Droit des Oeuvres d’Art : 23 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18439

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Droit des Oeuvres d’Art : 23 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18439
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23 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/18439

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRET DU 23 JANVIER 2024

(n° , 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/18439 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CC2FD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 19/03964

APPELANT

Monsieur [E] [I]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Jean-rené HEGOBURU de la SCP HEGOBURU, avocat au barreau de PARIS, toque : B0993

INTIMES

Monsieur [Z] [G]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075 et par Me Jean-Louis BIGOT, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [W] [H]

Galerie [W] [H]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029 et par Me Ruth GABBAY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 23 janvier 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Selon facture du 15 novembre 1996, M. [E] [I] a acquis au prix de 195 000 dollars un bronze de 37,5 cm d'[U] [Y] intitulé ‘Le Penseur’ auprès de la société Galerie [X]-[P], galerie d’art, dont M. [Z] [G] est le directeur délégué. Il lui a été remis un certificat [Y] n°056, établi le 28 mars 1996 par M. [Z] [H], expert agréé par l’Union française des experts en ces termes ‘déclare avoir examiné le bronze reproduit au recto de cette photo, titre : ‘ Le Penseur’ d'[U] [Y], (1840-1917) hauteur 37,5 cm, signé sur la base : [F] [Y], signature du fondeur : [R] [T], fondeur Paris. Certifie qu’il s’agit d’une épreuve ancienne Circa 1900. Très belle patine brune nuancée à fond vert. A l’intérieur, au fond de la base, une masse de plomb a été coulée pour équilibrer le poids, ce qui fut réalisé lors des premiers tirages, par la suite la base a été élargie de manière à ce que la sculpture ne tombe pas vers l’avant’.

M. [I] a présenté le bronze au Comité [Y] aux fins de l’inclure au sein du ‘catalogue critique de l’oeuvre sculpté d'[U] [Y]’, lequel lui a opposé son refus le 12 septembre 2012 en lui précisant que cette oeuvre était ‘une contrefaçon réalisée en dehors du contrôle de l’artiste et de son ayant droit, le Musée [Y]’.

C’est dans ces circonstances que M. [I], estimant que M. [G] et M. [H] l’avait induit en erreur afin de lui faire acheter une oeuvre qui s’est avérée être une contrefaçon d’un bronze de [Y], les a assignés devant le tribunal de grande instance de Paris par acte du 13 octobre 2015, au visa des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, en paiement de la contre-valeur du bronze et de dommages et intérêts.

Par ordonnance du juge de la mise en état en date du 16 mars 2017, M. [B] [C] a été désigné en qualité d’expert. Ce dernier a déposé son rapport le 20 mars 2018 aux termes duquel il conclut à un surmoulage issu d’un bronze authentique et ‘déclare fermement que cet exemplaire du Penseur petit modèle est une contrefaçon de très mauvaise qualité’.

Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

– déclaré recevable l’action engagée par M. [I] à l’encontre de M. [H],

– débouté M. [I] de l’ensemble de ses demandes,

– dit sans objet l’appel en garantie formé par M. [G] à l’encontre de M. [H],

– débouté M. [G] de sa demande de dommages et intérêts,

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté toute autre demande,

– condamné M. [I] aux dépens.

Par déclaration du 16 décembre 2020, M. [I] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 16 octobre 2023, M. [E] [I] demande à la cour de :

– le recevoir en son appel et l’y dire bien fondé,

– infirmer, voire annuler quand il n’a pas été statué en première instance, le jugement en ce qu’il :

– l’a débouté de sa demande que soit homologué le rapport d’expertise de M. [C] du 20 mars 2018,

– l’a débouté de sa demande que M. [G] et M. [H] soient condamnés conjointement et solidairement à lui payer :

– à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel la somme de 271 984 euros avec intérêts de droit à compter du 23 juillet 2015,

– à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant de la perte de la chance d’avoir aujourd’hui une oeuvre dont la valeur serait considérablement appréciée, la somme de 5 200 000 euros sauf à parfaire, augmentée des intérêts légaux à compter de l’acquisition de l’oeuvre,

– à titre de remboursement des frais d’expertise, la somme de 3 047 euros,

– au titre de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 20 000 euros,

– l’a débouté de sa demande que M. [G] et M. [H] soient déboutés de l’ensemble de leurs demandes,

– l’a débouté de sa demande que M. [G] et M. [H] soient condamnés aux dépens in solidum,

statuant à nouveau,

– homologuer le rapport d’expertise de M. [C] du 20 mars 2018,

– condamner conjointement et solidairement M. [G] et M. [H] à lui payer:

– à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel, la somme, sauf à parfaire, de 271 984 euros, avec intérêts de droit à compter du 23 juillet 2015,

– à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant de la perte de la chance d’avoir aujourd’hui une oeuvre dont la valeur serait considérablement appréciée, la somme de 5 200 000 euros, sauf à parfaire, augmentée des intérêts légaux courant à compter de l’acquisition de l’oeuvre, ladite somme étant, à titre subsidiaire, ramenée à 2 225 150 euros,

– à titre de remboursement des frais d’expertise, la somme de 3 047 euros,

– au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 20 000 euros,

– condamner in solidum M. [G] et M. [H] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 16 octobre 2023, M. [Z] [G] demande à la cour de :

– déclarer irrecevable et mal fondé M. [I] en son appel et en ses demandes ‘conjointes et solidaires’ à son encontre,

par conséquent,

– confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions, hors le rejet de la demande de dommages et intérêts faite à l’encontre de M. [I],

– condamner M. [I] à lui verser la somme de 30 000 euros pour le préjudice moral subi à titre de dommages et intérêts, sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil,

– débouter M. [I] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire et pour le cas où par impossible la cour le condamnerait,

