Droit audiovisuel : 12 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/04680

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Droit audiovisuel : 12 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/04680
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRET DU 12 MAI 2022

(n° , 18 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04680 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDINP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Février 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2020015063

APPELANTE

S.A.R.L. LABEL TELE

N° SIRET : 432 045 086

69 rue Haxo

75020 PARIS

Représentée par Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209, avocat postulant

Représentée par Me Jean-sylvain THINAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEES

S.A.S. ACOFI – ASSISTANCES COMPTABLES ET FIDUCIAIRE

N° SIRET : 312 160 385

33 Avenue Pierre Brossolette

94000 CRETEIL

Représentée par Me Marie-hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2153, avocat postulant

Représentée par Me Valère GAUSSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R132, avocat plaidant

S.A. MMA IARD

14 boulevard Marie et Alexandre Oyon

72030 LE MANS CEDEX 9

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant

Représentée par Me Arnaud PERICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : J086, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 30 mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sophie MOLLAT, Présidente

Madame Isabelle ROHART, Conseillère

Madame Déborah CORICON, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIERE : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

– contradictoire

– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .

**********

La société Label Télé, créée le 14 juin 2000 et gérée depuis le 16 mars 2001 par M. [X], a développé une activité de production audiovisuelle indépendante de contenus variés ‘ fictions, reportages, magazines ‘ pour l’ensemble des grandes chaînes télévisées françaises, les principales chaînes européennes, ainsi que de nombreuses stations de radio françaises, des agences de publicité et des institutions.

Aux termes d’une lettre de mission établie le 19 juillet 2000, la société d’expertise comptable Acofi Assistances Comptables et Fiduciaires (ci-après ‘Acofi’) a proposé ses services à la société Label Télé, en vue d’une mission de présentation des comptes annuels et de surveillance comptable et d’établissement de toutes les déclarations tant fiscales que sociales obligatoires.

Mme [O] [K] a été recrutée en qualité de directrice administrative et financière le 1er décembre 2004. Début 2008, la banque Fortis dans laquelle la société Label Télé détenait un compte informait M. [X] de ce que le solde du compte de la société était débiteur de la somme de 533 440, 40 euros. D’autres anomalies ayant alors été découvertes, la société déposait plainte le 27 juin 2008 près le Procureur de la République de Nanterre. Par jugement du 23 mars 2012, le tribunal correctionnel de Nanterre condamnait Mme [K] des chefs d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable, abus de confiance et escroqueries à une peine de 4 ans d’emprisonnement dont 18 mois assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve. Elle a également été condamnée à verser à la société Label Télé les sommes de :

– 27 624,04 euros, en réparation du préjudice causé par l’abus de confiance consistant en l’usage de la carte bancaire de la société Label Télé,

– 489 277,81 euros, en réparation du préjudice causé par l’abus de confiance consistant en l’usage des chèques de la société Label Télé,

– 134 747 euros, en réparation du préjudice causé par l’abus de confiance consistant en l’augmentation frauduleuse et occulte de ses propres salaires par Mme [K],

– 70 150 euros au titre de dommages-intérêts correspondant aux frais d’expertise comptable engagés par la société Label Télé.

Mme [K] a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 5 février 2014, la cour d’appel de Versailles a confirmé la culpabilité de Mme [K] et réduit la peine à 3 ans d’emprisonnement intégralement assorti du sursis avec mise à l’épreuve

Les condamnations civiles ont été confirmées, sauf la somme de 489 227, 81 euros qui a été réduite à la somme de 469 227, 81 euros. La cour d’appel a ajouté la somme de 45 705 euros au titre du surcoût salarial et social. Le 7 mai 2015, la société Label Télé et Mme [K] concluait une transaction prévoyant le versement de la somme de 150 000 euros par cette dernière.

La société Label Télé a assigné la société Acofi par acte d’huissier du 14 juin 2013 devant le tribunal de commerce de Créteil aux fins de voir constater les fautes commises par celle-ci et indemniser le préjudice qui en découle. Elle a assigné en intervention forcée l’assureur de la société Acofi, la société Covea Risks, aux droits de laquelle vient MMA Iard à la suite d’une fusion-absorption.

Un jugement avant-dire droit du 15 novembre 2016 a désigné M. [Y] comme expert avec pour mission, notamment, de dire si la société Acofi aurait du déceler en totalité ou pour partie, les détournements et malversations commis par Mme [O] [K], dire si un ou plusieurs défauts de conseil peuvent être reprochés à la société Acogi, et donner son avis sur les responsabilités du gérant de la société Label Télé et de la société Acofi dans le contrôle de l’activité de Mme [O] [K].

L’expert a rendu un document de synthèse le 19 avril 2018, un second document le 11 octobre 2018 puis son rapport définitif le 4 décembre 2018.

La société Label Télé a alors fait réaliser une expertise privée par M. [T], expert près la cour d’appel de Paris, qui a déposé son rapport le 10 juin 2019.

Le tribunal de commerce de Créteil s’est alors dessaisi au profit du tribunal de commerce de Paris, M. [T] ayant été juge consulaire au tribunal de commerce de Créteil.

Par jugement du 2 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

– condamné la société Acofi à payer à la société Label Télé, à titre de dommages et intérêts, la somme de 481 676 euros ;

– condamné la société Acofi à payer à la société Label Télé, à titre de restitution des honoraires perçus, la somme de 19 072 euros TTC ;

– condamné la société Acofi à payer à la société Label Télé, à titre d’intérêts compensatoires, la somme de 90 583 euros ;

– condamné la société MMA Iard à garantir la société Acofi de ses condamnations au paiement des sommes suivantes :

o 481 676 euros à titre de dommages et intérêts ;

o 87 463 euros (soit 90 583 euros – 3 120 euros) à titre d’intérêts compensatoires ;

– condamné la société Acofi à payer à la société Label télé la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

– condamné la société Acofi aux entiers dépens.

