Droit de réponse audiovisuel : Obono c/ Zemmour

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Droit de réponse audiovisuel : Obono c/ Zemmour
Ce point juridique est utile ?

La chaîne CNews a fait appel sans succès de sa condamnation d’insertion forcée du droit de réponse de la député Danièle Obono. Suite à des propos tenus par Eric Zemmour au cours de l’émission « Face à l’info », la député Danièle Obono avait obtenu en référé le droit d’exercer son droit de réponse audiovisuelle auprès de CNews.

L’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 institue un droit de réponse applicable à la presse écrite. Selon l’article 53 de cette loi :’La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite. Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public. Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite.’ 

En l’espèce, la députée a exercé  son action sur le fondement de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982, sans référence à la loi du 29 juillet 1881. Le texte de 1982 qui a été modifié par l’article 22 de l’ordonnance n°2019-738 du 17 juillet 2019, consacre l’exercice d’un droit de réponse autonome dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle, indépendant des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, même si celles-ci ne sont pas expressément écartées.

Les dispositions de la loi du 29 juillet 1982 et du décret du 6 avril 1987 ne prévoient aucune règle de procédure particulière en ce qui concerne l’action tendant au respect du droit de réponse en matière audiovisuelle. Il est donc sans incidence sur la solution du litige que l’assignation n’ait pas été dénoncée au ministère public et que la députée n’y fasse pas élection de domicile, aucune nullité ne peut en résulter et l’ordonnance querellée sera confirmée en ce qu’elle a jugé à ce titre.

Pour rappel, l’article 6 I de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 en ses deux premiers paragraphes, dispose que : « Toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans le cas où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle. Le demandeur doit préciser les imputations sur lesquelles il souhaite répondre et la teneur de la réponse qu’il se propose d’y faire. »

Seule la deuxième partie de ce texte impose une obligation formelle au demandeur. L’article 3 du décret du 6 avril 1987 précise que : « La demande indique les références du message ainsi que les circonstances dans lesquelles le message a été mis à la disposition du public. Elle contient la mention des passages contestés et la teneur de la réponse souhaitée. » 

Il n’est pas discuté qu’en indiquant le nom et le jour de l’émission incriminée, la députée a suffisamment précisé dans sa demande adressée ‘les références du message ainsi que les circonstances dans lesquelles le message a été mis à la disposition du public’. Lui reprocher de ne pas avoir explicité dans sa demande de droit de réponse en quoi ces ‘imputations (sont) susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation’, serait en rajouter à la loi et n’est donc pas justifié. La demande d’insertion était donc conforme aux exigences légales. 

Seules les imputations susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne sont de nature à fonder l’exercice d’un droit de réponse spécifique et ces imputations doivent se présenter sous la forme d’une articulation précise des faits de nature à être sans difficulté l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire. (Civ2 du 3 juin 2004, n°271). 

Imputer à une personne dans une émission télévisée une opinion contraire à l’ordre public, à la morale ou aux bonnes moeurs ou lui reprocher une action illégale peut à l’évidence, porter atteinte à son honneur ou à sa réputation.  Le fait d’affirmer que la députée a refusé de dire « Vive la France », sorti de son contexte, peut fragiliser la réputation d’une élue de la République et le fait ‘d’organiser des réunions interdites aux blancs’, si telle est la réalité, peut être considéré comme discriminant sur le seul critère tenant à la couleur de peau.

