Dirigeant de fait : 3 mai 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/03562

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Dirigeant de fait : 3 mai 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/03562
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XRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03562 – N° Portalis DBVH-V-B7G-ITS5

AV

TRIBUNAL DE COMMERCE DE NIMES

18 octobre 2022

RG:2021F719

[D]

C/

S.E.L.A.R.L. BRMJ (30)

Grosse délivrée

le 03 MAI 2023

à Me Alexandre VASQUEZ

Me Jean-marie CHABAUD

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 03 MAI 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de NIMES en date du 18 Octobre 2022, N°2021F719

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Claire OUGIER, Conseillère,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,

GREFFIERS :

Mme Céline DELCOURT, Greffière, lors des débats et Mme Isabelle DELOR, Greffière lors du prononcé de la décision

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 Avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 03 Mai 2023.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANT :

Monsieur [B] [D]

né le [Date naissance 2] 1967 à

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Alexandre VASQUEZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D’ALES

INTIMÉE :

S.E.L.A.R.L. BRMJ (30), Etude de Mandataire Judiciaire immatriculée au R.C.S de NIMES sous le n° 812 777 142, désignée aux fonctions de Liquidateur Judiciaire de la SARL [N] [S] selon Jugement rendu le 27 juin 2018 par le Tribunal de Commerce de NIMES,

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Affaire fixée en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 30 Mars 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 03 Mai 2023,par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l’appel interjeté le 4 novembre 2022 par Monsieur [B] [D] à l’encontre du jugement prononcé le 18 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l’instance n°2021F719,

Vu l’avis du 15 novembre 2022 de fixation de l’affaire à bref délai à l’audience du 6 avril 2023,

Vu l’ordonnance de référé rendue le 10 mars 2023 par le Premier président de la cour d’appel de Nîmes,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 12 décembre 2022 par l’appelant, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 11 janvier 2023 par la S.E.L.A.R.L. BRMJ, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les conclusions écrites remises par la voie électronique le 21 mars 2023 par le Ministère Public auquel la procédure a été régulièrement communiquée,

Vu l’ordonnance du 15 novembre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 30 mars 2023,

La SARL [N] [S] ayant pour gérant Monsieur [N] [S] exerçait une activité d’expertise comptable et de commissariat aux comptes. Monsieur [B] [D], collaborateur du cabinet, a acquis, le 22 septembre 1997, 75 parts, représentant 15% du capital social,.

A la suite d’autres cessions de parts sociales intervenues les 28 février et 6 mars 2013, le capital social était divisé en 500 parts réparties comme suivant :

Monsieur [S] : 255 parts

Monsieur [D] : 245 parts.

Par un contrat de présentation de clientèle du 1er octobre 2013, la SARL [N] [S] s’est engagée à cesser l’exécution pour son propre compte des travaux et contrats en cours avec ses clients et s’interdire d’exercer la profession d’expert-comptable de commissaire aux comptes ou de conseil dans un rayon de 50 kilomètres ayant son centre à [Localité 3] pendant une durée de trois ans. En contrepartie, sa cocontractante s’est obligée à lui verser une indemnité de 812 152 euros, dont 734 137 euros payables immédiatement, et le solde au 15 février 2015 au plus tard.

Le 31 décembre 2013, les deux associés de la société [N] [S] se sont réunis en assemblée générale et ont adopté des résolutions prévoyant :

la démission de Monsieur [N] [S] de ses fonctions de gérant à compter du 31 décembre 2013;

la dissolution anticipée de la société [N] [S] à compter du 1er janvier 2014, en l’état de cessation de clientèle du 1er octobre 2013 et de la radiation de la société du tableau de l’ordre des experts-comptables pour cessation d’activité au 31 décembre 2013;

la nomination de Monsieur [D] en qualité de liquidateur de la société [N] [S] à compter du 1er janvier 2014.

Par acte sous signature privée du 26 février 2014, Monsieur [N] [S] a cédé à Monsieur [B] [D] les 255 parts sociales qu’il détenait encore au sein de la société [N] [S], pour un prix de 3 888,75 euros.

En 2015, la société [N] [S] a fait l’objet d’une vérification de comptabilité par l’administration fiscale portant sur les exercices des années 2012, 2013 et 2014, ayant donné lieu à une proposition de rectification le 23 juillet 2015 pour un montant de plus de 430 000 euros.

