Dirigeant de fait : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/13396

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Dirigeant de fait : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/13396
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 – CHAMBRE 16

ARRET DU 24 OCTOBRE 2023

(n° 79 /2023 , 33 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/13396 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAH4C

Décision déférée à la Cour : sentence finale rendue à Paris le 26 avril 2019 par un tribunal arbitral composé de MM. [S] [U], [B] [N] [P] et [T] [L] sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage (CPA n° 2013-3) suivant le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international

DEMANDERESSE AU RECOURS :

REPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA

agissant par le Procurador General de la República Bolivariana de Venezuela,

ayant son siège : [Adresse 2] (VENEZUELA)

Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant : Me Alfredo DE JESUS O., de la SELARL ALFREDO DE JESUS O. – TRANSNATIONAL ARBITRATION & LITIGATION, avocat au barreau de PARIS, toque : D0790

DEFENDEURS AU RECOURS :

Monsieur [I] [Z] [C]

demeurant : [Adresse 1] (ETATS-UNIS)

Madame [R] [Z] [O]

demeurant : [Adresse 1] (ETATS-UNIS

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidants : Me Shaparak SALEH, Eugénie WROBEL et Ilan BRUN-VARGAS du cabinet THREE CROWNS LLP, avocats au barreau de PARIS, toque L181 ; et Me Christophe SERAGLINI du cabinet FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J007

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 12 Juin 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d’un recours en annulation contre une sentence finale rendue à Paris, le 26 avril 2019, sous l’égide de la cour permanente d’arbitrage de La Haye, selon le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international du 15 décembre 1976 (ci-après « CNUDCI »), dans un litige opposant M. [I] [Z] [C] et sa fille, Mme [R] [Z] [O] (« les consorts [Z] »), à la République Bolivarienne du Venezuela.

A. Contexte factuel

2. Né en Espagne en 1944, M. [Z] [C] a acquis la nationalité vénézuélienne en 1972. Il a retrouvé la nationalité espagnole en 2004 lorsqu’a pris fin l’interdiction de la double nationalité entre ces deux États. Sa fille est née au Venezuela en 1980. Elle a pris la nationalité espagnole en 2003, à la faveur d’un changement de la loi espagnole sur la nationalité.

3. Les consorts [Z] indiquent avoir acquis, en 2001 et 2006, de Mmes [D] et [K] [Z] des parts sociales dans les sociétés vénézuéliennes Alimentos Frisa C.A. et Transporte Dole C.A., qui exercent leurs activités dans le secteur de la distribution alimentaire.

4. En 2010, ces sociétés ont fait l’objet de mesures administratives de rétention et de confiscation, prises par les autorités vénézuéliennes à la suite d’inspections et de contrôles.

B. Contexte procédural

1) La procédure arbitrale

5. Invoquant des violations du traité bilatéral conclu le 2 novembre 1995 entre l’Espagne et le Venezuela pour la promotion et la protection réciproque des investissements (ci-après : « le traité » ou « le TBI »), les consorts [Z] ont, le 9 octobre 2012, engagé une procédure d’arbitrage à l’encontre du Venezuela, en application des dispositions de ce traité sur le règlement des différends, afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait des mesures administratives précitées.

6. Le 15 décembre 2014, le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle sur la compétence, aux termes de laquelle il s’est déclaré compétent pour connaître des réclamations des consorts [Z] à l’encontre du Venezuela.

7. Le Venezuela a introduit devant le tribunal arbitral un premier recours en révision contre cette sentence, le 8 juin 2016, en invoquant la production de faux documents sociétaires par les consorts [Z].

8. Le 30 septembre 2016, il a introduit un second recours en révision contre la même sentence sur la compétence, en soutenant que les investissements revendiqués par les demandeurs à l’arbitrage reposaient sur des opérations fictives et que les consorts [Z] n’avaient ni acquis, ni payé les actions des sociétés qu’ils prétendaient détenir.

9. Par une sentence finale rendue à Paris le 26 avril 2019, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

« 571. Pour les raisons exposées, au regard des prétentions formées respectivement par chaque Partie, décrites au CHAPITRE III supra, le Tribunal décide, à l’unanimité de ses membres de :

(a) Déclarer que la Défenderesse a violé les règles du Traité et du droit international, étant donné que :

(i) Elle a exproprié de manière illégale les investissements des Demandeurs, en violation de l’article V du Traité ;

(ii) Elle a omis de conférer aux investissements des Demandeurs un traitement juste et équitable en violation de l’article IV du Traité ;

(iii) Elle n’a pas respecté l’interdiction de l’article III du Traité qui l’oblige à ne pas adopter de mesures arbitraires ;

(b) Condamner la Défenderesse à indemniser les Demandeurs pour l’expropriation indirecte de leurs actions des Sociétés, selon les montants suivants :

(i) À M. [I] [Z] [C], la valeur de 3 560 000 actions qu’il détient dans le capital social d’Alimentos Frisa, pour un montant de 99 677 396,88 USD (quatre-vingt-dix-neuf millions six cent soixante-dix-sept mille trois cent quatre-vingt-seize dollars américains et quatre-vingt-huit centimes) ;

(ii) À Mme [R] [Z] [O], la valeur de 1 389 200 actions qu’elle détient dans le capital social des deux Sociétés, soit 1 190 000 actions de Alimentos Frisa et 199 200 actions de Transporte Dole, pour un montant de 38 896 584,20 USD (trente-huit millions huit cent quatre-vingt-seize mille cinq cent quatre-vingt-quatre dollars américains et vingt centimes) ;

(c) Condamner la Défenderesse à indemniser M. [I] [Z] [C] de la valeur correspondante aux garanties versées aux fournisseurs de marchandises d’Alimentos Frisa, pour un montant de 75 677 393,94 USD (soixante-quinze millions six cent soixante-dix-sept mille trois cent quatre-vingt-treize dollars américains et quatre-vingt-quatorze centimes) ;

