Dirigeant de fait : 25 octobre 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/00871

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Dirigeant de fait : 25 octobre 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/00871
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25/10/2023

ARRÊT N° 413

N° RG 21/00871 – N° Portalis DBVI-V-B7F-N74N

FP/CO

Décision déférée du 20 Janvier 2021 – Tribunal de Commerce de TOULOUSE – 2017J344

M.[B]

[O] [V]

C/

[C] [T]

S.A. BANQUE CIC SUD OUEST

confirmation

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***

ARRÊT DU VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANT

Monsieur [O] [V]

[Adresse 5]

[Localité 3] / FRANCE

Représenté par Me Fabienne MARTINET, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES

Monsieur [C] [T]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Virginie STEVA-TOUZERY de la SELARL STV AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

S.A. BANQUE CIC SUD OUEST

[Adresse 1]

[Localité 4] / FRANCE

Représentée par Me Vincent ROBERT de la SELARL DESARNAUTS HORNY ROBERT DESPIERRES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, F. PENAVAYRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles , chargée du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

I.MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère faisant fonction de présidente

P. BALISTA, conseiller

F.PENAVAYRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. OULIE

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par I.MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère , faisant fonction de présidente, et par A.ASDRUBAL, greffière placée.

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte sous-seing privé du 2 avril 2014,Messieurs [V] et [T] ont créé la SAS LUKO qui exploite un salon de thé à l’enseigne « L’Annexe » situé [Adresse 2] à [Localité 3] .

Le capital social de 10 000 euros est divisé en 100 actions réparties à hauteur de 67 % pour Monsieur [C] [T] et de 33 % pour Monsieur [V] qui a été désigné président de la société le 18 mars 2014.

Le 3 avril 2014, la BANQUE CIC SUD-OUEST a consenti à la SAS LUKO un prêt professionnel de 250 000 € pour financer l’acquisition du droit au bail et la réalisation de travaux, lequel est garanti par la caution personnelle et solidaire des deux associés à hauteur de 300 000 euros et un nantissement sur le fonds de commerce.

Une mésentente s’est installée entre les associés dès le mois de juillet 2014, Monsieur [V] se disant empêché de gérer par Monsieur [T] et ce dernier dénonçant la carence et les fautes de gestion du premier, notamment des mouvements de fonds anormaux vers la société 2L dont il est gérant.

Sur la requête de Monsieur [T] , Me [A] a été désigné comme mandataire ad hoc par ordonnance du président du tribunal de Commerce de Toulouse en date du 12 mai 2016 afin de convoquer une assemblée générale pour approuver les comptes de l’exercice social clos au mois d’avril 2015 et faire rapport de sa mission.

Par courrier du 6 janvier 2016, Monsieur [V] s’est plaint auprès de la banque du fonctionnement anormal illégal du compte courant de la société en lui rappelant que Monsieur [T] ne disposait d’aucune procuration sur le compte.

Par courrier du 12 juillet 2016, la banque a dénoncé ses relations commerciales avec la SAS LUKO et fait part de son intention de clôturer les comptes avec effet au 13 septembre 2016.

La SAS LUKO a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de Commerce de Toulouse du 27 avril 2017, sur l’assignation délivrée par l’URSSAF de Midi-Pyrénées.

La banque a déclaré sa créance le 5 mai 2017 puis a mis en demeure les cautions, par lettre recommandée du 1er août 2017, de lui régler la somme de 173 074,65 euros.

Par jugement du 27 juillet 2017, le tribunal de Commerce de Toulouse a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

Par jugement du 14 septembre 2017, le tribunal de commerce statuant sur la tierce-opposition formée par Monsieur [T] à l’encontre de cette décision a confirmé le jugement du 27 juillet 2017.

Par acte d’huissier des 19 et 20 septembre 2017, la banque a assigné les cautions devant le tribunal de commerce et a procédé à l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur leurs biens immobiliers le 16 janvier 2018 .

Par arrêt du 28 mars 2018, la cour d’appel de Toulouse a rétracté le jugement du 27 juillet 2017, dit n’y avoir lieu à prononcer la liquidation judiciaire de la SAS LUKO, enjoint à M. [T] de consigner la somme de 200 000 € afin de garantir ses propositions de redressement de la société et renvoyé devant la juridiction commerciale pour la suite de la procédure.

