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Exercer un droit de rétention sur des œuvres d’art pour obtenir le paiement d’une créance est une pratique risquée.
Faisant état de factures impayées, la société Deufol a indiqué au transporteur desdites œuvres, exercer un droit de rétention, en application des articles 1948 et 2286 du code civil, sur les oeuvres qu’elle détient.
La société commanditaire de la prestation a obtenu une indemnité d’un montant de 5.000 euros de dommages et intérêts en faisant valoir, outre que mal entreposées, certaines oeuvres ont été endommagées, que certains artistes se sont plaints du défaut de restitution de leur oeuvre et l’ont assignée en dommages et intérêts pour violation de leur droit de propriété, son image étant aujourd’hui dégradée puisque les artistes hésitent désormais à lui confier des oeuvres sans garantie de pouvoir les récupérer.
La société Deufol n’ayant pas été reconnue créancière au titre des factures dont elle demandait le paiement pour opposer son droit de rétention vis-à-vis du déposant, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la société Mecenavie avait subi un préjudice moral d’image que, par une juste appréciation des faits de la cause, ils ont estimé à la somme de 5.000 euros.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 5
ARRÊT DU 08 AVRIL 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/16462 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B56NV
Décision déférée à la cour : jugement du 15 mai 2018 -tribunal de commerce de Meaux – RG n° 2017009448
APPELANTE
SAS DEUFOL PARIS
Ayant son siège social 4 […] ZI Mitry-Compans
77290 MITRY-MORY
N° SIRET : 429 714 728
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Cédric LIGER de l’AARPI ITER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1065
INTIMEE
SARL MECENAVIE
Ayant son siège social […]
[…]
N° SIRET : 481 598 993
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Mélanie SPANIER-RUFFIER de la SELARL DBCJ AVOCATS, avocate au barreau de MELUN substituée à l’audience par Me Justine CASTILLO de la SELARL DBCJ AVOCATS, avocate au barreau de MELUN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 février 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme C-D E, présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme C-D E, présidente de chambre
Mme Christine SOUDRY, conseillère
Mme Camille LIGNIERES, conseillère
qui en ont délibéré,
Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA-GASPAR
ARRÊT :
— contradictoire
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Mme C-D E, présidente de chambre et par Mme Z A-B, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL Mecenavie est spécialisée dans la commercialisation d’oeuvres artistiques. La SAS Deufol Paris (anciennement dénommée Novaedes) assure notamment le stockage des oeuvres dans son entrepôt. La société Mainfreight en assure le transport. Faisant état de factures impayées, la société Deufol a indiqué exercer un droit de rétention, en application des articles 1948 et 2286 du code civil, sur les oeuvres qu’elle détient. Soutenant au contraire ne pas être débitrice du paiement des factures litigieuses, en expliquant que les frais de conditionnement et de manutention étaient réglés par le transporteur qui les lui refacturait, la société Mecenavie a exigé la restitution des oeuvres appartenant à ses clients.
Le 15 septembre 2017, la société Mecenavie a attrait la société Deufol devant le tribunal de commerce de Meaux aux fins :
— d’ordonner à la société Deufol de lui remettre les objets mobiliers selon liste annexée, sous astreinte de 1.000 euros par heure à partir du moment où la société Mecenavie se sera présentée sur place à l’entrepôt […] à Mitry Mory, après signification du jugement à intervenir,
— de désigner un huissier de justice avec mission de dresser le constat des objets restitués et, le cas échéant, de ceux de la liste qui ne le seront pas, et de fixer le montant de la consignation au titre des frais et honoraires de l’officier ministériel,
— de condamner la société Deufol à lui payer les sommes de :
‘50.000 euros de dommages et intérêts ‘pour résistance abusive’,
‘5.000 euros au titre des frais irrépétibles,
et à lui rembourser les sommes acquittées au titre des frais de stockage.
S’y opposant, la société Deufol a reconventionnellement demandé la condamnation de la société Mecenavie à lui payer les sommes de :
‘20.287,10 euros au titre des créances impayées,
‘10.000 euros de dommages et intérêts ‘pour procédure abusive’,
‘outre la somme de 5.000 euros également au titre des frais non compris dans les dépens.
Retenant essentiellement la relation tripartite existante depuis l’origine tout en estimant qu’il n’existe pas de contrat entre les sociétés Mecenavie et Deufol, pour en déduire que la première n’étant pas débitrice de la seconde :
— d’une part, la société Deufol ne justifiait pas l’exercice de la rétention sur les oeuvres,
— d’autre part, il était nécessaire de désigner un huissier de justice afin de permettre la restitution des oeuvres,
le tribunal, par jugement contradictoire du 15 mai 2018 assorti de l’exécution provisoire,
a dit que la société Mecenavie n’était pas débitrice de la société Deufol et a :
— débouté celle-ci de ses demandes reconventionnelles, en lui ordonnant la restitution, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, 15 jours après la signification de la décision, des objets entreposés dans son entrepôt selon la liste versée au dossier par la société Mecenavie,
— désigné Maître Olivier Michel, huissier de justice à Meaux et a fixé à la somme de 1.500 euros le montant de la consignation à verser directement par la société Deufol entre les mains de l’officier ministériel,
— condamné la société Deufol à payer à la société Mecenavie les sommes de 5.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et de 2.600 euros au titre des frais irrépétibles.