(d) Condamner la Défenderesse à verser aux Demandeurs, sur ces montants, des intérêts au taux LIBOR à 12 mois plus 4,5% par an, capitalisés à chaque période de douze mois, à partir du 20 mai 2010, dont la valeur jusqu’au mois de février 2019 s’élève à :

(i) pour M. [I] [Z] [C], 66 696 006,60 USD (soixante-six millions six cent quatre-vingt-seize mille et six dollars américains et soixante centimes) sur le montant mentionné au point (b)(i) supra, plus 50 637 156,71 USD (cinquante millions six cent trente-sept mille cent cinquante-six dollars américains et soixante-et-onze centimes) sur le montant mentionné au point (c) supra, soit un total de 117 333 163,31 USD (cent dix-sept millions trois cent trente-trois mille cent soixante-trois dollars américains et trente-et-un centime) ;

(ii) pour Mme [R] [Z] [O], le montant mentionné au point (b)(ii) supra, de 26 026 430,44 dollars (vingt-six millions vingt-six mille quatre cent trente dollars américains et quarante-quatre centimes) ;

(e) Condamner la Défenderesse à verser également aux Demandeurs la valeur des frais qu’ils ont encourus dans le présent arbitrage, d’un montant total de 7 267 953,06 USD (sept millions deux cent soixante-sept mille neuf cent cinquante-trois dollars américains et six centimes) et 44 893,00 EUR (quarante-quatre mille huit cent quatre-vingt-treize euros) ;

(f) Condamner la Défenderesse à couvrir la totalité des montants versés par les Demandeurs à la CPA, qui s’élèvent à 2 273 111,85 EUR (deux millions deux cent soixante-treize mille cent onze euros et quatre-vingt-cinq centimes).

572. Si la Défenderesse refuse de payer les indemnisations et les intérêts mentionnés aux alinéas supra dans les trente jours qui suivent le prononcé de la présente sentence, la Défenderesse versera aux Demandeurs des intérêts au taux LIBOR à 12 mois plus 4,5% par an sur ces montants, capitalisés à chaque période de douze mois. Dans le cas où le taux LIBOR cesse d’être publié par l’agence chargée de le superviser, il conviendra d’adopter, par la suite, le taux publié par la Federal Reserve Bank of New York pour le remplacer.

573. Les autres prétentions des Parties qui n’ont pas été expressément mentionnées dans le dispositif de la présente sentence sont rejetées. »

10. Le même jour, le tribunal arbitral a rendu sa décision sur les recours en révision formés par le Venezuela à l’encontre de la sentence partielle sur la compétence. Après avoir estimé qu’il était compétent pour connaître de ces recours au regard du droit français de l’arbitrage, le tribunal arbitral les a déclarés irrecevables.

2) Le recours en annulation contre la sentence sur la compétence

11. Le 14 janvier 2015, le Venezuela a introduit un recours en annulation contre la sentence partielle sur la compétence.

12. Par arrêt du 25 avril 2017, la cour d’appel de Paris a annulé partiellement la sentence « en tant qu’elle décide que les actifs litigieux sont des investissements au sens du traité, sans considération de la nationalité des investisseurs à la date où ils ont procédé à leurs investissements ». Elle l’a revêtue de l’exequatur pour le surplus.

13. Par arrêt du 13 février 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt en toutes ses dispositions, en retenant que « l’applicabilité de la clause d’arbitrage déduite du traité bilatéral dépend de la réalisation de l’ensemble des conditions requises par ce texte sur la nationalité de l’investisseur et l’existence d’un investissement, de sorte que la cour d’appel, qui ne pouvait procéder à une annulation partielle de la sentence, n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations » et a violé l’article 1520, 1°, du code de procédure civile.

14. Par arrêt du 3 juin 2020, la cour d’appel de Paris autrement composée a annulé la sentence dans son intégralité, considérant que « les critères de compétence fixés par le TBI étant cumulatifs et indivisibles, le tribunal arbitral qui ne s’est pas livré à l’examen de sa compétence ratione materiae conformément aux termes du Traité et de l’offre d’arbitrage, en ne vérifiant pas que la condition de nationalité des investisseurs était remplie au jour où les investissements étaient réalisés, s’est déclaré à tort compétent pour connaître de toutes les demandes des consorts [Z] ».

15. Par arrêt du 1er décembre 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, pour violation de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile, au motif que la cour d’appel avait ajouté au traité une condition qu’il ne prévoit pas en retenant que le tribunal arbitral n’avait pas vérifié que la condition de nationalité des investisseurs était remplie au jour où les investissements étaient réalisés.

16. Par arrêt du 27 juin 2023, la cour d’appel de Paris autrement composée a rejeté le recours en annulation formé par le Venezuela contre la sentence arbitrale sur la compétence.

3) Les recours en annulation contre la sentence finale et la décision sur les recours en révision

17. Le 1er juillet 2019, le Venezuela a formé des recours en annulation à l’encontre de la sentence finale (RG 19/13396) et de la décision sur les recours en révision (RG 19/13397) devant la cour d’appel de Paris.

18. Par ordonnance du 3 novembre 2020, l’affaire 19/13397 a été suspendue dans l’attente de l’issue du pourvoi en cassation formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris précité du 3 juin 2020. L’affaire 19/13396 a été suspendue de fait.

19. Après reprise de l’instance, la clôture a été prononcée le 14 mars 2023 et l’affaire appelée à l’audience de plaidoiries du 12 juin 2023.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

A. Conclusions de procédure

20. Dans leurs conclusions de procédure aux fins de rejet des débats notifiées par voie électronique le 14 mars 2023, les consorts [Z] demandent à la cour, au visa des articles 15, 16 et 132 du code de procédure civile de bien vouloir :

– REJETER les écritures signifiées par la République bolivarienne du Venezuela le 13 mars 2023.

21. Par conclusions de procédure aux fins de débouté de la demande de rejet des débats notifiées par voie électronique le 24 mai 2023, la République Bolivarienne du Venezuela demande à la cour, au visa des articles 15, 16 et 799 du code de procédure civile, de bien vouloir :

– REJETER l’ensemble des demandes des Consorts [Z] ;

– DIRE n’y avoir lieu à rejet des conclusions notifiées au nom du Venezuela le 13 mars 2023 à 13h38.

