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AC/DD
Numéro 23/01460
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 27/04/2023
Dossier : N° RG 21/01891 – N°Portalis DBVV-V-B7F-H4QI
Nature affaire :
Demande de paiement de créances salariales sans contestation du motif de la rupture du contrat de travail
Affaire :
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 4]
C/
[H] [N] épouse [F],
[L] [T]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 27 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 09 Février 2023, devant :
Madame CAUTRES, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.
Madame CAUTRES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU,Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 4] association déclarée, représentée par son directeur,
[Adresse 1]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Maître SANS, avocat au barreau de TARBES
INTIMÉS :
Madame [H] [N] épouse [F]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Maître BAGET de la SCP CLAVERIE-BAGET ASSOCIES, avocat au barreau de PAU
SELARL MJPA venant aux droits de Me [L] [T] ès qualité de liquidateur de la SAS LGJA
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Maître BACARAT, avocat au barreau de TARBES
sur appel de la décision
en date du 04 MAI 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES-FORMATION PARITAIRE DE TARBES
RG numéro : 19/00200
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [H] [N] épouse [F] (Mme [F]) verse aux débats un contrat de travail daté du 11 mai 2018, conclu avec la société par actions simplifiée (SAS) LGJA, représentée par son président, M. [W] [N].
Aux termes de ce contrat, Mme [H] [F] est embauchée en contrat à durée indéterminée, à compter du 11 mai 2018, en qualité de cuisinier, catégorie employé, niveau III, échelon 1, à raison de 35 heures par semaine, moyennant une rémunération mensuelle brute fixée à la somme de 1 972,10 €.
Le 5 avril 2019, le président de la société LGJA, M. [I] [F], a saisi le tribunal de commerce de Tarbes afin de solliciter l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, avec déclaration de cession de paiement le 27 décembre 2018.
Par jugement du 15 avril 2019, le tribunal de commerce de Tarbes a notamment :
-constaté la cessation des paiements de la société LGJA (la société liquidée),
-fixé la cessation à la date provisoire du 27 décembre 2018,
-prononcé sa liquidation judiciaire directe sous le régime général,
-désigné maître [L] [T] (mandataire judiciaire) liquidateur, au droit duquel se substitue désormais la SELARL MJPA et M. [X] [A], juge commissaire (le juge commissaire).
Le 4 octobre 2019, maître [L] [T] en sa qualité de mandataire judiciaire de la société liquidée a établi un relevé de créances salariales concernant Mme [H] [F], transmis à la délégation Unédic AGS CGEA de [Localité 4] (l’Unédic délégation) pour avance de fonds.
Par courrier du 21 octobre 2019, l’Unédic délégation a refusé le paiement de la demande faite pour Mme [H] [F], aux motifs suivants :
« Nous vous rappelons que le régime de garantie des salaires ne s’applique qu’aux salariés titulaires d’un contrat de travail au sens juridique du terme, dont l’élément essentiel réside dans l’incontestable lien de subordination qui doit unir le salarié à son employeur.
En l’espèce et dans le cas de Mme [F], divers éléments tels que :
sa participation au capital social de la société dont il faut souligner la stricte répartition familiale ainsi que le lien de parenté étroit l’unissant au Président de cette dernière,
l’engagement de caution pris par cette dernière pour le compte de l’entreprise,
les arriérés de salaires qui n’ont fait l’objet d’aucune réclamation auprès de son employeur,
nous laissent présumer que l’intéressée n’est pas titulaire d’un contrat de travail au sens juridique du terme. »
Par courrier du 28 octobre 2019, le mandataire judiciaire a informé Mme [F] du refus des institutions de régler les créances figurant sur le relevé des créances salariales transmis pour un montant de 15 961,49 € brut garantissable, dont 3 203,19 € au titre des contributions salariales et a retranscris les raisons du refus. Dans ce courrier, le mandataire judiciaire l’a également informée que l’état des créances a été déposé le 15 octobre 2019 auprès du greffe du tribunal de commerce de Tarbes.