Par jugement du 10 janvier 2019, le tribunal de Commerce de Toulouse , saisi par requête du ministère public, a, au vu du rapport de l’administrateur judiciaire, ordonné la cession forcée de l’ensemble des titres détenus par Monsieur [O] [V] au profit de Monsieur [T] qui est devenu l’actionnaire unique et a nommé un expert pour en déterminer la valeur.

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d’appel de Toulouse en date du 16 juin 2021.

Le 6 juin 2019, le tribunal de Commerce de Toulouse a autorisé l’administrateur judiciaire Me [N] à convoquer une assemblée générale pour prendre acte de la cession des titres et procéder aux modifications statutaires, Monsieur [T] étant désigné en qualité de président en remplacement de Monsieur [V].

Par jugement du 25 juillet 2019, le tribunal de Commerce de Toulouse a adopté le plan de continuation de la SAS LUKO qui prévoit le paiement de 100 % du passif résiduel sur 9 ans ( en ce compris les échéances du prêt impayé ) et a nommé Maître [U] [N] en qualité de commissaire à l’exécution du plan.

Par acte d’huissier du 25 avril 2017, Monsieur [O] [V] et la SAS LUKO ont assigné la BANQUE CIC SUD-OUEST et Monsieur [C] [T] devant le tribunal de commerce pour faire constater que le compte bancaire a fonctionné sur les instructions données par Monsieur [T] entre le mois de juillet 2014 et le 13 septembre 2016 et même après la dénonciation faite par la banque le 12 juillet 2016 et obtenir leur condamnation in solidum à lui verser des dommages et intérêts du fait de leur collusion frauduleuse .

Par jugement du 20 janvier 2021, le tribunal de Commerce de Toulouse a :

-écarté les demandes figurant dans l’acte introductif d’instance formulées par la société LUKO à l’encontre de la banque CIC SUD-OUEST et de Monsieur [C] [T] (qui ne sont plus soutenues dans le cours de l’instance ),

-dit que la banque CIC SUD-OUEST et Monsieur [T] ont commis une faute pour avoir fait fonctionner le compte bancaire de la société LUKO sans habilitation pour la période du mois de juillet 2014 au 24 avril 2017,

-débouté Monsieur [O] [V] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral,

-débouté Monsieur [C] [T] de sa demande de condamnation pour procédure abusive,

-débouté la banque de l’ensemble de ses conclusions, fins et moyens

-dit n’y avoir à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-fait masse des dépens et condamné chacune des parties à en payer le tiers.

Le tribunal a considéré que la banque n’établit pas qu’une procuration a été donnée à Monsieur [T] par le président en exercice et a laissé le compte fonctionner sous l’autorité d’une personne n’ayant aucun mandat, en contradiction avec les règles qui régissent les pouvoirs du président dans les SAS. Il rejette l’ argument selon lequel elle a pu croire légitimement qu’il avait un mandat de gérer et retenu une faute qui engage sa responsabilité ainsi que celle de Monsieur [T]. Par contre elle a estimé que le demandeur n’établissait l’existence d’aucun préjudice personnel et distinct de celui subi par la société et a rejeté sa demande fondée sur un préjudice moral.

Monsieur [O] [V] a formé appel à l’encontre de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 24 février 2021, appel limité aux chefs du jugement qu’il critique en ce qu’il l’a débouté de l’intégralité de sa demande de dommages-intérêts, y compris au titre du préjudice moral, dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, fait masse des dépens et les a partagés entre les parties

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 15 octobre 2021, Monsieur [O] [V] demande à la cour ,sur le fondement des articles 1101 et suivants du Code civil ancien, 1832 et suivants, du même code, 1231-1 et 1240 du Code civil nouveau:

-de confirmer le jugement en ce qu’il n’a pas déclaré irrecevables les demandes formées par Monsieur [V], a écarté les demandes figurant dans l’acte introductif d’instance formulées par la SAS à l’encontre de la banque, dit que la banque et Monsieur [T] ont commis une faute pour avoir fait fonctionner le compte bancaire de la société sans habilitation entre le mois de juillet 2014 et le 27 avril 2017, débouté Monsieur [C] [T] de sa demande de condamnation pour procédure abusive, débouté la banque de l’ensemble de ses conclusions, fins et moyens,

– de l’infirmer en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts, dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, fait masse des dépens qu’il a partagés entre les parties par tiers chacun,

Et statuant à nouveau :

-de déclarer recevable l’ensemble de ses demandes

– de condamner in solidum Monsieur [C] [T] et la banque BANQUE CIC SUD-OUEST à lui verser la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice qui se décompose comme suit :

*20 000 € au titre de la perte patrimoniale des actions détenues au sein de la SAS LUKO et de son exclusion de celle-ci,

*20 000 euros au titre du préjudice d’image,

*40 000 € au titre du préjudice financier,

*20 000 € au titre du préjudice moral,

-de débouter la banque BANQUE CIC SUD-OUEST de la totalité de ses demandes,

-de condamner Monsieur [T] et la banque BANQUE CIC SUD-OUEST chacun personnellement au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Il soutient avoir été évincé de la direction de la société LUKO par les man’uvres de Monsieur [T] qui en a pris la direction de fait avec le soutien de la banque CIC qui lui a permis de gérer les comptes bancaires alors que ce dernier n’en avait ni les pouvoirs statutaires ni l’autorisation , faute de procuration.

Il prétend que son action en responsabilité est recevable dès lors qu’il justifie de l’existence d’un préjudice qui lui est personnel , distinct de celui de la société.

Il sollicite l’indemnisation de la perte de propriété de ses actions, du préjudice d’image qu’il a subi en raison de l’ouverture d’une procédure collective alors qu’il n’est en rien responsable de l’échec de l’entreprise, du préjudice financier complémentaire qu’il supporte en sa qualité de caution car il doit garantir les dettes d’une société dont il a été exclu et enfin, d’un préjudice moral car il a été empêché de gérer sous les pressions et menaces de Monsieur [T].

Monsieur [C] [T] a notifié ses conclusions le 4 août 2021.

Il demande, sur le fondement des articles L223-22 et L 225-252 du code de commerce,1382 ancien du Code civil:

– de rejeter toutes les conclusions contraires comme étant injustes et en tout cas mal fondées

– de confirmer purement et simplement le jugement du 20 janvier 2021

Y ajoutant :

-de déclarer irrecevables les demandes de Monsieur [V] qui n’invoque pas de préjudice personnel et distinct de celui qu’aurait subi la société

En toutes hypothèses :

– de rejeter ses demandes faute d’établir l’existence d’un préjudice et d’une faute en lien de causalité avec le préjudice

-de condamner Monsieur [V] à lui payer une somme de 7000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Il rappelle que Monsieur [O] [V] a abandonné purement et simplement ses fonctions au sein de la société en juillet 2014 à la suite d’un contrôle des caisses et qu’il a été contraint d’utiliser le compte bancaire de la société LUKO en raison de sa défaillance . Il indique que le rapport de l’administrateur provisoire, Maître [A], établit la carence de son associé dans la gestion quotidienne du restaurant et de son mandat de président ainsi que les nombreuses fautes de gestion commises qui justifient sa révocation.

Il soutient que les demandes de Monsieur [V] doivent être déclarées irrecevables dès lors que l’action sociale fondée sur l’article L223-22 du code de commerce ne peut être dirigée qu’à l’encontre du dirigeant de droit de la société et non pas d’un actionnaire ou d’un tiers et que l’appelant n’établit pas avoir subi un préjudice personnel, distinct de celui éventuellement subi par la société. En effet l’appelant n’a subi aucun préjudice personnel lié au fait que Monsieur [T] aurait utilisé le compte bancaire du CIC sans son autorisation, l’utilisation qui en a été faite n’ayant occasionné aucun préjudice ni à la société ni à quiconque.

En tout état de cause, ses demandes sont mal fondées en l’absence de lien de causalité entre la faute invoquée à l’encontre de Monsieur [T] qui n’est que la conséquence de sa propre défaillance dans l’exécution de ses fonctions, et le préjudice qu’il réclame. Il prétend avoir opérée une gestion tout à fait normale qui n’a en rien aggravé la situation de la SAS, les échéances du prêt étant payées jusqu’à l’ouverture de la procédure et le découvert en compte étant minime ainsi que le révèle la déclaration de créance de la banque.

La BANQUE CIC SUD-OUEST a conclu le 15 juillet 2021. Elle demande à la cour ,sur le fondement de l’article 1315 du Code civil:

-de déclarer qu’aucun manquement n’est imputable à la banque à l’égard de Monsieur [V],

-de dire que Monsieur [V] ne justifie d’aucun préjudice qui serait imputable à la banque,

En conséquence :

-de rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions de Monsieur [V] aux fins de réformation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulouse le 10 janvier 2021

-de confirmer le jugement du tribunal de commerce du 20 janvier 2021 en ce qu’il a écarté les demandes formulées au nom de la SAS LUKO et débouté Monsieur [V] de sa demande indemnitaire au titre de son prétendu préjudice moral à l’encontre de la banque,

-de rejeter l’ensemble des demandes de Monsieur [V] à l’encontre de la banque,

-de le condamner à lui payer la somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

Elle prétend qu’aucun manquement n’est imputable à la banque car elle n’avait pas à s’immiscer dans les opérations relatives à la gestion et au fonctionnement du compte bancaire de la société LUKO. Elle a pu croire légitimement que Monsieur [T] avait le pouvoir de faire fonctionner le compte de la société dès lors qu’il est mentionné sur le fichier informatique de la banque comme titulaire d’une procuration pour la période du 17 juillet 2014 au 17 juin 2016 et était son interlocuteur privilégié et habituel jusqu’au 6 janvier 2016, Monsieur [V] étant totalement absent et défaillant dans la gestion quotidienne de la société ce qui a obligé Monsieur [T] à assurer les fonctions de dirigeant de fait.

En tout état de cause, elle fait valoir qu’une difficulté quelconque dans le fonctionnement du compte courant ne peut constituer qu’une faute à l’égard de la société et en aucun cas à l’égard de Monsieur [V] qui n’est plus le représentant légal ni l’associé de la société LUKO.

Enfin elle prétend que les demandes indemnitaires qu’il formule ne sont pas fondées, les difficultés rencontrées par la société résultant uniquement des manquements de Monsieur [V] à ses obligations statutaires et à la situation de conflit entre les associés et le préjudice prétendu n’étant pas imputable à la banque.

Il y a lieu pour le surplus des explications des parties de se reporter expressément aux conclusions susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’affaire a fait l’objet d’une réouverture des débats à l’audience du 4 octobre 2023 pour un changement de composition de la cour en raison de l’impossibilité de [Y] [L] de siéger dans le dossier. Les parties ont été invitées à faire valoir leurs observations sur ce changement de composition. Aucune observation n’a été formée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les dommages-intérêts réclamés à Monsieur [T] et à la BANQUE CIC:

Monsieur [V] n’est plus à ce jour ni président ni associé de la société LUKO, la cour d’appel de Toulouse ayant , par arrêt du 16 juin 2021, confirmé le jugement du tribunal de commerce du 10 janvier 2019 qui a ordonné la cession forcée de l’ensemble de ses titres au profit de Monsieur [C] [T] et l’assemblée générale du 9 juillet 2019 en ayant tiré toutes les conséquences en désignant un nouveau président.

Dans le cadre de l’ action en responsabilité engagée par l’appelant à l’encontre de son ex associé et de la banque teneur du compte, il lui appartient d’établir l’existence d’une faute, d’un préjudice réparable et d’un lien de causalité conformément au droit commun, l’article L223-21 du code de commerce n’étant pas applicable au gérant de fait.

Le préjudice qu’il allègue doit être personnel et distinct du préjudice collectif des créanciers de la société débitrice qui est réservé au monopole du mandataire judiciaire.

Il sera observé que si la banque conteste la faute qui lui est reprochée et prétend avoir pu légitimement croire à l’existence des pouvoirs de Monsieur [T], elle n’a pas formé appel incident à l’encontre de la disposition du jugement qui , après avoir constaté l’ infraction aux règles de fonctionnement des SAS et aux pouvoirs dévolus au président , a jugé que « la banque CIC SUD-OUEST et Monsieur [T] ont commis une faute pour avoir fait fonctionner le compte bancaire de la société LUKO sans habilitation pour la période du mois de juillet 2014 au 24 avril 2017 ».

Il en est de même pour Monsieur [T] qui ne demande pas la réformation du jugement sur ce chef du dispositif, reconnaît la gestion de fait qu’il a exercé jusqu’au 27 avril 2017 ( date d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société) mais la justifie par la nécessité où il se serait trouvé de se substituer au président en exercice qui avait abandonné la gestion quotidienne de la société en la laissant en déshérence.

La critique du jugement porte essentiellement sur le fait que le tribunal de commerce n’a reconnu l’existence d’aucun préjudice au bénéfice de Monsieur [V] alors pourtant qu’il retenait un manquement de intimés aux règles de fonctionnement des SAS.

En cause d’appel Monsieur [V] réclame des dommages-intérêts pour un montant total de 100 000 € qu’il décline en différents postes de préjudices lesquels, selon ses explications, trouvent leur origine dans le fait qu’il a été illégalement empêché d’exercer son rôle de président de la société, que Monsieur [T] s’est emparé de la gestion de fait avec la complaisance de la banque qui a accepté de faire fonctionner les comptes bancaires sans aucune procuration et que cette gestion de fait qui s’est révélée désastreuse, a mené à la déconfiture de la société alors que s’il avait pu exercer ses fonctions , du fait de son expérience du monde de la restauration conjuguée à l’excellent emplacement de la société, cette dernière aurait évité un redressement judiciaire. À ce jour il soutient être le seul à pâtir de cette situation puisqu’il reste tenu par son engagement de caution alors qu’il n’est plus ni associé ni président de la société.

Bien que les parties soient en désaccord sur les circonstances qui ont abouti à l’éviction de Monsieur [V], il n’est pas contesté qu’à partir du mois de juillet 2014, il a cessé de remplir ses fonctions statutaires sans pour autant en tirer les conséquences qui s’imposaient puisqu’il s’est abstenu de convoquer l’assemblée générale pour approuver les comptes du premier exercice clos en 2015 et de faire désigner un administrateur ad hoc alors qu’il prétendait ne plus pouvoir accéder au siège social de l’entreprise, a tardé à saisir la juridiction consulaire pour faire arbitrer le différend qui l’opposait à son associé (il a attendu 2017 pour solliciter la dissolution de la société pour mésentente des associés ),a refusé de soutenir l’action de l’administrateur judiciaire qui recherchait des solutions de sauvetage de l’entreprise et milité en faveur de sa liquidation judiciaire ce qui a contraint l’associé majoritaire à fournir des garanties sur ses fonds propres pour maintenir l’activité et éviter des pertes financières plus conséquentes du fait des risques de dépréciation du fonds de commerce liées à la procédure collective.

Quant à la gestion « calamiteuse »qu’il impute à Monsieur [T], il sera observé que selon l’administrateur judiciaire Me [N], l’activité de la société pendant la période d’observation a démontré la capacité de la société à maintenir un niveau cohérent de chiffre d’affaires tout en dégageant des résultats lui permettant de bâtir un projet de plan de redressement par voie de continuation.

Faute pour lui d’établir qu’il a mis en oeuvre tous les moyens dont il disposait pour assurer ses fonctions statutaires avec les responsabilités qu’elles impliquent et de s’opposer à gestion de fait exercée par l’associé majoritaire qui est le seul à s’être engagé financièrement pour la survie de l’entreprise, il y a lieu de rejeter toute demande d’indemnité de ce chef, les conditions de mise en jeu de la responsabilité des intimés n’étant pas réunies.

En ce qui concerne la perte de valeur patrimoniale de ses parts sociales qui ont été évaluées à 1 euro symbolique par l’expert judiciaire mandaté par le tribunal, il y a lieu d’approuver la décision tribunal de commerce qui a à bon droit rejeté sa demande en rappelant que la dépréciation de la valeur de ses parts sociales n’est que le corollaire du préjudice subi par l’ensemble des créanciers de la société et ne se distingue pas de celui qui atteint la société. Il n’est donc pas recevable à présenter une demande de ce chef puisqu’il n’invoque pas de préjudice distinct de celui subi par la collectivité des créanciers.