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COUR D’APPEL DE VERSAILLES

Code nac : 14A

14e chambre

ARRET DU 03 JUIN 2021

N° RG 21/01075 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UKJF

AFFAIRE :

X-G Z directeur de la publication de la chaîne de télévision CNEWS

C/

A Y-I

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 11 Février 2021 par le Président du TJ de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 20/02239

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Bertrand LISSARRAGUE

Me Xavier DECLOUX

TJ NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur X-G Z directeur de la publication de la chaîne de télévision CNEWS

[…]

[…]

Représentant : Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2165358

ET

S.N.C. SOCIETE D’EXPLOITATION D’UN SERVICE D’INFORMATION (SESI) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[…]

[…]

Représentés par Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2165358

Assistés de Me Marie DEBIEN substituant Me Olivier BARATELLI, avocat au barreau de PARIS

APPELANTS


Madame A Y-I

Née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentée par Me Xavier DECLOUX, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 315

Assistée de Me Anis HARABI, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE


Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Avril 2021, Madame Nicolette GUILLAUME, présidente ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, Président,

Madame Marie LE BRAS, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie CHERCHEVE

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme A Y-I a été élue députée dans la 17e circonscription de Paris lors des

élections législatives du 21 juin 2017.

M. X-G Z est directeur de la publication au sein de la Société d’Exploitation d’un

Service d’Information (la Sesi) qui exploite une chaîne d’information en continu à la télévision, C

News (abréviation de Canal News) qui diffuse une émission quotidienne « Face à l’info ».

Le 31 août 2020, dans cette émission, M. D C a évoqué la personnalité et l’action de Mme

A Y-I dans les termes suivants :

« Y le fait très bien d’ailleurs, vous avez vu, elle se répand partout, sur tous les médias : « Ho

J’ai mal à ma France, j’ai mal à ma République » mais je croyais avoir vu Madame Y

empêchée et interdite de dire « Vive la France », qui refusait de dire « Vive la France » à la

télévision. J’ai vu Madame Y organiser des réunions interdites aux blancs. Où a-t-elle vu la

République là-dedans ‘ J’ai vu Madame Y dire tout son amour pour E F, qui tue

des enfants juifs comme ça avec un pistolet sur la tête. Ça, c’est Madame Y et Madame Y

vient pleurer parce qu’on se moque d’elle dans un journal, dans une fiction ‘ Mais on rêve ! Mais

moi, je vais vous dire, je pense que non seulement on a le droit de se moquer de Madame Y

mais on a le devoir de combattre Madame Y. »

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 6 octobre 2020, Mme

Y-I a demandé auprès de M. Z en sa qualité de directeur de publication de la

chaîne, à exercer un droit de réponse.

Par courrier du 14 octobre 2020, la responsable juridique de la chaîne Cnews lui a opposé un refus,

sa demande ‘ n’étant pas conforme aux exigences fixées par les lois et règlements en vigueur’.

Saisi par assignation délivrée par Mme Y-I le 26 novembre 2020 à M. Z et à la

Sesi, par ordonnance contradictoire rendue le 11 février 2021, le juge des référés du tribunal

judiciaire de Nanterre a :

— rejeté l’exception de nullité de l’assignation,

— ordonné à M. Z, en sa qualité de directeur de la publication de la chaîne Cnews, de diffuser la

réponse que Mme Y-I lui a adressée par lettre du 6 octobre 2020, en ces termes :

‘Au cours de l’émission ‘Face à l’info’ diffusée le 31 août 2020 sur votre chaîne, votre chroniqueur

D C a porté atteinte à mon honneur et à ma réputation de femme noire, députée, qui mène

la tête haute un combat pour l’égalité et contre le racisme.

Il a déclaré qu’il m’avait vu ‘refuser de dire Vive la France’, ‘organiser des réunions interdites aux

blancs’ et ‘dire tout [mon] amour pour Mohammed F’.

Rien de cela n’est vrai.

Je n’ai pas refusé de dire ‘Vive la France’, j’ai demandé aux journalistes présents pourquoi on me le

demandait à moi, et uniquement à moi, tout juste élue, sinon parce que je suis noire et que je suis née

à l’étranger, ce qui me rend peut-être ‘moins française’ ou moins légitime que d’autres aux yeux de

certains.

Je n’ai rien ‘organisé’ ni ‘interdit’ aux ‘blancs’, j’ai défendu le droit des personnes concernées par un

problème, le racisme, de se réunir entre elles pour en parler si elles le souhaitent.

