Droit audiovisuel : 10 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/15778

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Droit audiovisuel : 10 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/15778
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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 10 JUIN 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/15778 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEJOL

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Août 2021 -Président du TJ de PARIS – RG n° 21/55562

APPELANTE

S.A.S.U. BEIN SPORTS FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me Jean-Daniel BRETZNER de la SAS BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12

INTIMEE

Association LIGUE DE FOOTBALL PROFESSIONNEL prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée par Me Yves WEHRLI et Me Thibaud D’ALES, de la société CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : K112

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 avril 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président et Bérengère DOLBEAU, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:

Florence LAGEMI, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Bérengère DOLBEAU, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.

La Ligue de Football Professionnel (LFP) est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, composée de l’ensemble des clubs français professionnels de football et chargée, sur délégation de la Fédération française de football, de l’organisation et de la promotion des compétitions de football professionnel.

La société beIN Sports France (beIN) exploite en France plusieurs chaînes consacrées au sport.

Le 25 avril 2018, la LFP a organisé une procédure d’appel à candidature destinée à sélectionner les opérateurs chargés de promouvoir et de diffuser à la télévision les matchs du championnat de France de Ligue 1 au cours des saisons 2020/2021 à 2023/2024. Cet appel à candidatures portait sur sept lots distincts et indépendants, numérotés de 1 à 7.

Les droits ont été attribués comme suit :

– le groupe audiovisuel Mediapro a remporté le lot 1 pour la somme totale de 780 millions d’euros par saison, ainsi que les lots 5 et 7 ;

– beIN a remporté le lot 3 (les matchs du samedi à 21h et du dimanche à 17h) pour la somme totale de 331.671.723 euros, hors frais de service, par saison ;

– l’opérateur Free a remporté le lot 6 pour la somme de 41,8 millions d’euros par saison.

Conformément aux dispositions de l’appel à candidatures, la LFP et beIN ont conclu un contrat de licence pour le « lot 3 », aux termes duquel la première a consenti à la seconde l’exploitation exclusive des matchs de ce lot.

Chaque contrat de licence conclu par la LFP avec le titulaire d’un lot offrait au licencié le droit de « sous-licencier » ses droits à autre opérateur. C’est dans ces conditions que le 11 février 2020, beIN a conclu avec la société Groupe Canal+ (Canal+), diffuseur historique du championnat de France de Ligue 1, dont les offres n’avaient pas été retenues par la LFP, un contrat de « sous-licence » aux termes duquel elle lui a sous-licencié les droits audiovisuels dont la jouissance lui avait été accordée par la LFP, au prix prévu en mai 2018, soit la somme de 331.671.723 euros par an.

En raison de difficultés financières rencontrées par le groupe Mediapro, le contrat le liant à la LFP a été résilié en décembre 2020.

Le 4 février 2021, un accord a été conclu entre la LFP et Canal+ relativement aux droits audiovisuels de la Ligue 1 pour la fin de la saison 2020/2021. Aux termes de ce contrat, Canal+ s’est engagée, en sa qualité de sous-licenciée, à verser à la LFP l’intégralité de la contrepartie financière due au titre du « lot 3 », en lieu et place de beIN, et elle a acquis le reliquat des droits de la Ligue 1 pour la fin de la saison 2020/2021.

Le 11 juin 2021, la LFP a attribué les droits des lots précédemment concédés à Mediapro pour les saisons 2021/2022 à 2023/2024 à la société Amazon.

En réaction à cette décision, Canal + a publié le jour même un communiqué de presse aux termes duquel elle a déclaré qu’elle regrettait cette décision de la LFP de retenir la proposition d’Amazon au détriment de « celle de ses partenaires historiques Canal+ et beIN Sports », qu’elle se « reti[rait] de la Ligue 1 » et qu’elle ne diffuserait donc plus la Ligue 1.

Le 13 juillet 2021, la LFP a mis en demeure beIN de lui confirmer qu’elle procéderait à la production et à la diffusion des matchs du « lot 3 » ainsi qu’aux paiements contractuellement prévus.

Le 16 juillet 2021, beIN a saisi en référé le président du tribunal de commerce de Nanterre afin d’obtenir la condamnation de Canal+ à exécuter les obligations mises à sa charge par le contrat de sous-licence.

