEO, à défaut de quoi, nous nous réserverons la possibilité de toute action judiciaire à votre encontre, nous permettant de sauvegarder notre intégrité commerciale.

Nous tiendrons bien évidement informés de cette situation :

Notre OPCA

Votre organisme de formation (le CIEFA)

l’Unité territoriale de Loire-Atlantique de la DIRECCTE des Pays de Loire .

Nous espérons donc que les fichiers ne sont pas perdus ou détruits et qu’ils n’iront pas entre des mains tierces, nous pénalisant.

Nous comptons donc beaucoup, malgré la rupture de votre contrat de travail, sur votre intégrité et loyauté.

Il est toutefois regrettable d’avoir dû en arriver là, suite à l’absence totale de tout dialogue de votre part et à votre entêtement.

Nous solliciterons enfin de l’opérateur « VIADEO » le détail de toutes les opérations sur notre compte, démontrant bien son caractère exclusivement professionnel, comme le démontre l’abonnement dont vous avez bénéficié, souscrit et payé par nous, lors de la création de ce compte et ses visées exclusivement professionnelles.

Nous sommes donc désolés de cette situation que vous avez entièrement créée et soyez assurée que nous ferons tout pour sauvegarder nos intérêts. »

1/ Le piratage du compte VIADEO

La société [S] emploie le terme « notre compte VIADEO » mais il est constant qu’elle reproche à Mme [Y] le piratage du compte VIADEO auquel la salariée avait accès avec une adresse nominative.

La société [S] verse aux débats

la facture VIADEO, en date du 21 mars 2013, de l’abonnement PREMIUM 3 mois (montant à payer 38,70 €) pris pour « [X] [Y] [S], [Adresse 1] » ;

des captures d’écran du profil VIADEO de Mme [Y] :

l’une du 17 juin 2015 : Mme [Y] s’y présente comme déléguée régionale Rhône Alpes « Cadres en Mission » ,

une autre non datée, mais sur laquelle elle se présente comme commerciale chez [S]

d’autres, en date des 6 mai 2015, 7 mai 2015, 11 mai 2015, 18 mai 2015, 19 mai 2015 et 27 mai 2015 : jusqu’au 6 mai 2015 ; Mme [Y] apparaît au-dessus de la mention « [S] Conseil et Formation» et, à partir du 7 mai au-dessus de la mention « poste précédent : [S] » ;

l’impression de la liste de tous les contacts de Mme [Y] (pièce n° 24-3)

en pièce 24, 24-1 et 24-2, des tableaux de « tous les contacts » VIADEO, par ordre chronologique, alphabétique, et par chiffre d’affaire

une capture d’écran d’un échec de connexion au compte VIADEO avec l’adresse [Courriel 9] au motif que « l’email indiqué n’est associé à aucun compte actif » : le document n’a pas date certaine mais il a été mentionné à la main le 7 mai 2015.

Ces pièces établissent que Mme [Y] a mentionné sur son compte VIADEO qu’elle ne faisait plus partie de l’entreprise [S].

Ils n’établissent pas que la salariée a changé l’identifiant mais seulement que l’identifiant « [Courriel 9] » n’est associé à aucun compte actif, la SARL [S] ne démontrant pas que le compte VIADEO aurait été créé avec cet identifiant.

Mme [Y] verse aux débats les conditions d’utilisation de VIADEO, à jour au 17 juin 2015, entre « la société APVO et les utilisateurs du site Web référencé sous le nom de domaine viadeo.com tels qu’identifiés par eux-mêmes lors de la création de leur compte sur le site, ci-après désignés individuellement ou collectivement le Membre ou les Membres ».

Il est notamment stipulé que « l’identifiant et le mot de passe choisis par le membre lors de l’inscription permettent d’accéder au service. Ces données sont confidentielles. Le membre est seul responsable de tout usage qui pourrait être fait de ses identifiants et mot de passe, et seul garant de leur confidentialité, ainsi que de toute utilisation de son compte. ».

Mme [Y] était donc membre au sens des conditions générales VIADEO et responsable de l’utilisation de son compte VIADEO.

Le grief de « piratage de notre compte VIADEO » n’est pas établi.

2/ L’absence à son poste de travail et la restitution des effets professionnels

La société [S] verse aux débats le planning du mois de mai 2015 de Mme [Y].

Il apparaît sur ce document :

que Mme [Y] passait des examens du 11 au 13 mai inclus, était en congé le 15 mai 2015 ( le jeudi 14 mai étant férié) et avait de nouveau des examens le mercredi 20 mai et le vendredi 22 mai 2015 ;

la mention « entreprise » du 4 au 6 mai inclus, puis les 18, 19 , 21 mai 2015 et du 26 mai au 29 mai 2015.

Le 30 avril 2015, Mme [Y] avait posé des congés pour le 4 mai et le 7 mai 2015, congés qui lui avaient été accordés.