La société Label Télé a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 10 mars 2021.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 février 2022, la société Label Télé demande à la cour de :

– La Recevoir en son appel (principal et incident),

En conséquence,

– Infirmer le jugement prononcé le 2 février 2021 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, à l’exception des dispositions suivantes :

Ordonne l’exécution provisoire ;

Condamne la société Acofi aux dépens qui comprendront les frais d’expertise, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidé à la somme de 95,62 euros dont 15,72 euros de TVA ;

Et statuant de nouveau,

– Constater les fautes commises par la société Acofi et le lien de causalité existant entre ces fautes et le préjudice subi par elle ;

En conséquence,

– Condamner la société Acofi et la société MMA, in solidum, à lui payer, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique, les sommes de:

‘ 575 997 euros au titre du préjudice non réparé résultant des malversations et détournements commis par Mme [O] [K] ;

‘ 27 016 euros au titre du redressement fiscal dont elle a fait l’objet ;

‘ 63 991 euros au titre des licenciements économiques auxquels elle a dû procéder ;

‘ 327 009 euros au titre des frais d’expertise comptable et d’avocats qu’elle a été contrainte d’engager ;

‘ 100 000 euros au titre de la perte de temps subie par elle pour tenter de réparer les désordres constatés et suivre les litiges découlant des fraudes ;

‘ 100 000 euros au titre de l’atteinte portée à son image ;

‘ 1 820 000 euros au titre du gain manqué par elle, résultant d’une perte de chance liée à la création d’une joint-venture au Qatar ;

‘ 4 231 352 euros au titre du gain manqué par elle, résultant d’une baisse de son activité;

‘ 22 018 euros en restitution des honoraires indûment perçus par la société Acofi ;

‘ 269 388 euros au titre des intérêts compensatoires portant sur les sommes détournées et ses préjudices ;

– Condamner la société Acofi et la société MMA, in solidum, à lui payer la somme de

60 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Dire que l’ensemble de ces condamnations financières seront productives d’intérêts au taux légal, à compter de l’arrêt à intervenir, et ordonner la capitalisation des intérêts ;

– Condamner la société MMA à garantir la société Acofi de toutes les condamnations en principal, intérêts, frais, dépens et accessoires qui seront prononcées contre elle à son bénéfice ;

– A tout le moins, dire commun et opposable à la société MMA tout jugement à intervenir dans cette affaire ;

– Débouter la société Acofi et la société MMA de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

– Condamner la société Acofi et la société MMA aux entiers dépens d’appel.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées le 21 février 2022, la société Acofi Assistances comptables et fiduciaires demande à la cour de :

Prendre acte qu’elle entend reprendre et faire sienne les explications, conclusions et pièces de MMA ;

En conséquence,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé qu’elle avait commis une faute dans le cadre de ses fonctions d’expert-comptable de la société Label Télé ;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé qu’il existait un lien de causalité entre les manquements qui lui sont reprochés et les préjudices allégués par Label Télé ;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que Label Télé justifiait de préjudices réparables et condamné Acofi et MMA à lui payer la somme de 481 676 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 90 583 euros à titre d’intérêts compensatoires ;

Condamner Label Télé à rembourser les sommes versées suite au jugement du Tribunal de commerce ;

Débouter en conséquence Label Télé de toutes ses demandes, fins et prétentions à son égard, notamment concernant le remboursement des honoraires facturés ;

Confirmer en tant que de besoin le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le contrat d’assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle par MMA ne prend pas en charge les éventuelles condamnations prononcées en matière d’honoraires.

Condamner Label Télé à lui payer la somme de 10 000 euros, outre les entiers dépens de l’instance et d’expertise.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées le 8 septembre 2021 pare voie électronique, la société MMA Iard demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé qu’Acofi avait commis une faute dans le cadre de ses fonctions d’expert-comptable de la société Label Télé,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé qu’il existait un lien de causalité entre les manquements reprochés à Acofi et les préjudices allégués par Label Télé,

Débouter en conséquence Label Télé de toutes ses demandes, fins et prétentions à son égard en sa qualité d’assureur de responsabilité civile d’Acofi,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que Label Télé justifiait de préjudices réparables et condamné Acofi et MMA à lui payer la somme de 481 676 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 90 583 euros à titre d’intérêts compensatoires ;

Débouter en conséquence Label Télé de toutes ses demandes, fins et prétentions à son égard en sa qualité d’assureur de responsabilité civile d’Acofi,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le contrat d’assurance couvrant la responsabilité civile professionnelle d’Acofi ne prend pas en charge les éventuelles condamnations prononcées en matière d’honoraires,

Débouter en conséquence toutes parties d’une éventuelle demande de garantie à son égard au titre de la demande de restitution des honoraires formulée par Label Télé,

Vu l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamner Label Télé à lui payer la somme de 20 000 euros, outre les entiers dépens de l’instance et d’expertise.

SUR CE,

Sur les fautes commises par la société Acofi

* Les sociétés Acofi et MMA demandent l’infirmation du jugement qui a dit que la société Acofi avait commis des fautes dans l’exécution de sa mission.

Elles font valoir que la responsabilité de l’expert-comptable est contractuelle, qu’il s’agit d’une obligation de moyen qui repose sur la coopération du client.

Elles indiquent qu’il ne peut être reproché à la société Acofi :

– De ne pas avoir détecté les détournements commis par l’ancienne salariée de la société Label Télé

Elles font valoir qu’à l’arrivée de Mme [K], la mission d’Acofi a été profondément modifiée, la mission de présentation des comptes et de réalisation des déclarations fiscales et sociales ayant été interrompue, et qu’il ne peut donc être reproché à Acofi une défaillance dans le cadre d’une mission qu’elle n’exerçait plus. Elle reconnaît qu’elle aurait alors du ajuster ses honoraires à la baisse, mais qu’ils étaient déjà peu élevés. Elles reprochent aux premiers juges de ne pas avoir retenu cette fin de mission, certes tacite, mais pourtant non équivoque et d’avoir retenu qu’Acofi a commis une faute

– De ne pas avoir attiré l’attention du dirigeant de la société Label Télé sur la nécessité de ne pas concentrer autant de pouvoirs entre les mains de ladite salariée

Elles font valoir que la concentration sur un seul salarié de tous les pouvoirs comptable et bancaire est une situation très commune dans les petites structures, ce qui confirme M. [S], l’expert, qui n’a pas détecté de risques particuliers quant à cette situation.

– De ne pas avoir indiqué à ce même dirigeant que la société avait atteint les seuils nécessitant la désignation d’un commissaire aux comptes, qui aurait pu détecter les détournements

Elles font valoir que c’était à la société Label Télé de vérifier qu’elle ne dépassait pas les seuils requis pour la nomination d’un commissaire aux comptes et qu’en tout état de cause, la désignation d’un commissaire aux comptes n’aurait pas forcément permis de détecter la fraude puisqu’il ne contrôle pas toutes les opérations.

