Your cart is currently empty!
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 430 FS-B
Pourvoi n° R 21-16.497
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [E] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 21-16.497 contre l’arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [Y] [J], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à la société Audiovisuel Business System Media (ABSM), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L], de la SCP Lesourd, avocat de Mme [J], de la société Audiovisuel Business System Media, les plaidoiries de Me Waquet et Me Lesourd, et l’avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l’audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 31 mars 2021), soutenant que le message suivant : « « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ». [E] [L] ex patron de Equidia #balancetonporc », publié le 13 octobre 2017 sur le compte Twitter de la société Audiovisuel Business System Media (la société ABSM), administré par Mme [J], journaliste indépendante, présentait un caractère diffamatoire à son égard, M. [L] a assigné Mme [J] et la société ABSM en réparation de son préjudice.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. [L] fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que l’exception de bonne foi est subordonnée à l’existence d’une base factuelle suffisante ; cette base factuelle doit être appréciée au regard de l’intégralité des propos tenus par le diffamateur et dénoncés par le diffamé ; la cour d’appel considère que la base factuelle est suffisante en ce qui concerne « la teneur des propos attribués à [E] [L] » ; cependant il résulte de la procédure et de l’arrêt lui-même que le propos de Mme [J] tel qu’il a été tenu dans le tweet litigieux et tel qu’il est dénoncé ne se limite pas à la citation des propos tenus par M. [L], mais vise l’ensemble constitué par le rappel desdits propos avec la mention #balancetonporc ; et l’arrêt analyse lui-même ce propos dans son ensemble et au regard de son contexte comme la dénonciation de « harcèlement sexuel au sens général et commun, dans un cadre professionnel mais sans nécessité d’un lien de subordination, à savoir tous les comportements à connotation sexuelle par paroles ou actes, non consentis et de nature à porter atteinte à la dignité des femmes » ; et encore que « [Y] [J] « balance » [E] [L] comme « porc » pour lui avoir tenu ces seuls propos reproduits dans le tweet incriminé ( ) ce fait de harcèlement sexuel au sens commun est attentatoire à l’honneur ou à la considération » ; ainsi la base factuelle devait être appréciée non seulement pour les propos tenus par M. [E] [L] qui ne constituent qu’une partie des propos dénoncés mais pour les termes #balancetonporc, rapprochement signifiant que les mots de M. [L] auraient été tenus dans un contexte de « harcèlement » de nature à caractériser une attitude de « porc » méritant d’être « balancé » ; en scindant le propos en deux parties au moment de l’examen de sa base factuelle pour ne faire porter cet examen que sur la moitié du propos qui devait être examiné dans son ensemble, la cour d’appel a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ que le propos dans sa globalité imputait à M. [L], selon la cour d’appel elle-même qui l’a justement replacé dans son contexte, de s’être comporté comme un harceleur et un porc, comportement qui ne résulte pas nécessairement du fait d’avoir tenu une seule fois des propos déplacés lors d’un cocktail arrosé, Mme [J] ayant voulu, selon la cour d’appel elle-même, par un tweet précédant le message litigieux, inviter le public à donner « les noms des prédateurs sexuels qui nous ont 1/ manqué de respect verbalement 2/ tenté des tripotages » dans le cadre de l’affaire [B] ; la tenue d’un propos déplacé ne fait pas nécessairement de son auteur un harceleur, un prédateur, termes qui impliquent, à travers le mot porc, un comportement général et répétitif dont la base factuelle suffisante devait être établie ; faute de l’avoir constaté la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision et a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés individuelles, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3°/ qu’en s’abstenant totalement d’examiner les pièces produites sur ce sujet par M. [L], la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes ;
4°/ que, contrairement à ce qu’énonce la cour d’appel, les termes « balance » et « porc », dont elle reconnaît le caractère « assez violent », ne sont pas « suffisamment prudents » dès lors qu’ils sont tenus par Mme [J] en tant que journaliste professionnelle, que l’objectif du compte twitter est de dénoncer nommément un homme dans le cadre d’un message nécessairement bref rédigé en quelques signes limités et donc exclusif de la moindre nuance, et qu’ont été dénoncés en l’espèce de simples et brefs propos grivois tenus une seule fois par une personne dont rien ne permet de dire qu’il serait coutumier du fait et aurait de manière générale un comportement tel que celui qu’induit nécessairement le terme de porc ; en retenant l’existence d’une prudence dans l’expression de la pensée, au motif erroné que la seule limite de la dénonciation serait qu’elle ne soit pas mensongère et au motif inopérant de l’existence parallèle d’un débat d’intérêt général sur la libération de la parole des femmes, la cour d’appel a encore violé les textes susvisés ;
5°/ que l’exactitude partielle du fait dénoncé par le propos diffamatoire n’est pas l’unique critère à prendre en compte dans la mise en balance entre le débat d’intérêt général autour de la libération de la parole des femmes, et la grave atteinte à la dignité d’une personne ; en l’espèce, cette exactitude partielle ne pouvait justifier la publication d’un bref dialogue vieux de cinq ans jointe à l’accusation d’être un porc impliquant un comportement général inadmissible à l’égard des femmes dans un tweet bref et sans nuance se situant volontairement dans un cadre général de dénonciation des comportements de harcèlement ou de prédateurs sexuels ; en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
3. Il résulte des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.
4. En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’est exprimé dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher en application du paragraphe 2 du premier de ces textes, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment l’absence d’animosité personnelle et la prudence dans l’expression.
5. La cour d’appel a retenu que les propos litigieux contribuaient à un débat d’intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité.
6. Elle a relevé que les propos imputés à M. [L] avaient déjà été dénoncés par Mme [J] dans un message publié sur Facebook, que M. [L] avait admis dans divers médias les avoir tenus, que le message, reproduisant ces propos, visait uniquement à dénoncer un tel comportement sans contenir l’imputation d’un délit et que les termes « balance » et « porc » ne conduisaient pas à lui attribuer d’autres faits qui auraient pu être commis à l’égard de Mme [J] ou d’autres femmes.
7. Elle a estimé que, si ces deux termes étaient outranciers, ils étaient suffisamment prudents dès lors que les propos attribués à M. [L] étaient accompagnés du mot-dièse « #balancetonporc », ce qui permettait aux internautes de se faire leur idée personnelle sur le comportement de celui-ci et de débattre du sujet en toute connaissance de cause.
8. Ayant ainsi analysé le sens et la portée de l’ensemble du message incriminé et mis en balance les intérêts en présence, sans être tenue de se prononcer sur des pièces que ses constatations rendaient inopérantes, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et demeuraient mesurés, de sorte que le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à Mme [J].
9. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l’arrêt.