Le 5 juin 2018, Monsieur [D] a procédé à la déclaration de la cessation des paiements de la société [N] [S].

Par jugement du 27 juin 2018, le tribunal de commerce de Nîmes a notamment ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société [N] [S], fixé la date de cessation des paiements au 1er janvier 2017 et désigné la SELARL BRMJ en qualité de mandataire liquidateur.

Le passif déclaré entre les mains du mandataire liquidateur était constitué de deux créances :

une créance chirographaire déclarée pour une somme de 71 979,66 euros par la Société Marseillaise de Crédit, au titre du solde débiteur du compte bancaire de la société [N] [S]

une créance privilégiée de 429 119,87 euros déclarée par le Pôle de recouvrement spécialisé de Nîmes, au titre d’impôts divers, taxes et pénalités dus pour les exercices de 2012 à 2014.

Par ordonnance du 31 janvier 2020, la créance déclarée par le Pôle de recouvrement Spécialisé du Gard qui a été contestée par la société débitrice a été admise pour une somme de 429 119,87 euros à titre privilégié.

Par exploit du 25 juin 2021, la SELARL BRMJ, représentée par Maître [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [N] [S], a fait assigner Monsieur [B] [D] devant le tribunal de commerce de Nîmes afin de lui faire supporter l’insuffisance d’actif subie par les créanciers fiscaux et bancaires de la société, le voir condamner au paiement d’une somme provisionnelle de 500 000 euros, au paiement des entiers dépens et d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en outre de voir prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer.

Par jugement du 18 octobre 2022, le tribunal de commerce de Nîmes a, au visa du rapport du juge-commissaire et des articles L. 651-2 et suivants du code de commerce, :

Constatant que Monsieur [D] [B] [L] [W] avait commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actifs de la SARL [N] [S],

-Condamné Monsieur [D] [B] [L] [W] à supporter l’intégralité de l’insuffisance d’actifs de la SARL [N] [S]

-A ce titre, condamné Monsieur [D] [B] [L] [W] au paiement de la somme de 501 099,53 euros ainsi qu’aux entiers dépens

En outre, vu les articles L. 653-4 et 555-5ème du code de commerce,

-Prononcé à son encontre une mesure de faillite personnelle pendant une durée de 15 ans

-Dit qu’en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l’objet d’une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

Pour le surplus,

-Débouté les parties de leurs demandes, fins et conclusions;

-Condamné Monsieur [D] [B] [L] [W] à payer et à porter à la SELARL BRMJ es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [N] [S], la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

-Ordonné l’exécution provisoire de la décision

-Condamné Monsieur [D] [B] [L] [W] aux dépens de l’instance.

Le 4 novembre 2022, Monsieur [B] [D] a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.

Par ordonnance de référé du 10 mars 2023, le Premier Président de la cour d’appel de Nîmes a débouté la SELARL BRMJ, mandataire liquidateur de la SARL [N] [S], de sa demande de radiation de l’instance portant le n°22/3562 au répertoire général de la cour, a dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Monsieur [D] et condamné la SELARL BRMJ, ès qualités, aux dépens de cette procédure.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l’appelant demande à la cour, au visa des articles L. 631-4, L. 641-9, L. 651-2 et suivants, L. 653-1 et suivants, R. 651-6, R. 662-3 et suivants du code de commerce, de :

-Réformer le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 18 octobre 2022 (RG n°2021F719, procédure 2018RJ243) en ce qu’il a :

Constaté que Monsieur [D] avait commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actifs de la SARL [N] [S]

Condamné Monsieur [D] à supporter l’intégralité de l’insuffisance d’actifs de la SARL [N] [S];

A ce titre, condamné Monsieur [D] au paiement de la somme de 501 099,53 euros ainsi qu’aux entiers dépens;

Prononcé à son encontre une mesure de faillite personnelle pendant une durée de quinze ans

Dit qu’en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l’objet d’une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce;

Débouté les parties de leurs demandes, fins et conclusions;

Condamné Monsieur [D] à payer et à porter à la SELARL BRMJ es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [N] [S], la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision;

Condamné Monsieur [D] aux dépens de la présente instance.