Le 13 décembre 2019, Mme [H] [F] a saisi la juridiction prud’homale.
Par jugement du 4 mai 2021, le Conseil de Prud’hommes de Tarbes a notamment :
– dit que Mme [H] [F] était titulaire d’un contrat de travail,
– condamné la société LGJA prise en la personne de son représentant légal au paiement de 15 961,49 € au titre des salaires dus dont 3 203,19 € au titre des contributions sociales,
– ordonné en conséquence à Me [X] [T], administrateur judiciaire, de verser lesdites sommes à Mme [H] [F],
– déclaré la présente décision opposable à l’AGS et au CGEA et dit qu’ils devront leur garantie en paiement de ces sommes dans les conditions fixées par les articles L. 3253-8 et suivants du code du travail et dans les limites des plafonds définis à l’article D. 3253-9 du même code,
– rappelé que cette garantie interviendra sur présentation d’un relevé de créances par le mandataire judiciaire et d’un justificatif par celui-ci de l’absence de fonds disponibles permettant leur paiement,
– laissé les dépens à la charge de la liquidation judiciaire de la société LGJA.
Le 8 juin 2021, l’Unédic délégation AGS, CGEA de [Localité 4] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 28 juin 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, l’Unédic délégation AGS, CGEA de [Localité 4] demande à la cour de :
– réformant, déclarer irrecevables les demandes de Mme [H] [F],
– déclarer recevable son refus de prise en charge formulé le 21 octobre 2019,
– débouter Mme [H] [F] de ses demandes, faute de justifier de la preuve d’un lien de subordination, élément nécessaire pour caractériser une relation salariale,
– dire que Mme [H] [F] n’avait pas la qualité de salariée et en conséquence dire que le régime de garantie des salaires ne peut recevoir application,
– constater qu’en exécution de la décision entreprise, elle a fait l’avance au profit de Mme [H] [F] des sommes à elle allouées à hauteur de 15 961,49 € au titre des salaires dus dont 3 203,19 € au titre des contributions sociales,
– condamner Mme [H] [F] à lui rembourser lesdites sommes,
– rappeler qu’elle n’est qu’un tiers mis en cause en intervention forcée et ne peut donc faire l’objet d’une condamnation directe, seule la décision à intervenir lui sera déclarée opposable dans les limites légales prévues en la matière, notamment aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, décret d’application, sont exclues les créances non salariales telles qu’astreinte frais irrépétibles, dépens, article 700 du NCPC, étant en outre rappelé que les plafonds de garantie résultent de l’application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail.
Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 6 septembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, Me [X] [T] demande à la cour de :
– prendre acte qu’il s’en remet à justice,
– statuer ce que de droit sur les dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 24 septembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, Mme [H] [F] demande à la cour de :
– rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’appelante,
– au fond,
– confirmer en son entier le jugement entrepris,
– statuer ce que de droit sur les dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 9 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les fins de non recevoir opposées par l’Unédic AGS CGEA
Selon les articles L. 3253-20 et L. 3253-21 du code du travail, si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l’expiration des délais prévus par l’article L. 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l’avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à l’article L. 3253-14, lesquelles lui versent les sommes restées impayées à charge pour lui de les reverser à chaque salarié créancier.
Ces textes excluent pour le salarié le droit d’agir directement contre les institutions intéressées et lui permettent seulement de demander que les créances litigieuses soient inscrites sur le relevé dressé par le mandataire judiciaire afin d’entraîner l’obligation pour lesdites institutions de verser, selon la procédure légale, les sommes litigieuses entre les mains de celui-ci.