En ce qui concerne la perte de propriété des titres sociaux, il sera rappelé que c’est en vertu d’une décision de justice que la cession forcée de ses actions a été ordonnée, sur le fondement de l’article L631-19-1 du code de commerce, l’atteinte ainsi portée aux droits de propriété de l’appelant étant justifiée par l’intérêt général pour assurer le redressement de l’entreprise. Le tribunal de commerce a dans sa décision du 10 janvier 2019, ultérieurement confirmée par la cour d’appel, rappelé que la cession forcée était devenue inéluctable car l’appelant n’apportait aucun soutien au plan de redressement présenté par l’administrateur judiciaire malgré ses demandes, Monsieur [C] [T] s’engageant seul à garantir le plan en apportant son concours financier à hauteur de 200 000€, en bloquant les éventuels dividendes qui seraient dégagés durant la durée du plan et en différant le remboursement de son compte courant d’associé au terme de ce dernier.

L’éventuel préjudice subi de ce chef ne peut donc être imputé ni à Monsieur [T] ni à la banque puisque la cession forcée n’a été ordonnée qu’en raison de son refus de consentir à une cession volontaire seule à même de favoriser le redressement de l’entreprise, la composition de l’actionnariat et l’absence d’affectio societatis ne permettant pas de dégager de majorité pour l’adoption de résolutions nécessaires à sa restructuration.

Monsieur [V] prétend également avoir subi un préjudice d’image et de discrédit dans le monde de la restauration ainsi qu’auprès des établissements bancaires en raison de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société.

Il y a lieu d’approuver les motifs du premier juge qui fait valoir à bon droit que l’ouverture d’une procédure collective n’est pas une sanction à l’encontre du dirigeant et qu’elle ne peut ouvrir droit à réparation au profit de celui qui la subit, l’état de cessation de paiement qu’elle révèle venant nécessairement impacter la capacité d’emprunt sur les marchés financiers des différents associés en l’absence d’autres garanties sans qu’aucune faute en lien avec le préjudice ainsi invoqué ne puisse être reprochée à l’un ou l’autre des intimés de la procédure.

En ce qui concerne le préjudice financier, Monsieur [V] prétend se heurter au refus des banques de financer différentes opérations depuis l’ouverture de la procédure collective concernant la société LUKO alors qu’il n’est en rien à l’origine de la déconfiture de la société.

Cependant rien ne permet d’établir comme il le soutient que s’il avait pu gérer la société sans en être empêché, elle aurait pu aisément prospérer et qu’il aurait échappé aux effets néfastes de la procédure collective sur son crédit auprès des établissements financiers, alors même que selon les informations fournies, le chèque de 3300€ qu’il a versé pour abonder le capital social est revenu impayé, que selon ses propres explications, l’une de ses précédentes entreprises, la SARL [V] a été placée en liquidation judiciaire quelques années avant la création de la société LUKO et qu’il a refusé de soutenir financièrement la société malgré les demandes de l’administrateur Judiciaire.

Dès lors il ne démontre pas le lien de cause à effet entre le préjudice qu’il invoque et les agissements qu’il reproche à Monsieur [T] et à la banque.

Enfin il ne justifie pas de l’ existence d’un préjudice moral qui serait distinct des autres postes de préjudice ci-dessus examinés.

Dès lors il y a lieu pour les motifs ci-dessus explicités et ceux du Premier juge que la cour s’approprie, de confirmer la décision du tribunal de commerce en toutes ses dispositions.

Sur les autres demandes :

Compte tenu des circonstances et de la position économique respective des parties, il n’apparaît pas inéquitable de laisser à leur charge partie des frais irrépétibles qu’elles ont exposés pour assurer leur représentation en justice. La partie qui succombe doit supporter les frais de l’instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après en avoir délibéré,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Toulouse en date du 20 janvier 2021 en toutes ses dispositions,

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’une ou l’autre des parties,

Met les entiers dépens de l’instance à la charge de Monsieur [O] [V].

Le greffier La présidente

 


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