Quant à la phrase sur Mohammed F, elle est sortie de nulle part, je n’ai bien évidemment

jamais rien dit de tel ou même qui s’en approche’,

— dit que cette réponse devra être mise à la disposition du public dans des conditions techniques

équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusé le message contenant les imputations invoquées, de

manière que soit assurée une audience équivalente à celle de l’émission ‘Face à l’info’ diffusée le 31

août 2020,

— dit que cette diffusion devra intervenir dans un délai d’un mois suivant la signification de la

présente décision, et ce sous astreinte provisoire de mille euros (1 000 euros) par jour de retard passé

ce délai pendant une durée de trois mois,

— rejeté la demande de provision de Mme Y-I,

— condamné la Société d’exploitation d’un service d’information à payer à Mme Y-I la

somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné in solidum M. Z et la Sesi aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 18 février 2021, la Sesi et M. Z ont interjeté appel de cette

ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l’exclusion de ce qu’elle a rejeté la demande de

provision de Mme Y-I.

Autorisée par ordonnance rendue le 3 mars 2021, la Sesi et M. Z ont fait assigner à jour fixe

Mme Y-I pour l’audience du 7 avril 2021 à 14 heures.

Copie de l’assignation a été remise au greffe le 12 mars 2021.

Saisi par acte d’huissier de justice délivré le 11 mars 2021 par M. Z et la Sesi à Mme

Y-I, par ordonnance de référé rendue le 1er avril 2021, le magistrat délégué par M. le

premier président de la cour d’appel de Versailles a :

— rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme Y-I,

— rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire,

— condamné M. Z et la société Sesi aux dépens,

— condamné à payer à Mme Y-I au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

M. Z la somme de 1 500 euros et la société Sesi la somme de 1 500 euros.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 6 avril 2021 auxquelles il convient de se reporter pour

un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. Z, directeur de la publication de la

société Sesi, et la société Sesi demandent à la cour, au visa des articles 13, 29 alinéa 1er et 53 de la

loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des

droits de l’homme et des libertés fondamentales, 6 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la

communication audiovisuelle et du décret n°87-246 du 6 avril 1987 relatif à l’exercice du droit de

réponse dans les services de communication audiovisuelle, de :

— déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté ;

y faisant droit ;

— infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :

— rejeté l’exception de nullité de l’assignation,

— ordonné à M. X-G Z, en sa qualité de directeur de la publication de la chaîne

CNEWS, de diffuser la réponse que Mme A Y-I lui a adressée par lettre du 6

octobre 2020 en ces termes (…)

— dit que cette réponse devra être mise à la disposition du public dans des conditions techniques

équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusé le message contenant les imputations invoquées, de

manière que soit assurée une audience équivalente à celle de l’émission ‘Face à l’info’ diffusée le 31

août 2020,

— dit que cette diffusion devra intervenir dans un délai d’un mois suivant la signification de la

présente décision, et ce sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard passé ce délai

pendant une durée de trois mois,

— condamné la Société d’exploitation d’un service d’information à payer à Mme A

Y-I la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné in solidum M. X-G Z et la Société d’exploitation d’un service

d’information aux dépens ;

— confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté la demande de provision de Mme Y-

I ;

statuant à nouveau :

— prononcer la nullité de l’assignation délivrée à la requête de Mme Y- I ;

— débouter Mme Y-I de l’ensemble de ses demandes ;

à titre subsidiaire,

— infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue le 11 février 2021 par le juge des

référés du tribunal judiciaire de Nanterre, y compris celles relatives aux dépens et à l’article 700 du

code de procédure civile, à l’exception de celle ayant rejeté la demande de provision de Mme

Y-I ;

et, statuant à nouveau :

— débouter Mme Y-I de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

en tout état de cause :

— déclarer mal fondé l’appel incident formé par Mme Y-I et l’en débouter ;

— condamner Mme Y-I à payer à la Sesi la somme de 3 000 euros en application des

dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et

d’appel.