– condamner M. [H] à le garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre et au bénéfice de M. [I],

en tout état de cause,

– condamner M. [I] ou, à défaut, M. [H] à lui payer la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [I] ou, à défaut, M. [H] aux dépens dont distraction au profit de la Selarl JRF & associés, par maître Fertier, avocat, dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 6 novembre 2023, M. [W] [H] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable l’action engagée par M. [I] à son encontre,

statuant à nouveau,

– constater que la prescription est acquise,

par conséquent,

– juger que M. [I] est irrecevable en ses demandes,

à titre subsidiaire,

– juger qu’il n’a commis aucune faute et que sa responsabilité ne saurait dès lors être engagée,

par conséquent,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [I] de l’ensemble de ses demandes et dit sans objet l’appel en garantie formé par M. [G] à son encontre,

à titre très subsidiaire, si la cour par extraordinaire venait à infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que sa négligence de nature à engager sa responsabilité n’est pas établie,

– constater que l’évaluation de l’indemnité au titre du préjudice matériel et de la perte de chance n’est pas justifiée,

en conséquence,

– débouter M. [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

sur l’appel en garantie de M. [G],

– débouter M. [G] de l’ensemble de ses demandes envers lui,

en tout état de cause,

– débouter M. [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– condamner M. [I] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [I] aux entiers dépens y incluant les frais d’expertise judiciaire.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 7 novembre 2023.

La cour a mis dans les débats l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 2005 ayant jugé que la restitution du prix d’une vente annulée n’avait pas de caractère indemnitaire et a invité les parties à former leurs observations par notes en délibérés. Les parties ont chacune déposé une note en délibéré dans les délais impartis.

SUR CE,

Sur la prescription de l’action engagée à l’encontre de M. [H] :

Se fondant sur les dispositions de l’article 2224 du code civil, le tribunal a jugé non prescrite l’action engagée le 13 octobre 2023 par M. [I] à l’encontre de M. [H] aux motifs qu’il a acquis le bronze litigieux en 1996 mais n’a eu connaissance d’un doute sur son authenticité que le 12 septembre 2012, lorsque le comité [Y] lui a fait savoir que l’oeuvre était une contrefaçon réalisée en dehors du contrôle de l’artiste et de son ayant droit.

M. [H] soulève la prescription de l’action engagée 19 ans après l’acquisition de l’oeuvre, M [I] ne pouvant invoquer une expertise tardive faite à son gré 16 ans après cette acquisition et dont il n’a informé le vendeur du résultat que huit mois plus tard.

M. [I] sollicite la confirmation du jugement de ce chef.

Selon l’article 2224 du code civil, ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.

L’action en responsabilité délictuelle exercée à l’encontre de M. [H] est fondée sur l’acquisition par erreur d’un bronze présenté comme authentique et qui s’est révélé être contrefait, causée par les fautes de M. [H] et de M. [G].

Le dommage tiré du défaut d’authenticité de l’oeuvre litigieuse n’ayant pu être révélé à M. [I] antérieurement à l’avis du Comité [Y] du 12 septembre 2012 ayant qualifié cette oeuvre de contrefaçon, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l’action en responsabilité délictuelle engagée contre M. [H] le 13 octobre 2015 n’était pas prescrite.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur l’authenticité de l’oeuvre litigieuse :

M. [I] s’estime bien-fondé en sa demande d’homologation du rapport d’expertise judiciaire de M. [C] ayant conclu au défaut d’authenticité du bronze, sur laquelle les premiers juges ont omis de statuer, en ce que ledit rapport n’a pas été contesté par les voies de droit existantes et qu’il n’a été sollicité aucune contre-expertise. Il considère en conséquence que M. [H] ne saurait refaire l’expertise judiciaire devant la cour qui n’a pas pour rôle d’apprécier le caractère contrefait d’une oeuvre d’art et que l’expertise de M. [C] s’impose aux parties.

M. [H] conteste l’avis rendu par le Comité [U] [Y], dont le statut juridique et les liens qu’il entretient avec la galerie Brame & Lorenceau qui occupe la même adresse sont inconnus et aux motifs qu’il n’est pas établi que le bronze examiné par celui-ci est le même que celui expertisé par M. [H] et examiné par M. [N] ni dans quelles circonstances (auteurs et procédés) les opérations ont été menées, étant en outre souligné qu’un tel avis ne constitue pas un certificat d’authenticité.

Rappelant que le juge n’est pas lié par les constatations ou conclusions de l’expert judiciaire, il conteste le caractère probant du rapport d’expertise de M. [C], en particulier en ce que :

– le bronze litigieux n’a été comparé qu’avec un plâtre du ‘Penseur’ alors qu’il en existe plusieurs et une contrefaçon de [K] [M], mais avec aucune oeuvre authentique,

– l’expert a retenu que le bronze litigieux constituait un surmoulage, ce qui signifie la réalisation d’un moule sur un bronze authentique, alors qu’il ne répond à aucune des caractéristiques d’un surmoulage,

– il ne peut être déduit de la prise de mesures que le bronze litigieux serait un faux alors que:

– les mesures prises par l’expert ne sont pas probantes dans la mesure où, d’une part, pour un même modèle, que ce soit le plâtre ou le bronze litigieux, elles sont différentes entre la première expertise réalisée au musée [Y] et la seconde, en sorte que le pourcentage de rétractation calculé par l’expert ne peut être que différent et, d’autre part, le bronze est forcément de taille plus petite que le plâtre,

– les dimensions de la contrefaçon de [K] [M] ne correspondent pas non plus à celles du bronze litigieux,

– les formes du bronze litigieux appréciées uniquement au vu de photographies ne sont pas amollies -c’est à dire que les détails de l’oeuvre sont moins marqués- contrairement à ce qu’a retenu l’expert, et les photographies d’un Penseur authentique présentent des similitudes avec les détails du bronze litigieux, lesquels sont nettement plus marqués que ceux de la contrefaçon réalisée par [K] [M],

– le bronze litigieux présente une qualité de patine supérieure, avec en transparence des teintes vertes et jaunes,

– il s’en déduit que le bronze litigieux n’est ni un surmoulage, ni une contrefaçon de [K] [M],

– l’expert n’a pu s’appuyer pertinemment sur la signature de [Y] pour en déduire que l’oeuvre n’était pas authentique alors qu’il n’existe aucune signature officielle de l’artiste, qui varie selon les oeuvres en ce qu’elle comporte les stigmates du ciseleur, qu’en outre la signature figurant sur le bronze litigieux est différente de celle apposée sur la contrefaçon réalisée par [K] [M].

