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N° RG 21/06772 – N° Portalis DBVX-V-B7F-N2GT
Décision du
Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE
Au fond
du 28 mai 2021
RG : 2019j00751
S.A.R.L. CAILLE J SEMAM
C/
S.A.S. LOCAM
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 05 Décembre 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. CAILLE J SEMAM
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Isabelle GRANGE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 51
ayant pour avocat plaidant Me Corinne ROBERT de la SELARL SELARL CORINNE ROBERT, avocat au barreau de LIMOGES, toque : 63
INTIMEE :
La société LOCAM ‘ LOCATION AUTOMOBILES MATERIELS
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Michel TROMBETTA de la SELARL LEXI, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 17 Novembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Octobre 2023
Date de mise à disposition : 05 Décembre 2023
Audience tenue par Stéphanie LEMOINE, président, et Bénédicte LECHARNY, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l’audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Olivier GOURSAUD, président
– Stéphanie LEMOINE, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DE L’AFFAIRE
Le 29 novembre 2018, la société J. Caille-Senam a conclu avec la société Locam un contrat de location de « site web » fourni par la société Compar/com, moyennant le règlement de 48 loyers mensuels de 170 euros HT chacun.
Un procès-verbal de livraison et de conformité a été régularisé par la société J. Caille-SENAM et la société Compar/com, le 7 décembre 2018.
Soutenant avoir exercé son droit de rétractation, la société J. Caille-Senam a cessé le règlement des loyers.
Après une mise en demeure visant la clause résolutoire insérée dans le contrat, restée infructueuse, la société Locam a assigné la société J. Caille-Senam en paiement.
Par jugement du 28 mai 2021, le tribunal de commerce de Saint-Etienne :
– s’est déclaré compétent pour trancher le litige,
– a déclaré l’action de la société Locam recevable et fondée,
– a débouté la société J. Caille-Senam de sa demande de nullité du contrat,
– l’a condamnée à verser à la société Locam la somme de 10’937,69 euros correspondant aux 5 échéances échues et aux 43 loyers à échoir majorés de la clause pénale de 10 %, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 avril 2019,
– l’a condamnée à payer à la société Locam la somme de 250 euros au titre de I’article 700 du code de procédure civile,
– a dit que les dépens, dont frais de greffe taxés et liquidés a 74,32 euros, sont à la charge de la société J. Caille-Senam,
– a dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire du jugement,
– a débouté la société Locam du surplus de ses demandes.
Par déclaration du 27 août 2021, la société J. Caille-Senam a relevé appel du jugement.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 4 octobre 2022, elle demande à la cour de :
– réformer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne en ce qu’il s’est déclaré compétent pour trancher le litige,
– dire et juger qu’en application des dispositions combinées de l’article 48 du code de procédure civile et de l’article L. 221-3 du code de la consommation, la compétence du litige relève du lieu du siège social du défendeur devant la juridiction civile, soit le tribunal judiciaire de Limoges,
sur le fond,
– réformer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de nullité du contrat,
– constater la nullité de l’engagement du 29 novembre 2018 en application des dispositions de l’article L. 121-3 du code de la consommation,
– en conséquence, débouter la société Locam de l’intégralité de ses demandes à son encontre,
en toute hypothèse,
– condamner la société Locam à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Locam aux entiers dépens en accordant le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile à Maître Isabelle Grange.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2022, la société Locam demande à la cour de :
– juger non fondé l’appel de la société J. Caille-Senam,
– la débouter de toutes ses demandes,
– confirmer le jugement entrepris,
– condamner la société J. Caille-Senam à lui régler une nouvelle indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner en tous les dépens d’instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 17 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur l’exception d’incompétence
La société J. Caille-Senam fait valoir que :
– il convient d’appliquer l’article 48 du code de procédure civile, dès lors que l’article 21 du contrat portant dérogation aux règles générales de compétence territoriale n’est pas écrit en caractères très apparents, la taille de la police étant inférieure aux autres mentions du contrat ;
– elle n’a pas une activité commerciale au sens de l’article L. 110-1 du code de commerce puisqu’elle a une activité uniquement artisanale de peinture ; son effectif était d’un salarié en novembre et décembre 2018 et l’objet du contrat n’entrait pas dans le champ de son activité principale ; en conséquence, les dispositions de l’article L. 221-3 du code de commerce s’appliquent à la présente espèce, écartant l’application des dispositions de l’article 21 du contrat dérogeant aux règles de compétence générale ;
– la juridiction civile devant être désignée comme compétente est le tribunal judiciaire de Limoges, tribunal du lieu de son siège social.