Dans ses dernières conclusions déposées le 6 avril 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un

exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme Y-I demande à la cour de :

— infirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a rejeté la demande de provision qu’elle a formée ;

et, statuant à nouveau,

— condamner la Sesi et, à défaut, M. Z, à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de provision

à valoir sur l’indemnisation de son préjudice ;

— confirmer l’ordonnance de référé pour le surplus ;

et, y ajoutant,

— condamner la Sesi et M. Z à lui payer la somme de 5 000 euros chacun au titre de l’article 700

du code de procédure civile et aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 – Sur la nullité de l’assignation

La Sesi et M. Z, en application de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la

presse, soulèvent la nullité de l’assignation introductive d’instance au motif que Mme

Y-I n’aurait pas respecté les obligations de dénonciation au ministère public et

d’élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie.

Ils considèrent que le juge des référés a méconnu le principe d’unicité du procès de presse qui est

consacré par ce texte et depuis 2013, par la jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de

cassation, y compris dans les procédures d’urgence (1re chambre civile le 26 septembre 2019).

Les appelants estiment que la loi du 29 juillet 1881 doit être appliquée si une mesure restrictive à la

liberté d’expression est sollicitée en raison d’une infraction de presse, sauf si un texte législatif en

écarte l’application.

Ils soutiennent que rien ne justifie un traitement procédural différent selon que le droit de réponse ait

vocation à s’exercer dans la presse écrite, la communication électronique ou la communication

audiovisuelle.

Mme Y-I rappelle que le droit de réponse en matière de communication

audiovisuelle est prévu par la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 et le décret d’application n°87-246 du 6

avril 1987.

Elle fait plaider au contraire, l’existence d’un régime spécifique applicable au droit de réponse

audiovisuel, pour s’opposer au moyen pris de la violation de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881.

Elle cite une jurisprudence de la Cour de cassation de 2005.

Sur ce,

L’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 institue un droit de réponse applicable à la presse écrite. Selon

l’article 53 de cette loi :’La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de

loi applicable à la poursuite.

Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège

la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public.

Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite.’

En l’espèce, Mme Y-I exerce son action sur le fondement de l’article 6 de la loi du 29

juillet 1982, sans référence à la loi du 29 juillet 1881, et tente d’obtenir un droit de réponse aux

propos tenus par M. C dans l’émission de télévision « Face à l’info » diffusée le 31 août

2020.

Peu importe que l’action soit exercée en référé.

Ce texte de 1982 qui a été modifié par l’article 22 de l’ordonnance n°2019-738 du 17 juillet 2019,

consacre l’exercice d’un droit de réponse autonome dans le cadre d’une activité de communication

audiovisuelle, indépendant des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, même si celles-ci ne sont pas

expressément écartées.

Les dispositions de la loi du 29 juillet 1982 et du décret du 6 avril 1987 ne prévoient aucune règle de

procédure particulière en ce qui concerne l’action tendant au respect du droit de réponse en matière

audiovisuelle.

Il est donc sans incidence sur la solution du litige que l’assignation n’ait pas été dénoncée au

ministère public et que Mme Y-I n’y fasse pas élection de domicile, aucune nullité ne

peut en résulter et l’ordonnance querellée sera confirmée en ce qu’elle a jugé à ce titre.

2 – Sur le droit de réponse

— sur la régularité de la demande adressée à M. Z

La Sesi et M. Z soutiennent que Mme Y-I a méconnu son obligation, dans sa

demande de droit de réponse, d’insérer « les imputations sur lesquelles le demandeur souhaite

répondre » et de préciser en quoi elles sont susceptibles de porter atteinte à son honneur et à sa

réputation, en contravention avec l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 et l’article 3 du décret

d’application du 6 avril 1987.

Selon les appelants, outre l’exposé des raisons de l’atteinte à son honneur et à sa réputation, deux

conditions sont requises : la précision des imputations sur lesquelles le droit de réponse doit s’exercer

et la mention des passages contestés.