M. [G] conteste également la pertinence des conclusions d’inauthenticité du bronze alors que :

– l’avis du Comité [U] [Y] ne constitue pas un certificat d’authenticité et le refus d’insérer une oeuvre dans un catalogue raisonné n’a pas pour effet de rendre cette oeuvre inauthentique,

– le musée [Y] au sein duquel a été réalisée l’expertise judiciaire ne possède aucune oeuvre du ‘Penseur’ de taille identique au bronze litigieux, qui présente une qualité incontestable par rapport à celui de [K] [M],

– les opérations d’expertise judiciaire n’ont pas été scientifiques mais aléatoires, l’expert ayant pris des mesures avec un mètre de couturière sans noter sur le bronze le point précis de la mesure prise, en sorte que lors d’une autre intervention les données ont été différentes, et ayant estimé que la signature [Y] figurant sur le bronze ne correspondait pas à la signature officielle déterminée par le musée [Y], alors qu’il n’en existe aucune.

M. [I] recherchant la responsabilité délictuelle de MM. [G] et [H] pour l’avoir conduit, par leurs fautes respectives, à conclure par erreur la vente d’une oeuvre s’étant révélée non authentique, doit rapporter la preuve que l’authenticité du bronze litigieux se heurte à des doutes réels et sérieux.

M. [E] [I] a acquis au prix de 195 000 dollars un bronze de 37,5 cm d'[U] [Y] intitulé ‘Le Penseur’ accompagné d’un certificat [Y] n°056, établi le 28 mars 1996 par M. [Z] [H], expert agréé par l’Union française des experts en ces termes ‘déclare avoir examiné le bronze reproduit au recto de cette photo, titre : ‘ Le Penseur’ d'[U] [Y], (1840-1917) hauteur 37,5 cm, signé sur la base : [F] [Y], signature du fondeur : [R] [T], fondeur Paris. Certifie qu’il s’agit d’une épreuve ancienne Circa 1900. très belle patine brune nuancée à fond vert. A l’intérieur, au fond de la base, une masse de plomb a été coulée pour équilibrer le poids, ce qui fut réalisé lors des premiers tirages, par la suite la base a été élargie de manière à ce que la sculpture ne tombe pas vers l’avant’.

Ainsi que le font valoir les intimés, le courrier du Comité [U] [Y] du 12 septembre 2012 refusant, en l’état actuel de ses connaissances, de référencer le bronze litigieux dans le ‘catalogue critique de l’oeuvre sculpté d'[U] [Y]’ ne constitue qu’un avis, qui se différencie d’un certificat d’authenticité ou de non-authenticité, ce quand bien même ce Comité estime que ‘cette oeuvre est une contrefaçon réalisée en dehors du contrôle de son artiste et de son ayant-droit, le musée [Y]’ aux motifs que ‘les détails, signature et reliefs en général sont amollis par rapport aux fontes originales. La marque de fondeur et la signature correspondant à une fonte caractéristique des contrefaçons exécutées dans les années 1970-1980″.

Dans son rapport d’expertise judiciaire réalisée au contradictoire des parties, M. [C] rappelle tout d’abord l’historique de la famille [T] et des fontes d’oeuvres d'[U] [Y]. Il précise que le ‘Penseur’ exposé isolément dès 1888, subit une réduction de moitié en 1903, soit une version de 37,5 centimètres. A la mort en 1897 d'[R] [T], fondeur au sable de pièces de petite taille en bronze notamment, sa fonderie est reprise par sa veuve et considérablement développée par son fils [V] qui devient sous la signature ‘[R] [T] fondeur Paris’ le fondeur principal sinon exclusif du musée [Y], ayant droit d'[U] [Y] décédé en 1917. A la suite du décès d'[V] [T] en 1952, le musée [Y] confie la fonte à son cousin [A] [T] en le poussant à conserver les ouvriers et les machines d'[V] [T], les fontes réalisées sur plâtres étant désormais marquées ‘[A] [T] fondeur Copyright (c) by Musée [Y] (et date de fonte)’. A une époque que le musée [Y] estime antérieure à 1965, [A] [T] réalise des fontes illégales sur plâtres en usurpant la marque de son cousin ‘[R] [T] fondeur Paris’. Vers 1975, le musée [Y], alerté d’une éventuelle activité suspecte de [A] [T], met fin à leur partenariat. Vers la fin des années 80, [A] [T] confie à [K] [M], faussaire, son stock de bronzes inachevés et de plâtres, modèles de fonderie, lequel les reproduira en toute illégalité.

L’expert précise qu’entre le modelage en terre de [Y] et le bronze refroidi et patiné, diverses opérations doivent être très bien réalisées pour que le résultat final reste très proche du modèle initial en terre, et qu’en particulier le bronze doit couper les mains, c’est à dire qu’un angle vif dans la terre doit le rester dans le platre et dans le bronze, que les infimes détails qui rendent vivant et sensible un modelage en terre doivent se retrouver dans le bronze et que le fondeur doit respecter ‘la peau de bronze’, soit limiter ses interventions de ciselure (ou reparure ) au strict nécessaire c’est à dire à la reprise des jets de fonte et autres coutures.