L’Unédic délégation soutient d’une part que le recours serait irrecevable selon le moyen suivant « la cour prononcera l’irrecevabilité en ce que : la juridiction ne pouvait pas constater une quelconque absence de preuve, d’une part ». Ce moyen n’est pas assorti des précisions nécessaires pour en apprécier le bien fondé, étant relevé qu’il n’est pas tranché, dans le dispositif du jugement, de question de recevabilité, le conseil des prud’hommes ne statuant pas non plus expressément sur la question d’une preuve.
L’Unédic délégation soutient d’autre part que la demande de Mme [H] [N] épouse [F] est irrecevable dès lors qu’elle n’a pas été dirigée contre elle mais contre la société en liquidation.
Au regard des dispositions susvisées, Mme [H] [N] épouse [F] ne pouvait diriger son action directement contre l’Unédic délégation de telle sorte que le moyen est rejeté.
Sur le refus de prise en charge du CGEA AGS
Il appartient à celui qui revendique l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve.
Par contre, en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve.
L’appréciation du caractère apparent et fictif du contrat apparent relève du pouvoir souverain des juges du fond.
En l’espèce, la salariée produit notamment un contrat de travail écrit ainsi que ses bulletins de salaire de mai 2018 à novembre 2018, ce dont il résulte l’apparence d’un contrat.
Contrairement à ce que soutient l’Unédic délégation, c’est donc à cette dernière de rapporter la preuve du caractère fictif du contrat.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
A titre liminaire, la cour observe qu’aucune des parties ne produit les statuts de la société, extrait kbis, registre du personnel, règlement intérieur ou tout autre document permettant de comprendre précisément l’historique de la société, son organisation interne et le nombre de salariés.
L’Unédic délégation fait valoir, reprenant en ce sens son courrier du 21 octobre 2019 que Mme [F] a exercé des fonctions de dirigeant de fait, sans lien de subordination, dès lors qu’elle :
-détenait des parts sociales dans la société, avec une répartition familiale et un lien étroit l’unissant au président,
-s’était engagée en qualité de caution pour le compte de l’entreprise,
-n’a jamais réclamé à son époux, Président de la société, un quelconque arriéré de salaires, étant ajouté qu’elle n’a pas non plus sollicité auprès de lui le paiement de ses salaires pour la période du 1er juillet 2018 au 30 avril 2019 antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
Sur le premier point, l’Unédic délégation produit la déclaration de Mme [F] qui lui a été remise pour paiement des créances. Il apparaît effectivement qu’elle indique être associée de la société, y détenir des parts sociales depuis l’origine de son contrat de travail, soit le 11 mai 2018, jusqu’au 31 mars 2019 à raison de 17%, de préciser qu’elle ne dispose pas de délégations de pouvoir ou de procuration auprès d’un établissement bancaire ou pour le compte de l’entreprise. Mme [F] relève donc avoir des liens de parenté avec les gérants ou associés, M. [I] [F], qui est en lecture de ses conclusions son mari, qui détient également 17% et M. [W] [N], son frère qui lui détient 66 % de la société. Elle indique dans ce formulaire être associée et actionnaire. Il apparaît donc que la salariée détient bien des parts sociales dans la société, avec un lien familial étroit. Les explications de la salariée dans ses conclusions confirment cette analyse et précisent l’intention des sociétaires : Mme [H] [F] et son frère, M. [W] [F] ont constitué une société, la société LGJA, pour préparer ou améliorer leur retraite, avec leur conjoint respectif. Ces éléments confirment donc l’analyse de l’Unédic sur l’existence d’un lien étroit entre l’intimée et les autres membres de la société.
Sur le second point, si Mme [H] [F] conteste l’analyse de l’Unédic délégation sur sa qualité de caution, elle admet, dans ses conclusions, avoir du se porter caution de la société auprès de la banque prêteuse, en sa qualité d’actionnaire, comme les autres actionnaires, confirmant l’analyse de l’Unédic délégation.