En tout état de cause, statuant à nouveau,

-Juger que la demanderesse ne démontre pas l’existence d’une ou plusieurs fautes de Monsieur [D]

-Juger que la SELARL BRMJ 30 ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité certain et direct entre le préjudice et une éventuelle faute de Monsieur [D]

-Juger que la demanderesse n’effectue aucun détail sur la ou les fautes commises par Monsieur [S] et/ Monsieur [D]

En conséquence,

-Débouter la SELARL BRMJ 30 de l’ensemble de ses demandes

En tout état de cause,

-Condamner la SELARL BRMJ 30 à porter et payer à Monsieur [D] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance

-Rejeter la demande de condamnation au titre des dépens de l’instance.

Au soutien de ses prétentions, l’appelant fait valoir que les deux créances admises au passif de la liquidation judiciaire concernent des faits qui se sont déroulés sur les exercices 2012, 2013 et 2014, alors qu’il n’était ni gérant, ni associé majoritaire ; la Direction du contrôle fiscal a affirmé que Monsieur [S] avait une part de responsabilité ; or, l’intimée se limite à produire une liste de fautes qui incomberaient toutes à Monsieur [D], sans évaluer la part de responsabilité de Monsieur [S] ; toutes les opérations effectuées par la SARL [N] [S] ont uniquement profité à Monsieur [S] et non à Monsieur [D] ; ce dernier ne peut donc supporter seul la responsabilité de la procédure; aucun détail n’est apporté sur les fautes commises par Monsieur [D] et/ou Monsieur [S], ne permettant pas de connaître avec précision le ou les responsables effectifs ; il convient de discerner, parmi le ou les dirigeants de la société, si un ou plusieurs d’entre eux ont contribué à l’insuffisance d’actif ; la situation de la SARL est la conséquence des agissements et des décisions de Monsieur [S] ; le compte bancaire de la SARL était certes bénéficiaire lors du départ de ce dernier de la société mais le montant provisionné sur ce compte était largement insuffisant pour s’acquitter des sommes dues aux créanciers ; l’ancien associé a avoué ne pas avoir provisionné lesdites sommes.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l’intimée demande à la cour, au visa des articles L. 631-4, L. 641-9, L. 651-2, L. 653-1 et suivants, R. 651-6, R. 662-3 du code de commerce, de :

Vu les fautes de gestion commises par Monsieur [B] [D] ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société [N] [S],

-Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 18 octobre 2022, (Rôle n° 2021F719, procédure 2018J243), en toutes ses dispositions;

-Débouter Monsieur [B] [D] de l’ensemble de ses demandes;

-Condamner Monsieur [B] [D] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, l’intimée fait valoir que Monsieur [D] a été désigné en qualité de liquidateur amiable de la société [N] [S] à compter du 1er janvier 2014 et qu’il relève de la liste des personnes passibles des sanctions prévues par l’article L. 651-2 du code de commerce; de plus, Monsieur [D] est seul à la tête de l’entreprise depuis janvier 2014 et seul associé à compter du 26 février 2014; il est donc à tout le moins dirigeant de fait de la société [N] [S] depuis le 1er janvier 2014.

S’agissant des fautes commises, l’intimée soutient que Monsieur [D] s’est volontairement soustrait à ses obligations en tardant à déclarer la cessation des paiements de la société [N] [S] ; il a profité de ses fonctions de liquidateur amiable pour manipuler et dilapider les fonds sociaux au détriment de l’entreprise ; la proposition de rectification émise le 23 juillet 2015 par les services fiscaux n’a pas alerté Monsieur [D] alors qu’à cette date, l’entreprise ne disposait plus d’aucune activité, ni de trésorerie ; la profession d’expert comptable de Monsieur [D] l’empêche de plaider son ignorance des règles en matière commerciale et comptable; Monsieur [D] a poursuivi une activité déficitaire alors même que la société GeorgesHeslot n’exerçait plus d’activité depuis 2013 ; Monsieur [D] n’a tenu aucune comptabilité, n’a pas procédé au règlement des taxes et impôts, s’est abstenu de communiquer aux services fixaux les éléments de comptabilité obligatoire et a profité dans le même temps de la trésorerie sociale pour procéder à des virements sur son compte bancaire personnel ou à des dépenses personnelles ; les manquements délibérés de Monsieur [D] en matière fiscale ont conduit à des rehaussements d’imposition, à des sanctions supplémentaires au regard des majorations de 40% et à des pénalités de retard, venant creuser davantage le passif et parallèlement l’insuffisance d’actif, faute de trésorerie sociale ; Monsieur [D] a reconnu dans le cadre de l’enquête pénale avoir été le seul responsable de l’établissement des tâches administratives jusqu’au 31 décembre 2013 ; il est établi un défaut de production des éléments comptables à l’administration fiscale, les services fiscaux critiquant les méthodes comptables de Monsieur [D] et la faute étant encore plus importante au regard de l’activité exercée par la société [N] [S] et la profession de ses associés et dirigeants ; les comptes de l’exercice clos au 31 décembre 2013 ont présenté un bénéfice de 108 856 euros et la société disposait d’un solde bancaire créditeur de 239 283 euros à la fin de l’année 2013; Monsieur [D] a donc employé des fonds sociaux à des fins personnelles au détriment des créanciers sociaux ; Monsieur [D], sa femme et son amante ont bénéficié de près de 450 000 euros prélevés sur les comptes de la SARL [N] [S]; l’insuffisance d’actif de la société [N] [S] est établie de façon certaine, son montant étant évalué à 501 099,53 euros; il est certain que l’insuffisance d’actif est imputable à la mauvaise gestion entreprise par Monsieur [D].