Sur la qualité de la fonte, il relève que le bronze litigieux ne coupe pas les mains, est fort bien poli mais ne respecte pas la peau de bronze, ressemble à un modelage en cire sur lequel on aurait rapidement passé un coup de chalumeau et présente une molesse des volumes. Il procède à une comparaison :

– du détail du flan droit du siège du penseur du bronze litigieux avec ceux du plâtre original remis par le musée [Y], de l’exemplaire de la saisie [M] conservé par le musée [Y], de l’exemplaire de résine de la saisie [M], de la publicité de la boutique du musée [Y] ayant trait au Penseur petit modèle en résine, et de l’exemplaire authentique fondu par [V] [T] du vivant de [Y] et vendu à [Localité 7] par la société Sotheby’s le 14 novembre 2017,

– du détail du flan gauche du siège du penseur du bronze litigieux avec celui de l’exemplaire authentique fondu par [V] [T] du vivant de [Y] et vendu à [Localité 7] par la société Sotheby’s le 14 novembre 2017,

– du détail du profil gauche du penseur du bronze litigieux avec celui de l’exemplaire authentique fondu par [V] [T] du vivant de [Y] et vendu à [Localité 7] par la société Sotheby’s le 14 novembre 2017.

Il constate au terme de cette comparaison , en particulier celle de l’oeuvre litigieuse avec le bronze authentique daté d’avant la première guerre mondiale et vendu par la société Sotheby’s, qu’il existe une perte d’informations sur le bronze litigieux, les accidents et infimes détails du modelage en terre de [Y], qui se retrouvent dans le bronze authentique, ayant totalement disparu dans la molesse et le polissage ‘intempestif’ du bronze litigieux. Il en conclut, au regard de la qualité de la fonte, que le bronze litigieux vendu comme ayant été fondu avant la première guerre mondiale et donc sous le contrôle d'[V] [T], d’un talent rare et d’un caractère intransigeant, ne peut être sorti de la fonderie [R] [T] avant 1914.

Les critiques des intimés portant sur une comparaison des détails du bronze litigieux avec un seul exemplaire de plâtre remis par le musée [Y] alors qu’il en existerait plusieurs, avec une photographie de l’exemplaire authentique fondu par [V] [T] du vivant de [Y] et vendu à [Localité 7] par la société Sotheby’s le 14 novembre 2017 mais aucun original de l’oeuvre authentique Le Penseur de taille identique, ne sont pas pertinentes dans la mesure où un plâtre original constitue un élément de comparaison de référence et où il n’a été demandé aucun complément d’expertise aux fins de comparaison avec le second plâtre en possession du musée [Y]. L’expert précise par ailleurs que le musée [Y] ne possède pas d’exemplaire authentique du Penseur petit modèle et que les maisons de vente tenues au secret professionnel ne sont pas disposées à donner l’adresse des acheteurs de ces modèles.

En outre, les intimés n’apportent aux débats aucune pièce de nature à contredire les constatations de l’expert quant à la différence de qualité des détails de l’oeuvre litigieuse qui est suffisamment établie par les photographies des différentes oeuvres comparées par l’expert avec le bronze litigieux. A ce titre, le nouveau cliché de meilleure qualité du bronze litigieux et les seules photographies du bronze authentique exposé chez Bowman Sculpture sans comparaison des détails examinés par l’expert, dont se prévaut M. [H], sont inopérants.

La circonstance que les détails du bronze litigieux soient plus marqués que ceux du bronze contrefait [M] et de manière générale les différences relevées avec celui-ci, qui ne constitue pas une oeuvre de référence, sont impropres à établir l’authenticité du bronze litigieux.

S’agissant de la signature ‘[F] [Y]’, l’expert indique que les signatures des fontes établies sous la direction d'[V] [T] étaient d’une extrême variété (variété de style de ciselure et de forme de lettre, la barre verticale du R est souvent bien droite et ne dépasse pas la boucle) en fonction des ouvriers qui les ciselaient, alors qu’après son décès en 1952 et sous la direction de [A] [T], cette signature tend à se normaliser (en particulier la barre verticale du R dépasse la boucle), et se retrouve sous la même forme dans les fontes légales de [A] [T], sur le papier à lettres du musée [Y] et sur les fontes du faussaire [K] [M]. Il précise qu’en1956, période charnière durant laquelle le personnel d'[V] [T] cisellait encore, des oeuvres présentent cette signature normalisée (exemple ‘Faunesse à genoux’) sauf exception (exemple ‘La jeune mère’). Il déduit de la comparaison de la signature du bronze litigieux avec les différentes signatures légales ciselées sur les oeuvres après 1952, les bronzes illicites et les surmoulages de [K] [M] mais aussi avec la signature du musée [Y], que le bronze litigieux a été fondu après 1952 à une époque où les signatures étaient normalisées et où il n’était pas permis d’utiliser la marque ‘[R] [T]’. Il précise que grace à l’adoption de la signature normalisée après 1952, on sait assez facilement que lorsqu’un bronze présente à la fois cette signature et une marque ‘[R] [T]’, il s’agit soit d’un bronze illicite de [A] [T] fondu d’après un plâtre, soit d’un surmoulage de [K] [M]. Il en conclut que le bronze litigeux a été fondu après 1952 dans une autre fonderie que celle d'[V] [T].

Si aucune signature ‘[F] [Y]’ n’est totalement identique dans aucune des oeuvres authentiques ainsi que le font valoir les intimés, celles postérieures à 1952 présentent majoritairement des similitudes dans la lettre R ainsi que décrites par l’expert.

M. [H] qui a fait valoir à juste titre auprès de l’expert que la signature du bronze authentique ‘La jeune mère fonte de [A] [T] 1956″ ne présente pas la caractéristique de la signature normalisée mentionnée par l’expert, n’invoque ni ne démontre aucune similitude entre cette signature et celle de l’oeuvre litigieuse.

De même, quant à la similitude alléguée, en particulier s’agissant de la lettre R, entre la signature du bronze litigieux et celle figurant sur ‘L’homme qui marche fonte [R] [T] 1927″, l’expert a constaté après les avoir comparées que les deux signatures n’ont pas été ciselées dans le même esprit, que le trait ciselé (dans l’oeuvre authentique) est extrêmement fin et que le dépassement de la barre verticale du R (dans le bronze litigieux) est le seul élément correspondant à la signature normalisée. Il n’est produit aux débats aucun élément de nature à remettre en cause cette analyse.