Précédemment, le 16 mars 2015, elle avait posé 14 jours de congés du 29/06/2015 au 17/07/2015.

Mme [Y] verse aux débats deux mails envoyés le 11 mai 2015 par M. [W] [G] :

l’un en utilisant l’adresse « [Courriel 9] » adressé à [Courriel 8] en ces termes « je suis [W] [G], le collègue de [X] , qui reprend dès à présent le gestion de votre activité, je vous confirme qu’au titre du mois de mai nous facturons 4 jours de prestation à votre client SAS Lizeo On Line Media Group »

l’autre, en utilisant son adresse mail, adressé à [K] [V], ayant pour objet « changement de gestionnaire » Bonjour Mme [V], Comme vous le savez, [X] quitte le Groupe [S]/Umanin, pour de nouvelles aventures. Je serai désormais la personne en charge de la gestion de votre dossier, ce qui ne change en rien les méthodes de communication précédemment établies. »

Il s’en déduit que la société [S] savait, le 11 mai 2015, que Mme [Y] avait quitté l’entreprise puisqu’elle en avisait sa clientèle.

Mme [Y] avait remis l’ensemble de ses outils professionnels à M. [G], ce qui ressort de la lettre de rupture, de sorte que la SARL [S] ne pouvait s’attendre à ce qu’elle se présente sur le lieu de travail le 18 mai 2015 et lui faire reproche de son absence.

Le grief n’est pas établi.

3/ La concurrence déloyale et l’appropriation de fichiers appartenant à l’entreprise

La SARL [S] ne justifie pas de ne plus avoir eu accès aux contacts de Mme [Y] après le départ de celle-ci de l’entreprise.

Il est établi que le 11 mai 2015, il lui était possible d’envoyer des mails pour aviser ses clients que les dossiers suivis par [X] [Y] étaient repris par [W] [G].

L’appropriation de fichiers appartenant à l’entreprise n’est pas démontrée ; il ressort au contraire de l’ordonnance de non-lieu que lorsqu’il a été entendu par les services enquêteurs, M. [G] a déclaré qu’il existait un fichier de clients autonome propre à la SARL [S] FORMATION mais que celui-ci ne reprenait pas toutes les indications figurant dans les comptes VIADEO.

La SARL [S] verse aux débats :

une attestation de la société EXCO relative au chiffre d’affaire du Groupe AGOSTINO ( sociétés [S] CONSEIL, AGOSTINO, [S] Formation, Agostino Formation et Umanin) sur l’agence de [Localité 6] dont il ressort que ce chiffre annuel a connu une diminution constante à partir de 2015 et jusqu’à 2019 inclus ;

de nombreux graphiques sur l’évaluation du chiffre d’affaire de l’agence lyonnaise, sur lesquels elle a fait apparaître une chute du chiffre d’affaire au mois de mai 2015, étant observé que l’évolution antérieure et postérieure est en dent de scie ;

Aucun lien n’est démontré entre la chute du chiffre d’affaire et le départ de la salariée.

Les graphiques versés aux débats par la SARL [S], et qui ne sont pas corroborés par une attestation de l’expert-comptable quant au chiffre d’affaire mensuel, font coïncider les deux événements.

Cette seule concomitance est insuffisante à établir un lien de causalité.

Surtout, le détournement de fichier n’est nullement démontré.

Aucun acte de concurrence déloyale contemporain à la lettre de rupture n’est établi.

Mme [Y] a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec la société « MANAGERS EN MISSION » le 17 avril 2015, pour exercer les fonctions de « Chargé de développement », à compter du 11 juin 2015. A la date de la lettre de rupture, elle n’avait donc pas débuté d’activité salariée pour une autre société.

Aucun des griefs n’est établi, de sorte que la rupture anticipée du contrat de travail par l’employeur est abusive.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il dit que la rupture du contrat de travail résulte d’un accord tacite entre les parties.

Sur l’indemnisation de Mme [Y]

La salariée fait valoir que la moyenne des trois derniers mois de salaire ressort à 1200,75 euros brut ; que la rupture avant son échéance du contrat de travail à durée déterminée pour faute lourde lui a causé un préjudice en ce que l’institut de formation en a été informé ; que le salaire jusqu’à l’échéance du contrat s’élève à la somme de 2241,40 €.

Elle estime qu’il lui est dû la somme de 292,16 € au titre des congés payés car elle aurait acquis 4,166 jours de congés si elle était restée dans l’entreprise jusqu’au terme du contrat.

Elle souligne que les circonstances de la rupture sont vexatoires, qu’elle a été humiliée et peinée de la façon dont elle a été traitée

La SARL [S] réplique qu’il n’y a pas de préavis en cas de rupture de contrat à durée déterminée et affirme que Mme [Y] n’a jamais demandé à quitte l’entreprise spontanément et n’a jamais fait état d’un contrat à durée indéterminée.