Mme Y-I rétorque que l’obligation est satisfaite dès lors qu’il est fait « mention des

passages contestés ». Elle ajoute qu’elle n’avait pas à expliciter dans sa demande de droit de réponse,

en quoi les imputations sont contraires à son honneur et à sa réputation, cette exigence s’imposant

seulement au stade de l’action en justice.

Elle estime que la demande de droit de réponse est conforme aux prescriptions légales et

réglementaires et qu’il n’existe aucune imprécision quant au passage contesté, aux imputations visées

ou la réponse souhaitée.

Sur ce,

L’article 6 I de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 en ses deux premiers paragraphes, dispose que : «

Toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans le cas où les imputations

susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre

d’une activité de communication audiovisuelle. Le demandeur doit préciser les imputations sur

lesquelles il souhaite répondre et la teneur de la réponse qu’il se propose d’y faire. »

Seule la deuxième partie de ce texte impose une obligation formelle au demandeur.

L’article 3 du décret du 6 avril 1987 précise que : « La demande indique les références du message

ainsi que les circonstances dans lesquelles le message a été mis à la disposition du public. Elle

contient la mention des passages contestés et la teneur de la réponse souhaitée. »

Il n’est pas discuté qu’en indiquant le nom et le jour de l’émission incriminée, Mme

Y-I a suffisamment précisé dans sa demande adressée à M. Z, ‘les références du

message ainsi que les circonstances dans lesquelles le message a été mis à la disposition du public’.

Considérant qu’il ‘a porté atteinte à (son) honneur et à (sa) réputation de femme noire, députée, qui

mène la tête haute un combat pour l’égalité et contre le racisme’, l’entier propos de M. C (les

imputations) tel qu’il a été relevé par l’huissier dans son constat dressé le 2 octobre 2020 est rapporté

dans la demande de Mme Y-I adressée à M. Z et la réponse souhaitée y figure

également, de sorte que l’article 6 I de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 et la deuxième exigence du

décret sont également respectés.

Lui reprocher de ne pas avoir explicité dans sa demande de droit de réponse en quoi ces ‘imputations

(sont) susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation’, serait en rajouter à la loi et

n’est donc pas justifié.

Contrairement aux allégations des appelants, la demande de Mme Y-I adressée à M.

Z est donc conforme aux exigences légales.

— sur l’atteinte à l’honneur de Mme Y-I

Les appelants soutiennent que le juge des référés a considéré à tort qu’il existait des « imputations

susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation » de Mme Y-I.

Ils font valoir que certains propos (refus de dire ‘vive la France’) ne sont que la reprise de sa propre

intervention et ne contiennent l’imputation d’aucun fait.

L’intimée rétorque que cette atteinte existe bien, en ce qu’elle lui prête d’abord un refus de sa part à la

télévision de dire « Vive la France », ce qui met en cause son patriotisme en rupture avec les valeurs

d’un pays dont elle est pourtant l’une des représentantes, ensuite l’organisation de ‘réunions dont on

ignore la nature et dont l’accès aurait été interdit aux personnes blanches’, ce qui laisse supposer un

racisme à leur égard, et enfin, une connivence, voire une solidarité intellectuelle et morale avec un

terroriste.

Sur ce,

Seules les imputations susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne

sont de nature à fonder l’exercice d’un droit de réponse spécifique et ces imputations doivent se

présenter sous la forme d’une articulation précise des faits de nature à être sans difficulté l’objet d’une

preuve ou d’un débat contradictoire. (Civ2 du 3 juin 2004,n°271)

Il appartient à Mme Y-I de démontrer que les propos pour lesquels elle réclame un

droit de réponse, remplissent ces conditions.

Imputer à une personne dans une émission télévisée une opinion contraire à l’ordre public, à la

morale ou aux bonnes moeurs ou lui reprocher une action illégale peut à l’évidence, porter atteinte à

son honneur ou à sa réputation.