S’agissant des mesures, l’expert indique avoir organisé deux réunions d’expertise aux fins de prise de mesures sur le plâtre original, en l’absence de bronze authentique, et le bronze litigieux. Il précise que si les mesures sont difficiles à prendre et peuvent varier d’une prise à l’autre selon l’emplacement du mètre ruban, les mesures les plus importantes sont les moins sujettes à caution, soit la hauteur, la circonférence de la base et la largeur de la tête au niveau des oreilles. Les mesures du modèle litigieux étant inférieures à celles du plâtre dans une proportion variant entre 2,5 à 3%, différence qu’il estime très cohérente, il en déduit que le bronze litigieux est un surmoulage fait à partir d’un exemplaire authentique.

Nonobstant les critiques émises par les intimés quant aux mesures prises, l’expert mentionne que les parties se sont accordées sur le résultat de celles-ci figurant dans le tableau reproduit dans son rapport -qui diffère de celui issu des premières mesures, reproduit dans le dire de M. [H] et reproduit dans ses écritures-, dont il résulte que les parties les plus importantes du bronze litigieux représentent la variation retenue par l’expert. Il précise que dans l’ensemble, les mesures prises devant les parties montrent une rétractation trop forte pour que le bronze litigieux soit issu directement du plâtre et que seul un écart inférieur à 1,8% est de nature à exclure un surmoulage tandis qu’un écart supérieur à 2,4% établit qu’il s’agit d’un surmoulage.

En outre, même les premières mesures reprises dans le tableau reproduit par M. [H] établissent une rétractation supérieure à 2,4% s’agissant des parties les plus importantes du bronze litigieux.

Quant à la patine intérieure de celui-ci, l’expert relève qu’elle est ‘trop voulue et opaque pour être honnête’ et similaire à la patine noire et opaque sur ‘Un homme au nez cassé’ qui constitue un faux acheté à [A] [T] fondu à partir d’un plâtre, alors que la patine intérieure des bronzes d'[V] [T] est beaucoup plus légère, transparente et parfaitement intégrée au métal.

L’expert relève également que le bronze litigieux ne présente pas le cachet intérieur [F] [Y] qu’utilisait [V] [O] à compter de 1904 pour garantir l’authenticité des oeuvres, mais n’en tire aucune conséquence, ce cachet ayant été ultérieurement utilisé par [A] [O] à l’intérieur de bronzes illégaux.

Enfin, il note que le certificat [A] [T] correspondant à un ‘Penseur 37,5 centimètres’ vise la photographie qui lui est attachée, mais est fourni sans cliché et qu’aucun certificat signé par [A] [T] correspond à un bronze authentique, tous les certificats signés par lui étant frauduleux. Il considère que ce seul certificat établit une contrefaçon, ce d’autant plus qu’il date du 27 septembre 1993 alors qu’en 1988, la fonderie n’emploie plus aucun ouvrier, [A] [T] est en difficultés financières et en relation avec [K] [M], lequel a été emprisonné en 1992.

Les intimés n’émettent aucune critique sur ces trois derniers points.

Les opérations d’expertise s’étant déroulées au contradictoire des parties et les conclusions d’expertise n’étant pas utilement discutées par les intimés, le rapport d’expertise, dont la validité n’est pas remise en cause, constitue un élément de preuve suffisant, sans qu’il y ait lieu à l’homologuer, pour établir que l’authenticité du bronze litigieux se heurte à des doutes réels et sérieux.

Sur la responsabilité de M. [G] :

Le tribunal a jugé que M. [I] ne rapportait la preuve ni d’une manoeuvre ni d’une faute de M. [G] détachable de ses fonctions au sein de la société Galerie [X]-[P] et de nature à engager sa responsabilité personnelle envers lui en ce que :

– la société Galerie [X]-[P] était constituée sous la forme anonyme, [J] [X], décédé en 2007, étant président puis président directeur général disposant des pleins pouvoirs et sa veuve étant nommée en cette qualité et [Z] [G] ayant la qualité de directeur général puis celle de directeur général délégué,

– l’estimation de la valeur de la statue est établie sur le papier en-tête de la société Galerie [X]-[P] et est signée par [J] [X] seul,

– si la pièce relative à la provenance et à la bibliographie de la statue litigieuse mentionne le nom de M. [G], figurent au dessus de ce nom deux petits traits pouvant correspondre aux deux barres du p de [J] [X], et cette seule pièce ne suffit pas à établir que M. [G] s’est engagé personnellement vis à vis de l’acquéreur.

M. [I] soutient que M. [G] a commis une faute intentionnelle détachable de ses fonctions de dirigeant social engageant sa responsabilité personnelle, en ce que :

– il lui a sciemment présenté comme authentique une oeuvre contrefaite en prétendant à son caractère exceptionnel et en évoquant, pour le convaincre, qu’elle provenait de la collection privée de la famille [S] qui l’aurait acquise avant la première guerre mondiale du vivant du sculpteur, information cruciale dans le contexte de la vente d’oeuvre d’art permettant des recherches approfondies et qu’il savait être déterminante dans la prise de décision d’achat,

– malgré l’évidence d’une contrefaçon grossière, attestée par l’expertise judiciaire et qui ne pouvait échapper à M. [G], professionnel du marché de l’art, ce dernier n’a pas vérifié l’authenticité de l’oeuvre, se contentant du certificat d’authenticité délivré par M. [H], laquelle négligence constitue nécessairement une faute intentionnelle incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions de directeur général délégué d’une galerie d’art, représentant la société au même titre que le président avec des pouvoir équivalents,

– la société n’a pas simplement joué un rôle de présentation de l’oeuvre mais a facturé la vente, M. [G] ayant supervisé cette transaction, lui adressant notamment la facture,

– la gravité de la faute commise par M. [G] ayant vendu un faux grossier en alléguant de sa provenance sans en justifier et son caractère nécessairement intentionnel caractèrisent une faute détachable de ses fonctions de dirigeant social engageant sa responsabilité personnelle.