Elle s’oppose à la demande de dommages-intérêts en soulignant que le salaire de Mme [Y] était de 1 050,92 € par mois, que celle-ci a trouvé un travail à compter du 11 juin 2015 et a demandé, dans son courrier du 5 juin 2015, que son contrat de travail soit rompu à la date du 15 mai.

Elle fait valoir que Mme [Y] n’ayant pas travaillé postérieurement au 30 mai 2015, elle n’a pas acquis de congés payés sur la période 2015/2016.

Enfin, elle soutient que Mme [Y] ne démontre pas le préjudice subi en raison de la rupture anticipée du contrat de travail.

***

Aux termes de l’article L1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8.

La moyenne des trois derniers mois de salaire (mars avril mai 2015), ressort à 1 200,75 €, comme calculé par Mme [Y].

Le montant des salaires jusqu’à l’issue du contrat de travail à durée déterminée s’élève à la somme de 2241,40 €. Le jugement sera réformé et la SARL [S] FORMATION condamnée à payer à Mme [X] [Y] la somme de 2241,40 € à titre de dommages-intérêts.

Le contrat de travail à durée indéterminée ayant été rompu par anticipation, la salariée n’a pas droit à l’indemnité de préavis.

Aux termes de l’article L1242-16 du code du travail le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée déterminée a droit à une indemnité compensatrice de congés payés au titre du travail effectivement accompli durant ce contrat, quelle qu’ait été sa durée, dès lors que le régime des congés applicable dans l’entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement.

Le montant de l’indemnité, calculé en fonction de cette durée, ne peut être inférieur au dixième de la rémunération totale brute perçue par le salarié pendant la durée de son contrat.

L’indemnité est versée à la fin du contrat, sauf si le contrat à durée déterminée se poursuit par un contrat de travail à durée indéterminée.

Il ressort du solde de tout compte et de la fiche de paie des mois de mai et juin 2015 que le solde de congés payés égal à 5,16 jours a été payé à Mme [Y].

Sa demande en paiement de ce chef sera rejetée.

Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l’ont accompagné, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral, sur le fondement de la responsabilité civile prévue aux articles 1382 et suivants du code civil dans leur version applicable à l’espèce.

Les griefs faits à Mme [Y] dans la lettre de rupture anticipée mettent en cause son honnêteté et sa loyauté. De plus, le 8 juin 2015, la SARL [S] FORMATION a adressé copie de cette lettre à la DIRECCTE, à l’organisme OPCALIA et à l’organisme de formation CIEFA.

Il est justifié de condamner la SARL [S] FORMATION à payer à Mme [Y] la somme de 1 500 € à titre de dommages-intérêts à raison des circonstances de la rupture.

Sur la demande reconventionnelle de la SARL [S] FORMATION

La SARL [S] fait valoir que Mme [Y], en suite de la faute lourde qu’elle lui reproche, a prospecté les autres clients de l’entreprise, tel que Monsieur [R], qui ne figurait pas dans son compte VIADEO et qui était un client géré par Monsieur [G] ; qu’en agissant ainsi, elle a contribué à la chute du chiffre d’affaire et du nombre de clients de l’agence.

Mme [Y] objecte que son contrat de travail ne contenait aucune clause de non concurrence et qu’aucun détournement de fichiers ou de clients n’est établi.

***

La SARL [S] verse aux débats, outre de nombreux graphiques retraçant l’évolution de son chiffre d’affaire :

un mail en date du 5 janvier 2016 de [N] [R] (salarié porté) envoyé sur l’adresse [Courriel 9] « Chère [X], Bonjour, Je vous souhaite une bonne année 2016. Notre rendez-vous de demain matin 10H30 tient toujours ‘ » ;

Un seul mail, plus de six mois après le départ de la salariée, d’un salarié porté qui a rendez-vous avec Mme [Y], n’établit pas le détournement de clientèle ni la concurrence déloyale postérieure à la rupture du contrat de travail.

Le jugement, qui a rejeté la demande reconventionnelle doit être confirmé.

Sur les autres demandes

La SARL [S] FORMATION, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Il est équitable de condamner la SARL [S] FORMATION à payer à Mme [Y] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition, contradictoirement :

Confirme le jugement en ce qu’il a débouté la SARL [S] FORMATION de l’ensemble de ses demandes, en ce qu’il a débouté Mme [Y] de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité compensatrice de congés payés et en ce qu’il a partagé par moitié la charge des dépens entre les parties ;

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SARL [S] FORMATION à payer à Mme [X] [Y] :

la somme de 2 241,40 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat à durée à déterminée

la somme de 1 500 € à titre de dommages-intérêts pour rupture vexatoire

Condamne la SARL [S] aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne la SARL [S] FORMATION à payer à Mme [X] [Y] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel.

Le Greffier La Présidente


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