B. Conclusions au fond

22. Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 28 décembre 2022 et le 13 mars 2023, la République Bolivarienne du Venezuela demande à la cour, au visa des articles 1485 et 1520 du code de procédure civile, de bien vouloir :

– DÉBOUTER [I] [Z] [C] et [R] [Z] [O] de l’ensemble de leurs fins de non-recevoir visant tant le recours que les moyens invoqués à son appui par la République Bolivarienne du Venezuela ;

– DÉCLARER fausse et REJETER la pièce versée par les Consorts [Z] sous le N° 18 et intitulée « Lettre du Ministère public du Venezuela du 16 septembre 2019 ».

En conséquence,

– ANNULER en son ensemble la Sentence arbitrale intitulée Sentence finale (Laudo Final) rendue à Paris le 26 avril 2019 sous l’égide de la Cour Permanente d’Arbitrage (Affaire CPA n°2013-3) par le Tribunal arbitral composé de Messieurs [B] [P], [T] [L] [X], co-arbitres et [S] [U], Président.

– CONDAMNER solidairement [I] [Z] [C] et [R] [Z] [O] à payer à la République Bolivarienne du Venezuela la somme de 250 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER [I] [Z] [C] et [R] [Z] [O] aux entiers dépens.

En tout état de cause,

– DÉBOUTER [I] [Z] [C] et [R] [Z] [O] de l’ensemble de leur demandes, fins et conclusions.

23. Dans leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 28 février 2023, les consorts [Z] demandent à la cour, au visa des articles 595, 596, 699, 700, 1456, 1466, 1504 et suivants du code de procédure civile, de l’article 2274 du code civil, de la sentence sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 et de la sentence finale rendu le 26 avril 2019, de bien vouloir :

– JUGER que les moyens soulevés par la République bolivarienne du Venezuela au soutien de son recours en annulation contre la sentence arbitrale finale rendue le 26 avril 2019 dans l’affaire CPA n° 2013-3 sont irrecevables et, en toute hypothèse, infondés ;

En conséquence :

– DÉBOUTER la République bolivarienne du Venezuela de son recours en annulation contre la sentence arbitrale finale rendue le 26 avril 2019 dans l’affaire CPA n° 2013-3 ;

– JUGER qu’en application de l’article 1527 alinéa 2 du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale finale rendue le 26 avril 2019 dans l’affaire CPA n° 2013-3 ;

– CONDAMNER le Venezuela à payer aux Consorts [Z] la somme de 250 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; et

– CONDAMNER le Venezuela aux entiers dépens, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

En tout état de cause :

– DÉCLARER recevables et authentiques toutes les pièces produites par les Consorts [Z] dans le cadre du présent recours en annulation ; et

– DÉBOUTER le Venezuela de toute demande autre, plus ample, ou contraire au présent dispositif.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur la demande de rejet de conclusions

24. Les consorts [Z] concluent au rejet des écritures signifiées par le Venezuela le 13 mars 2023. Ils font valoir que :

– un report de la clôture n’était pas envisageable au regard de la date prévue pour l’audience des plaidoiries ;

– un renvoi de l’entier dossier ne l’était pas davantage, une bonne administration de la justice nécessitant que le différend opposant les parties soit enfin tranché après de longues années de procédure ;

– le calendrier de procédure a été établi après concertation et ne prévoyait pas la possibilité pour le Venezuela de conclure après la réplique des consorts [Z] ;

– en concluant pour la troisième fois, quelques heures avant la date de clôture, le Venezuela a placé les consorts [Z] dans l’impossibilité matérielle de prendre connaissance des nouveaux éléments et d’y répondre utilement en vue de l’audience de clôture et des plaidoiries ;

– la tardiveté de cette transmission heurte le principe de la contradiction.

25. La République Bolivarienne du Venezuela réplique que :

– la demande des consorts [Z] doit être rejetée dans son intégralité, aucune atteinte au principe de la contradiction ne pouvant être caractérisée en l’espèce ;

– contrairement aux principes énoncés à l’article 954 du code de procédure civile, les consorts [Z] ont notifié le dernier jour du délai qui leur était imparti des écritures comportant 25 pages supplémentaires, sans signaler les ajouts, le marquage n’étant communiqué que six jours avant la clôture ;

– le Venezuela a, après lecture et analyse de l’ensemble de ces écritures, dont il a dû identifier les nouveautés, répondu dans le court laps de temps séparant le terme de l’injonction de la date de la clôture de manière concise et limitée sur des points précis ;

– contrairement à ce que soutiennent les consorts [Z], le calendrier de procédure ne prévoit aucune interdiction ni même limitation pour le Venezuela de conclure ;

– en tout état de cause, conformément aux articles 15 et 16 du code de procédure civile, aucune limitation en nombre d’écritures ne peut être édictée à l’encontre d’une partie, seule la nécessité de répondre aux écritures de l’autre partie déterminant le droit de répondre d’une partie.

SUR CE :

26. En vertu de l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.

27. Il appartient au juge, conformément à l’article 16 du même code, de faire observer et d’observer lui-même, en toutes circonstances, le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

28. En l’espèce, les échanges de conclusions et de pièces entre les parties ont fait l’objet d’un calendrier de procédure fixé de façon concertée avec leurs conseils respectifs. Si ce calendrier a été respecté par les intéressés, la demanderesse au recours n’en a pas moins déposé de nouvelles écritures accompagnées de sept nouvelles pièces la veille de la date arrêtée pour la clôture.

29. La tardiveté de cette transmission heurte le principe de la contradiction, faute de permettre à la partie adverse d’examiner ces nouveaux éléments et, le cas échéant, d’y répondre en temps utile.