Dans ses conclusions du 17 mars 2023, notifiées aux parties le 21 mars 2023, le Ministère public indique qu’il :

‘1° conclut, au-delà des poursuites pénales engagées et distinctes, à la confirmation par la Cour de la décision entreprise au vu des motifs pertinents des premiers juges, en l’état du caractère avéré et incontestable de manière sérieuse de fautes de gestion ayant contribué de manière directe à la totalité de l’insuffisance d’actifs de la société SARL [N] Eslot, ayant eu pour dirigeant de fait et liquidateur amiable (et donc dirigeant) Monsieur [B] [D], et notamment :

-le non-respect des obligations déclaratives en matière fiscale et sociale, et de tout paiement en découlant, la proposition de rectification fiscale du 23 juillet 2015 étant particulièrement éloquente à l’endroit d’un professionnel du chiffre;

-la tenue d’une comptabilité volontairement imparfaite, incomplète, et donc non sincère et irrégulière, dans le but de dissimulation;

-l’absence de déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours de son occurrence, en l’état d’une date de cessation des paiements fixée au 1er janvier 2017, soit 18 mois avant l’ouverture de la procédure collective sur déclaration de cessation des paiements opérée par Monsieur [D];

-la poursuite d’une activité déficitaire avérée, Monsieur [D] ayant fait passer la société d’une situation bancaire créditrice de plus de 239 000 euros en 2013 à une situation débitrice de plus de 64 000 euros en 2018;

-le détournement des actifs de la société SARL [N] Eslot au profit de [B] [D];

2° conclut en voie de conséquence à la confirmation de la décision entreprise en ce qu’elle a condamné [B] [D] à une mesure de faillite personnelle d’une durée de 15 ans, tenant la gravité et la malignité des faits, ainsi que le montant conséquent à hauteur de plus de 500 000 euros de l’insuffisance d’actifs qui en a résulté;

3° conclut en voie de conséquence à la confirmation de la décision entreprise en ce qu’elle a condamné [B] [D] à supporter l’intégralité de la dite insuffisance d’actifs, le lien de causalité entre les fautes de gestion avérées et l’insuffisance d’actifs étant parfaitement caractérisé’.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif

Aux termes de l’article L651-2 du code de commerce, « Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. »

Sur l’insuffisance d’actif :

Il résulte de l’état des créances, ratifié le 29 mai 2019 par le juge commissaire, que la créance déclarée le 22 juillet 2018 par la Société Marseillaise de Crédit au titre du solde débiteur du compte bancaire n’a pas donné lieu à contestation et a été admise pour un montant de 71 979,66 euros à titre chirographaire; la créance déclarée le 14 août 2018 par le pôle de recouvrement spécialisé du Gard a été contestée et admise pour un montant de 429 119,87 euros, à titre privilégié, par ordonnance du juge commissaire du 31 janvier 2020.

Le passif échu, antérieur au prononcé de la liquidation judiciaire, faisant l’objet d’une admission définitive, s’élève donc à 501 099,53 euros. L’extrait de compte de liquidation judiciaire établit qu’il n’existe pas d’élément d’actif susceptible de venir en déduction de sorte que l’insuffisance d’actif correspond au montant du passif admis.