S’agissant de propos suffisamment précis dans leur contenu et suspectés d’avoir été tenus

publiquement par l’intéressée, ils peuvent sans difficulté faire l’objet d’une preuve ou d’un débat

contradictoire.

Or effectivement, le fait d’affirmer que Mme Y-I a refusé de dire « Vive la France »,

sorti de son contexte, peut fragiliser la réputation d’une élue de la République et le fait ‘d’organiser

des réunions interdites aux blancs’, si telle est la réalité, peut être considéré comme discriminant sur

le seul critère tenant à la couleur de peau.

Quant aux propos suspectés d’avoir été tenus sur Mohammed F, ils seraient à l’évidence

contraires à la morale et même insultants, également susceptibles de porter atteinte à l’honneur et la

réputation de Mme Y-I.

— sur la conformité du droit de réponse

Les appelants indiquent qu’il existe quatre motifs légitimes de refus d’insertion, s’appliquant en

matière audiovisuelle : la contrariété à l’ordre public ou aux bonnes m’urs, l’atteinte à l’intérêt

légitime d’un tiers, l’atteinte à l’honneur ou à la considération du journaliste, et le défaut de

corrélation de la réponse avec la mise en cause.

Ils soutiennent que l’affirmation dans le corps de la réponse sollicitée, faite au présent de l’indicatif

dans les termes suivants : « votre chroniqueur D C a porté atteinte à mon honneur et à ma

réputation de femme noire », qui constitue une mise en cause du journaliste laissant entendre qu’il est

raciste, est diffamante.

Ils ajoutent au sujet de Mohammed Mehra, que le droit de réponse qui laisse supposer la diffusion

d’«informations totalement contraires à la vérité» et donc une absence de vérification de ses sources,

est également diffamant pour le journaliste, justifiant aussi le refus de publication.

Ils insistent dès lors sur l’absence de proportionnalité de la réponse au regard de ces excès.

Ils relèvent que ‘refuser de dire Vive la France’ ou d’ ‘organiser des réunions interdites aux blancs’,

sont des propos de Mme Y-I dont la presse s’est déjà fait l’écho.

Mme Y-I prétend au contraire qu’il n’existe aucune atteinte à l’honneur du journaliste

sauf à considérer que tout démenti de paroles qu’un journaliste prêterait à une personne constituerait

de facto une atteinte à l’honneur de ce dernier, ce qui reviendrait à vider de sa substance le principe

même du droit de réponse, alors qu’il n’y a aucune mise en cause personnelle ou animosité.

Elle relève à l’inverse le caractère violent des attaques dont elle a fait l’objet.

Sur ce,

Dès lors qu’il est corrélé avec les imputations litigieuses, le droit de réponse ne trouve de limite que

dans l’abus. Il n’est qu’un point de vue destiné à contrebalancer celui du journaliste.

N’est pas questionné dans le cas d’espèce, le lien entre les imputations litigieuses et le contenu du

droit de réponse réclamé.

Au contraire des allégations des appelants, il sera retenu que dans sa réponse, évoquant son ressenti

de ‘femme noire’ et en sa qualité de ‘députée, qui mène la tête haute un combat pour l’égalité et

contre le racisme’, Mme Y-I se contente d’un démenti circonstancié concernant son

refus de dire ‘Vive la France’, et formel concernant les propos qui lui sont prêtés sur Mohammed

F par M. C.

En effet, alors que le journaliste affirme avoir vu Mme Y-I dire ‘tout son amour pour

Mohammed F, qui tue des enfants juifs comme ça avec un pistolet sur la tête’ sans apporter le

moindre détail sur les circonstances dans lesquels ces propos ont pu être tenus, et qu’il conclut en disant qu’il faut ‘ combattre Madame Y’, face à cette attaque qu’il convient de qualifier de

violente, aussi bien dans le ton que dans les accusations portées, la réponse de Mme

Y-I qui est de dire notamment, que ‘rien de cela n’est vrai’ et que ‘la phrase sur

Mohammed F, (elle) est sortie de nulle part’, constitue au contraire une mise en cause mesurée

du journaliste, sans atteinte disproportionnée à son honneur.