30. La République Bolivarienne du Venezuela ne saurait, à cet égard, faire valablement grief aux défendeurs d’avoir conclu le dernier jour du délai qui leur était imparti par le calendrier de procédure précité. Elle ne peut davantage leur opposer l’absence de marquage de leurs dernières écritures. Celui-ci a en effet été communiqué le 8 mars 2023, la cour relevant que l’article 954 du code de procédure civile invoqué par la demanderesse n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce, les modifications concernées ne comportant aucun moyen nouveau et se bornant à préciser l’argumentation relative à des moyens déjà soulevés.

31. Il y a lieu, dans ces conditions, d’écarter des débats les conclusions n° 4 communiquées par le Venezuela le 13 mars 2023, la cour relevant que ce rejet ne remet nullement en cause les prétentions de cette partie, formulées en termes identiques dans ses écritures du 28 décembre 2022.

B. Sur les demandes relatives à la pièce n° 18 produite par les consorts [Z]

32. La République Bolivarienne du Venezuela sollicite de la cour qu’elle déclare fausse et rejette la pièce n° 18 produite par les consorts [Z], intitulée « Lettre du Ministère public du Venezuela du 16 septembre 2019 », considérant que :

– un acte officiel adressé par le Fiscal General del Ministerio Público au Procurador General de la República, plus haute autorité vénézuélienne en charge du parquet et de l’action publique, démontre que cette pièce ne peut émaner des services concernés et constitue un faux, sa prétendue signataire n’étant plus en poste à la date de signature de la lettre et n’occupant pas les fonctions qui y sont mentionnées, ses coordonnées étant également fausses ;

– ce document est contredit par un acte réellement émis par les services du ministère public en charge des poursuites pénales à l’encontre des consorts [Z].

33. Les consorts [Z] ne répliquent pas sur ce point.

SUR CE :

34. Conformément à l’article 299 du code de procédure civile, si un écrit sous seing privé produit en cours d’instance est argué faux, il est procédé à l’examen de l’écrit litigieux comme il est dit aux articles 287 à 295.

35. L’article 287 auquel il est renvoyé dispose que si l’une des parties dénie l’écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l’écrit contesté à moins qu’il ne puisse statuer sans en tenir compte.

36. Il apparaît, en l’espèce, que la pièce arguée de faux par la République du Venezuela n’est plus invoquée par les consorts [Z], qui ont retiré de leurs dernières écritures l’ensemble des arguments fondés sur ce document.

37. Il n’y a dès lors pas lieu de procéder à la vérification demandée, la cour pouvant statuer sans tenir compte de la pièce querellée.

C. Sur le fond

1) Sur le moyen tiré de l’annulation de la sentence par voie de conséquence de l’annulation de la sentence sur la compétence

38. La République Bolivarienne du Venezuela sollicite, à titre principal, l’annulation de la sentence finale par voie de conséquence de l’annulation de la sentence sur la compétence. Elle fait valoir en substance que :

– la cour d’appel de Paris a par deux fois annulé la sentence sur la compétence ;

– il n’y a aucun doute que la cour d’appel confirmera sur renvoi sa décision du 3 juin 2020, laquelle procède d’une application correcte des termes du TBI ;

– la renonciation des consorts [Z] aux prétendus investissement réalisés lorsqu’ils ne possédaient que la nationalité vénézuélienne, postérieurement à la première annulation de la sentence sur la compétence, ne pourrait avoir pour effet de remettre en cause les effets de l’annulation de la sentence finale par voie de conséquence de l’annulation de la Sentence sur la compétence, dès lors que la renonciation est intervenue postérieurement à la sentence sur la compétence.

39. Les consorts [Z] répliquent que :

– la demande du Venezuela tendant à l’annulation de la sentence finale « par voie de conséquence » de l’annulation de la sentence sur la compétence est sans objet, puisque le second arrêt de cassation du 1er décembre 2021 a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 3 juin 2020, rendant ainsi à la sentence sur la compétence sa pleine validité ;

– en toute hypothèse, si la sentence sur la compétence devait à nouveau être annulée partiellement, une telle annulation n’aurait aucun effet sur la validité de la sentence finale puisque cette dernière concerne des demandes relatives à des investissements réalisés par les consorts [Z] alors qu’ils avaient la nationalité espagnole, qui n’ont pas fait l’objet d’une annulation dans le cadre de la sentence sur la compétence.

SUR CE :

40. Par arrêt du 27 juin 2023, la cour de céans a rejeté le recours en annulation formé par la République Bolivarienne du Venezuela contre la sentence partielle rendue sur la compétence dans la présente affaire.

41. Le moyen tiré de l’annulation de cette sentence manque donc en fait. Il sera écarté.

2) Sur le moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence avec l’ordre public international

i. Sur la première branche du moyen

42. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que la sentence querellée a pour effet de légitimer les activités délictueuses des consorts [Z] et de leur faire bénéficier du produit de ces activités en leur allouant une somme totale de 1,6 milliard dollars.

43. Elle expose, à titre liminaire, que ce moyen d’annulation tiré de la violation de l’ordre public international substantiel est recevable en ce que :

– conformément à la jurisprudence française, le contrôle exercé par le juge de l’annulation en cette matière est approfondi, le juge n’étant pas tenu par les constations de fait contenues dans la sentence sous contrôle, mais devant, à l’inverse, rechercher, en droit comme en fait, tous les éléments permettant de se prononcer sur l’illicéité alléguée ;

– l’irrecevabilité soulevée par les consorts [Z] tirée de la prétendue révision au fond de la sentence finale est dès lors dénuée de tout fondement.