Par ordonnance du 23 juillet 2021, le président du tribunal de commerce a rejeté cette demande et dit n’y avoir lieu à référé. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 31 mars 2022.

Le 24 juillet 2021, Canal+ a notifié à beIN la résiliation du contrat de sous-licence.

Les 26 juillet 2021, beIN a assigné au fond la LFP devant le tribunal judiciaire de Paris en sollicitant, à titre principal, la caducité du contrat relatif au « lot 3 » et, à titre subsidiaire, sa résiliation. Cette instance est en cours.

Parallèlement, le 27 juillet 2021, la LFP a assigné en référé beIN devant le président du tribunal judiciaire de Paris pour obtenir sa condamnation à exécuter l’intégralité des obligations mises à sa charge par le contrat de licence. Le 29 juillet 2021, beIN a assigné Canal + en intervention forcée.

Le 29 juillet 2021, beIN a été autorisée par le président du tribunal de commerce de Nanterre à assigner Canal+ en référé à heure indiquée afin d’obtenir la suspension temporaire des effets de la résiliation unilatérale du contrat de sous-licence notifiée par Canal+ le 24 juillet 2021 et le respect par cette dernière des obligations résultant du contrat de sous-licence.

Cette ordonnance du président du tribunal de commerce ordonnait en outre « que les effets de la résiliation notifiée par la société Groupe Canal+ le 24 juillet 2021 soient suspendus et ce, jusqu’à ce qu’une ordonnance de référé soit prononcée sur les demandes formulées par beIN Sports ».

L’assignation a été délivrée le même jour.

Par ordonnance du 4 août 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

déclaré irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par beIN Sports France et reconnu sa compétence pour statuer sur le litige opposant beIN Sports France et la Ligue de Football Professionnel ;

ordonné la jonction des instances n° R21/55597 et 21/55562 sous le numéro R21/55562 ;

donné acte à la Ligue de Football Professionnel qu’elle se réservait le droit d’agir à l’encontre du groupe Canal+ ;

dit y avoir lieu à référé ;

enjoint à la société beIN Sports France d’exécuter l’ensemble de ses obligations contractuelles conformément aux dispositions du contrat conclu entre la Ligue de Football Professionnel et beIN Sports France le 29 mai 2018 relatif au lot 3 de l’appel à candidatures portant sur les droits audiovisuels de la ligue 1, sous astreinte de 1.000.000 euros (un million d’euros), pour une durée de trois mois à compter du prononcé de la décision, par jour de retard et par infraction constatée relative à :

la programmation des matchs dont elle a acquis l’exploitation exclusive, aux dates mentionnées par l’appel à candidatures et le document de programmation y afférent ;

la production et la transmission des images, directement ou par un intermédiaire, entraînant la mise à disposition du signal de l’ensemble des matchs dont elle a acquis l’exploitation exclusive ;

la diffusion, sur le canal « beIN Sports 1 » qu’elle exploite en France (métropolitaine et d’outre-mer, ainsi qu’à [Localité 5] et Andorre) en direct et en intégralité, aux horaires prévus par l’appel à candidatures de l’ensemble des matchs ont elle a acquis l’exploitation exclusive ;

la promotion en France (métropolitaine et d’outre-mer, ainsi qu’à [Localité 5] et Andorre) de l’ensemble des matchs dont elle a acquis l’exploitation exclusive conformément aux dispositions de l’appel à candidatures ;

le paiement de la contrepartie financière et des frais de service aux dates prévues ainsi que, dans un délai de 48 heures du prononcé de l’ordonnance, le paiement de la première échéance des frais de service exigible depuis le 5 juillet 2021 ;

rejeté la demande de la LFP tendant à voir le juge des référés se réserver la faculté de liquider l’astreinte et de fixer une nouvelle astreinte ayant un caractère définitif ;

débouté la société beIN Sports France de sa demande de délai de paiement ;

renvoyé les parties devant le tribunal de commerce de Nanterre pour statuer sur l’appel en garantie de beIN Sports France à l’encontre du groupe Canal+ et dit que le dossier sera transmis au tribunal de commerce de Nanterre dans les conditions de l’article 82 du code de procédure civile ;

dit l’ordonnance exécutoire sur minute ;

condamné la société beIN Sports France à payer une somme de 2.000 euros au groupe Canal+ et une somme de 10.000 euros à la Ligue de Football Professionnel au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté la société beIN Sports France de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société beIN Sports France aux dépens.

Par déclaration du 20 août 2021, la société beIN a relevé appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif, à l’exception de ceux relatifs à la liquidation de l’astreinte et à l’incompétence du juge des référés du tribunal judiciaire de Paris au profit du juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre pour statuer sur l’appel en garantie à l’encontre du groupe Canal+.

C’est l’ordonnance soumise à la cour.

Entre-temps, par ordonnance du 5 août 2021, le président du tribunal de commerce de Nanterre a ordonné l’exécution par Canal+ des obligations mises à sa charge par le contrat de sous-licence du 11 février 2020, sous astreinte d’un million d’euros par jour de retard dans la limite de 90 jours.

Canal+ a, depuis lors, exécuté cette décision en s’acquittant entre les mains de beIN des échéances qu’elle lui devait au titre du contrat de sous-licence (échéances que beIN règle ensuite à la LFP conformément aux dispositions de l’appel à candidature) et en procédant à la diffusion des matchs du « lot n° 3 » programmés depuis le début de la saison du championnat de Ligue 1 2021-2022.

Par un arrêt du 31 mars 2022, la cour d’appel de Versailles a confirmé l’ordonnance du 5 août 2021.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 15 avril 2022, la société beIN demande à la cour de :

déclarer recevable et fondé son appel ;

infirmer la décision entreprise des chefs critiqués dans la déclaration d’appel ;

Statuant à nouveau,

In limine litis

déclarer le président du tribunal judiciaire de Paris territorialement incompétent pour connaître du litige ;

renvoyer l’affaire à la cour d’appel de Versailles afin qu’elle statue en référé sur les demandes de la LFP ;

Au principal

dire n’y avoir lieu à référé au regard des articles 834 et 835 du code de procédure civile ;

débouter la LFP de l’ensemble de ses demandes ;

Subsidiairement,

dire n’y avoir lieu à référé dans la mesure où les injonctions litigieuses sont désormais dénuées d’objet ; Canal+ ayant exécuté l’ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Nanterre du 5 août 2021 et exécutant en outre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 31 mars 2022 ;

débouter la LFP de l’ensemble de ses demandes ;

Plus subsidiairement encore,

lui accorder un délai de paiement de vingt-quatre mois pour procéder au paiement de toute somme qui pourrait être mise à sa charge, en vingt-quatre mensualités égales ;

En tout état de cause,

condamner la LFP à s’acquitter entre ses mains d’une somme de 25.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner aux entiers dépens ;

dire que ceux d’appel seront recouvrés par Maître Boccon Gibod, Selarl Lexavoue Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 13 avril 2022, la LFP demande à la cour de :

confirmer l’ordonnance entreprise des chefs dont il a été fait appel ;

Y ajoutant,

débouter la société beIN Sports France de l’ensemble de ses demandes ;

dire que l’astreinte de 1.000.000 euros (un million d’euros) par jour de retard et par infraction constatée sera due à compter de la signification de l’arrêt et pour une durée de trois (3) mois ;

condamner la société beIN Sports France à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 20 avril 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties visées ci-dessus pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR,

Sur l’exception d’incompétence soulevée par la société beIN

Aux termes de l’article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

La société beIN soutient que, son siège social étant fixé à Boulogne-Billancourt, le juge des référés territorialement compétent pour statuer était le président du tribunal judiciaire de Nanterre et elle prétend que, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, son exception d’incompétence était recevable comme ayant été soulevée in limine litis.

Elle expose à cet égard que son assignation en intervention forcée délivrée à la société Canal+, dont le premier juge a estimé qu’elle contenait une défense au fond, n’a été placée qu’au début de l’audience de plaidoiries, le 30 juillet 2021 après 10 heures, soit postérieurement à la régularisation de ses conclusions en défense le 30 juillet 2021 à 7h54.

Elle affirme en conséquence que, si les écrits priment, elle a bien présenté son exception d’incompétence dans ses conclusions avant de s’exprimer sur le fond dans son assignation en intervention forcée placée à l’audience, et si l’oralité de la procédure l’emporte, elle a soulevé oralement, lors de l’audience, l’exception d’incompétence avant de présenter sa demande d’intervention forcée à l’encontre de Canal+.