La société Locam réplique que :
– l’exception d’incompétence est irrecevable puisque la société J. Caille-Senam ne désigne pas la juridiction civile qu’elle estime compétente ;
– elle est également mal fondée puisque la société est commerciale par sa forme sociale, quelle que soit la nature artisanale ou commerciale de son activité, de sorte que la clause a bien été conclue entre commerçants ;
– la clause attributive de compétence de l’article 21 figure au recto de la convention, immédiatement au-dessus du cadre dans lequel l’appelante a apposé la signature manuscrite de son gérant ; elle est donc parfaitement apparente et opposable à la société J. Caille-Senam.
Réponse de la cour
La société appelante désignant la juridiction qu’elle estime compétente, la fin de non-recevoir soulevée par la société Locam doit être écartée.
C’est par des motifs exacts que la cour adopte que le tribunal de commerce de Saint-Etienne s’est déclaré compétent pour trancher le litige, après avoir retenu que les conditions de l’article 48 du code de procédure civile étaient remplies, la société Locam et la société J. Caille-Senam étant toutes deux des sociétés commerciales et la clause dérogeant aux règles générales de compétence territoriale étant mentionnée de façon très apparente en première page du contrat où sont apposées les signatures.
Pour confirmer le jugement sur ce point, la cour ajoute, d’une part, qu’en application de l’article L. 210-1 du code de commerce, la société J. Caille-Senam, société à responsabilité limitée, est bien une société commerciale par la forme, quelle que soit son objet et son activité artisanale, d’autre part, que l’article 21 du contrat, portant attribution de compétence, est positionné tout en haut de la première page du contrat, à droite de son intitulé, et que s’il est rédigé dans une police d’une taille inférieure au reste des mentions figurant sur cette même page, il est en revanche rédigé dans la même police que l’ensemble des clauses des conditions générales figurant en page deux et trois.
Au vu de ce qui précède, le jugement est confirmé en ce qu’il a déclaré le tribunal de commerce de Saint-Etienne compétent pour trancher le litige.
2. Sur l’application des dispositions du code de la consommation
La société J. Caille-Senam fait valoir que les trois conditions prévues à l’article L. 121-16-1 du code de la consommation sont remplies, le contrat ayant été conclu hors établissement, son objet n’entrant pas dans le champ de son activité et son effectif étant d’un salarié à la date de signature du contrat. Il ajoute que l’argumentaire développé par la société Locam pour échapper aux dispositions du code de la consommation doit être écarté puisque le contrat litigieux n’est pas un contrat de location mais un contrat de fourniture de services avec la société Compar/com.
La société Locam réplique qu’elle est une société de financement régie spécialement par le code monétaire et financier, agréée par l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour exercer à titre habituel l’activité de location avec option d’achat, et autorisée par l’article L. 311-2 du code monétaire et financier à réaliser à titre habituel quatre opérations connexes aux opérations de banque, dont les opérations de location simple de biens mobiliers. Elle affirme que c’est à ce titre qu’elle a conclu avec la société J. Caille-Senam et fait valoir que les contrats portant sur les services financiers se trouvent légalement exclus du champ d’application du dispositif consumériste, en application de l’article L. 121-16-1, 4°, devenu L. 221-2, du code de la consommation et de l’article 3.3 de la directive 2011/83/UE. Elle ajoute que, de surcroît, la société J. Caille-Senam ne rapporte pas la preuve qu’elle n’employait pas plus de cinq salariés au jour de la conclusion du contrat, ce dont il résulte qu’elle ne peut bénéficier de l’extension par dérogation du dispositif consumériste aux professionnels.
Réponse de la cour
Le contrat conclu entre la société J. Caille-Senam et la société Locam n’est pas assimilable à une opération de crédit car la location n’est pas assortie d’une option d’achat et la directive 2011/83/UE invoquée rappelle qu’un service financier est défini comme « tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance aux pensions individuelles, aux investissements ou aux paiements », ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dès lors, le contrat liant les parties, qui n’est pas une opération connexe aux opérations de banque, n’est pas nécessairement exclu du champ d’application du dispositif consumériste.
En application de l’article L. 221-3 du code de la consommation dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, applicable au litige, les dispositions des sections 2 (obligation d’information précontractuelle), 3 (dispositions particulières applicables aux contrats conclus hors établissement), 6 (droit de rétractation applicable aux contrats conclus à distance et hors établissement) du chapitre 1er applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.
En l’espèce, la société Locam ne discute ni le fait que le contrat de location de site internet a été conclu hors établissement entre deux professionnels, ni le fait qu’il n’entre pas dans le champ de l’activité principale de la société J. Caille-Senam, qui est la peinture et l’isolation.
Par ailleurs, la société appelante justifie en cause d’appel, par la production d’une attestation sur l’honneur de son expert-comptable datée du 22 juin 2021, que son effectif était d’un salarié en novembre et décembre 2018, de sorte qu’il est établi qu’elle n’employait pas plus de cinq salariés au moment de la conclusion du contrat.
Il en résulte que le contrat de location de « site web » souscrit par la société J. Caille-Senam est soumis aux dispositions des articles L. 221-18 et suivants du code de la consommation relatifs au droit de rétractation applicable aux contrats conclus à distance et hors établissement.