44. Elle fait valoir, sur le fond, que :

– l’organisation délictuelle mise en place par les consorts [Z] a été mise en lumière par les autorités chiliennes et vénézuéliennes au terme de plusieurs années d’enquête ;

– elle repose sur des opérations transfrontières ayant permis une fraude au contrôle des changes au détriment de l’État Vénézuélien et une fraude fiscale au détriment de l’État Chilien, par l’achat par Alimentos Frisa, à des exportateurs chiliens, de fruits et de légumes à des prix artificiellement gonflés permettant la vente de devises correspondantes au taux de change subventionné par le Venezuela et le transfert des fonds illicitement obtenus auprès du bénéficiaire effectif ;

– ces faits, qui impliquent directement M. [I] [Z], ont donné lieu à une condamnation au Chili et font l’objet d’une procédure pénale conduite au Venezuela ;

– la commission de ces activités délictuelles est établie par un faisceau d’indices graves, précis et concordants ;

– la sentence finale permet aux consorts [Z] de bénéficier du produit de ces activités délictueuses, qu’elle légitime, en ce qu’elle leur accorde une compensation correspondant à la valeur des sociétés Alimentos Frisa et Transporte Dole, à proportion de leurs prétendues participations actionnariales et en admettant la réclamation fondée sur les dépôts de garantie, alors que cette valeur découle d’opérations frauduleuses ;

– la fraude fiscale et la fraude au contrôle des changes sont des activités condamnées par la communauté internationale et caractérisent des fraudes à la loi constitutives de violations de l’ordre public international ;

– elles violent en outre deux lois de police étrangères entrant dans le champ de l’ordre public international.

45. En réponse, les consorts [Z] concluent à l’irrecevabilité du grief tiré de la violation de l’ordre public international substantiel en faisant valoir que :

– sous couvert d’allégations de fraude au contrôle des changes vénézuélien et de fraude fiscale au Chili, le Venezuela tente en réalité d’obtenir une révision au fond de la sentence finale ;

– les demandes formulées par le Venezuela devant la cour de céans se fondent en effet sur des faits strictement identiques à ceux dont a eu à connaître le tribunal arbitral, lequel, après avoir pris connaissance de la décision chilienne, a rejeté les demandes du Venezuela aux motifs que les fraudes alléguées n’étaient pas fondées et que les éléments fournis par le Venezuela ne prouvaient pas les faits qu’il reprochait aux consorts [Z] et à leurs sociétés.

46. Ils soutiennent, sur le fond, que les allégations de fraude au contrôle des changes et à la loi fiscale chilienne sont infondées dès lors que :

– la violation d’une loi de police étrangère n’est constitutive d’une violation de l’ordre public international que dans la mesure où elle heurte la conception française de l’ordre public international ;

– c’est dans le seul contexte de la corruption et du blanchiment d’argent que le juge de l’annulation a accepté d’avoir recours à la méthode du faisceau d’indices et de se satisfaire d’indices graves, précis et concordants ;

– aucun élément ne permet de conclure en l’espèce à des faits de corruption ou de blanchiment d’argent de sorte que la charge de la preuve de la réalité des faits de fraude invoqués incombe au Venezuela ;

– les éléments sur lesquels le Venezuela s’appuie pour fonder ses allégations de fraude sont manifestement insuffisants ;

– les faits invoqués par le Venezuela, s’ils étaient avérés (ce qu’ils ne sont pas) n’auraient affecté ni la réalité des investissements des Consorts [Z], ni celle des mesures prises par le Venezuela en violation du Traité ;

– c’est à juste titre que le tribunal arbitral a estimé que le Venezuela avait échoué à rapporter la preuve de ses accusations et que les allégations de fraude du Venezuela devront être rejetées.

SUR CE :

47. Selon l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, l’annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l’ordre public international.

48. L’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

49. Ce contrôle s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

50. Il est en l’espèce constant que les éléments de faits invoqués par la demanderesse au recours pour conclure à une violation de l’ordre public international ont, en partie, été débattus devant le tribunal arbitral, qui a notamment estimé « que l’Arrêt Chilien et les éléments fournis par la Défenderesse n’étayent pas les fraudes alléguées concernant les Demandeurs et les Sociétés et ne peuvent être pris en compte dans cet Arbitrage » (sentence, par. 233).

51. Contrairement à ce que soutiennent les consorts [Z], ces considérations ne sauraient faire conclure à l’irrecevabilité du moyen invoqué par la République Bolivarienne du Venezuela sur le fondement des dispositions précitées.

52. S’il est en effet acquis que le juge de l’annulation n’est pas juge de l’affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d’arbitrage, il lui appartient en revanche de rechercher si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est compatible avec l’ordre public international. Ce contrôle a une finalité propre, distincte de la mission confiée aux arbitres. Le fait que le tribunal arbitral se soit déjà prononcé sur des faits invoqués devant le juge de l’annulation ne saurait dès lors priver celui-ci de la faculté de procéder à nouveau à leur examen pour s’assurer qu’aucune violation de l’ordre public international n’est caractérisée.

53. Au cas présent, il ne s’agit donc pas d’apprécier les faits invoqués par le Venezuela au regard de l’atteinte à un investissement protégé par le TBI, ce qui contreviendrait au principe de non-révision de la sentence, mais de déterminer si, en considération des éléments avancés par la demanderesse au recours, la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est de nature à caractériser une atteinte à l’ordre public international en permettant aux consorts [Z] de bénéficier du produit des fraudes alléguées par la demanderesse au recours ou en compensant un investissement en lien avec la commission des agissements caractérisant ces fraudes. En quoi, le moyen est recevable.

54. Pour conclure à l’existence d’une telle atteinte, la République Bolivarienne du Venezuela invoque la légitimation par la sentence d’activités délictueuses conduites par les consorts [Z] ainsi que celle du produit de ces activités, qu’elle regarde comme révélatrices d’une double fraude à la loi résultant, d’une part, d’une fraude fiscale commise au détriment du Chili, de l’autre, d’une fraude au système de contrôle des changes vénézuélien.

55. Elle dénonce une organisation reprenant le schéma suivant :

– l’achat par des sociétés chiliennes soumises à un contrôle de fait de M. [Z] [C] (au premier rang desquelles Benipaula Chile et MSM Chile) de fruits et de légumes au prix du marché ;

– l’exportation de ces produits par ces mêmes sociétés vers le Venezuela et leur acquisition par la société Alimentos Frisa à des prix artificiellement gonflés ;

– la formulation par Alimentos Frisa, sur la base des factures émises par les exportateurs, de demandes de vente de devises auprès de la CADIVI, l’organe public chargé d’administrer le contrôle des changes au Venezuela, qui les vend à un taux de change hautement subventionné par le Venezuela ;

– le transfert par la CADIVI, via des opérateurs bancaires, des devises à l’exportateur ;

– le transfert aux États-Unis par l’exportateur chilien (Benipaula Chile et MSM Chile, parmi d’autres) des fonds ainsi obtenus de façon illicite, au bénéficiaire effectif, M. [Z] [C], sous des prétextes divers.