M. [G] réplique que l’action engagée à son encontre est irrecevable et en tout cas mal fondée, arguant que :

– M. [I] a contracté la vente avec la société Galerie [X]-[P], au sein de laquelle il était simple délégué du président de la société, [J] [X], président puis président directeur général ayant pleins pouvoirs et étant en charge des sculptures ayant traité cette vente, sa veuve lui ayant succédé après son décès,

– la société Galerie [X]-[P] n’a joué qu’un rôle de présentation de l’oeuvre, authentifiée sans réserve par M. [H], expert renommé à l’époque de la vente, et a vendu le bronze avec l’assurance de son authenticité en reproduisant les termes du certificat de M. [H], aucune raison ne justifiant de faire procéder à des investigations complémentaires par un expert moins expérimenté,

– en présentant le bronze à la vente, dont l’authenticité était certifiée par un expert, les dirigeants de la société Galerie [X]-[P] n’ont pas exercé une activité contraire à l’objet social et il n’est aucunement justifié une faute intentionnelle et grave de sa part incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions.

Selon l’article 31 du code de procédure civile, ‘L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé’.

L’article 32 du même code précise qu’ ‘Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir’.

M. [I] ayant contracté avec la société Galerie [X]-[P], galerie d’art, au sein de laquelle M. [Z] [G], directeur délégué, a été un de ses interlocuteurs, a qualité et intérêt à agir à son encontre en responsabilité délictuelle.

Selon l’article L. 225-251 du code de commerce, ‘Les administrateurs et le directeur général sont responsables, individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou règlementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion (…)’.

Pour justifier du bien fondé de son action engagée à l’égard de M. [G] à titre personnel, l’appelant doit rapporter la preuve d’une faute de ce dernier personnelle et détachable de ses fonctions de directeur délégué.

Une telle faute n’est pas établie par la vente du bronze présentée comme étant authentique compte tenu du certificat [Y] n°056, établi le 28 mars 1996 par M. [Z] [H], expert agréé par l’Union française des experts, en possession de la galerie d’art et qu’aucun élément à sa connaissance ne permettait de remettre en cause, étant relevé que la qualité du bronze litigieux a été soulignée par M. [N], directeur au sein du [Localité 8] Art Museum et expert en art reconnu en la matière, ayant signalé l’oeuvre à M. [I] comme étant d’une ‘qualité exceptionnelle’ et qu’il serait ravi d’avoir dans sa collection.

La circonstance que la fiche descriptive du bronze établie par M. [G] sur papier à entête de la société Galerie [X]- [P], précise que le bronze provient d’une ‘collection particulière, Paris. Acheté à [Y] de son vivant’ est tout aussi inopérante à établir une telle faute.

La responsabilité délictuelle de M. [G] n’étant pas caractérisée, M. [I] a été à bon droit débouté de ses demandes de ce chef.

Sur responsabilité M. [H] :

Le tribunal, rappelant que l’expert est tenu à une obligation de moyens, a jugé que M. [I] ne rapportait pas la preuve d’une faute de M. [H] l’ayant incité à acquérir l’oeuvre et de nature à engager sa responsabilité, en ce que :

– la décision de M. [I] d’acquérir le bronze litigieux ne s’est pas fondée sur la base du certificat de M. [H], qui ne lui avait pas encore été remis, mais sur l’avis d’un tiers, M. [N], expert reconnu en la matière qui lui avait signalé la vente de ce bronze au caractère exceptionnel,

– si M. [H] a commis une erreur au regard des conclusions de M. [C], expert judiciaire, en considérant qu’il s’agissait d’un bronze authentique, il n’est ni établi ni soutenu que le certificat litigieux ait été rédigé dans le cadre d’une transaction et il ne peut être mis à la charge de l’auteur qui délivre un certificat, en dehors d’une transaction déterminée, la même responsabilité que celle d’un expert consulté dans le cadre d’une vente en particulier,

– un certificat d’authenticité n’est pas une expertise scientifique qui demande des investigations approfondies et les données de la science n’étaient pas en 1996 celles dont peut disposer un expert aujourd’hui.

M. [I] fait valoir la faute de M. [H], engageant sa responsabilité, en ce que:

– il a certifié comme authentique un bronze qui était une contrefaçon, alors qu’il était spécialiste en la matière,

– l’avis de M. [N], qui n’est pas spécialiste de l’oeuvre de [Y] contrairement à M. [H], l’a seulement déterminé à venir à Paris voir le bronze et seule la présentation de l’oeuvre par M. [G] et sa certification par M. [H] l’ont déterminé à l’acquérir,

– des bronzes, même faits en plusieurs exemplaires, peuvent être des bronzes authentiques moulés sous le contrôle de l’artiste,

– M. [H] ne saurait arguer de ce qu’il ignorait que son certificat serait remis à l’occasion d’une vente ou encore qu’un certificat ne constitue pas une expertise, alors qu’un certificat est un écrit officiel ou signé d’une autorité compétente et certifie l’authenticité d’une oeuvre et que le certificat de M. [H] lui a été remis pour établir l’authenticité de l’oeuvre,

– la description que M. [H] fait de son travail dans ses écritures montre qu’il a établi un certificat de complaisance pour faciliter la vente d’une contrefaçon grossière, sans vérifier la provenance mise en avant par M. [G], alors qu’il lui était facile, en tant qu’expert, de s’assurer de son origine.

