Divorce et droit moral : l’obligation de conservation des oeuvres
Divorce et droit moral : l’obligation de conservation des oeuvres
Ce point juridique est utile ?

Postérieurement au divorce, l’époux dépositaire des biens entreposés dans sa ferme (sculptures de son ex épouse) se doit d’en assurer une surveillance normale sous peine d’une condamnation.

En l’occurrence, l’époux s’est désintéressé de ces objets, les a laissés aux intempéries et a contribué par son comportement indifférent, au moins partiellement au préjudice qui en est résulté pour son ex épouse.

Le juges ont retenu que l’absence de diligences de l’époux a revêtu un caractère fautif.


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 3 – Chambre 1



ARRET DU 25 OCTOBRE 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/13209 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLNW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2020 -Tribunal Judiciaire de MELUN – RG n° 18/00514





APPELANTE



Madame [V] [N]

née le 10 Novembre 1949 à [Localité 4] (77)

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Sylvie FOADING-NCHOH, avocat au barreau de PARIS, toque : E1002



(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/021151 du 04/09/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)





INTIME



Monsieur [R] [I]

né le 25 Octobre 1950 à [Localité 8] (77)

[Adresse 5]

[Localité 8]



représenté par Me François CHASSIN de l’AARPI CHASSIN COURNOT-VERNAY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0210







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller, chargée du rapport, et M. Bertrand GELOT, Conseiller.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Patricia GRASSO, Président

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller

Monsieur Bertrand GELOT, Conseiller



Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON





ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.

Exposé du litige






***



EXPOSE DU LITIGE :



M. [R] [I] et Mme [V] [N] ont contracté mariage le 19 septembre 1974 devant l’officier de l’état civil de [Localité 8] (77), après contrat reçu le 4 septembre 1974 par Maître [H], notaire à [Localité 7] (77) prévoyant le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts. 



Un ordonnance de non-conciliation a été rendu le 5 novembre 1991 par le juge aux affaires matrimoniales du tribunal judiciaire de Melun prévoyant notamment : 

-la résidence séparée des époux, la jouissance du domicile conjugal étant attribuée à l’épouse jusqu’au 1er mars 1992 et à l’époux à compter de cette date, 

-une pension alimentaire due par l’époux à l’épouse de 5 000,00 francs en exécution du devoir de secours.



Par jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Melun en date du 3 février 1994, le divorce des époux [I] a été prononcé aux torts partagés des époux et la liquidation du régime matrimonial ordonnée. M. le président de la chambre des notaires de Seine-et-Marne ayant été commis pour y procéder avec faculté de délégation. Ce jugement a également condamné M. [R] [I] à payer à Mme [V] [N] à titre de dommages-intérêts la somme de 80 000 Frs.



Par arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 avril 1997, le jugement de divorce a été confirmé dans toutes ses dispositions dont celle ayant condamné M. [R] [I] à payer à Mme [V] [N] la somme de 80 000 Frs de dommages-intérêts. 



Par arrêt du 15 avril 1999, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Mme [N]. 



Suivant délégation en date du 14 novembre 2007, M. le président de la chambre des notaires de Seine-et-Marne a délégué Maître [P] [D], notaire à [Localité 6] afin de procéder à la liquidation et au partage du régime matrimonial ayant existé entre M. [I] et Mme [N]. 



Par acte du 20 décembre 2011, Maître [P] [D] a dressé un procès-verbal de difficultés. 



Par acte d’huissier du 5 février 2018, Mme [N] a assigné M. [I] devant le tribunal de grande instance dénommé par la suite tribunal judiciaire de Melun  aux fins de liquider et partager les intérêts patrimoniaux des ex-époux.



