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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 23/59250 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3PHU
N° : 1/MM
Assignation du :
07 Décembre 2023
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 22 décembre 2023
par Amicie JULLIAND, Vice-président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier.
DEMANDERESSE
Société ADEC
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI de l’AARPI VIGO, avocats au barreau de PARIS – #G0190
DEFENDERESSE
S.A. LA POSTE
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Maître Jean-philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocats au barreau de PARIS – #B0812
DÉBATS
A l’audience du 13 Décembre 2023, tenue publiquement, présidée par Amicie JULLIAND, Vice-président, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’autorisation d’assigner à heure indiquée en date du 06 décembre 2023,
Par assignation en date du 7 décembre 2023, la société ADEC a attrait la société LA POSTE à comparaître devant le présent tribunal, statuant en référé, aux fins, au visa des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) et du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021, d’obtenir communication de l’ensemble des données qu’elle détient de nature à permettre l’identification des titulaire des adresses électroniques “[Courriel 6]”, “[Courriel 9]”, “[Courriel 7]”, “[Courriel 8]” et “[Courriel 5]” et notamment, les informations suivantes :
– les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ;
– la ou les adresses postales associées ;
– la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ;
– le ou les numéros de téléphone ;
– l’identifiant utilisé ;
– le ou les pseudonymes utilisés ;
– les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant, par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour ;
– la ou les adresses IP rattachées aux adresses électroniques;
Ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
L’affaire a été appelée à l’audience du 13 décembre 2023 date à laquelle le conseil de la demanderesse a maintenu ses demandes, dans les termes de son assignation.
Le conseil de la société LA POSTE a indiqué oralement s’en remettre à la décision du juge des référés sur la communication des données et sollicité qu’il ne soit pas fait droit à la demande d’astreinte, celle-ci n’étant pas nécessaire.
À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 22 décembre 2023 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS
Sur les faits
La société ADEC déplore l’envoi de plusieurs messages électroniques, depuis des adresses à chaque fois différentes, intervenus dans le contexte d’un contentieux l’opposant à la chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) dont elle est une des filiales, initiée par cette dernière par assignation délivrée par le 21 septembre 2023 devant le tribunal judiciaire de Paris. Elle vise en particulier cinq courriers électroniques envoyés notamment à l’ensemble des commissaires de justice ainsi qu’à de nombreux salariés de l’ADEC :
– en date du 19 octobre 2023 expédiée par “[Courriel 6]”,
– en date du 27 octobre 2023 expédié par “[Courriel 9]”,
– en date du 2 novembre 2023 expédié par “[Courriel 7]”,
– en date du 6 novembre 2023 expédié par “[Courriel 8]” et
– en date du 29 novembre 2023 expédié par “[Courriel 5]”
(Ses pièces n°6 à 10).
Elle soutient que ces messages comportent des propos diffamatoires en ce qu’ils lui imputent des faits de fraude fiscale et sociale, d’escroquerie, de fausses factures et d’emplois fictifs et souligne que le dernier message, envoyé à des personnes autres que les commissaires de justice et ses salariés, matérialise également un recel de vol ou d’abus de confiance en ce qu’il contient un lien permettant de télécharger des documents internes de l’entreprise dont certains sont hautement confidentiels. Elle considère que ces envois répétés peuvent également tomber sous le coup du délit de harcèlement en ligne et, pour certains, dans la mesure où la démission des dirigeants est exigée sous peine de diffuser les accusations diffamatoires par voie de presse, de tentative de chantage.
Sollicitée aux fins de transmission des données d’identification par le conseil de la société ADEC le 27 novembre 2023, la société LA POSTE a répondu qu’elle ne pouvait fournir ces données que sur réquisition judiciaire ou ordonnance du juge (pièces n°12 et 13 en demande).
C’est dans ces conditions qu’a été engagée la présente instance contre la société LA POSTE aux fins de permettre l’identification du ou des auteurs des faits tels que qualifiés ci-dessus dans la perspective de pouvoir ensuite initier une procédure pénale à l’encontre de leurs auteurs.