Appelante le 4 juillet 2018, la société Deufol réclame, aux termes de ses dernières écritures transmises par le RPVA le 27 septembre suivant, la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuit l’infirmation du jugement en sollicitant à nouveau le rejet des demandes de la société Mecenavie et la condamnation de celle-ci à lui payer les sommes initialement demandées à titre principal en première instance.
Intimée, la société Mecenavie réclame, aux termes de ses dernières conclusions transmises par le RPVA le 21 décembre 2018, la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuit la confirmation du jugement tout en formant appel incident en sollicitant la condamnation de la société Deufol à lui payer en outre la somme de 1.500 euros en remboursement des frais d’huissier de justice engagés pour la restitution des oeuvres.
Sur ce,
Les oeuvres ayant été restituées selon procès-verbal d’huissier de justice dressé le 2 août 2018, le litige se réduit désormais aux seules prétentions financières formulées par les parties, étant observé qu’en poursuivant la confirmation du jugement ayant condamné la société Deufol à lui payer la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive outre l’indemnité au titre des frais irrépétibles de première instance, la société Mecenavie ne demande plus le remboursement des sommes acquittées au titre des frais de stockage initialement formulée devant les premiers juges, mais sollicite en outre en appel le remboursement des frais du constat dressé les 16 juillet et 2 août 2018, d’un montant de 1.500 euros, tandis que la société Deufol renouvelle en appel ses demandes de paiement des sommes de 20.287,10 euros, au titre des créances impayées, et de 10.000 euros de dommages et intérêts ‘pour procédure abusive’.
La société Deufol expose que la société Mecenavie a :
— à l’insu de la société Deufol, directement payé à un chef d’atelier salarié de cette dernière, les prestations de manutention relevant de son employeur, ce que la société Mecenavie ne pouvait pas ignorer puisque Monsieur Y X, chef d’atelier, utilisait le matériel, les consommables et le logo de la société Novaedes (Deufol),
— prix prétexte du paiement desdites prestations au profit du seul chef d’atelier pour prétendre ne pas être débitrice de la manutention vis-à-vis de la société Deufol.
Tout en reconnaissant dans ses écritures (page 3) que la fourniture des emballages, le chargement et éventuellement le déchargement des oeuvres invendues étaient facturés à la société Mainfreight transporteur qui les refacturait ensuite à la société Mecenavie, la société Deufol estime qu’ayant connaissance du comportement déloyal du chef de chantier vis-à-vis de son employeur, la société Mecenavie n’aurait pas dû lui payer les prestations qu’il lui facturait alors directement et personnellement à tort, alors que, selon l’appelante, il agissait en sa qualité de préposé rémunéré par la société Deufol.
La société Mecenavie expose, quant à elle, que depuis mai 2013, elle a eu recours à trois intervenants, soit:
— la société Mainfreight, transporteur, lequel lui facturait le transport et lui refacturait aussi l’empotage effectué en amont par la société Novaedes (Deufol),
— la société Novaedes (devenue Deufol) qui regroupait les oeuvres au sein de son entrepôt,
— Monsieur Y X qui, outre sa fonction de salarié de la société Novaedes, était aussi un entrepreneur à titre individuel qui, à ce dernier titre, a assuré la réception des oeuvres à l’entrepôt et a géré le retour à leur auteur des oeuvres n’ayant pas été vendues, tout en participant en outre aux séjours à l’étranger lors des salons organisés par la société Mecenavie.
Monsieur X lui facturait alors directement la gestion des oeuvres arrivant à l’entrepôt de Mitry Mory, ses prestations aux différents salons et la gestion du retour des oeuvres invendues, tandis que la société Novaedes ne facturait que les frais de stockage d’un montant mensuel de 75,80 euros HT.
Les critiques que la société Deufol formule à l’encontre de son ancien préposé ne faisant pas partie de la présente instance, il convient d’examiner uniquement la demande de la société Deufol de paiement de la somme de 20.287,02 euros.
Le 24 mai 2017, la société Deufol a adressé une lettre à la société Mecenavie en prétendant que ‘de nombreuses prestations ont été effectuées depuis le mois de mars 2013 sans qu’aucune facture n’ait été émise’, en annonçant des factures de stockage pour les années 2013 à 2016 et une facture ‘concernant les prestations réalisées par Monsieur X du 1er juin 2013 au 31 décembre 2016’, tout en mettant la société Mecenavie en demeure de lui payer la somme globale de 30.883,09 euros.