Par jugement du 18 juin 2020, le tribunal judiciaire de Melun a statué dans les termes suivants :

-déclare le juge aux affaires familiales incompétent pour statuer sur la demande de M. [I] visant à enjoindre à Mme [N] de verser aux débats les relevés de ses comptes bancaires et notamment auprès de la banque Hervet au 20 décembre 1991,

-dit que les demandes formulés par Mme [N] ne sont pas prescrites,

en conséquence, 

-déclare recevables les demandes formulées par Mme [N], 

-rejette la demande formulée par Mme [N] relative au droit à récompense d’un montant de 6 971,76 € provenant de biens hérités, 

-rejette les demandes formulées par Mme [N] visant à la restitution et/ou l’indemnisation de ses bijoux et effets personnels, du véhicule automobile de marque Citroën de type Ami 6 et de ses biens professionnels, 

-rejette la demande formulée par Mme [N] visant à l’indemnisation de ses oeuvres artistiques et ses matériaux professionnels, 

-rejette la demande de Mme [N] visant à ce que l’actif de la communauté se compose d’un compte courant d’associés d’un montant de 49 850,82 € (327 000,00 francs),

-rejette la demande de Mme [N] visant à condamner M. [I] à lui verser la somme de 24 925,41 €, 

-rejette la demande formulée par M. [I] visant à la condamnation de Mme [N] à la somme de 14 398,10 €, 

-rejette la demande formulée par M. [I] visant à réintégrer le montant des avoirs bancaires de Mme [N] à l’actif de la communauté, 

-ordonne le partage conformément au présent jugement, 

-rejette les demandes d’indemnité formulées par les parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi sur l’aide juridictionnelle, 

-dit que les dépens seront partagés par moitié par les parties,

-rejette le surplus des demandes,

-dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire. 



Mme [N] [V] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 19 septembre 2020. L’acte d’appel vise comme chefs du jugement critiqués en particulier ceux ayant rejeté sa demande de récompense de 6 971,76 €, sa demande d’indemnisation de ses bijoux, effets personnels, véhicule et biens professionnels, sa demande d’indemnisation des oeuvres artistiques et matériaux professionnels, sa demande de voir l’actif composé d’un compte courant associé de 49 850,82 €, sa demande de condamnation de M. [R] [I] à lui payer 24 925,41 €, et le chef du jugement ayant ordonné le partage.



M. [R] [I] a déposé le 9 décembre 2020 ses conclusions d’intimé dans le délai imparti par l’article 909 du code de procédure civile par lesquelles il a formé appel incident du chef du jugement qui l’a débouté de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de Mme [V] [N].


Moyens

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 juillet 2022, l’appelante demande à la cour de :

-infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnisation de ses ‘uvres artistiques et matériaux professionnels, 

statuant à nouveau, 

-ordonner une expertise désignant deux experts judiciaires, un expert industriel ainsi qu’un expert artistique dont les frais seront à la charge de M. [I], et ayant pour mission respective d’établir une estimation de la valeur des matériaux et une évaluation des oeuvres, répertoriés dans le récapitulatif du contenu des locaux de Mme [N] en 1991 contresigné par le doyen des juges d’instruction, 

à défaut, 

-condamner M. [I], à payer à Mme [V] [N] la somme de 1 067 142, 12 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance, 

-condamner M. [I], à verser à Mme [V] [N] la somme de 38 112,25 € à titre de la privation de ses matériaux, installations professionnelles et outillage, 

-condamner M. [I], à verser à Mme [V] [N] la somme de 1 000 000 € à titre de droit d’auteur, 

-condamner le défendeur à la somme de 4 000 € au titre de l’article 37 de la loi sur l’aide juridictionnelle et aux entiers dépens de l’instance conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. 