Sur la qualité de dirigeant de Monsieur [D]

A la suite de l’assemblée générale extraordinaire du 31 décembre 2013, Monsieur [S] a démissionné de ses fonctions de gérant et Monsieur [D] a été nommé en qualité de liquidateur de la société à compter du 1er janvier 2014; il était donc le seul dirigeant de la société depuis cette date et même le seul associé à partir de la cession de parts intervenue à son profit le 26 février 2014.

Il résulte du réquisitoire définitif versé au débat qu’au cours de l’information judiciaire ouverte notamment des chefs d’abus de biens sociaux, Monsieur [S] a déclaré que Monsieur [D] remplissait les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée, ouvrait le courrier, payait les factures, les impôts, gérait le social et la paye ; qu’il était en charge de l’établissement et du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée et de l’impôt sur les sociétés avant le 31 décembre 2013. Monsieur [S] a également précisé qu’il était très souvent absent du cabinet, qu’il avait consenti à Monsieur [D] une procuration sur les comptes de la SARL et que ce dernier disposait d’un chéquier au nom de la société et des codes permettant d’effectuer des virements en ligne.

Dans un courrier adressé le 14 septembre 2016 à Monsieur [S], Monsieur [D] a reconnu que pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, il avait établi et réglé les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée de la SARL alors que Monsieur [S] en était le gérant.

Monsieur [D] a déclaré aux enquêteurs que jusqu’au départ de Monsieur [S] de la société, la gestion se faisait de manière collégiale, le pouvoir de gestion revenant in fine à Monsieur [S], tout en admettant que sa clientèle propre sur [Localité 3] lui permettait de se rendre matin et soir au cabinet, à l’inverse de Monsieur [S] résidant à [Localité 5].

Une ancienne salarié de la SARL a indiqué que Monsieur [S] venait dans les locaux de l’entreprise mais que c’était Monsieur [D] qui la gérait.

Ainsi il est bien établi qu’avant même sa nomination en qualité de liquidateur amiable, Monsieur [D] a accompli en toute indépendance des actes positifs de gestion et de direction caractérisant sa situation de dirigeant de fait au cours des années 2012 et 2013, aux côtés du dirigeant de droit.

Sur les fautes de gestion :

Dans son jugement du 18 octobre 2022, le tribunal de commerce de Nîmes a fait droit à la demande présentée par la SELARL BRMJ es qualités, en retenant l’existence de plusieurs fautes de gestion imputables à Monsieur [D], consistant en :

– l’absence de déclaration de la cessation des paiements, dans un délai de quarante cinq jours, comme l’exigent les articles L 631-4 et L 640-4 du code de commerce

– le non respect des obligations fiscales

– la poursuite abusive de l’activité déficitaire, après la cession de la clientèle

– les irrégularités comptables

-le détournement d’actifs de la société au profit du dirigeant .

L’action en comblement du passif a pour objet de sanctionner le comportement du dirigeant, antérieur au jugement d’ouverture. Il en résulte que seules des fautes de gestion antérieures au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, qui autorise l’action en responsabilité d’insuffisance d’actif, peuvent être prises en compte. (Com. 22 janvier 2020, n°18-17030).

En l’occurrence, il est reproché au dirigeant d’avoir commis des fautes de gestion, à partir de l’année 2012 et jusqu’au prononcé de la liquidation judiciaire de la société, par jugement rendu le 27 juin 2018.

Le retard dans la déclaration de cessation des paiements

L’omission de la déclaration de cessation des paiements, dans le délai réglementaire, s’apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements, fixée dans le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire ou dans un jugement de report.

En l’occurrence, le jugement du 27 juin 2018 ouvrant la liquidation judiciaire simplifiée a déterminé la date de cessation des paiements au 1er janvier 2017 ; la déclaration aurait donc du être effectuée avant le 15 février 2017. Or, elle n’a eu lieu que le 5 juin 2018.

La SARL n’avait plus d’activité économique depuis le 31 décembre 2013 et ne pouvait donc espérer percevoir des fonds; Monsieur [D] a été avisé dès le 23 juillet 2015 de la proposition de rectification de l’administration fiscale, suite à la vérification de la comptabilité du 10 avril au 22 juillet 2015 ; à la réception des relevés bancaires, il avait également connaissance du débit important du solde du compte courant de la SARL qui n’avait cessé de s’aggraver depuis le 31 mars 2014.

Monsieur [D], professionnel de l’expertise comptable, avait nécessairement conscience que la SARL qui n’avait pas d’actif disponible ne pourrait faire face à son passif exigible.