La société Mecenavie conteste la créance d’un montant désormais de 20.287,02 euros alléguée par la société Deufol, en faisant valoir qu’aucune convention de gestion n’a été signée entre les parties aujourd’hui en litige, que la société Deufol n’a réalisé que les prestations d’empotage et de stockage dans l’attente du transport des oeuvres, l’intimée contestant devoir payer deux fois l’empotage qui lui a déjà été facturé par la société Mainfreight.
La société Deufol poursuit le paiement de la somme de 20.287,02 euros au titre des créances impayées, en produisant un tableau de sa composition, intitulé ‘synthèse activités non facturées, client Mecenavie’, pour un total de la somme ci-avant (17.347,02 + 2.940) en y annexant 18 pages de tableaux dont les mentions ne permettent nullement de vérifier les calculs ayant permis l’élaboration du tableau précité, ni davantage de justifier du montant global réclamé. En outre la société Deufol a reconnu que ses prestations avaient été facturées au transporteur qui les refacturait à la société Mecenavie.
Dès lors, outre que son tableau intitulé ‘synthèse activités non facturées, client Mecenavie’ est inexploitable, la société Deufol, à défaut de rapporter les preuves qu’il lui incombe, ne justifie pas le bien fondé de la somme dont elle réclame le paiement, de sorte que le jugement ayant rejeté sa demande reconventionnelle de paiement au titre de créances impayées, doit être confirmé de ce chef .
La société Deufol conteste aussi le préjudice allégué par la société Mecenavie qui serait résulté d’une résistance abusive à la restitution des oeuvres en faisant valoir que lors d’une tentative amiable d’en dresser la liste en juin 2017, la société Mecenavie n’a pas été en mesure de répertorier les objets dont elle demandait la restitution, aucun inventaire ‘crédible’ des objets mobiliers n’ayant alors été produit, hormis ‘un simple tableau sans précision sur la provenance et la justification du dépôt des oeuvres’. Indiquant ne pas s’être opposée à l’intervention d’un huissier de justice pour dresser un inventaire des objets retenus dans son entrepôt, la société Deufol en déduit ne pas avoir agi de mauvaise foi en s’opposant à la restitution des oeuvres.
La société Mecenavie poursuit la confirmation du jugement lui ayant attribué une indemnité d’un montant de 5.000 euros de dommages et intérêts en faisant valoir, outre que mal entreposées, certaines oeuvres ont été endommagées, que certains artistes se sont plaints du défaut de restitution de leur oeuvre et l’ont assignée en dommages et intérêts pour violation de leur droit de propriété, son image étant aujourd’hui dégradée puisque les artistes hésitent désormais à lui confier des oeuvres sans garantie de pouvoir les récupérer. L’intimée a produit aux débats les réclamations de différents artistes. La société Deufol n’ayant pas été reconnue créancière de la société Mecenavie au titre des factures dont elle demandait le paiement pour opposer son droit de rétention vis-à-vis du déposant, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la société Mecenavie avait subi un préjudice moral d’image que, par une juste appréciation des faits de la cause, ils ont estimé à la somme de 5.000 euros. En revanche, compte tenu de la décision à intervenir ci-après, la demande de dommages et intérêts de la société Deufol à l’encontre de la société Mecenavie n’est pas fondée.
La société Mecenavie fait valoir en outre que, contrairement à la décision du tribunal, la société Deufol n’a pas consigné la somme de 1.500 euros et, l’ayant fait à sa place afin de récupérer sans délai les oeuvres entreposées, elle en demande le remboursement. L’intervention de l’officier ministériel résultant de l’obstruction opposée par la société Deufol à la restitution des oeuvres initialement déposées dans son entrepôt, cette dernière doit en supporter la charge définitive.
Succombant dans son recours, l’appelante ne peut pas prospérer dans sa demande d’indemnisation de ses frais irrépétibles mais il serait, en revanche, inéquitable de laisser à la charge définitive de l’intimée, ceux supplémentaires qu’elle a dû exposer en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de l’appel,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a débouté la SAS Deufol Paris de ses demandes
reconventionnelles et l’a condamnée à payer à la SARL Mecenavie les sommes de 5.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et de 2.600 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre les dépens,
Y ajoutant,
CONDAMNE en outre la SAS Deufol Paris à rembourser à la SARL Mecenavie la somme de 1.500 euros au titre des frais et honoraires du constat dressé par huissier de justice,
CONDAMNE enfin la SAS Deufol Paris aux dépens d’appel et à verser à la SARL Mecenavie la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
La Greffière
La Présidente