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 23 juin 2022, M. [R] [I], intimé, demande à la cour de :

-déclarer recevable et bien fondé M. [R] [I] en ses demandes, 

en conséquence, 

-confirmer le jugement rendu en date du 18 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Melun en ce qu’il a débouté Mme [V] [N] de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de M. [R] [I], 

-débouter Mme [V] [N] de sa demande d’expertise judiciaire, 

-infirmer le jugement rendu en date du 18 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Melun en ce qu’il a débouté M. [R] [I] de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de Mme [V] [N], 

en statuant à nouveau, 

-tirer toutes conséquences de droit de la non production par Mme [V] [N] des relevés de comptes bancaires de Mme [N], des années 1991 et 1992, 

-condamner Mme [V] [N] à verser à M. [R] [I] la somme de 14 398,10 € correspondant à la moitié de son compte d’administration, 

-réintégrer le montant des avoirs bancaires au nom de Mme [V] [N] au 20 décembre 1991 à l’actif de communauté, 

-partager le montant de l’actif de communauté selon les règles applicables au régime de communauté de biens réduite aux acquêts choisi par les parties lors de leur mariage, 

en toute hypothèse, 

-condamner Mme [V] [N] à verser à M. [R] [I] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice personnel et moral en raison de l’appel abusif, 

-condamner Mme [V] [N] à payer à M. [R] [I] la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel. 



Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.



L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023.  

L’affaire a été appelée à l’audience du 5 septembre 2023. 

Motivation






MOTIFS DE LA DECISION



Il est rappelé qu’en vertu de l’alinéa 2 de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. En application de son alinéa 3, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils ont été invoqués dans la discussion.

Selon son quatrième alinéa, « les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées. »

Les deux derniers alinéas de cet article disposent que ;

« la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. »

«  La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs ».



Outre que la recevabilité de l’appel relève de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état, M. [R] [I] qui ne forme aucune demande d’irrecevabilité de l’appel, ne conteste pas que l’appel interjeté par Mme [V] [N] a été formé dans le délai aménagé en cas de demande d’admission au bénéficie de l’aide juridictionnelle, comme les éléments du dossier permettent de le vérifier. De plus, si Mme [V] [N] consacre un développement dans ses écritures sur la recevabilité de son appel, ne figure pas dans leur dispositif un chef tendant à voir déclarer son appel recevable de sorte que la cour en application de l’article 954 du code de procédure civile n’est pas saisie de la recevabilité de l’appel. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la recevabilité de l’appel.



Mme [V] [N] dans ses dernières conclusions a restreint la portée de son appel au chef du jugement qui a rejeté sa demande de restitution ou d’indemnisation de ses ‘uvres, de ses matériaux professionnels et de ses installations professionnelles.



M. [R] [I] a par ailleurs formé appel incident des chefs du jugement qui l’ont débouté de ses demandes.



Sur l’appel principal



Le tribunal par son jugement dont appel, après avoir relevé que Mme [V] [N] avait déjà sollicité devant le juge du divorce, mais également en appel et en cassation un dédommagement en réparation de la destruction et de la détérioration de ses moyens d’expression artistiques, ayant été alors retenu qu’il n’était pas établi que ces destructions et dégradations étaient le fait de M. [R] [I], mais que ce dernier en tant que dépositaire tenu d’assurer une surveillance normale des ‘uvres ayant été condamné à lui verser la somme de 80 000 Frs en réparation de son préjudice moral, et qu’en tout état de cause, les plaintes déposées par Mme [V] [N] en juin 1992 et 1994 n’ayant pas abouti à la condamnation de M. [R] [I], a rejeté les demandes de Mme [V] [N] au titre de la restitution de ses ‘uvres d’art et de ses biens professionnels et/ou de leur indemnisation.