* La société Label Télé demande la confirmation du jugement sur ce point. Elle rappelle ses moyens développés en première instance tendant à démonter les fautes commises par Acofi :

– Au regard des normes professionnelles applicables (issues du document ‘Les normes et le cadre conceptuel relatifs aux missions normalisées de l’Expert-comptable’):

Norme 3321 ‘ Programmation des travaux

M. [Y] n’a pas examiné els manquements à cette norme alors que son respect aurait permis d’alerter le gérant dès début 2005 sur le comportement de Mme [K] récemment recrutée. Définir des modalités de transmission des documents en cours d’année aurait permis de voir que Mme [K] était très directive et ne communiquait pas les documents demandés.

Norme 3322 ‘ Lettre de mission

L’expert a simplement indiqué sur ce point que le cabinet Acofi aurait du présente un avenant limitant l’étendue de ses travaux après l’arrivée de Mme [K], vu le changement significatif de mission. La société Label Télé fait valoir que le cabinet Acofi a non seulement continué à percevoir ses honoraires sans les baisser, mais aurait pu se rendre compte, s’il avait examiné la régularité des déclarations fiscales et sociales, dès janvier 2005 des détournements commis par Mme [K], notamment par les incohérences flagrantes entre les DADS déposées auprès de l’URSSAF et celles déposés auprès de la caisse de retraite Audiens, ou entre ces DADS et les éléments enregistrés en comptabilité.

Norme 3323 ‘ Délégation et supervision

M. [W] et M. [H] étaient en charge, au sein du cabinet Acofi, de la comptabilité de la société Label Télé. M. [H] a indiqué lors de son audition par les servies de police qu’il se contentait de valider la correcte application des normes par son collaborateur, sans valider la cohérence du bilan. M. [W], collaborateur, n’exécutait plus de diligences depuis l’arrivée de Mme [K].

Norme 3324 ‘ Organisation de la comptabilité

Le cabinet Acofi n’a pas effectué de diligences au titre des procédures d’organisation comptable, comme le relève l’expert, et n’a pas attiré l’attention du gérant sur le risque lié à la délégation de signature sur les comptes bancaires accordée à Mme [K], quant bien même cette délégation était prévue dans les statuts de la société. L’expert a souligné la défaillance du contrôle interne.

Le cabinet AcofiI n’a pas remarqué que Mme [K] agrégeait tous les salaires dans le compte 641, sans distinction des contrats à durée déterminée et des contrats à durée indéterminée, ce qui rendait difficile le contrôle de la cohérence du ratio salaires/charges sociales. La société Label Télé conteste l’affirmation de l’expert selon laquelle un plan de comptes détaillé n’aurait pas permis de déceler la présence de salariés fictifs, indiquant qu’en matière audiovisuelle, le recours au personnel intermittent, qui représente un coût variable et agit donc sur la rentabilité de la production, est un élément clé de l’analyse et du contrôle de l’expert-comptable dans ce domaine.

Norme 3325 ‘ Contrôle de la régularité en la forme

L’expert a relevé que M. [W] n’a pas réalisé ces diligences. L’importance des charges sociales et de la TVA aurait nécessité l’examen des pièces justificatives, qui étaient en l’occurrence divergentes des écritures comptables et aurait permis de déceler la fraude. Le tribunal administratif a également relevé la divergence entre les écritures comptables relatives à la TVA et les déclarations CA3. Des incohérences existent également dans le compte des rémunérations externes, le compte des notes de frais du gérant et le compte des opérations diverses, utilisé pour masquer les malversations.

Norme 3326 ‘ Arrêté des comptes annuels

L’expert a jugé cette norme non applicable au regard de la mission de présentation des comptes, ce que conteste la société Label Télé puisque l’arrêté des comptes annuels est l’objet même de cette mission. L’expert comptable aurait du mettre en oeuvre un contrôle de la TVA, des charges sociales, des notes de frais du gérant et des notes de frais collectifs, de la rémunération du gérant et des charges exceptionnelles.

Norme 3327 ‘ Examen critique des comptes annuels

C’est la norme principale sur laquelle s’appuie le rapport de M. [Y] pour caractériser la faute du cabinet Acofi. Cet examen vient après le contrôle de la régularité et l’arrêté des comptes annuels.

La société Label Télé conteste la conclusion de l’expert selon laquelle les fraudes de Mme [K] ont principalement affectées les postes de salaires et charges de personnel, et le compte frais du gérant, estimant au contraire que tous les comptes ont été concernés. Elle fait valoir que le jugement correctionnel liste les détournements mais pas les écritures frauduleuses qui ont entaché la majorité des comptes. Elle souligne des inexactitudes dans le tableau de l’expert sur les variations pluriannuelles du compte de résultat.

Cette norme recouvre d’abord une revue de cohérence sur la forme, ce que n’a pas fait le cabinet Acofi, le compte de résultats de l’exercice 2004 présentant une inversion entre le poste ‘production vendue de biens’ et ‘production vendue de services’ qui aurait du alerter l’expert comptable. L’examen critique des comptes aurait ensuite permis de détecter que les salaires et traitements ainsi que les charges sociales ont, en 2004, diminué respectivement de 11 et 20% par rapport à 2003, alors que le chiffre d’affaires augmente de 51% et que les charges exceptionnelles sur opération de gestion ont augmenté de presque 19%, cachant une ‘opération diverse’ camouflant un détournement de 6 612, 56 euros.

De même, la TVA figurant dans le sous-poste « Etat, taxes sur le chiffre d’affaires » diminue de 24% de 2003 à 2004 alors que le chiffre d’affaires augmente de 51% sur le même période.

La société liste également des anomalies sur le compte ‘dettes fournisseurs et comptes rattachés’.

Enfin, la société Label Télé rappelle que al mission comportait l’établissement des déclarations sociales obligatoires, et qu’un simple coup d’oeil aux DADS auraient permis de relever les divergences précédemment énoncées.

Norme 3328 ‘ Utilisation des travaux d’autres professionnels

L’expert a indiqué que l’application de cette norme était sans objet dans le présent dossier, ce que regrette la société Label Télé reprochant à Acofi de ne pas l’avoir informée de la nécessité de désigner un commissaire aux comptes.

Norme 3329 ‘ Documentation des travaux

L’expert comptable doit tenir un dossier permanent qui recouvre les informations utiles pour l’exercice en cours et les suivants, et un dossier par exercice. Le cabinet Acofi n’a pas été en mesure de produire ces dossiers.

Norme 3330 ‘ Norme de rapport

M. [Y] a souligné à ce sujet qu’un expert comptable qui rencontre des limitations dans ses diligences doit faire un rapport avec observations ou un rapport de refus d’attester, ce qui n’a pas été réalisé en l’espèce alors que MM. [W] et [H] ont reconnu devant les enquêteurs que Mme [K] avait fait obstacle à l’exercice de leur mission.

En synthèse, M. [Y] a indiqué qu’après l’arrivée de Mme [K], le cabinet Acofi a cessé toute diligence et s’est contenté de ranger les comptes dans un dossier ; que cependant il n’aurait pas pu découvrir dès 2005 les détournements, notamment la création de salariés fictifs ; que ce n’est qu’à l’examen de l’exercice 2006 où les variation de charges ont été beaucoup moins cohérentes, que la fraude aurait pu être déceler, soit courant 2007, lors de l’examen de ces comptes.

La société Label Télé critique cette approche ayant souligné précédemment que des incohérences sont apparues dès 2004.

– Au regard de son obligation de conseil

La société Label Télé fait valoir que M. [Y] a souligné des défauts de conseil du cabinet Acofi au regard :

– des risques liés à l’existence d’une délégation de signature non restreinte en faveur de Mme [K],

– de l’absence d’information suffisante du gérant sur l’état financier réel de la société,

– sur l’absence d’information du gérant quant au franchissement des seuils dès 2004 qui nécessitait la désignation d’un commissaire aux comptes. M. [D], qui a été désigné par l’assemblée générale du 29 juin 2007, se trouve être également président du cabinet Acofi. La société Label Télé indique que cette incompatibilité a été découverte incidemment lors du changement d’expert-comptable, du fait de la domiciliation identique des 2 sociétés.

* La cour rappelle que sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable aux faits de l’espèce, la responsabilité contractuelle de l’expert-comptable peut être engagée en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution de sa mission.

Il est constant et non contesté que le cabinet Acofi a notamment accepté, par lettre de mission du 19 juillet 2000, ‘une mission de présentation des comptes annuels’ et ‘d’établissement de toutes les déclarations tant fiscales que sociales obligatoires’, prévoyant que ‘les honoraires seront calculés en fonction du temps passé […] par les différents collaborateurs du cabinet’, estimé à 20 400 francs hors taxes par exercice social, auxquels s’ajoutent diverses sommes (forfait informatique, coût supplémentaire pour les bulletins de salaires, les déclarations trimestrielles et l’établissement des déclarations sociales périodiques), ‘périodiquement ajustés en fonction du temps réel […] passé’ sur le dossier. Il est en outre précisé que la mission ‘se renouvelle chaque année par tacite reconduction, sauf dénonciation au plus tard à la date de clôture de l’exercice social’.

Au regard du périmètre défini par cette lettre de mission, il appartenait à la société Acofi de réaliser toutes les diligences relatives à l’établissement des comptes annuels et des déclarations fiscales et sociales obligatoires, tant que l’une des parties ne dénonçait pas le contrat.

Il en résulte d’une part qu’en l’absence de toute dénonciation expresse, le cabinet Acofi ne peut aujourd’hui soutenir que sa mission aurait été tacitement résiliée lors du recrutement de Mme [K] par la société Label Télé, la résiliation tacite n’étant pas une hypothèse prévue au contrat. De plus, la circonstance que le cabinet Acofi ait continué à percevoir, après décembre 2004, date de l’embauche de Mme [K], des honoraires au titre de cette mission démontre que celui-ci n’a pas considéré que sa mission était tacitement résiliée, mais a au contraire estimé que celle-ci se poursuivait à l’identique, le montant des honoraires n’ayant pas varié ,alors qu’ils étaient pourtant calculés, selon le contrat, en fonction du temps passé.

Il résulte d’autre part des pièces du dossier que cette mission a été, entre décembre 2004 et juillet 2008, mal exécutée par le cabinet Acofi :

– M. [W] a, lors de son audition par la police judiciaire des Hauts de Seine, indiqué qu’il était en charge au sein du cabinet Acofi du client Label Télé ; qu’à l’arrivée de Mme [K], la mission s’est allégée, Mme [K] établissant elle-même les comptes des exercices 2004, 2005 et 2006, qu’elle envoyait au cabinet au mois de mai suivant, qu’il déposait au greffe du tribunal de commerce sans les regarder ; qu’il n’a plus réalisé, après l’arrivée de Mme [K], de contrôle sur place. Il a ainsi reconnu ne plus avoir surveillé la comptabilité de la société à partir de cette date, sans que le dirigeant de la société Label Télé ne soit prévenu ni qu’aucun avenant à la lettre de mission ne soit rédigé ;

– M. [H], expert-comptable en charge de la supervision de M. [W], a reconnu devant le même service enquêteur ne pas avoir validé les comptes de la société Label Télé, sa supervision se limitant à valider la correcte application des normes comptables par son collaborateur. Il a également reconnu que la liasse fiscale a été réalisée par Mme [K] à compter de 2004, sans que le cabinet Acofi intervienne ;

– M. [Y] a, en tant qu’expert désigné par le tribunal de commerce de Créteil, relevé que le cabinet Acofi ne disposait pas de dossier de travail relatif à la société Label Télé à compter de l’exercice 2004 et n’avait plus accompli aucune diligence à compter de cette date, en dehors des formalités et actes juridiques annuels. Il a indiqué que l’évolution de la mission aurait dû pousser le cabinet Acofi à rediscuter des contours de sa mission avec la société Label Télé, à alerter le gérant sur le risque lié à la délégation de signature accordée à Mme [K], même si cette délégation était juridiquement possible ;

– les comptes de l’exercice 2004 laisse apparaître un dépassement des seuils définis par la loi imposant la désignation d’un commissaire aux comptes, qu’il appartenait au cabinet Acofi de signaler au dirigeant de la société Label Télé. La désignation de celui-ci aurait pu permettre de déceler, lors de ses contrôles, tout ou parties des anomalies comptables masquant les détournements.

Il en ressort un défaut d’exécution des diligences que le cabinet Acofi s’était contractuellement engagé à réaliser, conformément aux normes applicables à la profession, ainsi que des manquements à l’obligation de conseil à laquelle est tenu tout expert-comptable à l’égard de son client.

Enfin, il y a lieu de souligner que la mauvaise exécution de sa mission par le cabinet Acofi a été réalisée dans des circonstances telles que le dirigeant de la société Label Télé a été induit en erreur. En effet, la société Acofi a cessé, à compter de décembre 2004, d’exercer la quasi-totalité de sa mission sans l’en alerter, sans modifier le montant de ses honoraires pourtant fixés ‘au temps passé’, mais en continuant à procéder aux formalités légales de dépôt des comptes auprès du greffe du tribunal de commerce.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement qui a retenu l’existence d’une faute de la société Acofi dans le cadre de la réalisation de sa mission contractuelle à l’égard de la société Label Télé. Cette faute est de nature à nature à mettre en jeu la garantie que la société avait souscrite auprès de la société MMA Iard, au titre de sa responsabilité civile professionnelle.