3. Sur le droit de rétractation et ses effets sur les contrats souscrits
La société J. Caille-Senam fait valoir que :
– elle a valablement effectué la rétractation auprès de la société Compar/com, cette rétractation annulant le contrat ; les contrats de location financière et de prestation de services étant considérés comme deux opérations indivisibles, l’exercice du droit de rétractation auprès de la société Compar/com entraîne automatiquement l’annulation du contrat de location financière auprès de la société Locam ; :
– la société Locam ne peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 221-28 du code de la consommation relatives à la fourniture de biens confectionnés selon les spécificités du consommateur ou nettement personnalisés puisqu’elle n’a jamais donné la moindre instruction à la société Compar/com et que l’exercice de son droit de rétractation dès le 7 décembre 2018, alors que la commande est en date du 29 novembre 2018, démontre bien que la société Compar/com n’a jamais effectué la moindre prestation pour elle.
La société Locam réplique que l’appelante ne bénéficiait d’aucun droit de rétractation puisque celui-ci ne peut être exercé pour les contrats de fourniture de biens confectionnés selon les spécificités du consommateur ou nettement personnalisés, ce qui est le cas pour le site internet fourni.
Réponse de la cour
Selon l’article L. 221-18, le consommateur dispose d’un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d’un contrat conclu à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d’autres coûts que ceux prévus aux articles L. 221-23 à L. 221-25.
Et selon l’article L. 221-21, le consommateur exerce son droit de rétractation en informant le professionnel de sa décision de se rétracter par l’envoi, avant l’expiration du délai prévu à l’article L. 221-18, du formulaire de rétractation mentionné au 2° de l’article L. 221-5 ou de toute autre déclaration, dénuée d’ambiguïté, exprimant sa volonté de se rétracter.
En l’espèce, il ressort de la pièce n° 1 versée aux débats par la société appelante que par courrier recommandé du 7 décembre 2018, soit dans le délai de 14 jours prévu à l’article L. 221-18, elle a notifié à la société Compar/com sa « rétractation du contrat portant sur une licence d’exploitation de site internet [‘] commande en date du 29/11/2018 signée avec votre commercial [‘] ».
Si l’article L. 121-21-8, 3°, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que le droit de rétractation ne peut être exercé pour les contrats de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés, ce texte ne peut s’appliquer en l’espèce, au regard, d’une part, des documents contractuels versés aux débats qui ne font référence à aucune spécification particulière concernant la location du site internet, et, d’autre part, de l’objet du contrat, lequel n’est pas un contrat de fourniture d’un bien mais un contrat de prestation de services par lequel « le loueur concède au locataire une licence d’utilisation sur les éléments constitutifs du site Web qu’il lui fournit dont notamment l’architecture technique et visuelle du site Web ». Il en résulte que l’exception invoquée de ce chef par la société Locam n’a pas lieu de s’appliquer.
La société J. Caille-Senam pouvait donc valablement se rétracter auprès de la société Compar/com, cette rétractation entraînant, non l’annulation, mais l’anéantissement du contrat conclu entre les deux sociétés.
Aux termes de l’article 1186 du code civil, un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement.
En l’espèce, le contrat conclu par la société J. Caille-Senam avec la société Locam est interdépendant de celui contracté le même jour avec la société Compar/com dans la mesure où le premier est destiné à financer la location du site internet fourni par cette dernière en application du second. Le contrat de location signé auprès de la société Locam par la société appelante désigne d’ailleurs expressément la société Compar/com comme « fournisseur », de sorte que les parties avaient connaissance de l’opération d’ensemble.
Dès lors que le contrat conclu avec la société Compar/com a rétroactivement disparu par l’effet de la rétractation de l’appelante, le contrat conclu avec la société Locam est caduc.
4. Sur la demande en paiement de la société Locam
Compte tenu de la caducité du contrat, il convient d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré l’action de la société Locam fondée et a condamné la société J. Caille-Senam à lui payer la somme de 10’937,69 euros correspondant aux 5 échéances échues et aux 43 loyers à échoir majorés de la clause pénale de 10 %, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 avril 2019. La société Locam est déboutée de sa demande en paiement.
5. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement déféré est encore infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
La société Locam, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel, et à payer à la société J. Caille-Senam la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a dû engager.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne, sauf en ce qu’il s’est déclaré compétent pour trancher le litige,
Statuant à nouveau,
Constate l’anéantissement du contrat conclu entre la société J. Caille-Senam et la société Compar/com par l’effet de la rétractation de la société J. Caille-Senam,
Prononce la caducité du contrat interdépendant souscrit par la société J. Caille-Senam auprès de la société Locam,
Déboute la société Locam de sa demande en paiement,
Condamne la société Locam à payer à la société J. Caille-Senam la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Locam aux dépens de première instance et d’appel,
Fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit des avocats qui en ont fait la demande.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT