Sous-traitance juridique : une pratique à risques

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Sous-traitance juridique : une pratique à risques
Ce point juridique est utile ?

Le refus de nomination d’un notaire pour un office à créer à Paris a été confirmé par la juridiction. 

Il résulte de l’instruction que la décision litigieuse est fondée sur les manquements constatés de l’intéressé à ses obligations professionnelles, notamment de nombreuses opérations de sous-traitances relatives à la rédactions d’actes, une absence de suivi de la comptabilité avec cinq comptes non régularisés en 2018 et sept comptes non régularisés en 2019, une taxation des actes qui n’était pas conforme, pour plusieurs actes, au tarif consistant en une taxation insincère et une absence de convention d’honoraires à un client, une remise d’émoluments sur un seul acte au lieu de deux, une analyse juridique erronée d’une convention entre une société civile immobilière et une fondation, à l’établissements de formalités postérieures ou à l’élaboration de la comptabilité de l’étude, faits susceptibles de faire l’objet de poursuites disciplinaires et pénales.

Il résulte également de l’instruction que le garde des sceaux ne s’est pas fondé pour prendre la décision contestée sur le guide pratique de la mutualisation et de la sous-traitance édité par le Conseil supérieur du notariat, mais sur le principe du secret professionnel, les règles de confidentialité et le règlement général sur la protection des données qui font obstacle à la sous-traitance de la rédaction d’actes par un notaire.

Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, un avis de l’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, ne saurait en aucun cas être considéré comme une ligne directrice du garde des sceaux pour statuer sur l’honorabilité des candidats aux fonctions de notaire.

Il suit de là que c’est à bon droit que le tribunal a écarté implicitement le moyen tiré de l’illégalité interne de la décision attaquée.

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Cour administrative d’appel de Paris, 8ème chambre, 11 avril 2023, 21PA06643 Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… A… a demandé au Tribunal administratif de Paris de déclarer illégal comme vicié d’incompétence le guide pratique de mutualisation et de la sous-traitance, édité par le Conseil supérieur du notariat en novembre 2019, d’annuler la décision du 13 novembre 2020 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire, après tirage au sort, sur un office à créer dans la zone de Paris, d’annuler par voie de conséquence, les trente arrêtés de nomination dans des offices créés à la résidence de Paris et intervenus postérieurement à la décision de refus de nomination le concernant ou, à titre subsidiaire, d’ordonner au garde des sceaux, ministre de la justice de produire, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement avant dire droit à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la liste nominative accompagnée des numéros de demande de l’ordre de classement par tirage au sort correspondant à la zone de Paris et des références de publication de leurs nominations au Journal officiel de la République française (JORF) des neuf notaires nommés dans cette zone et classés à un rang moins favorable que le sien à l’issue du tirage au sort, des cinquante-et-un candidats évincés initialement classés à un rang plus favorable, avec le motif de rejet de ces candidatures, et des quinze candidats évincés classés à un rang moins favorable, avec le motif de rejet de leurs candidatures, d’enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir réglant le litige au fond, après exécution de la mesure d’instruction et annulation par voie de conséquence de l’arrêté de nomination du notaire concurrent, de prendre et de publier au JORF un arrêté le nommant notaire à la résidence de Paris (zone 1101), office à créer, concomitamment à la fin de ses fonctions à Grenoble, de faire mention sur le portail Officiers publics ou ministériels (OPM) de la publication au JORF de son arrêté de nomination et de mettre à la charge de l’État la somme de 60 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2020135/6-2 du 26 octobre 2021, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 13 novembre 2020 du garde des sceaux, ministre de la justice pour un motif d’illégalité externe, lui a enjoint de réexaminer la demande de nomination de M. A… en qualité de notaire dans un office à créer à Paris et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 27 décembre 2021 et 30 octobre 2022, M. A… représenté par Me Krikorian, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler le jugement attaqué en tant qu’il n’a que partiellement fait droit à sa demande ;

2°) d’annuler pour illégalité interne la décision du 13 novembre 2020, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire après tirage au sort, sur un office à créer dans la zone de Paris ;

3°) de faire droit au surplus des conclusions de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 200 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– la décision litigieuse est entachée d’erreur d’appréciation quant à la condition portant sur son honorabilité ;

– elle est entachée d’erreurs de droit dès lors qu’elle est fondée sur un décret inexistant et des dispositions réglementaires illégales sur la sous-traitance, qu’elle méconnaît la ligne directrice révélée par l’avis de l’Autorité de la concurrence n° 21-A-04 du 28 avril 2021 relative à la liberté d’installation des notaires et qu’elle est discriminatoire ;

– elle est entachée de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu’aucun des moyens invoqués par le requérant n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

– le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

– l’arrêté du 3 décembre 2018 pris en application de l’article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques pour la profession de notaire ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Ho Si Fat, président assesseur,

– les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

– et les observations de M. A….

Une note en délibéré présentée par Me Krikorian pour M. A… a été enregistrée le 7 avril 2023.

Considérant ce qui suit

:

1. M. B… A… a été nommé, par arrêté du 7 juillet 2017 de la garde des sceaux, ministre de la justice, notaire dans un office créé à la résidence de Grenoble (Isère). Le 1er février 2019, M. A… a de nouveau posé sa candidature à la création d’un office dans d’autres zones. Il a été tiré au sort le 23 mai 2019 et classé en rang favorable dans la zone de Paris. Cependant, par une décision du 13 novembre 2020, notifiée le 20 novembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en raison de faits contraires à l’honneur et à la probité commis par M. A…. Par une requête enregistrée le 30 novembre 2020, Monsieur A… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision du garde des sceaux du 13 novembre 2020. Par un jugement du 26 octobre 2021, le tribunal a annulé cette décision au motif qu’elle était intervenue au terme d’une procédure irrégulière et a enjoint au garde des sceaux de réexaminer sa demande. M. A… relève appel de ce jugement.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Lorsque le juge de l’excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l’annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l’annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d’annulation, des conclusions à fin d’injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l’autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l’excès de pouvoir d’examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l’injonction demandée. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l’expiration du délai de recours, les prétentions qu’il soumet au juge de l’excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d’annulation, il incombe au juge de l’excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c’est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l’excès de pouvoir n’est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu’il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Ainsi, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n’a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d’appel, statuant dans le cadre de l’effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.

3. En l’espèce, dès lors que le jugement attaqué a accueilli pour un motif d’illégalité externe la demande de M. A… tendant à l’annulation de la décision du 13 novembre 2020 du garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire, après tirage au sort, sur un office à créer dans la zone de Paris et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer sa situation alors que le requérant avait fondé sa demande à titre principal sur l’illégalité interne entachant selon lui, la décision, ce dernier est recevable à faire appel du jugement ayant fait droit partiellement à sa requête.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l’article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques : ” I. – Les notaires (…) peuvent librement s’installer dans les zones où l’implantation d’offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l’offre de services. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l’économie, sur proposition de l’Autorité de la concurrence en application de l’article L. 462-4-1 du code de commerce. (…) / A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l’offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (…) apparaît utile. / (…) / II. Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance requises pour être nommé en qualité de notaire (…), le ministre de la justice le nomme titulaire de l’office de notaire (…) créé. (…) “. Aux termes de l’article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d’accès aux fonctions de notaire, dans sa rédaction issue du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels : ” Nul ne peut être notaire s’il ne remplit les conditions suivantes : (…) / 2° N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité ; / (…) “. Aux termes du premier alinéa de l’article 49 du même décret : ” Peuvent demander leur nomination sur un office à créer les personnes qui remplissent les conditions générales d’aptitude aux fonctions de notaire. (…) “.

5. Il résulte de ces dispositions, et notamment du 2° de l’article 3 du décret du 5 juillet 1973, que nul ne peut être notaire s’il ne remplit pas, notamment, la condition de n’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité. Lorsqu’il vérifie le respect de la condition de n’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité, il appartient au ministre de la justice d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si l’intéressé a commis des faits contraires à l’honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté ainsi que du comportement postérieur de l’intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

6. Il résulte de l’instruction que la décision litigieuse est fondée sur les manquements constatés de M. A… à ses obligations professionnelles, notamment une absence de suivi de la comptabilité avec cinq comptes non régularisés en 2018 et sept comptes non régularisés en 2019, une taxation des actes qui n’était pas conforme, pour plusieurs actes, au tarif consistant en une taxation insincère et une absence de convention d’honoraires à un client, une remise d’émoluments sur un seul acte au lieu de deux, une analyse juridique erronée d’une convention entre une société civile immobilière et une fondation, de nombreuses opérations de sous-traitances relatives à la rédactions d’actes, à l’établissements de formalités postérieures ou à l’élaboration de la comptabilité de l’étude, faits susceptibles de faire l’objet de poursuites disciplinaires et pénales. Il résulte également de l’instruction que le garde des sceaux ne s’est pas fondé pour prendre la décision contestée sur le guide pratique de la mutualisation et de la sous-traitance édité par le Conseil supérieur du notariat, mais sur le principe du secret professionnel, les règles de confidentialité et le règlement général sur la protection des données qui font obstacle à la sous-traitance de la rédaction d’actes par un notaire. Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, un avis de l’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, ne saurait en aucun cas être considéré comme une ligne directrice du garde des sceaux pour statuer sur l’honorabilité des candidats aux fonctions de notaire. Il suit de là que c’est à bon droit que le tribunal a écarté implicitement le moyen tiré de l’illégalité interne de la décision attaquée.

7. Il résulte de ce qui précède que M. A… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal a retenu le moyen qui était le mieux à même d’accueillir sa demande d’annulation de la décision du 13 novembre 2020 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire, après tirage au sort, sur un office à créer dans la zone de Paris ainsi que ses conclusions accessoires aux fins d’injonction et n’a pas fait droit au moyen de légalité interne invoqué à titre principal à l’encontre de cette décision. Dès lors, ses conclusions à fin d’annulation du jugement attaqué et par voie de conséquence celles tendant à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l’audience du 27 mars 2023, à laquelle siégeaient :

– M. Le Goff, président de chambre,

– M. Ho Si Fat, président-assesseur,

– Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.

Le rapporteur,

F. HO SI FAT Le président,

R. LE GOFF

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 21PA06643  


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