Quant à sa prise de position de ‘défend(re) le droit des personnes concernées par un problème, le

racisme, de se réunir entre elles pour en parler si elles le souhaitent’, Mme Y-I

exprime une opinion personnelle qui relève de la liberté d’expression et qui n’excède pas ce qui est

admissible à ce titre.

Dans ces conditions, le droit de réponse est justifié et l’ordonnance sera confirmée.

3 – Sur l’appel incident de Mme Y-I et sa demande de provision

Mme Y-I sollicite la condamnation de la Sesi et, à défaut, M. Z, à lui verser la

somme de 5 000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice causé par le

refus infondé du directeur de la publication de diffuser la réponse, ce qui ne lui a pas permis de

rétablir immédiatement la vérité. Elle estime en outre que la diffusion du droit de réponse n’est pas

de nature à réparer ce préjudice au regard de la violence des accusations dont elle a fait l’objet et de

la tardiveté de la diffusion de ce droit de réponse.

La Sesi et M. Z sollicitent au contraire la confirmation de l’ordonnance qui a rejeté la demande

de provision. Ils prétendent que la diffusion du droit de réponse sollicitée répare de façon intégrale le

préjudice qui résulterait d’un refus d’insertion non justifié.

Sur ce,

Il est constant que le droit de réponse Mme Y-I a été diffusé le 22 mars 2021.

Selon l’article 835 du code de procédure civile : ‘Le président du tribunal judiciaire ou le juge des

contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, (…) dans les cas où l’existence de

l’obligation n’est pas sérieusement contestable, peuvent accorder une provision au créancier, ou

ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.’

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision :

celle de rechercher si l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Doivent être précisés les

éléments de la contestation qui rendent celle-ci sérieuse.

Il sera retenu qu’une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux

prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens

de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient

saisir les juges du fond.

À l’inverse, sera écartée une contestation qui serait à l’évidence superficielle ou artificielle. Le

montant de la provision allouée n’a alors d’autre limite que le montant non sérieusement contestable

de la dette alléguée.

Si le droit de réponse dont les termes ont été reconnus proportionnés à l’attaque, répare intégralement

le préjudice résultant de la diffusion initiale, il est observé qu’aucune des critiques formulées par les

appelants du droit de réponse réclamé ne justifie qu’il n’ait pas été diffusé sans délai, de sorte que le

retard qui leur est exclusivement imputable, est fautif. Ce retard étant de toute évidence préjudiciable

à Mme Y en ce qu’il ne lui a pas permis de donner immédiatement sa version des faits, justifie

l’octroi d’une provision de dommages et intérêts sur l’indemnisation de son préjudice qui sera

justement évaluée à la somme de 1 000 euros.

2 – Sur les demandes accessoires

L’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première

instance.

Partie perdante, la Sesi et M. Z ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Ils

devront en outre, in solidum, supporter les dépens d’appel.

Il est en outre inéquitable de laisser à l’intimée la charge des frais irrépétibles exposés en cause

d’appel. La Sesi sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 2 000 euros sur le

fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME l’ordonnance rendue le 11 février 2021 sauf en ce qu’elle a rejeté la demande de

provision de Mme Y-I,

Y ajoutant,

CONDAMNE la Société d’Exploitation d’un Service d’Information à payer à Mme

Y-I une provision de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice résultant

du retard dans la diffusion de son droit de réponse,

CONDAMNE la Société d’Exploitation d’un Service d’Information à payer à Mme

Y-I la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

DIT que la Société d’Exploitation d’un Service d’Information et M. Z supporteront in solidum la

charge des dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699

du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en

ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du

code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Monsieur

Alexandre GAVACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat

signataire.

Le greffier, Le président,


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