Sur la demande de communication des données d’identification
Sur le motif légitime invoqué
L’article 145 du code de procédure civile dispose que, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Une demande fondée sur ce texte ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés, d’une part, pertinents, d’autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel.
Sont légalement admissibles, au sens de ce même texte, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêt antinomiques en présence.
Ainsi, le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.
Sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et dans le respect des dispositions précitées prévues aux articles 6.II de la LCEN, L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et dans le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 qui déterminent les cas dans lesquels peuvent être prescrites les mesures sollicitées, le juge saisi peut prescrire à l’hébergeur de comptes à partir desquels ont été diffusés les propos incriminés de communiquer les données d’identification des utilisateurs des dits comptes, à condition que les propos soient pénalement répréhensibles si les faits devaient être considérés comme constitués et qu’une telle mesure soit légitime et proportionnée au but poursuivi.
*
En l’espèce, le motif légitime invoqué par la demanderesse tient à la nécessité de connaître l’identité des personnes à l’origine des messages litigieux, constitutifs des délits de diffamation publique envers un particulier, harcèlement en ligne, chantage, recel de vol et abus de confiance.
La société LA POSTE s’en remet à l’appréciation du juge s’agissant de l’intérêt légitime du demandeur.
Il est manifeste en l’espèce que les messages adressés à partir d’adresses électroniques pour le moins fantaisistes constituent une série initiée le 19 octobre par le “collectif SOS ADEC”’, visant à dénoncer des faits susceptibles de constituer des infractions pénales impliquant la société ADEC et ses dirigeants, en ce qu’elle s’y voit accusée d’être le lieu d’un “harcèlement systémique” (courriel du 19 octobre), d’enrichissement personnel, d’abus de confiance ou abus de biens sociaux commis par les dirigeants, d’emplois fictifs, d’escroquerie via des fausses factures (courriels des 19, 27 octobre et des 2 et 29 novembre 2023), autant de délits prévus et réprimés par le code pénal. Chaque message annonce le prochain.
Il sera en outre relevé que l’un au moins de ces mails, en date du 29 novembre 2023, adressé à des personnes étant soit commissaires de justice, soit membres de l’ADEC, soit membres du CNCJ, soit membres de cabinets d’audit, comporte un lien hypertexte vers le site wetransfer sur lequel se trouvent des documents internes de la société ADEC, pour certains à l’évidence confidentiels (contrat de prestations de service entre la société ADEC et une universitaire, ainsi qu’entre la société OC3 Network et la même universitaire, notes d’honoraires, bulletins de salaires des dirigeants de la société ADEC, contrat de collaboration et factures avec la société KONCORD…).
L’envoi de ces différents messages par voie anonyme est ainsi susceptibles de caractériser la commission d’infractions pénales, parmi lesquelles, notamment, celle de diffamation publique envers un particulier, prévue et réprimée par les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de loi du 29 juillet 1881 et celle de recel de vol ou d’abus de confiance, cette dernière infraction étant punie de 5 ans d’emprisonnement par l’article 321-1 du code pénal, voire de 10 ans d’emprisonnement lorsqu’elle est commise en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle (article 321-2 1° du code pénal).
Le fait que ces courriers soient envoyés au nom d’un collectif qui revendique la qualité de lanceur d’alerte n’est pas de nature à faire échec à la possibilité pour la société ADEC d’obtenir la communication des données sollicitées, qui seules peuvent lui permettre d’agir pénalement contre les auteurs des faits, cette circonstance pouvant alors être invoquée dans ce cadre précis.
Il doit, au vu de ces éléments, être considéré que la société ADEC justifie d’un motif légitime pour solliciter la communication des données d’identification relatives aux utilisateurs des comptes précités.
Sur la nature des données susceptibles d’être communiquées
L’article L34-1 précité prévoit que les opérateurs de communications électroniques, et notamment les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne, effacent ou rendent anonymes, sous réserve des dispositions prévues au paragraphe II bis, les données relatives aux communications électroniques. Il est également prévu que les personnes qui fournissent au public des services de communications électroniques établissent, dans le respect des dispositions de l’alinéa précédent, des procédures internes permettant de répondre aux demandes des autorités compétentes.