Au soutien de son appel, Mme [V] [N] expose qu’au moment de la séparation du couple, elle était une artiste pratiquant la « sculpture à l’explosif » ; qu’elle avait été autorisée dès 1981 à utiliser les tirs de roquettes et de mines anti-char de la délégation générale de l’armement sur le polygone de tirs de [Localité 3] ; qu’elle exerçait notamment son art sur un terrain de la SCEA familiale Pouilly Gellerand dont M. [R] [I] est un des associés ; qu’elle n’a pas été mesure de quitter les lieux ni de le vider de ses installations et matériaux le 1er mars 1992, délai imparti par l’ordonnance de non conciliation et n’a pu obtenir leur restitution ; qu’elle a fait établir un constat d’huissier par ministère de Me [S] le 9 mai 1992 aux termes duquel il apparaît que tous ses matériaux professionnels et ‘uvres d’art ont été déversés pêle-mêle dans les piscines de tir et disséminés au milieu de la végétation du terrain de tir ; qu’elle a déposé une première plainte avec constitution de partie civile au mois de juin 1992 et une seconde plainte en 1994 ; qu’aucun acte d’instruction n’a été accompli malgré le rapport accablant de la police judiciaire qui conclut que les dégradations occasionnées aux ‘uvres d’art ne peuvent être que le fait d’un ou plusieurs membres de la famille [I], étant précisé que M. [R] [I] est le gérant de la SCEA sus-nommée ; que le jugement de divorce et l’arrêt rendu sur l’appel de celui-ci précisent que ce dernier avait l’obligation de protéger les ‘uvres de Mme [V] [N].



L’appelante soutient que M. [R] [I] doit répondre de la disparition des ‘uvres d’art et que la responsabilité de l’État est également engagée puisque l’institution judiciaire a laissé au bon vouloir de M. [R] [I] la restitution des biens et ‘uvres retrouvés par la police judiciaire.



Mme [V] [N] accuse M. [R] [I] d’avoir trompé la religion du juge qui a statué sur les mesures provisoires et sur le divorce, en ayant attribué personnellement à ce dernier les locaux qu’elle occupait alors que ces locaux ne lui appartenaient pas mais à la SCEA ; elle reproche au juge aux affaires familiales d’avoir commis une faute lourde dans le cadre de la procédure de divorce qui s’est révélée irréparable par les voies de recours, la cour ayant retenu qu’elle n’était pas compétente pour ordonner sa réintégration dans ces locaux.



Elle l’accuse d’avoir trompé la religion du tribunal qui a rendu le jugement dont appel et d’avoir tenté de tromper celle de la cour en produisant la plainte qu’il a déposé en 1991 pour le vol de ses ‘uvres alors qu’une des pièces qu’il a produite dans la procédure de divorce contredit directement sa plainte.



Elle précise être aujourd’hui incapable d’évaluer les pertes, en l’absence d’un inventaire des matériaux et ‘uvres déversés par M. [R] [I] sur l’ancien terrain de tir, lesquels ont ensuite été pillés et dégradés ; elle fait valoir que le comportement de ce dernier l’a privée des revenus tirés du produit de ses ‘uvres et qui étaient à l’époque confortables.



Elle évalue son préjudice relatif à sa perte de revenus sur la base des factures des ‘uvres qu’elle a vendues en 1990 pour un montant correspondant à 35 825 € et multiplie cette somme par le nombre d’années s’étant écoulées entre 1992 à 2020 inclus.



Elle y ajoute un préjudice moral qu’elle chiffre à 1 000 000 € et un préjudice au titre de l’indemnisation de ses installations professionnelles et outillages divers qui d’après le contrat de mariage sont sa propriété exclusive, préjudice qu’elle évalue à la somme de 38 125,25 €.



M. [R] [I] qui approuve la motivation des premiers juges demande la confirmation de ce chef du jugement ; il fait valoir qu’il ressort de l’ensemble de la procédure de divorce que ce point a déjà été tranché par les différents magistrats en charge de cette procédure ; que l’enquête menée par le SRPJ de Versailles n’a pas permis de découvrir l’identité de l’auteur de l’infraction ; qu’il a versé à son ex-épouse la somme de 80 000 Frs à titre de préjudice moral compte tenu de son absence de diligences dans la garde des ‘uvres que les magistrats ont considéré comme fautive ; que Mme [V] [N] avait elle-même détourné des statues avant son départ du domicile conjugal, se référant au texte de l’article 1477 du code civil.