56. Il résulte à cet égard des pièces versées aux débats que, par jugement du 26 octobre 2017, la Huitième Juzgado de Garantía de [N] du Chili a condamné trois ressortissants chiliens, sur reconnaissance préalable de culpabilité, pour des faits de fraude fiscale commis en 2007 et 2008. Cette décision pointe notamment, dans son introduction, la réalisation d’exportations à des « montants qui ne sont pas réels et qui ont été gonflés afin d’obtenir des profits issus de la conversion de devises au Venezuela » et désigne Alimentos Frisa comme l’un des principaux clients des entreprises chiliennes exportatrices. Elle retient, au titre des infractions sanctionnées, l’existence de man’uvres destinées à diminuer la base imposable des sociétés chiliennes concernées ainsi que la charge fiscale pesant sur elles. Pour caractériser les agissements opposés aux ressortissants chiliens poursuivis, elle fait état d’éléments reprenant en substance un rapport de la sous-direction juridique du département de défense judiciaire et des délits fiscaux, également versé aux débats, qui cite, entre autres intervenants, la société Alimentos Frisa comme cliente des exportations réalisées par les sociétés chiliennes, et met en cause M. [Z] [C] en qualité de dirigeant de fait de ces dernières.

57. L’examen du dossier d’enquête des autorités chiliennes produit par la demanderesse au recours, et en particulier des rapports d’expertise réalisés à la demande de ces autorités, confirme l’exportation de produits alimentaires par les sociétés chiliennes visées par la procédure et leur acquisition par plusieurs sociétés, dont Alimentos Frisa, à des valeurs unitaires « supérieures à celles de l’industrie [représentant] dans certains cas le double ou le triple du prix unitaire FOB de la concurrence ».

58. Les factures émises par les sociétés Alimentos Frisa et MSM Chile, versées aux débats par la demanderesse au recours, attestent l’existence d’écarts importants entre les prix fournisseurs et ceux facturés. Elles mettent en évidence le volume élevé des transactions concernées, qui ont porté, pour la seule période de janvier à novembre 2008, sur un montant de plus de 20,3 millions USD, l’écart avec les prix fournisseurs s’établissant à 15 millions USD.

59. La République Bolivarienne du Venezuela produit par ailleurs une plainte du 15 mai 2018 déposée par le Centro Nacional de Comercio Exterior auprès du ministère public vénézuélien visant notamment la société Alimentos Frisa, pour délit de change illicite et infraction à la loi sur les changes illégaux. Ce document fait état de 84 demandes d’autorisation d’acquisition de devises réalisées par la société Alimentos Frisa entre 2004 et 2008 pour l’importation de poires, débitées auprès de la Banque centrale du Venezuela pour un montant total de 21 213 099,00 USD. Il souligne des différences entre les prix déclarés par cette société et le prix minimum déclaré par d’autres utilisateurs, pour conclure à une possible surfacturation des marchandises concernées.

60. Cette plainte a donné lieu à l’ouverture d’une procédure pénale au Venezuela dans le cadre de laquelle des mandats d’arrêt ont été délivrés en juillet 2018 par un juge du tribunal de première instance du circuit judiciaire pénal de la circonscription de Caracas contre M. [Z] [C] et Mme [Z] [O] pour des faits de blanchiment d’argent, d’obtention illégale de devises et surévaluation de marchandises. La notice Interpol délivrée sur la base de ces mandats a toutefois été levée par la Commission compétente, le 4 octobre 2019, au motif notamment que « les Demandeurs n’ont été ni accusés ni reconnus coupables d’aucune infraction. Ils sont davantage des suspects recherchés dans le cadre de l’enquête ». Aucun élément de la procédure pénale n’est par ailleurs communiqué par la demanderesse au recours.

61. La cour relève, sur la base de ces éléments, que rien ne met en cause la société Transporte Dole concernée par l’arbitrage aux côtés de la société Alimentos Frisa, qui est seule citée dans la procédure chilienne.

62. Il apparaît par ailleurs que, si le Venezuela évoque dans ses écritures des faits de blanchiment d’argent, qu’il impute aux consorts [Z], il ne produit aucun élément propre à établir de tels agissements. Les déclarations de l’une des personnes mises en cause dans la procédure chilienne sont, à cet égard, insuffisantes. Outre qu’elles présentent un caractère hypothétique et non circonstancié (« J’ai déclaré à la police que je pensais qu’il y avait du blanchiment et qu’ils nous avaient utilisé »), elles ont été recueillies sans que les intéressés, qui n’ont pas été entendus dans cette procédure, ni confrontés aux personnes poursuivies, aient été à même d’exercer leurs droits à se défendre.

63. La fraude au contrôle des changes alléguée par la demanderesse au recours apparaît quant à elle insuffisamment caractérisée dès lors que :

– les éléments avancés dans le rapport précité du Centro Nacional de Comercio Exterior ne sont corroborés par aucune pièce relatives aux sociétés Alimentos Frisa et Transporte Dole, seules sociétés concernées par l’arbitrage, les pièces figurant en annexe de ce rapport étant relatives à une autre société, Figorifricos Ordaz, dite Friosa, par ailleurs citée dans la procédure chilienne ;

– le Venezuela, à qui incombe la charge de la preuve, ne produit aucun justificatif des ventes et transferts de devises qu’il invoque au soutien de sa position, alors même que ces éléments devraient être en sa possession ‘ la CADIVI étant un organisme d’État ‘ et que leur production a été demandée par les consorts [Z] ;

– cinq ans après l’ouverture de la procédure pénale initiée au Venezuela sur la base du rapport précité, aucun élément supplémentaire n’est communiqué pour établir les faits dénoncés ;

– les déclarations des personnes poursuivies dans la procédure chilienne mettant en cause M. [Z] [C] ne peuvent être considérées comme suffisantes pour établir ces faits, au regard de l’absence de constatations matérielles et de pièces les corroborant, et en considération de leur caractère non-contradictoire.