Cependant, en appelant un tiers en intervention forcée, dans une procédure orale comme en l’espèce, une partie présente une défense au fond, de sorte qu’elle est irrecevable à soulever ultérieurement une exception d’incompétence (2e Civ., 6 mai 1999, pourvoi n° 96-22.143, Bull. 1999, II, n° 82 ; 2e Civ., 12 avril 2012, pourvoi n° 11-14.741, Bull. 2012, II, n° 75).

Au cas présent, la société beIN a assigné la société Canal+ en intervention forcée le 29 juillet 2021, présentant ainsi une défense au fond, de sorte qu’elle était irrecevable à soulever, lors de l’audience du 30 juillet 2021, une exception d’incompétence.

Si l’assignation doit être placée pour saisir la juridiction, tel a été le cas en l’espèce puisqu’il est constant que l’assignation en intervention forcée a été placée au début de l’audience, le 30 juillet 2021.

La société beIN est en conséquence irrecevable en son exception d’incompétence, comme l’a exactement retenu le premier juge.

Sur l’injonction prononcée par le juge des référés à l’égard de la société beIN

Selon l’article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Selon l’article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Au soutien de son appel, la société beIN fait valoir que les conditions prévues par ces textes n’étaient pas réunies pour autoriser le juge des référés à prendre les mesures sollicitées par la LFP.

Elle soutient, en premier lieu, qu’il n’existait aucun trouble manifestement illicite, d’une part, car le constat d’un tel trouble nécessitait une interprétation du contrat de sous-licence litigieux, exclusive des pouvoirs du juge des référés, d’autre part, car le trouble allégué ne s’est jamais concrétisé, Canal+ ayant honoré ses obligations en exécution de l’ordonnance de référé du 5 août 2021.

Elle soutient, en second lieu, qu’il n’existait pas de dommage imminent, les intérêts de la LFP ayant toujours été préservés grâce à ses actions, ayant obtenu le 5 août 2021 une ordonnance condamnant Canal+ à s’exécuter et, dès le 29 juillet 2021, une ordonnance sur requête ordonnant à cette dernière d’honorer ses obligations contractuelles dans l’attente d’une décision du juge des référés.

Elle fait également valoir qu’un dommage imminent n’existe que s’il procède d’un comportement potentiellement fautif imputable de façon évidente au défendeur à l’action en référé et qu’en l’espèce, le dommage imminent que la LFP invoque résulte, non pas de son comportement mais de celui de Canal+.

Elle soutient, en troisième lieu, que l’impossibilité d’exécuter en nature une obligation de faire caractérise une difficulté sérieuse au sens des articles 834 et 835, alinéa 2, du code de procédure civile et qu’au cas présent, il existe pour elle une impossibilité tant juridique que matérielle d’exécuter en nature les obligations de faire invoquées par la LFP.

Elle invoque l’impossibilité juridique liée aux termes mêmes du contrat de licence, qui énonce que « le contrat de sous-licence est exclusif de tout droit pour l’attributaire de continuer à exploiter le programme de Ligue 1 concerné (match ou magazine) qui est donc exploité par le seul sous-licencié ».

Elle argue également d’une impossibilité matérielle liée à la distribution exclusive par Canal+ de ses chaînes depuis le mois de juin 2020, en application d’un contrat de distribution exclusive d’une durée de cinq ans conclu le 11 février 2020.

La LFP réplique, en premier lieu, qu’il existait incontestablement un dommage imminent au 4 août 2021, alors que la première journée de la saison 2021/2022 de Ligue 1 débutait le vendredi 6 août 2021 et qu’elle n’avait aucune garantie sur le respect par la société beIN de ses obligations de diffusion des matchs et de règlement des contreparties financières.

Elle expose, en second lieu, que le trouble manifestement illicite était caractérisé au jour où le juge des référés a statué en raison de l’inexécution par la société beIN de ses obligations contractuelles, celle-ci ne s’étant pas acquittée du paiement de la facture relative à la première échéance des frais de service, exigible le 5 juillet 2021, pour un montant de 525.000 euros HT, en dépit de ses nombreuses relances, et les premiers matchs de la première journée de la saison 2021/2022, qui n’avaient bénéficié d’aucune promotion, se jouant le samedi 7 août et le dimanche 8 août 2021.

Elle soutient, en troisième lieu, qu’il y avait urgence eu égard aux événements sportifs et aux échéances financières à venir et qu’il n’existait aucune contestation sérieuse ni impossibilité d’exécution, la société beIN étant liée contractuellement avec elle et restant responsable de l’exécution par Canal+ de ses obligations, peu important l’existence d’un contrat de sous-licence et d’un contrat de diffusion exclusive avec Canal+, n’étant pas partie à ces contrats que la société beIN avait de son seul chef décidé de conclure avec un tiers.

Il est constant que la LFP et beIN sont liées par un contrat de diffusion de matchs du championnat de France de « Ligue 1 » (les matchs du « lot 3 »), au cours des saisons 2020/2021 à 2023/2024. Aux termes de ce contrat, la société beIN s’est vue attribuer l’exploitation exclusive de ces matchs et s’est engagée à en assurer la production et la transmission des images, avec une diffusion en direct en intégralité en France, moyennant le paiement de la somme de 331.671.723 euros par an.

Conformément à la possibilité que lui offrait expressément le contrat de licence, beIN a conclu avec Canal+, le 11 février 2020, un contrat de « sous-licence » aux termes duquel elle lui a sous-licencié les droits audiovisuels dont la jouissance lui avait été accordée par la LFP.

Il résulte des pièces produites par les deux parties qu’alors que la première journée de la saison 2021/2022 de Ligue 1 débutait le vendredi 6 août 2021, la LFP ne disposait à la date de la décision du juge des référés d’aucune garantie d’exécution du contrat la liant à beIN et de diffusion des matchs puisque la société beIN opposait le contrat de sous-licence la liant à Canal+ et que la société Canal+, sous-licencié, refusait de remplir ses obligations contractuelles.

A cet égard, la mise en demeure adressée le 13 juillet 2021 par la LFP à la société beIN n’avait pas été suivie d’effet.

En outre, la contrepartie financière due par beIN à la LFP, d’un montant de 56.384.193 euros, était exigible le 5 août 2021, de sorte qu’il existait également un risque sérieux de non règlement de cette somme, étant précisé que les frais de service, exigibles le 5 juillet 2021 pour un montant de 525.000 euros HT, n’avaient pas été réglés.

L’urgence était donc à l’évidence caractérisée, autorisant le juge des référés à prendre toute mesure qui ne se heurtait à aucune contestation sérieuse ou que justifiait l’existence du différend.

Le différend opposant la société beIN à la LFP relativement à l’exécution du contrat de licence qu’elles avaient signé justifiait les mesures d’exécution prises par le premier juge, afin de garantir la diffusion des matchs de la Ligue 1 en direct pendant toute la saison.

En outre, les contestations opposées par la société beIN n’étaient pas sérieuses dès lors que celle-ci s’était engagée contractuellement à assurer la production et la transmission des images de l’ensemble des matchs du « lot 3 » et que ce contrat était toujours en cours au jour de la décision du premier juge, aucune décision de justice n’ayant constaté sa caducité ou sa résiliation en dépit de la saisine du juge du fond à cette fin.

L’appelante invoque une difficulté d’interprétation du contrat au motif que celui-ci stipule qu’en cas de conclusion d’un contrat de sous-licence, « le contrat de sous-licence est exclusif de tout droit pour l’attributaire de continuer à exploiter le programme de Ligue 1 concerné (match ou magazine) qui est donc exploité par le seul sous-licencié ».

Elle soutient que cette stipulation lui interdisait explicitement de produire, de promouvoir et de diffuser elle-même les matchs litigieux, faisant peser ces obligations sur Canal+, et ajoute que le contrat de sous-licence offre à la LFP le droit d’agir en justice directement à l’encontre de Canal+ en précisant que « le contrat de sous-licence devra également contenir une stipulation contractuelle aux termes de laquelle la LFP aura un droit de recours direct, de nature contractuelle, contre le sous-licencié en cas de manquement du licencié à ses obligations [‘] ».

Cependant, le contrat de licence est clair et n’implique aucune interprétation excédant les pouvoirs du juge des référés. Il prévoit expressément que « l’attributaire demeure responsable à tout moment vis-à-vis de la LFP de la parfaite exécution de ses obligations au titre de son contrat avec la LFP et notamment de ses obligations financières vis-à-vis de la LFP ».

En conséquence, dans ses relations avec la LFP, la société beIN restait responsable de la parfaite exécution de ses obligations, y compris, le cas échéant, en remédiant à la carence de son sous-licencié en cas d’urgence avérée, peu important que la LFP dispose également d’un droit de recours direct contre le sous-licencié, qu’elle n’était pas tenue d’utiliser.

Aucun obstacle juridique n’empêchait la société beIN, sur injonction du juge des référés, d’exécuter les obligations prévues par son propre contrat de licence en lieu et place de la société Canal+, défaillante, la circonstance qu’elle ait choisi de se lier par un contrat de distribution exclusive avec cette société ne la délivrant pas de ses obligations à l’égard de la LFP.

L’appelante invoque également une impossibilité matérielle constitutive d’une contestation sérieuse. Mais elle expose elle-même la marche à suivre pour exploiter les droits du « lot 3 », à savoir la création dans l’urgence une nouvelle chaîne et, en cas de refus de distribution de Canal+, des négociations avec des tiers, comme Orange, Free ou Bouygues. Ces démarches, certes complexes et coûteuses, n’étaient pas impossibles.

Eu égard à l’urgence et au risque avéré de non-diffusion des matchs, les obligations contractuelles souscrites par la société beIN à l’égard de la LFP justifiaient les mesures prises par le juge des référés.

En tout état de cause, ces mesures étaient de plus fort justifiées sur le fondement de l’article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, en présence d’un dommage imminent.

En effet, l’absence de diffusion des matchs du « lot 3 » aurait eu des conséquences graves sur le plan économique pour la LFP, celle-ci exposant, sans être contredite sur ce point, qu’outre le manque à gagner, elle aurait été exposée à des actions en responsabilité de la part des clubs concernés, mais également de leurs sponsors et partenaires. Les conséquences étaient également sportives, une différence de traitement étant ainsi instaurée entre les équipes concernées et les autres, de nature à préjudicier au bon déroulement du championnat.

Enfin, comme l’explique encore la LFP, l’absence de production et de mise à disposition des images des matchs du « lot 3 » aurait privé les téléspectateurs français de ces matchs en direct mais aurait également empêché leur diffusion dans près de 100 pays, sur tous les continents où la Ligue 1 est diffusée, les diffuseurs internationaux utilisant les images produites par le diffuseur du lot.

L’appelante conteste l’existence d’un dommage imminent au motif que le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a, dès le 5 août 2021, condamné Canal+ à honorer l’intégralité des obligations mises sa charge par le contrat de sous-licence et que, le 29 juillet 2021, elle avait obtenu sur requête une ordonnance ordonnant provisoirement à Canal+ d’honorer ses obligations contractuelles jusqu’à ce que le juge des référés statue.

Cependant, l’ordonnance de référé du tribunal de commerce de Nanterre du 5 août 2021 est intervenue postérieurement à celle du tribunal de judiciaire de Paris frappée d’appel.

Quant à l’ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce du 29 juillet 2021 ordonnant « que les effets de la résiliation notifiée par la société Groupe Canal+ le 24 juillet 2021 soient suspendus jusqu’à ce qu’une ordonnance de référé soit prononcée sur les demandes formulées par beIN Sports », elle ne faisait que préserver les droits de la société beIN pendant le cours de l’instance de référé et n’était donc pas de nature à garantir la LFP de tout dommage imminent à l’issue de cette instance.

La société beIN soutient également qu’un dommage imminent n’existe que s’il procède d’un comportement potentiellement fautif imputable de façon évidente au défendeur à l’action en référé et qu’en l’espèce, le dommage imminent que la LFP invoque ne résultait pas de son comportement mais de celui de Canal+.

Le risque de dommage était cependant manifeste au jour de la décision du juge des référés et il trouvait son origine, à l’égard de la LFP, dans le refus de la société beIN d’exécuter ses obligations contractuelles de diffusion des matchs et de règlement des contreparties financières, au motif qu’elle ne pouvait se substituer à Canal+, son sous-licencié. Il appartiendra au juge du fond de déterminer l’étendue exacte des obligations de chacune des parties et le caractère fautif ou non de ce refus mais, dès lors que la société beIN était responsable de la bonne exécution du contrat principal et que le dommage imminent était réel, le juge des référés était fondé à prendre les mesures conservatoires qui s’imposaient pour le prévenir.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a enjoint à la société beIN d’exécuter l’ensemble de ses obligations contractuelles résultant du contrat conclu le 29 mai 2018 avec la LFP.

Sur l’évolution du litige

Il ne peut qu’être constaté que la situation a évolué depuis l’ordonnance entreprise du 4 août 2021, une ordonnance du 5 août 2021, confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 31 mars 2022, ayant ordonné l’exécution par Canal+ des obligations mises à sa charge par le contrat de sous-licence du 11 février 2020, sous astreinte d’un million d’euros par jour de retard dans la limite de 90 jours.

Il est constant que Canal+ a, depuis lors, exécuté cette décision en s’acquittant des échéances dues au titre du contrat de sous-licence et en procédant à la diffusion des matchs du « lot n° 3 » de la Ligue 1.

Le dommage imminent a par conséquent disparu à ce jour et le trouble manifestement illicite, qui n’a jamais été caractérisé puisque Canal+ a en définitive exécuté ses obligations de sous-licencié, est également inexistant.

De même, aucune injonction ne saurait désormais être prononcée à l’encontre de la société beIN sur le fondement de l’article 834 du code de procédure civile, en l’absence d’urgence justifiant l’intervention du juge des référés, les intérêts de la LFP étant à ce jour préservés.

Cette dernière soutient que le dommage imminent n’a pas cessé car l’ordonnance du 5 août 2021 est exclusivement relative aux obligations de Canal+ à l’égard de beIN et ne concerne pas celles de beIN à son égard.

Elle estime que seule l’ordonnance entreprise a contraint beIN à exécuter ses obligations et ajoute que si le tribunal de commerce de Paris statuant au fond devait constater la résiliation du contrat de sous-licence notifiée par Canal+, beIN ne pourrait plus rechercher l’exécution forcée de ses obligations contractuelles par Canal+.

Elle fait enfin valoir que l’affirmation de beIN selon laquelle elle ne peut pas exercer ses obligations car elle est en incapacité d’y faire face, situation toujours en cours, démontre la persistance du dommage imminent.

Cependant, en l’absence de toute volonté avérée de Canal+ de revenir sur ses engagements d’exécution de l’ordonnance de référé du 5 août 2021, le dommage imminent n’existe plus, celle-ci remplissant parfaitement ses obligations, sans que la LFP n’ait eu à s’en plaindre depuis août 2021, peu important que lesdites obligations soient remplies par Canal+, le sous-licencié, ou par beIN, le licencié.

La remise en cause, pour l’avenir, des injonctions prononcées à l’égard de beIN ne remet pas en cause l’injonction prononcée à l’égard de Canal+ et confirmée en appel.

Enfin, les hypothèses émises par la LFP pour envisager la survenue d’un nouveau dommage imminent démontrent à elles seules que celui-ci a disparu à ce jour.

En tout état de cause, des circonstances nouvelles pourraient, le cas échéant, justifier une nouvelle saisine du juge des référés.

Il convient donc, au regard de l’évolution du litige, de dire n’y avoir lieu à référé pour l’avenir.

De plus, le dommage imminent ne s’étant jamais matérialisé, l’astreinte sera supprimée.

Sur les frais et dépens

Le sort des dépens et de l’indemnité pour frais irrépétibles a été exactement réglé par le premier juge.

Si l’ordonnance entreprise est confirmée en ce qu’elle a constaté l’existence d’un dommage imminent et pris les mesures qui s’imposaient pour le prévenir, l’appel de la société beIN était partiellement fondé puisqu’il n’y a plus lieu à référé à ce jour. Il convient en conséquence de laisser à chaque partie la charge de ses dépens d’appel et des frais exposés sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise des chefs dont il a été fait appel, sauf en ce qu’elle a assorti l’injonction prononcée à l’égard de la société beIN Sports France d’une astreinte de 1.000.000 euros (un million d’euros) pour une durée de trois mois à compter du prononcé de la décision, par jour de retard et par infraction constatée ;

Statuant à nouveau de ce chef, vu l’évolution du litige, et y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ;

Constate l’absence de dommage imminent ou d’urgence justifiant l’intervention du juge des référés à ce jour ;

En conséquence, dit n’y avoir plus lieu à référé ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés en appel ;

Rejette les demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

 


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