Il ajoute qu’une expertise ne saurait être ordonnée aux frais des membres de la famille [I] qui ne sont pas nommément désignés et qui ne sont pas partie à la procédure d’appel, qu’il n’est pas prouvé que lui-même soit responsable de la disparition des ‘uvres et que cette demande est la copie conforme du dispositif de l’assignation reçue récemment par sa famille.



***



La demande d’expertise formée par Mme [V] [N] s’inscrit dans sa demande d’infirmation du chef du jugement ayant rejeté sa demande de restitution ou d’indemnisation de ses ‘uvres, de ses matériaux professionnels et de ses installations professionnelles ; la mesure d’instruction demandée servirait donc à éclairer la cour sur l’étendue de son préjudice subi à ce titre.



Aux termes de l’article 125 du code de procédure civile, le juge peut relever d’office la fin de non recevoir tirée de la chose jugée.



En cours de délibéré la cour, qui a relevé d’office le moyen de la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 3 février 1994 qui a condamné M. [R] [I] à payer à Mme [V] [N] la somme de 80 000 Frs en réparation de son préjudice au titre de la destruction de son matériel et de son ‘uvre ‘ ce jugement ayant été confirmé par l’arrêt de la cour d’appel du 28 avril 1997 devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi formé à son encontre, a invité les parties à présenter leurs observations dans le cadre de note en délibéré.



M. [R] [I] sous la plume de son avocat a fait parvenir le 5 octobre 2023 une note en délibéré concluant à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance de Melun en date 3 février 1994.



La présente affaire étant soumise à la procédure avec représentation obligatoire, il ne sera pas tenu compte des courriers adressés directement par Mme [V] [N] au greffe de la cour.



Son conseil a adressé le 9 octobre 2023 une note en délibéré et le 19 octobre 2023 diverses pièces à l’appui de celle-ci. La teneur de cette note en délibéré consiste à soutenir que le jugement du tribunal de grande instance de Melun n’a statué que sur le préjudice moral subi par Mme [V] [N].



Dans le cadre de la procédure de divorce, Mme [V] [N] avait présenté une demande de dommages-intérêts au titre de la destruction de son matériel et son ‘uvre, sollicitant en réparation une indemnité de 2 500 000 Frs (page 9 du jugement du tribunal de grande instance du 3 février 1993).



Le tribunal statuant sur le divorce, après avoir retenu comme établi que Mme [V] [N] avait entreposé ses sculptures et son matériel dans des hangars situés sur la ferme de son mari, qu’elle n’avait plus eu accès à la ferme, qu’un constat d’huissier dressé le 9 mai 1992 montrait que ses sculptures et son matériel avaient été dispersés dans les bois, livrés aux intempéries, que ce matériel et ces sculptures ayant été entreposés dans les locaux de la ferme de M. [R] [I], celui-ci était tenu à une certaine diligence, qu’il avait certes en octobre 1991 déposé plainte pour vol avec effraction mais que la preuve de ce vol n’avait jamais été rapportée, qu’en revanche, l’éparpillement des sculptures était établi, que Mme [V] [N] ne donnait aucun élément permettant de chiffrer le préjudice résultant de la perte des sculptures, qu’en revanche, il est certain qu’elle était sollicitée pour des expositions, des conférences et émissions télévisées, qu’elle a subi par ailleurs, un préjudice moral important en voyant une partie de l”uvre, fruit de son travail, méprisée, a alors évalué le préjudice ainsi subi par Mme [V] [N] à 80 000 Frs et au dispositif du jugement a condamné M. [R] [I] à lui verser cette somme à titre de dommages-intérêts et a rejeté les autres demandes, fins et conclusions des parties.



L’arrêt de la cour d’appel du 28 avril 1997 a statué en ces termes :



« Considérant qu’il n’est pas établi que les destructions dont s’agit soient le fait de M. [I] qui, ayant constaté la disparition de sculptures, a porté plainte pour vol le 7 octobre 1991 ; qu’une enquête sur plainte de Mme [N] n’a pas établi l’identité de l’auteur de ces infractions. Qu’il apparaît des documents produits (pièce 104) que Mme [N] a elle-même retiré des statues avant son départ, le 24 octobre 1991.