64. L’existence d’une fraude fiscale commise au Chili est en revanche avérée, qui met directement en cause la participation de la société Alimentos Frisa, concernée par l’arbitrage litigieux, pour l’achat de denrées alimentaires à des prix surfacturés ayant permis à ses fournisseurs, MSM et Benipaula SA, de bénéficier d’exonérations fiscales indues.

65. Si, comme le relève le tribunal arbitral dans sa sentence, les conséquences de cette participation sur la valeur des sociétés objet de l’arbitrage ne peuvent être identifiées, cette implication n’en est pas moins établie et porte sur des montants substantiels, le volume des transactions concernées représentant plusieurs millions de dollars.

66. Or, la lutte contre la fraude fiscale, qui fait l’objet d’un consensus international manifesté par diverses conventions bilatérales et multilatérales, figure parmi les principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la violation, même dans un contexte international.

67. Afin de déterminer si la reconnaissance de la sentence querellée heurte l’ordre public international, il y a dès lors lieu d’évaluer si la solution retenue par cette décision intègre des éléments en lien avec l’implication de la société Alimentos Frisa dans la commission de la fraude fiscale précitée.

68. La cour relève sur ce point que les indemnisations accordées par le tribunal arbitral portent sur deux types d’investissements, la sentence distinguant l’expropriation indirecte des actions détenues par les consorts [Z] dans les sociétés Alimentos Frisa et Transporte Dole, et la perte des dépôts en garantie consentis par M. [Z] [C] aux fournisseurs d’Alimentos Frisa.

69. Pour arrêter l’indemnisation relative à la perte des actions, le tribunal arbitral a retenu la méthode dite des « flux de trésorerie actualisés » (FTA), qu’il a jugée « appropriée pour quantifier des dommages, car elle prend en compte les flux qui auraient été générés par les Sociétés au cours d’une période suivant l’expropriation, ramenés à leur valeur actuelle eu égard au taux d’intérêt du marché » (sentence, par. 481).

70. Suivant cette méthode, il a déterminé une valeur nette projetée correspondant à la période 2010-2019, en tenant compte de la « valeur totale des Sociétés, à la date précédant immédiatement celle de l’expropriation », fixée au 20 mai 2010, en s’attachant à évaluer l’évolution future des sociétés, à compter de cette date, sur la base d’hypothèses avancées par les experts et discutées par les parties.

71. Les valeurs prises en compte dans cette démarche n’intègrent donc pas les activités de la sociétés Alimentos Frisa durant les années 2007 et 2008, seules concernées par les faits à l’origine de la fraude fiscale. La seule référence faite dans cette évaluation à l’année 2008 (au triennal 2008-2010) est étrangère aux activités de négoce de la société et à son résultat, pour concerner pour l’appréciation du coût du capital propre et de la dette après impôts (sentence, par. 490).

72. Il ne peut être considéré, dans ces conditions, que l’indemnisation accordée par la sentence arbitrale à raison de la perte des investissements réalisés dans cette société intègrerait des éléments liés à sa participation à la fraude commise en 2007 et 2008.

73. L’atteinte alléguée à l’ordre public international n’apparaît dès lors pas suffisamment caractérisée, la cour relevant que les mesures administratives à l’origine de la procédure arbitrale sont totalement étrangères aux fraudes aujourd’hui dénoncées par le Venezuela et qu’il n’est pas démontré que l’activité des sociétés concernées serait fictive ni qu’elle aurait été créée afin de permettre la commission des infractions relevées au Chili.

74. Le tribunal arbitral a par ailleurs octroyé à M. [Z] [C] une somme correspondant à la perte de « montants avancés à titre de caution aux fournisseurs d’Alimentos Frisa afin d’importer la marchandise », en considérant que les devises en attente de paiement aux fournisseurs concernés, en vertu d’autorisations approuvées par la CADIVI, n’avaient pas été accordées par cet organisme après la prise de contrôle par les autorités vénézuéliennes des sociétés objet de l’arbitrage.

75. La sentence relève, s’agissant de ces sommes, que « les Demandeurs ont indiqué que les garanties correspondent entièrement aux opérations effectuées par Alimentos Frisa en 2008 et 2009 » (par. 513).

76. Or, parmi les bénéficiaires de ces avances figurent les sociétés Benipaula S.A., à hauteur de 10,8 millions USD, et MSM S.A. à hauteur de 41,2 millions USD (sentence, par. 524).

77. L’examen de la décision pénale rendue par le juge chilien et des éléments d’enquête produits par la demanderesse au recours fait apparaître que les exportations réalisées en 2008 par ces deux sociétés à destination d’Alimentos Frisa constituent l’un des fondements de la fraude sanctionnée, et que les achats de produits par Alimentos Frisa représentaient alors 77,1% du volume total des exportations de MSM et 73 % des ventes de Benipaula.

78. Il résulte à cet égard de l’argumentation des consorts [Z] devant le tribunal arbitral que ces exportations n’auraient pu intervenir sans les avances consenties par M. [Z] [C], qui constituent l’objet de l’indemnisation des dépôts de garantie.

79. Il apparaît dans ces conditions qu’en accordant une indemnisation pour un investissement ayant contribué, au moins en partie, à la réalisation d’une fraude fiscale de grande ampleur, judiciairement constatée, la sentence heurte concrètement et de manière caractérisée l’ordre public international.

80. Elle encourt donc l’annulation de ce chef.

81. En l’absence d’indivisibilité, les condamnations prononcées pour l’indemnisation des dépôts de garanties répondant à des demandes distinctes de celles relatives à la perte des actions et faisant l’objet de dispositions spécifiques de la sentence, l’annulation fondée sur cette branche du moyen n’est encourue que pour les seuls chefs de la décision se rapportant à ces dépôts, la cour relevant que les demandes à l’origine ces condamnations ont été formées en cours de procédure, au bénéfice de M. [Z] [C] seul, qu’elles ne figuraient pas dans la notification de controverse ayant initié l’arbitrage et qu’elles portent sur un objet différent des demandes originelles, par ailleurs traitées par le tribunal arbitral.