Dans ces circonstances, la non déclaration de cessation des paiements dans le délai de quarante cinq jours ne saurait s’apparenter à une simple négligence et constitue une véritable faute intentionnelle.

Le retard dans la déclaration de cessation des paiements a eu un impact sur le montant du passif dans la mesure où l’existence de la société s’est poursuivie au moins quinze mois de plus. Ce retard a eu un impact sur le montant du passif dès lors que le compte bancaire est resté constamment débiteur au cours de la période considérée, générant ainsi des intérêts de retard, pénalités et frais appliqués par la banque.

La poursuite abusive de l’activité déficitaire

La faute de gestion consistant pour un dirigeant social à poursuivre une exploitation déficitaire n’est pas subordonnée à la constatation d’un état de cessation des paiements de la société antérieur ou concomitant à cette poursuite.

En l’occurrence, alors que la SARL n’avait plus d’activité économique depuis le 31 décembre 2013, Monsieur [D] n’a pas cherché à procéder à la clôture des opérations de liquidation amiable et à la radiation de la société ; cette inertie volontaire lui a permis d’opérer, à partir du 1er janvier 2014, d’importants prélèvements et achats à son profit sur le compte bancaire de la société créditeur de 239 283 euros au 31 décembre 2013, qui ont abouti à ce qu’il soit constamment à découvert à partir du 31 mars 2014.

La faute de gestion excédant la simple négligence est bien caractérisée ainsi que sa contribution à l’insuffisance d’actif du fait du passif social qui résulte du découvert en compte bancaire généré par le maintien abusif de l’existence de la société.

Le non respect des obligations fiscales

Il n’a pas été déposé dans le délai imparti de déclaration de résultat au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2013 générant ainsi une majoration de 40%. Il n’a pas été présenté la comptabilité des exercices clos les 31 décembre 2013 et 2014 générant une amende de 10 %. Il n’a été effectué aucune déclaration et acquitté aucune cotisation pour le compte de la société au titre de la valeur ajoutée des années 2012 et 2013 générant ainsi une majoration de 40%. Aucune déclaration n°2777 n’a été fournie à l’administration fiscale au titre des contributions de l’année 2014 sur les distributions de dividendes générant une majoration de 10%.

Monsieur [D] était seul chargé de l’établissement des déclarations en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d’impôt sur les sociétés, bien avant sa nomination en qualité de liquidateur amiable de la société concernée. Les infractions relevées lors de la vérification de comptabilité du 10 avril au 22 juillet 2015 lui incombent incontestablement. Il ne saurait se décharger de sa responsabilité quand bien même le gérant de droit et associé majoritaire qu’était Monsieur [S] jusqu’au 31 décembre 2013 aurait commis une négligence en validant la comptabilité irrégulière sans opérer de vérification suffisante et bénéficié de la fraude ainsi commise.

L’administration fiscale a relevé qu’en qualité de professionnels de la comptabilité, les associés de la SARL avaient une parfaite connaissance des règles d’exigibilité en matière de taxe sur la valeur ajoutée collectée sur les prestations de service ; qu’ils ne pouvaient ignorer que la taxe sur la valeur ajoutée collectée devenait exigible, lors de l’encaissement des prestations de service, ce d’autant plus que les règles relatives au fait générateur et à l’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée leur avaient été rappelées, lors de deux précédents contrôles fiscaux portant sur la période du 1er janvier 2003 au 31 mars 2006 et du 1er janvier 2009 et 31 juillet 2012 ; que la volonté délictueuse était d’autant plus avérée que la SARL, s’agissant de la taxe sur la valeur ajoutée, bénéficiait d’un régime de paiement qui lui évitait toute avance de trésorerie dès lors que l’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée n’intervient qu’au moment de l’encaissement du prix ou des acomptes.

Monsieur [D] était déjà collaborateur du cabinet d’expertise comptable et associé lors des contrôles fiscaux antérieurs. Au vu de l’importance des minorations constatées par l’inspection des finances publiques et de leur caractère répété au cours des exercices comptables 2013 et 2014, la volonté délictueuse est avérée.

L’administration fiscale a également retenu le manquement délibéré s’agissant du chiffre d’affaires non déclaré à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice 2013, eu égard à la qualité d’expert-comptable des associés de la SARL et de leur parfaite connaissance des règles de rattachement des prestations de services en matière d’impôt sur les sociétés. De plus, il a été noté que les clients avaient déjà réglé les factures émises, ce que ne pouvaient ignorer les représentants de la SARL.