A ce titre, le paragraphe II bis prévoit que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :
“1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;
2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;
3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux.”
La nature des données mentionnées par ce texte, comme la durée et les modalités de leur conservation, sont précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu en ligne, pris en application de l’article 6-II sus mentionné. Ce texte précise en particulier, dans ses articles 2 à 5, les données mentionnées dans l’article L34-1 du code des postes et des communications électroniques, évoqué ci-dessus :
– les informations prévues au 1° sont les suivantes : les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; la ou les adresses postales associées ; la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone.
– les informations prévues au 2° sont les suivantes : l’identifiant utilisé ; le ou les pseudonymes utilisés ; les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour, outre le type de paiement utilisé ; la référence du paiement ; le montant ; la date, l’heure et le lieu en cas de transaction physique.
– les informations prévues au 3° sont les suivantes, pour les hébergeurs : l’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ; et les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus.
Dans la mesure où les propos litigieux sont susceptibles de constituer le délit de diffamation publique envers un particulier et plus encore, le délit de recel de vol ou de recel d’abus de confiance, prévu et réprimé par les articles 221-1 et 221-2 du code pénal, puni d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement, un procès pénal est envisageable, une fois identifiée la personne à l’origine des publications en cause.
Les faits litigieux peuvent être considérés, à raison de ce dernier chef, comme étant de ceux qui ressortent de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de sorte qu’est proportionnée à l’atteinte alléguée et légalement admissible, la communication des données d’identification correspondant aux 1°, 2° et 3° de l’article L.34-1 II bis du code des postes et des communications électroniques.
Il sera donc fait droit à la demande présentée par la société ADEC de communication des données d’identification afférentes aux comptes précités, dans les conditions exposées ci-dessous.
Ainsi, il sera enjoint à la société LA POSTE de communiquer à la société ADEC les données en sa possession permettant l’identification des titulaires des adresses électroniques : “[Courriel 6]”, “[Courriel 9]”, “[Courriel 7]”, “[Courriel 8]” et “[Courriel 5]”, et notamment, les informations suivantes :
– les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ;
– la ou les adresses postales associées ;
– la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ;
– le ou les numéros de téléphone ;
– l’identifiant utilisé ;
– le ou les pseudonymes utilisés ;
– les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant, par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour ;
– la ou les adresses IP rattachées aux adresses électroniques,
Il n’y a pas lieu d’assortir cette obligation d’une astreinte, aucun élément ne permettant de considérer que la société LA POSTE, qui s’en est rapportée à la justice sur le bien fondé de la demande, n’exécutera pas spontanément la présente ordonnance, qui constitue une décision judiciaire et non une sollicitation de la demanderesse.
Il sera rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit.
La nature de la présente affaire justifie de faire supporter la charge des dépens par moitié à chacune des parties, en application de l’article 696 alinéa 1er du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant, après débats publics, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort :
Enjoignons la société LA POSTE de communiquer, dans les huit jours à compter de la signification de la présente décision, à la société ADEC, les données d’identification en sa possession concernant les utilisateurs des comptes “[Courriel 6]”, “[Courriel 9]”, “[Courriel 7]”, “[Courriel 8]” et “[Courriel 5]”,
et notamment, les informations suivantes :
– les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ;
– la ou les adresses postales associées ;
– la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ;
– le ou les numéros de téléphone ;
– l’identifiant utilisé ;
– le ou les pseudonymes utilisés ;
– les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant, par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour ;
– la ou les adresses IP rattachées aux adresses électroniques,
Disons n’y avoir lieu d’assortir la présente injonction d’une astreinte et en conséquence déboutons la société ADEC de sa demande à ce titre ;
Disons que les dépens de l’instance seront supportés, pour moitié, par chacune des parties.
Fait à Paris le 22 décembre 2023
Le Greffier,Le Président,
Fabienne FELIXAmicie JULLIAND