Sur le troisième point relatif aux arriérés de salaire, le relevé de créance produit par l’Unédic délégation retient que le mandataire a établi la créance à la somme de 15 961,49 €. Ce montant correspond notamment :
-au paiement des salaires des mois de juillet, août, septembre, octobre, novembre et décembre 2018, selon des créances chirographaires ou privilégiées, dont le montant varie de la quasi intégralité du salaire ou d’une partie,
-au paiement du salaire du 1er au 30 avril 2019, selon créance partiellement superprivilègiée.
Ces éléments confirment que Mme [F] n’a pas été payée de ses prestations dès le mois de juillet 2018, soit seulement 2 mois suivant la prise d’effet du contrat, et ce pendant 6 mois, alors que la cessation de paiement n’est intervenue et n’a été demandée qu’à compter de la fin décembre 2018 pour une procédure collective engagée en avril 2019.
Par ces éléments, l’Unédic délégation rapporte la preuve du caractère fictif du contrat.
Au demeurant, si Mme [H] [F] indique avoir été en lien de subordination avec les autres associés, force est de constater, en lecture de son contrat de travail, que le signataire employeur de son contrat de travail, M. [W] [N], son frère, n’a pas pu, aux termes des explications de la salariée, rester président, dès lors qu’il était déjà en fonction pour exercer la profession de gendarme, ne permettant pas par suite, d’exercer un contrôle effectif de l’activité de Mme [F], au sein de la brasserie.
De même, s’il résulte des explications de la salariée que le couple [F] détenait 34%, à raison de 17% chacun, il ne ressort pas de la déclaration de Mme [F] produite à l’Unédic délégation, contrairement à ses écritures, que la femme de son frère M. [W] [N], détenait des parts sociales. Ainsi dans le formulaire, Mme [F] ne déclare que son frère, lequel détient 66% des parts restantes. Elle ne peut donc avoir de lien de subordination avec cette dernière.
Concernant son mari, sa seule qualité de président, dont il n’est pas indiqué à quelle date il a pu le devenir, ne permet pas d’établir de lien de subordination, étant relevé en outre que, dans ses conclusions, la salariée évoque avoir été, à son contact, « conjoint associé », statut distinct du « conjoint salarié », au sens de l’article L. 121-4 du code de commerce.
Si Mme [F] produit deux attestations des consorts [R] pour justifier d’un lien de subordination, l’un client de la brasserie et l’autre salarié, ces dernières, lesquelles relèvent la seule présence de Mme [F] au sein du restaurant, ne permettent pas d’établir de lien et par suite de lien de subordination entre Mme [F] et son employeur. Plus avant, comme évoqué par l’Unédic AGS dans ses conclusions, l’attestation de M. [U] [R], salarié qui indique agir sous la responsabilité de Mme [F], témoigne de ce qu’elle se comportait bien comme employeur.
Enfin, aucun élément ne permet de retenir que Mme [F] a sollicité le paiement des salaires avant l’ouverture de la procédure collective.
En agissant de la sorte, Mme [F] a exercé des fonctions de dirigeant de fait.
Par ailleurs, ayant exercé les fonctions de dirigeant de fait, Mme [F] ne peut prétendre aux avances de fonds de l’Unédic délégation, au titre des salaires prétendument impayés.
Si l’appelante soutient avoir réglé lesdites sommes en application de la décision rendue en première instance, elle n’en justifie pas. Il n’y a donc pas lieu de faire droit à sa demande de remboursement de la somme de 15 961,49 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, en toutes ses dispositions qui lui sont soumises :
Infirme le jugement du 4 mai 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de Tarbes sauf en ce qu’il l’a déclaré opposable au CGEA,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que Mme [H] [N] épouse [F] qui a exercé des fonctions de dirigeant de fait de la SAS LGJA ne pouvait prétendre au bénéfice de la garantie des salaires prévue par les articles L.3253-1 et suivants du code du travail,
Condamne Mme [H] [F] aux entiers dépens.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,