M. [H] fait sien le raisonnement du tribunal et ajoute que :

– un bronze n’est pas une pièce originale mais une reproduction, et est rarement une pièce unique, les choix du matériau et du mode de production impliquant la multiplicité,

– en tant qu’expert reconnu et agréé par l’Union Française des experts, il a procédé à l’expertise du bronze et son analyse corroborait le certificat attaché au bronze daté du 27 septembre 1993 et signé de [A] [T], que lui avait remis la galerie,

– il n’a pas fourni de fausses informations, ni fait preuve de négligence dans la vérification de l’authenticité de l’oeuvre au moment où il a procédé à l’expertise, et il a mis en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour apprécier l’authenticité du bronze,

– un certificat n’est pas un rapport d’expertise et seuls les éléments caractéristiques de l’oeuvre doivent être mentionnés sur le certificat,

– en comparant le bronze litigieux à un plâtre et à d’autres oeuvres de [Y], il a accompli toutes les diligences nécessaires à l’exécution de sa mission au regard des éléments qu’il avait à sa disposition en 1996, le musée [Y] ne disposant pas au moment de l’expertise, ni aujourd’hui, d’une oeuvre similaire permettant la comparaison avec le bronze litigieux,

– le fait que son expertise ait été réalisée à titre gracieux ne présume pas qu’il ait pris cette expertise à la légère,

– son avis n’a pas été l’élément déterminant de l’achat et du prix de vente, l’oeuvre ayant été appréciée par M. [N] et son esthétique par M. [I],

– dans la mesure où il n’a pas fait de diligences pour l’acquéreur et à supposer que sa responsabilité soit engagée, un partage de responsabilité doit être opéré entre l’expert et le vendeur.

L’expert engage sa responsabilité personnelle à raison des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission, conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile qui imposent la démontration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

Sur la faute :

M. [H] reconnaissant avoir été sollicité par la société Galerie [X]-[P] aux fins ‘d’expertiser’ l’oeuvre litigieuse et ayant délivré un certificat d’authenticité, devait procéder aux diligences que les règles de l’art imposent en la matière.

M. [H] indique que :

– au cours des opérations d’expertise, il a constaté que :

– l’oeuvre avait une hauteur de 37,5 cm, sur la base figurait la signature de l’artiste [F] [Y] ainsi que celle du fondeur [R] [T], il s’agissait d’une épreuve ancienne circa 1900 avec une très belle patine brune nuancée à fond vert, ce qu’avait également constaté M. [N],

– à l’intérieur au fond de la base une masse de plomb avait été coulée afin d’équilibrer le poids,

– ce procédé étant souvent réalisé lors des premiers tirages, il en a déduit qu’il s’agissait d’un bronze authentique,

– son analyse venait corroborer le certificat attaché au bronze, daté du 27 septembre 1993 et signé [A] [T] que lui avait remis la Galerie, attestant que ‘la reproduction en bronze du PENSEUR de [Y] marqué [F][Y] et [R] [T] PARIS hauteur 37,5 cm (‘) est un bronze de MARQUE [R] [T] authentique’ (Pièce 17).

L’expert qui affirme l’authenticité d’une oeuvre d’art sans assortir son avis de réserves engage sa responsabilité sur cette seule affirmation à l’égard de l’acquéreur.

Le certificat [Y] n°56 précise : ‘Je soussigné [W] [H], expert agrée par l’Union Française des experts n°160 et président de la Défense de la sculpture, déclare avoir examiné le bronze reproduit au recto de cette photo, titre : ‘Le Penseur’ d'[U] [Y] (1840-1917) hauteur 37,5 cm, signé sur la base : [F] [Y], signature du fondeur [R] [T], fondeur Paris.Certifie qu’il s’agit d’une épreuve ancienne Circa 1900. très belle patine brune nuancée à fond vert. A l’intérieur, au fond de la base, une masse de plomb a été coulée pour équilibrer le poids, ce qui fut réalisé lors des premiers tirages, par la suite la base a été élargie de manière à ce que la sculpture ne tombe pas vers l’avant’.

M. [H], affirmant sans réserve l’authenticité du bronze sur laquelle il existe des doutes réels et sérieux, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité envers M. [I].

Au surplus, le certificat attaché au bronze, daté du 27 septembre 1993 et signé [A] [T], sur lequel M. [H] indique s’être fondé n’est pas probant compte tenu de l’historique rappelé par l’expert judiciaire, nécessairement connu de M. [H], qui précise être un expert reconnu et agréé par l’Union Française des experts, spécialisé en sculpture du XIXè et du début XXè siècle. De même, M. [H] n’indique pas avec quel plâtre il a comparé le bronze litigieux et en a déduit son authenticité. A supposer qu’il s’agisse du plâtre pâtiné en noir qu’il a remis à l’expert judiciaire aux fins de mesure, ce dernier, après avoir comparé les mesures des deux plâtres, soit le plâtre de référence et ce plâtre pâtiné en noir, avec le bronze litigieux, en a tiré la conclusion que celui-ci constituait un surmoulage à partir d’un exemplaire authentique.

Quand bien même un certificat d’authenticité ne constitue pas un rapport d’expertise, en délivrant un tel certificat alors que la comparaison du bronze litigieux avec le plâtre, à laquelle il a procédé, et le certificat attaché au bronze étaient de nature à émettre un doute sur cette authenticité, M. [H] n’a pas mis en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour apprécier l’authenticité du bronze et a ainsi manqué à son obligation de moyen.

Sa faute est donc caractérisée.

Sur le lien de causalité et le préjudice :

M. [I] a certes été informé de la vente de ce bronze par M. [N], directeur au sein du [Localité 8] Art Museum et expert en art reconnu en la matière, lequel lui a présenté, dans un courriel du 4 juillet 1996, l’oeuvre comme étant d’une ‘qualité assez exceptionnelle’ et apparemment réalisée spécialement à l’attention d’un collectionneur de bronzes de la Renaissance, raison pour laquelle il a bénéficié d’une patine spéciale dite Renaissance appliquée par frottement à certains endroits afin de faire apparaître les différentes tonalités, en lui précisant qu’il s’agit ‘d’une pièce différente de tout ce que nous avons dans notre collection’ et ‘définitivement d’une oeuvre que nous serions ravis -au vu de ses qualités- de faire figurer dans notre collection permanente’ mais qu’il ne dispose pas des fonds requis pour une telle acquisition même si le prix de 185 000 dollars semble plutôt raisonnable.