Considérant toutefois que M. [I], dépositaire des biens entreposés dans sa ferme se devait d’en assurer une surveillance normale ; qu’il s’est désintéressé de ces objets, les a laissés aux intempéries et a contribué par son comportement indifférent, au moins partiellement au préjudice qui en est résulté pour Mme [N]. Que les premiers juges ont justement retenu que l’absence de diligences de M. [I] a revêtu un caractère fautif et ont correctement apprécié le montant. »



A l’appui de son pourvoi en cassation, Mme [V] [N] a articulé un moyen ainsi rédigé : «  enfin qu’en tenant pour établi, d’une part le préjudice résultant de l’impossibilité pour l’exposante d’accéder à ses locaux professionnels dont elle rejette cependant l’indemnisation, et d’autre part le préjudice matériel résultant de l’absence de diligences de M. [R] [I] dont elle ne retient que les conséquences morales préjudiciables, la cour d’appel n’a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences légales qui s’en évinçaient et a ainsi violé l’article 1382 du code civil ».



Statuant sur ce moyen, l’arrêt de la Cour de cassation a jugé que : « Mais attendu qu’après avoir écarté les seules attestations ayant fait l’objet d’une plainte en faux témoignage, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, d’une part qu’il ne résulte pas des documents produits, notamment de la pièce 104, expressément visés dans les conclusions d’appel du mari, que celui-ci soit l’auteur de la détérioration des moyens d’expression artistique de sa femme entreposés dans ses locaux professionnels situés sur la ferme exploitée par son mari qui lui en avait interdit l’accès, et d’autre part que Mme [N] qui avait dû interrompre ses activités de sculpture à l’explosif en raison de la proximité du tracé du TGV, a elle-même retiré des statues avant son départ ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu décider que seul le préjudice moral imputable au mari dépositaire des biens dont se devait d’assurer une surveillance normale ouvrait droit à réparation ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé. »



Il suit que contrairement à ce que soutient Mme [V] [N], il n’a pas été statué sur son seul préjudice moral par le jugement du tribunal de grande instance de Melun et par l’arrêt de la cour d’appel mais sur l’intégralité de son préjudice y compris sur ses demandes au titre de son préjudice matériel ; ce préjudice n’a pas été retenu et sa demande à ce titre a été rejetée.



Ainsi, tant la demande de Mme [V] [N] d’expertise, mesure d’instruction avant dire-droit à sa demande d’indemnisation du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait de la destruction de ses ‘uvres et de son matériel que sa demande subsidiaire de dommages-intérêts pour perte de chance se heurtent à l’autorité de la chose jugée attaché au jugement du tribunal de grande instance de Melun en date du 3 février 1994 confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 avril 1997 devenu irrévocable.



Il est en outre relevé que les faits qui seraient constitutifs d’une fraude au jugement qui remontent aux année 1991 et 1992 ont pu être débattus devant les juges qui ont rendu les décisions auxquelles s’attache l’autorité de la chose jugée de sorte que la fraude alléguée ne saurait renverser l’autorité de la chose jugée.



Réformant le jugement entrepris qui a rejeté ses demandes portant sur ses biens, matériaux, et outillages professionnels ainsi que ses ‘uvres artistiques, Mme [V] [N] est déclarée irrecevables en sa demande d’expertise et en ses demandes subsidiaires à lui payer les sommes de 1 067 143,12 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance, 38 112,25 € à titre de la privation de ses matériaux, installations professionnelles et outillage, 1 000 000 € à titre de droit d’auteur.





Sur l’appel incident



M. [R] [I] a présenté devant le tribunal une demande de créance sur l’indivision post-communautaire au titre des comptes d’administration d’un montant de 10 417,84 €, prétendant avoir remboursé seul depuis la date des effets patrimoniaux du divorce le remboursement du crédit souscrit auprès du Crédit Agricole pour financer l’achat en 1983 des parts sociales de la SCEA de Pouilly Gallerand.