Le non respect des règles fiscales qui visait notamment à éluder la taxe sur la valeur ajoutée et à minorer l’impôt sur les sociétés présentait donc bien un caractère fautif excédant la simple négligence..

La déclaration de créance effectuée le pôle de recouvrement spécialisé du Gard fait ressortir des pénalités appliquées d’un montant de 115 987 euros. Dès lors, les infractions commises ont contribué à l’insuffisance d’actif.

Les irrégularités comptables

L’administration fiscale a dressé un procès-verbal de défaut de présentation de comptabilité au titre des exercices clos les 31 décembre 2013 et 2014.

Compte tenu des obligations fiscales et comptables pesant sur tout commerçant que ne pouvait ignorer l’appelant de par sa qualité de professionnel de la comptabilité, les irrégularités comptables relevées constituent incontestablement des fautes de gestion excédant la simple négligence. Ces fautes ont permis de masquer la situation réelle de l’entreprise et dissuadé le dirigeant de prendre en temps utile la décision opportune de mettre fin aux opérations de liquidation de la société, contribuant ainsi à l’insuffisance d’actif.

Les détournements d’actifs

L’enquête pénale a mis en évidence des détournements importants d’actifs de la SARL par Monsieur [D] à des fins personnelles. Il a reconnu, au cours de l’instruction, être à l’origine de la plupart des prélèvements et utilisations de fonds qui lui ont permis notamment d’acquérir deux véhicules automobiles, un bien immobilier, d’aider financièrement sa maîtresse, de financer un voyage en Inde ainsi que d’autres achats à son profit.

Les détournements ainsi commis qui excèdent la simple négligence par leur caractère intentionnel ont contribué à diminuer l’actif de la société qui aurait permis aux créanciers d’être désintéressés.

Sur le montant de la condamnation prononcée

Le compte bancaire de la SARL créditeur de 239 283,21 euros au 31 décembre 2013, lors du départ de l’ancien gérant de droit, était insuffisant pour payer l’intégralité des droits dus à l’administration fiscale. L’enquête pénale n’a pas mis en évidence la connaissance par l’ancien gérant de droit des irrégularités comptables et fiscales commises par Monsieur [D] qui était en charge de l’établissement et du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée et de l’impôt sur les sociétés. L’insuffisance du provisionnement du compte bancaire s’explique donc par l’ignorance de Monsieur [S] de ce que la SARL en cours de liquidation devait faire face à des dettes fiscales importantes du fait du non respect de ses obligations. En tout état de cause, les éventuelles fautes commises par Monsieur [S] ne sauraient exonérer Monsieur [D] de sa propre responsabilité.

Les agissements graves et répétés de Monsieur [D], excédant de ce fait la simple négligence, lui ont permis de bénéficier d’un train de vie élevé et même de réaliser un investissement immobilier. Les décisions qu’il a prises personnellement ont contribué à la totalité de l’insuffisance d’actif résultant de la liquidation judiciaire de l’entreprise.

Eu égard au montant de l’insuffisance d’actif, c’est à juste titre et en application du principe de proportionnalité que les premiers juges ont condamné l’appelant au paiement de la somme de 501 099,53 euros, en application de l’article L651-2 du code du commerce.

2) Sur la mesure de faillite personnelle

La poursuite abusive dans l’intérêt personnel de l’activité déficitaire de la SARL ne pouvant conduire qu’à sa cessation des paiements et l’abus des fonds sociaux, visés par l’article L.653-4, 1° et 4°, du code de commerce, sont établis. Il en est de même de la tenue d’une comptabilité irrégulière sanctionnée par l’article L.653-5, 6°.

Les agissements commis en toute connaissance de cause par l’appelant sont suffisamment graves, au regard des conséquences qu’ils ont entraînés pour la SARL et ses créanciers, pour justifier la mesure de faillite personnelle durant 15 années prononcée par le tribunal.

Le jugement déféré sera, par conséquent, confirmé en toutes ses dispositions.

3) Sur les frais du procès

L’appelant qui succombe sera condamné aux dépens de l’instance d’appel.

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de l’intimée et de lui allouer une indemnité de 3 000 euros, à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [B] [D] aux entiers dépens d’appel,

Condamne Monsieur [B] [D] à payer à la SELARL BRMJ es qualités de mandataire liquidateur de la SARL [N] [S] une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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