Sur le lien de causalité et la question de la responsabilité du dirigeant de la société Label Télé

* Les société Acofi et MMA Iard reprochent aux premiers juges d’avoir retenu que la société Acofi était responsable de 50% des préjudices subis. Elles font valoir que même si des fautes étaient reconnues, elles sont sans lien avec le préjudice, comme l’a reconnu l’expert, pour deux raisons :

– la nature de la mission d’Acofi ne lui aurait pas permis de mettre à jour les détournements commis par Mme [K]

Même si la mission avait perduré, elle ne concernait pas le champ social, alors que la majorité des détournements ont été effectués par la réalisation de faux bulletin de paie destinés à des salariés intermittents qui n’ont en réalité jamais travaillé pour Label Télé. C’est ce qu’a relevé l’expert [Y] dans son rapport, indiquant qu’une revue analytique des charges n’aurait pas forcément permis de détecter une anomalie, seule une analyse détaillée par projet aurait pu déterminer que des salariés fictifs n’étaient pas affectés à une production.

Il est reproché aux premiers juges d’avoir retenu une faute et un lien de causalité entre l’arrivée de Mme [K] en 2004 et la perte exceptionnelle enregistrée sur cet exercice d’un montant de 338 731 euros, pour laquelle le dirigeant n’a pas été alerté.

– ces détournements ont été permis par la carence de la société à contrôler sa directrice administrative et financière

L’expert a relevé que c’est la défaillance du contrôle interne qui a permis à Mme [K] de commettre les détournement pour lesquels elle a été condamnés. En effet, Mme [K] était sous l’autorité hiérarchique de M. [X], gérant de Label Télé qui était très peu présent dans les locaux, étant souvent en déplacement. Pourtant, il lui avait délégué la signature bancaire, et la gestion administrative, comptable et sociale de l’entreprise. Le respect des procédures de contrôle interne relève, aux termes d’un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 29 septembre 2015, de la responsabilité du chef d’entreprise et non pas des professionnels du chiffre.

La société Acofi ajoute que M. [X] s’est totalement désintéressé de la gestion de son entreprise et n’a pratiqué aucun contrôle sur l’activité de Mme [K], à laquelle il avait pourtant délégué tous les pouvoirs de gestion générale ; qu’il n’a pas remarqué l’accroissement de la masse salariale, ni ne s’est intéressé au nombre et à l’identité de ses salariés ; qu’il ne s’est jamais questionné sur les difficultés de trésorerie ou les insuffisances de résultat.

La société Acofi souligne que l’article 21 des statuts de la société interdisait pourtant tout délégation générale.

La société Acofi souligne également les très nombreux déplacements du gérant et le fait que les problèmes familiaux invoqués en première instance aient disparu des écritures d’appel. Elle fait valoir qu’il était difficilement joignable et ne produit aucun mail dans lequel il lui aurait demandé quoi que ce soit ; qu’il a créé d’autres structures pendant cette période, démontrant qu’il sait diriger une entreprise.

* La société Label Télé réplique que son gérant n’a commis aucune faute susceptible d’amoindrir la responsabilité du cabinet Acofi, comme l’a indiqué M. [Y] dans son rapport.

Elle fait grief aux premiers juges d’avoir retenu la responsabilité du cabinet Acofi à hauteur de 50% seulement, en retenant un défaut de surveillance du fonctionnement de la société par M. [X] qui a inconsidérément délégué ses pouvoir, a abandonné tout contrôle hiérarchique laissant ainsi sa directrice administrative et financière prendre des pouvoirs inconsidérés sans qu’aucune limite ne lui soit imposée.

Elle rappelle que :

– le cabinet Acofi a induit en erreur M. [X] en ne l’informant pas du fait qu’il avait cessé toute diligence depuis l’arrivée de Mme [K], en lui adressant chaque année les comptes sans l’informer qu’ils étaient en réalité établis par Mme [K] et en continuant à percevoir les mêmes honoraires,

– une simple délégation de signature, comme en l’espèce celle consentie par M. [X] à Mme [K], est un acte de gestion courante qui ne doit pas être confondu avec un acte de délégation de pouvoir et ne caractérise pas une faute ; que Mme [K] n’était pas gérante de fait de la société, M. [X] représentait la société e sa direction, disposait d’un bureau et assurait seul le développement économique et commercial au quotidien.

Elle cite une abondante jurisprudence excluant tout partage de responsabilité entre l’expert-comptable fautif et la société victime de détournements.

Elle conteste tout défaut de coopération et toute résolution de fait de la mission du cabinet Acofi, un directeur administratif et financier ne faisant pas double emploi avec un expert-comptable et aucune mission ne pouvant se finir tacitement, sans information préalable du client.

* La cour relève que Mme [K] était la subordonnée de M. [X] à qui revenait la tâche, avant tout autre, de contrôler la manière dont elle exécutait ses fonctions de directive administrative et financière. Ce contrôle, ainsi que le relève l’expert judiciaire et comme ne le conteste d’ailleurs pas réellement la société Label Télé, n’a pas eu lieu. M. [X] a ainsi fait preuve d’une carence dans l’exercice du pouvoir inhérent à sa qualité d’employeur, de direction et de contrôle de sa salariée, alors que lui avaient été confiées des fonctions financière et comptable, accompagnées d’une délégation de signature. Cette organisation a facilité la commission des détournements. Il s’en déduit que cette faute de négligence a contribué, pour partie, à la création du préjudice dont la société demande aujourd’hui réparation.

Cependant, cette absence de contrôle interne ne constitue pas la cause exclusive du dommage. Au contraire, cette négligence aurait pu ne jamais être si le cabinet Acofi avait poursuivi sa mission conformément à l’engagement contractuel qu’il avait pris, ou s’il avait averti M. [X] de ce qu’il ne pouvait plus réaliser ces diligences, en raison du comportement obstructif de Mme [K].

Si la poursuite par l’expert-comptable de sa mission n’aurait pas forcément permis à l’expert-comptable de détecter les malversations commises par Mme [K], celles-ci s’opérant essentiellement dans le volet social dont les parties conviennent qu’il ne relevait pas de la mission de la société Acofi, cette carence a néanmoins fait perdre une chance à la société Label télé de détecter avant 2008 les détournements opérés par Mme [K].

De même, les manquement à l’obligation de conseil, quant à la désignation d’un commissaire aux comptes ou de la nécessité d’exercer un contrôle accru sur une salariée réunissant autant de pouvoir entre ses mains, de même que l’absence d’alerte du dirigeant quant à la cessation par le cabinet Acofi de l’essentiel de ses diligences contractuellement prévues, ont également privé la société d’une chance de modifier son organisation et de mettre ainsi fin aux malversations commises par Mme [K].

Ces pertes de chance ont contribué de manière significative aux préjudices que la société Label télé a subi, que la cour estime à 75%. Il y a donc lieu d’infirmer le jugement en ce qu’il a retenu un lien de causalité à hauteur de 50%.

Sur le préjudice de la société Label Télé

* Les sociétés Acofi et MMA Iard reprochent aux premiers juges d’avoir retenu certains préjudices.

– Le préjudice lié aux malversations

La société Label Télé réclame à ce titre la somme de 575 997 euros représentant le montant des détournements, duquel a été soustrait la somme de 150 000 euros résultant de la signature et de l’exécution d’une transaction conclue avec Mme [K], de 457 447 euros obtenus des caisses sociales et auquel il a été ajouté la somme de 48 643 euros au titre des agios bancaires. Elle souligne que l’expert n’a pas fait de commentaire sur ce montant, laissant le tribunal de prononcer sur la responsabilité d’Acofi à ce titre. Elle rappelle que Mme [K] et le cabinet Acofi ont tous deux concouru à la réalisation de ce dommage et que les tribunaux admettent la condamnation de l’expert-comptable lorsque le salarié malhonnête se révèle insolvable ; que la transaction conclue avec Mme [K] ne peut pas être opposée par les autres co-obligés pour se soustraire à leur propre obligation. Elle demande donc l’infirmation du jugement qui a modéré sa demande en raison de l’inertie de son gérant.

Les intimés contestent cette demande dès lors que les Agios ne sont pas en lien direct avec les manquements imputés à Acofi et ne sont qu’une suite lointaine de ceux-ci ; que si la société Label Télé a renoncé à poursuivre Mme [K] au delà de 150 000 euros, il ne revient pas à Acofi d’en subir la conséquence et de rembourser le reste des détournements commis.

Le montant des détournements commis par Mme [K] a été évalué par M. [Y] dans son rapport à la somme de 575 997 euros, après déduction de la somme de 150 000 euros effectivement perçus part la société Label Télé en exécution de l’accord transactionnel conclu avec Mme [K]. Cette transaction ne peut, conformément aux dispositions de l’article 2051 du code civil, être opposée par la société Acofi ou MMA Iard à la société Label Télé. Les Agios ont été à juste titre intégré dans ce préjudice par l’expert, comme étant la conséquence directe de l’insuffisance de trésorerie provoquée par les détournement commis par Mme [K].

Par suite, il y a lieu de condamner in solidum les intimés à indemniser la société Label Télé de ce chef à hauteur de 431 998 euros (75% de 575 997 euros).

– Le préjudice lié au redressement fiscal

La société Label Télé invoque l’existence d’un contrôle fiscal sur les années 2005 et 2006 ainsi que sur les 9 premiers mois de 2007, ayant conduit à une redressement de la somme de 89 645 euros dont 27 016 euros de pénalités. Elle demande la confirmation du jugement qui a fait droit à sa demande à hauteur de 27 016 euros.

Les intimés répliquent que ce redressement n’est pas en lien avec les détournements commis par Mme [K] et qu’aucune faute d’Acofi à l’origine du redressement fiscal n’est démontrée : le taux de TVA pratiqué pour les programmes courts, remis en cause par l’administration, n’avait pas à être vérifié par l’expert-comptable dans le cadre de sa mission de présentation des comptes annuels ; la révélation des écarts entre le chiffre d’affaires déclaré dans les CA 3 et dans le compte de résultat, qui concernent les mois de janvier 2007 à septembre 2007, n’entrait pas dans le champ d’intervention d’Acofi ; les redressements liées aux dépenses personnelles du dirigeant ne lui sont pas imputables.

Elles font valoir que les intérêts de retard constituent seulement la contrepartie de l’économie réalisée au niveau de la trésorerie et que les pénalités prononcées pour manquement délibéré révèlent une mauvaise foi du contribuable et ne peuvent donc pas être imputées à un tiers.

Il ressort du rapport de M. [Y] que si la société Acofi avait poursuivi sa mission après l’arrivée de Mme [K], elle aurait pu relever des anomalies concernant le taux de TVA pratiqué et en alerter le dirigeant.

L’impôt du ne pouvant pas constituer un préjudice indemnisable, seules restent les sommes dues au delà des rappels de TVA ordonnés par l’administration fiscale, soit la somme de 27 016 euros correspondant aux pénalités.

Il y a donc lieu de condamner in solidum les intimées à payer à la société Label Télé la somme de 20 262 euros (75% de 27 016 euros).

– Le préjudice lié aux licenciements économiques

La société Label Télé reproche à l’expert et aux premiers juges d’avoir écarté cette demande au motif qu’elle n’établit pas un lien direct entre l’assèchement de la trésorerie causée par les détournements de Mme [K] qui a entraîné une chute de son chiffre d’affaires et la nécessité de procéder à des licenciements. Elle estime que le tableau que contient le rapport du 20 décembre 2017 sur son préjudice financier permet de constater l’effondrement du chiffre d’affaires et du résultat de l’entreprise à compter de 2007. Elle maintient donc sa demande à hauteur de 63 991 euros.

Les intimés rejettent cette demande d’indemnisation du licenciement de 4 salariés pour un coût total de 63 991 euros, soulignant que l’expert a mis en évidence l’absence de lien entre ces licenciements et les critiques formulées contre Acofi, ces licenciements étant à imputer à la baisse du chiffre d’affaires entre 2005 et 2007.

C’est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le lien de causalité entre la faute de la société Acofi, qui a fait perdre à la société une chance de découvrir plus vite les détournements opérés par Mme [K] et une chance de modifier son organisation interne permettant de mettre fin aux pratiques de Mme [K], et les licenciements intervenus fin 2007 était trop incertain.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement sur ce point.

– Le préjudice lié aux frais d’expertise comptable et des intervenants extérieurs

La société Label Télé réclame une somme de 327 009 euros, au titre de frais de reconstitution de la comptabilité (70 150 euros) et de différentes notes d’honoraires d’avocats hors procédure pénale (256 859 euros). S’agissant des frais de reconstitution de la comptabilité, elle reproche aux premiers juges d’avoir réduit cette somme de moitié alors que le jugement correctionnel a condamné Mme [K] à payer l’entièreté de cette somme. S’agissant des honoraires d’avocat, elle fait valoir qu’elle a du engager de multiples actions à la suite des agissements de Mme [K] (contentieux prud’homaux avec des salariés fictifs, contentieux avec la banque au sujet du découvert bancaire, procédure fiscale).

Concernant les frais d’avocats, les intimés font valoir que l’expert a relevé l’absence de lien entre cette demande et les faits reprochés : les frais de défense de M. [X] lors du contrôle fiscal sont liés à ses actes et pas à ceux d’Acofi ; les contentieux sociaux intervenus avec les salariés fictifs auraient eu lieu même si Acofi avaient découvert les faits litigieux ; les contentieux avec la BNP sont sans lien avec la présente affaire.

Concernant les frais d’expertise-comptable, les intimés font valoir que le tribunal correctionnel a condamné Mme [K] à payer la somme de 70 150 euros à ce titre. Elles reprochent à l’expert d’avoir considéré qu’elles devaient payer 50% de ces honoraires dans la mesure où ces honoraires ne sont pas justifiés, Acofi n’ayant jamais eu de mission de tenue de comptabilité, et une partie de ces travaux concernent les contentieux prud’homaux et fiscaux, donc sans lien avec les agissements de Mme [K].

Le tribunal correctionnel a condamné Mme [K] à indemniser la société Label Télé, du chef des frais d’expertise comptable qu’elle a du débourser pour rétablir sa comptabilité, à hauteur de 70 150 euros. Si la société Acofi n’avait pas de mission de tenue des comptes, il n’en demeure pas moins que ses carences dans la réalisation de sa mission ont rendu nécessaire l’intervention d’un autre cabinet d’expertise comptable pour rétablir la comptabilité falsifiée par Mme [K] pendant plusieurs exercices.

Il y a donc lieu de la condamner à régler à ce titre la somme de 52 612 euros (75% de 70 150 euros) à la société Label Télé à ce titre.

Concernant les frais d’avocat, la société Label Télé établit un lien entre chaque procédure ayant nécessité l’intervention d’un ou de plusieurs avocats et les fautes commises par la société Acofi :

– les procédures prud’homales ont été introduites par deux salariés fictifs de la société Label Télé, qui ont fini par être déboutés,

– les contentieux fiscaux sont la suite du redressement fiscal dont le lien de causalité avec la faute du cabinet Acofi a été établi ci-dessus,

– les contentieux avec la banque Fortis puis, BNP sont la conséquence directe du solde débiteur du compte bancaire de la société résultant des détournements commis par Mme [K] qui auraient pu être mis à jour si le cabinet Acofi avait correctement effectué sa mission et rempli son obligation de conseil et d’alerte du dirigeant.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de réparation de ce chef de préjudice présenté par la société Label Télé, à hauteur du partage de responsabilité précédemment retenu, soit la somme de 192 644 euros (75% de 256 859, 15 euros).

– Le préjudice lié à la perte de temps

La société Label Télé demande à ce titre, les détournements de Mme [K] ayant mobilisé ses équipes et son dirigeant pour gérer les conséquences de cette situation, la somme de 100 000 euros. Elle reproche aux premiers juges de n’avoir retenu que 50 000 euros à ce titre, comme le préconisait l’expert.

Les intimées relèvent que l’expert a indiqué que ce préjudice n’était pas justifié, et que le tribunal aurait donc du rejeter la demande à ce titre.

Ainsi que l’ont justement retenu les premiers juges, des détournements de cette ampleur ont nécessairement conduit à une désorganisation de la société sur une longue durée perturbant ainsi son fonctionnement et générant une perte de temps pour le dirigeant qui n’a pu, de ce fait, se consacrer pleinement à ses fonctions de direction, ainsi que pour les salariés, au détriment de la société.

Cependant, en l’absence de chiffrage précis sur le temps passé à la résolution de la situation créée par les détournements commis par Mme [K], il y a lieu de réduire le montant demandé à la somme de 20 000 euros que les intimées seront condamnés à indemniser in solidum.

– Le préjudice d’atteinte à l’image de la société

La société Label Télé demande à ce titre la somme de 100 000 euros, sa réputation ayant été dégradée, les clients ayant perdu confiance et les salariés ayant fui la société.

Les intimés demandent la confirmation du jugement qui a rejeté cette demande, conformément à ce qu’indiquait l’expert.

Comme le soulignent l’expert judiciaire M. [Y] et les premiers juges, le principe d’un préjudice d’image dans le contexte de la présente affaire apparaît certain pour la société Label Télé. Ce préjudice, dont l’établissement par des pièces justificatives et le chiffrage apparaissent délicat, sera estimé à la somme de 20 000 euros que les intimées seront condamnés à indemniser in solidum.

– Le préjudice de gain manqué résultant de la perte de chance

La société Label Télé demande à ce titre la somme de 1 820 000 euros, au motif que la désorganisation de l’entreprise l’aurait empêchée de réaliser son plan d’affaires, et notamment la réalisation d’un projet de création de joint-venture au Qatar.

Les intimes demandent la confirmation du jugement qui a rejeté cette demande, conformément aux préconisations de l’expert, en raison de l’absence de lien direct entre les détournements et le préjudice allégué, l’interruption du projet pouvant avoir de multiples causes sans rapport avec Mme [K] et soulignant que Label télé a menti sur son chiffre d’affaires, ce qui peut expliquer la perte de confiance du partenaire quatari.

La société Acofi ajoute que le business plan produit au soutient de la demande de

1 820 000 euros n’est pas pertinent et que les 3 pièces produites au soutien de ce préjudice sont insuffisantes à le démontrer.

Il ressort des pièces du dossier, et notamment des contrats et échanges produits, que le lien de causalité entre l’interruption du projet qatari et les fautes du cabinet Acofi n’est pas établi. Par suite, c’est à juste titre que les premiers juges ont écarté ce chef de préjudice.

– Le préjudice de gain manqué par baisse d’activité

La société Label Télé demande à ce titre la somme de 4 231 352 euros, liée à la baisse de l’activité consécutive aux agissements de Mme [K]. Elle explique que les banques ont refusé en février 2011 de financer des commandes, ce qui l’a obligé, faute de soutient bancaire, à renoncer à un chiffre d’affaires de 700 000 euros qui devait être amené par le directeur en chef des magazines du groupe TF1, qui a finalement rejoint une autre société.

Elle explique la méthode de chiffrage retenue dans le rapport du 20 décembre 2017 et répond aux critiques de l’expert qui s’étonne que des détournements à hauteur de 800 000 euros entre 2004 et 2006 aient pu conduire à un manque à gagner de 4,2 millions d’euros pour une société dont le taux REX/CA n’a jamais dépassé les 3% entre 2001 et 2003.