Il a été débouté de sa demande au motif qu’il ne justifiait pas avoir remboursé seul les échéances de ce crédit, le tribunal ayant relevé qu’un courrier du 10 juin 1995 adressé par cette SCEA à Mme [V] [N] indiquait que la somme de 20 000 Frs avait été prélevée le 2 juillet 1992 sur le compte courant entre cette dernière et la SCEA et avait servi à alimenter le compte bancaire ouvert au Crédit Agricole sur lequel était prélevée l’annuité de l’emprunt.



Devant la cour, M. [R] [I] se fonde sur un courrier du Crédit Agricole attestant que le compte bancaire ouvert au nom de ce dernier a fait l’objet de plusieurs débits en 1992 et 1993 pour un montant total équivalent à 10 417,84 €.



Mme [V] [N] s’oppose à cette demande au motif que M. [R] [I] s’est approprié la totalité du compte de cette SCEA dont la moitié devait lui revenir, précisant que le chèque de 163 500 Frs devant lui revenir n’a pas pu être encaissé, M. [R] [I] ayant fait opposition à celui-ci.



Il n’est pas contesté qu’en application des textes en vigueur applicables à la procédure de divorce des ex-époux, la date des effets patrimoniaux du divorce a été fixée à la date de l’assignation en divorce, soit le 20 décembre 1991.



Le courrier sur lequel s’était fondé le tribunal pour débouter M. [R] [I] de sa demande n’est pas produit en appel, la cour ne peut donc en apprécier la portée. Pour autant, elle relève que l’attestation du Crédit Agricole en date du 24 avril 1989 versée aux débats par l’intimé fait référence à trois prêts différents. Ces prêts n’étant pas versés aux débats, il n’est donc pas établi que courrier concerne le prêt ayant servi au financement en 1983 de l’acquisition par les époux des parts sociales de la SCEA.



Partant par substitution de motifs, le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté M. [R] [I] de sa demande au titre du remboursement du crédit ayant servi au financement de l’acquisition de ses parts sociales.



Les premiers juges ont débouté M. [R] [I] de sa demande de créance d’un montant de 18 378 € relative au remboursement d’une dette familiale par des échéances mensuelles de 1 000 Frs à compter de la date des effets du divorce jusqu’à son apurement le 18 septembre 1998 au motif notamment que la signature de Mme [V] [N] ne figurait pas sur la reconnaissance de dette produite par M. [R] [I] pour fonder l’existence de cette dette.



Cette reconnaissances de dettes est censée récapituler d’autres reconnaissances de dettes antérieures, lesquelles ne sont pas versées aux débats. Elle porte sur différents postes relatifs à des travaux d’aménagement du domicile conjugal, à un prêt de 60 000 Frs dit de démarrage, à des frais de repas pris par M. [R] [I] chez ses parents ainsi par leur petit-fils ;



Il est relevé que les postes figurant sur cette reconnaissance de dettes ne sont étayés par aucune autre pièce.



Cette reconnaissance qui porte la date du 20 septembre 1991, a été enregistrée le 30 septembre 1991 alors que les époux étaient en pleine procédure de divorce. Les conditions de son établissement sont donc incertaines, les éléments du dossier montrant que le conflit conjugal avait rejailli sur les relations entre les parents de M. [R] [I] et leur belle-fille.



Surtout, comme l’a relevé le premier juge, la signature de Mme [V] [N] n’apparaît pas sur cette reconnaissance de dettes de sorte que la preuve de dettes familiales communes n’est pas rapportée. Partant, c’est à juste titre que le premier juge a débouté M. [R] [I] de sa demande à ce titre, le jugement étant confirmé de ce chef.



Les réclamations de M. [R] [I] au titre de ses créances prétendues sur l’indivision étant rejetées, le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [R] [I] tendant à voir condamner Mme [V] [N] à lui verser la somme de 14 398,10 € correspondant à la moitié de son compte d’administration.



La demande de M. [R] [I] tendant à ce qu’il soit tiré toutes conséquences de droit de la non production par Mme [V] [N] de ses relevés de comptes bancaires des années 1991 et 1992, semble viser les sommes de 9 894,07 Frs, 3 303,39 Frs, 15 000 Frs, 16 000 Frs et 200 000 Frs que cette dernière aurait encaissées sur un compte bancaire ouvert à son seul nom sur le produit de la vente de ses ‘uvres.



La date des effets patrimoniaux du divorce entre les époux remontant au 21 décembre 1991, la demande portant sur les relevés de comptes de l’année 1992 est dépourvue de toute utilité quant à la solution du litige.



S’agissant de l’année 1991, M. [R] [I] qui produit uniquement les comptes de la SCEA Pouilly Gallerand et non les relevés de ses comptes ouvert à son seul nom ou d’un compte joint ne rapporte pas la preuve que les sommes perçues par Mme [V] [N] n’ont pas été affectées à la contribution aux charges du mariage.



Enfin, ne précisant quelles sont les conséquences qu’il entend voir tirer de la non production des relevés de comptes bancaires de Mme [V] [N] des années 1991 à 1992, il ne saurait être fait droit à sa demande formulée dans des termes vagues. Partant, confirmant le jugement qui a débouté M. [R] [I] de sa demande à réintégrer le montant des avoirs bancaires au nom de Mme [V] [N], M. [R] [I] se voit débouté de sa demande tendant à ce qu’il soit tiré toutes conséquences de droit de la non production par Mme [V] [N] de ses relevés de comptes bancaires des années 1991 et 1992.



M. [R] [I] présente une demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il estime subir du fait de la procédure abusive intentée par Mme [V] [N] à son encontre, reprochant à cette dernière de multiplier les procédures à son encontre et des membres de sa famille depuis plus de 30 ans et faisant remarquer que cette dernière bénéficiant de l’aide juridictionnelle ne paye aucun frais à ce titre.



Les intérêts patrimoniaux des ex-époux qui sont divorcés depuis le 3 février 1994 n’étaient toujours pas liquidés à la date à laquelle Mme [V] [N] a engagé son action devant le tribunal suite au procès-verbal de difficultés dressé le 20 décembre 2011. Cette situation apparaît imputable à l’une et l’autre des parties qui alimentent le conflit par des demandes dénuées de tout fondement.



M. [R] [I] se voit en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts.



Au vu de la solution apportée au litige, chaque partie conserve la charge de ses propres dépens.



Au vu de cette répartition des dépens, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.




Dispositif

PAR CES MOTIFS



La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et dans les limites de l’appel,



Réforme le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme [V] [N] portant sur ses biens, matériaux, et outillages professionnels ainsi que ses ‘uvres artistiques ;



Statuant à nouveau de ce chef,



Déclare Mme [V] [N] irrecevable en sa demande d’expertise et en ses demandes subsidiaires tendant à lui payer les sommes de 1 067 143,12 € à titre de dommages-intérêts pour perte de chance, 38 112,25 € à titre de la privation de ses matériaux, installations professionnelles et outillage, et 1 000 000 € à titre de droit d’auteur ;



Confirme le jugement en ses autres chefs dévolus à la cour ;



Y ajoutant :



Déboute M. [R] [I] de sa demande tendant à ce qu’il soit tiré toutes conséquences de droit de la non production par Mme [V] [N] de ses relevés de comptes bancaires des années 1991 et 1992 ;



Déboute M. [R] [I] de sa demande de dommages-intérêts en réparation de la procédure abusive intentée par Mme [V] [N] ;



Déboute M. [R] [I] et Mme [V] [N] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;



Dit que chaque partie conserve la charge de ses dépens d’appel.





Le Greffier, Le Président,


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