Cependant, le certificat d’authenticité étant un document habituel et indispensable dans l’achat et la revente d’une oeuvre d’art, et M. [H] étant un professionnel de l’art spécialisé en sculpture se présentant comme étant internationalement reconnu en matière de bronze, le certificat d’authencité dressé par ses soins à la demande de la société Galerie [X]-[P] et accompagnant l’oeuvre litigieuse proposée à la vente a nécessairement été un élément déterminant dans son acquisition par M. [I] et ce, nonobstant les appréciations élogieuses du bronze par M. [N].

M. [I] fait valoir :

– un préjudice matériel évalué à 271 984 euros, correspondant à la contre-valeur du prix d’achat,

– la perte d’une chance d’acquérir une oeuvre de [Y] authentique dans une démarche artistique mais également patrimoniale et qu’elle prenne de la valeur, perte de chance évaluée à 5 200 000 euros sur la base d’oeuvres similaires vendues à plusieurs millions, et subsidiairement 2 225 150 euros,

– les frais d’expertise exposés pour un montant de 3 047 euros.

Par note en délibéré, il précise ne pas demander la nullité de la vente, ni la garantie de M. [H] dans le cas où M. [G] ne l’indemniserait pas du préjudice subi, mais solliciter la condamnation in solidum de MM. [G] et [H] ayant concouru à son préjudice dont ils sont les co-auteurs.

M. [H] réplique que :

– le préjudice allégué n’est ni certain ni démontré à défaut d’établir que le bronze n’est pas authentique,

– le préjudice matériel invoqué n’est pas explicité et la contrevaleur du prix d’achat de l’oeuvre de 195 000 dollars équivaut actuellement à 159 137,55 euros,

– la perte de chance, qui implique l’existence d’un aléa, ne peut être équivalente au montant du préjudice allégué et celle invoquée consiste en une perte de chance de spéculer, qui n’existe pas, et est au demeurant fondée sur des prix d’adjudications d’oeuvres non identiques, alors que M. [I] pourrait seulement prétendre à la différence entre le prix d’achat et sa valeur moindre, qu’il n’établit pas,

– à considérer que sa responsabilité soit engagée, un partage de responsabilité devrait intervenir entre lui et le vendeur,

– la demande au titre des frais d’expertise n’est pas fondée en l’absence de faute de sa part.

Dans sa note en délibéré, il fait valoir qu’au regard de la jurisprudence ayant trait aux actions en nullité de la vente, l’expert n’a pas à garantir le vendeur de la restitution du prix de vente car il ne s’agit pas d’un préjudice indemnisable et que la démonstration de l’impécuniosité du vendeur est nécessaire. S’agissant de l’action en responsabilité engagée à son encontre, il soutient qu’à considérer que sa faute soit retenue, il ne saurait être appelé en garantie ou condamné solidairement avec le vendeur alors qu’il n’a pas participé à la vente, qu’il n’est pas démontré une insolvabilité du vendeur et qu’en outre M. [I] ne saurait obtenir le prix de vente à titre de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice matériel sans que soit restitué le bronze litigieux.

La restitution du prix de vente d’une oeuvre se révélant être une contrefaçon n’ayant pas de caractère indemnitaire, l’expert, qui n’est pas le vendeur, ne peut être tenu au paiement du prix de vente du bronze litigieux à titre de dommages et intérêts.

La demande de condamnation de M. [H] à la réparation de son préjudice matériel correspondant à la contrevaleur d’achat de l’oeuvre litigieuse, qui constitue une demande de paiement du prix du bronze litigieux à titre de dommages et intérêts, est donc mal fondée.

La faute de M. [H] ayant conclu à l’authenticité d’une oeuvre qui s’est révélée être une contrefaçon ne peut avoir fait perdre à M. [I], s’il avait été dument informé ou si à tout le moins des réserves avaient été émises sur son authenticité, une chance d’acquérir une oeuvre authentique. M. [I] ne peut donc invoquer une perte de chance de réaliser une plus value à la revente de l’oeuvre authentique et le préjudice allégué n’est ni en lien causal avec la faute ni justifié par les pièces produites au débat.

Ses demandes indemnitaires sont donc infondées et doivent être rejetées.

Les frais d’expertise judiciaire étant compris dans les dépens, suivront le sort de ceux-ci.

Sur la demande de dommages intérêts de M. [G] :

Le tribunal a jugé que M. [G] n’établit pas la légèreté blâmable équipollente au dol de nature à caractériser un abus du droit d’agir en justice ni l’existence du préjudice dont il demande réparation par M. [I].

M. [G] sollicite la condamnation de M. [I] à lui verser une somme de 30 000 euros aux motifs que l’action engagée à son encontre et tentant de jeter le discrédit sur sa personne a porté atteinte à sa réputation et qu’il a très mal vécu les accusations et reproches qui lui ont été faits à titre personnel bien qu’il n’est pas personnellement et directement concerné par la vente du bronze.

M. [I] ne réplique pas sur ce point.

Les premiers juges ont pertinemment retenu que le caractère abusif de la procédure n’était pas établi, M. [I] ayant pu se méprendre sur l’étendue de ses droits et exercer une action en justice à l’égard de M. [G].

Le jugement est donc confirmé de ce chef.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Les dépens de première instance, dont les frais d’expertise judiciaire, ainsi que les dépens d’appel incombent à M. [H] dont la faute est caractérisée, et ceux exposés par M. [G] pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile. L’équité commande de condamner M. [H] à payer à M. [I] une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner M. [I] à payer à M. [G] une somme de 4 000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit n’y avoir lieu à homologuer le rapport d’expertise,

Dit recevables les demandes de M. [E] [I] à l’égard de M. [Z] [G],

Confirme le jugement en ses dispositions sauf en ce qu’il a condamné M. [E] [I] aux dépens,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [W] [H] à payer à M. [E] [I] une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [E] [I] à payer à M. [Z] [G] une indemnité de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [W] [H] aux dépens de première instance, dont les frais d’expertise judiciaire, et d’appel, avec le bénéfice des modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile pour ceux exposés par M. [Z] [G].

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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