L’expert préconise le rejet de cette demande qu’il estime sans lien avec les agissements de Mme [K]. Les intimés demandent la confirmation du jugement sur ce point.

La société Acofi ajoute que cette demande se confond avec la précédente et n’est justifiée par aucune pièce.

Il est certain que des détournements d’une telle ampleur, la désorganisation et le discrédit qui en a résulté ont nécessairement nui à l’activité de la société. Cette dernière a vu son chiffre d’affaires quadrupler entre 2001 et 2005, recevant d’ailleurs le prix Gazelle cette année là en raison de cette forte croissance. Le chiffre d’affaires de l’exercice 2008 a été divisé par 4 par rapport à l’exercice précédent, et se révèle être 8 fois inférieur à ce qu’il était en 2005, alors que le secteur audiovisuel a vu son chiffre d’affaires moyen progresser. Si cette baisse a pu être causé par des facteurs exogènes aux détournements commis par Mme [K], il ne peut être dénié tout lien de causalité entre les faits pour lesquels elle a été condamné et cette baisse d’activité et de rentabilité. En effet, son comportement a fait perdre une chance à la société de poursuivre sa croissance.

M. [P], expert agréé par la Cour de cassation, a, dans son rapport du 20 décembre 2017, évalué le gain manqué en calculant le chiffre d’affaires normatif, hors la survenance du sinistre, et en déduisant les économies afférentes à la baisse d’activité. Le chiffre d’affaires normatif a été établi à partir de deux hypothèses, l’une reposant sur le seul chiffre d’affaires de l’année 2004, année peu impactée par le détournements, et l’autre reposant sur les chiffes d’affaires des années 2003 à 2006. Ces résultats ont été pondérés par l’évolution générale du secteur de l’audiovisuel, afin d’établir, à compter de 2007, année ou les conséquences des détournements apparaissent, et jusqu’à 2014, année où la plupart des procédures judiciaires ont atteint leur terme, un chiffre d’affaires normatif. a partir des chiffees obtenus dans ces deux hypothèses a été calculée la marge sur coûts variables perdue et ont été déduits les économies de coûts fixes. La seconde hypothèse, qui aboutit à un chiffre plus bas (4 231 352 euros) a été retenue par l’expert et la société Label Télé.

La perte de chance de la société Label Télé de poursuivre sa croissance doit être évaluée à 10% du chiffre d’affaires tel que calculé par M. [P], à savoir 423 135 euros (10% de 4 231 352 euros).

Il y a lieu d’appliquer à ce préjudice le partage de responsabilité précédemment défini, et de condamner in solidum les intimées à verser à la société Label Télé la somme de 317 351 euros pour ce chef de préjudice.

– La demande de restitution des honoraires perçus par la société Acofi

La société Label Télé demande la restitution des honoraires perçus par le cabinet Acofi pour un montant total de 22 018 euros. Elle reproche au tribunal d’avoir réduit de 3 696 euros (correspondant aux honoraires relatifs au suivi juridique) sa demande, alors qu’aucune prestation juridique n’a été rendue.

MMA fait valoir que ce chef de préjudice ne peut être mis à sa charge puisque sa police d’assurance prévoir explicitement une exclusion de garantie à ce titre. Elle demande donc la confirmation du jugement qui a mis la restitution des honoraires à la charge d’Acofi.

La société Acofi souligne qu’elle a fourni la prestation pour laquelle elle a été rémunérée et demande l’infirmation du jugement sur ce point.

Il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande dans la mesure où le préjudice résultant de la mauvaise exécution par la société Acofi de sa mission est par ailleurs indemnisé. Ainsi, accorder en outre la restitution des honoraires perçus au titre de cette exécution revient à indemniser deux fois le même préjudice.

– La demande d’intérêts compensatoires

La société Label Télé réclame ici la somme de 236 494 euros, sur laquelle M. [Y] ne s’est pas prononcé.

Les premiers juges ont retenu la somme de 90 583 euros.

Les intimées contestent la méthode de calcul retenue. Ils ne proposent cependant aucune autre méthode de nature à compenser le temps écoulé depuis les faits générateurs du préjudice, alors pourtant que l’ancienneté de ces faits doit nécessairement conduire à revaloriser les sommes dues à la société Label Télé.

Il y a lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts compensatoires présentées par la société Label Télé, tout en l’ajustant aux montants accordés. La somme totale de

1 054 867 euros étant accordée à la société Label Télé en réparation de son préjudice, alors que celle-ci réclamait la somme totale de 7 267 383 euros, hors intérêts compensatoires, il y a lieu de rapporter le montant de ces intérêts à la somme ‘proratisée’ de 39 102 euros.

Sur les demandes formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

La société Label Télé demande la condamnation in solidum du cabinet Acofi et de MMA Iard à lui payer la somme de 60 000 euros.

La société MMA Iard demande la somme de 20 000 euros sur ce fondement.

La société Acofi demande la somme de 10 000 euros sur ce fondement.

Il y a lieu de condamner in solidum les sociétés MMA Iard et Acofi à payer à la société Label Télé la somme de 15 000 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement attaqué en ce qu’il a condamné la société Acofi Assistances comptables et fiduciaires à payer à la société Label Télé les sommes de 481 676 euros à titre de dommages et intérêts, 19 072 euros à titre de restitution des honoraires, 90 583 euros à titre d’intérêts compensatoires et en ce qu’il a condamné la société MMA Iard à garantir la société Acofi Assistances comptables et fiduciaires de ces condamnations à hauteur de 481 463 et 87 463 euros,

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum les sociétés Acofi Assistances comptables et fiduciaires et MMA Iard à verser à la société Label Télé les sommes de :

– 431 998 euros au titre du préjudice né des détournements,

– 20 262 euros au titre du préjudice né du redressement fiscal,

– 52 612 euros au titre des frais d’expertise comptable engagés,

– 192 644 euros au titre des frais d’avocat engagés,

– 20 000 euros au titre de la perte de temps,

– 20 000 euros au titre du préjudice d’image,

– 317 351 euros au titre du gain manqué,

– 39 102 euros au titre des intérêts compensatoires,

Rejette les autres demandes de réparation de préjudices,

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés Acofi Assistances comptables et fiduciaires et MMA Iard à verser à la société Label Télé la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés Acofi Assistances comptables et fiduciaires et MMA Iard aux entiers dépens.

La greffière La présidente

 


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