82. Il convient dès lors d’examiner, pour le reste, les autres moyens d’annulation développés par la République Bolivarienne du Venezuela.

ii. Sur la deuxième branche du moyen

83. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que la sentence a pour effet de légitimer la fraude procédurale commise par les Consorts [Z] en leur conférant un titre juridiquement protégé dans l’ordre international.

84. Elle fait valoir que le moyen d’annulation tiré de la violation de l’ordre public international est recevable en ce que :

– la jurisprudence invoquée par les consorts [Z], selon laquelle la fraude procédurale ne peut être invoquée dès lors qu’elle a été débattue devant le tribunal arbitral, n’est pas applicable au cas d’espèce ;

– cette jurisprudence présuppose en effet que la sentence ait été rendue à l’issue de l’examen par le tribunal arbitral de la fiabilité des pièces produites, alors qu’en l’espèce, le tribunal arbitral a éludé cet examen, malgré les alertes réitérées du Venezuela ;

– en outre, il est de jurisprudence constante que la cour, saisie d’une allégation de contrariété à l’ordre public international français, se doit de conduire une analyse de la situation de novo et rechercher ainsi tous les éléments en droit et en fait lui permettant de constater la contrariété avec l’ordre public international ;

– la position des Consorts [Z] est dès lors incompatible avec les valeurs et principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

85. Elle expose, sur le fond, que :

– premièrement, les consorts [Z] ont versé aux débats de l’instance arbitrale des états financiers frauduleux des entreprises Alimentos Frisa et Transporte Dole, aux fins de gonfler artificiellement la valeur de ces entreprises et, par ce biais, le montant du prétendu préjudice économique qu’ils auraient subi ;

– les états financiers ont été fabriqués en 2013 de manière frauduleuse pour les besoins exclusifs de la procédure d’arbitrage et contiennent des informations mensongères visant à dissimuler la véritable situation comptable et patrimoniale de ces sociétés ;

– l’expert-comptable reconnaît avoir altéré ces états financiers ;

– les informations financières qu’ils contiennent sont contradictoires avec d’autres états financiers, dissimulés par les consorts [Z] aux fins de déclarations fiscales et d’obtention de prêts, ainsi qu’avec les informations présentées sur le patrimoine de M. [Z] [C] ;

– les consorts [Z] ont eu irrégulièrement recours à la technique de consolidation des états financiers pour dissimuler le fait que la société Transporte Dole n’avait pas d’activité économique propre ;

– deuxièmement, les consorts [Z] ont produit des lettres frauduleuses de fournisseurs aux fins de créer l’illusion de l’existence des dépôts de garantie, sur lesquels ils fondent une réclamation indemnitaire ;

– troisièmement, ils ont produit des documents sociétaires frauduleux et proféré des déclarations mensongères aux fins d’établir fictivement la quotité de la valeur d’Alimentos Frisa et Transporte Dole leur revenant ;

– ces man’uvres se sont traduites par des affirmations mensongères dans la notification de la controverse du 27 janvier 2012, qui mentionnait [K] et [D] [Z] comme uniques actionnaires de la société Transporte Dole, alors qu’aux termes de la notification d’arbitrage du 9 octobre 2012, [R] [Z] figurait comme unique actionnaire de cette société ;

– elles se sont manifestées par la production de faux procès-verbaux d’assemblée générale des sociétés Alimentos Frisa et Transporte Dole, qui ont servi à la « reconstruction », par acte privé, des registres d’actionnaires de ces sociétés, une expertise graphologique ainsi que les investigations du Venezuela établissant que les signatures apposées sur les procès-verbaux d’assemblées générales ne coïncidaient pas avec la signature échantillon indubitable et qu’à la date de nombreuses réunions d’assemblées générales certains des actionnaires n’étaient pas présents sur le territoire vénézuélien ;

– les man’uvres frauduleuses se sont enfin matérialisées au travers des déclarations mensongères des consorts [Z] tant sur leurs prétendues acquisitions d’actions d’Alimentos Frisa et de Transporte Dole que sur les augmentations de capital ;

– par conséquent, la sentence finale, qui se fonde sur les états financiers frauduleux, les lettres frauduleuses de fournisseurs et les procès-verbaux et déclarations mensongères pour valoriser les dommages subis par les consorts [Z], a pour effet de leur conférer un titre juridique légitime fondé sur la fraude.

86. Les consorts [Z] répliquent que les allégations de fraude procédurale du Venezuela sont irrecevables en ce que :

– les allégations du Venezuela, selon lesquelles ils auraient produit devant les arbitres des états financiers, lettres de fournisseurs et documents sociétaires frauduleux d’Alimentos Frisa et Transporte Dole, ont déjà été portées à la connaissance du tribunal arbitral, qui les a rejetées de manière éclairée dans sa sentence finale ;

– dans ces conditions, il n’appartient pas au juge de l’annulation de réviser l’appréciation faite par le tribunal arbitral du caractère frauduleux des documents susmentionnés.

87. Ils soutiennent que les allégations de fraude procédurale sont en tout état de cause infondées dès lors que :

– premièrement, les états financiers d’Alimentos Frisa et de Transporte Dole n’ont pas été « fabriqués » en 2013 pour les besoins exclusifs de l’arbitrage et ne contiennent pas d’informations mensongères ou d’inexactitudes comptables ;

– deuxièmement, les lettres des fournisseurs d’Alimentos Frisa et de Transporte Dole concernant les dépôts de garantie des consorts [Z] n’ont pas été fabriquées par M. [Z] [C] par l’intermédiaire de prête-noms ;

– en outre, le tribunal arbitral ne s’est pas uniquement fondé sur ces lettres pour condamner le Venezuela au titre des dépôts de garantie, et s’est notamment appuyé sur les procédures règlementaires de la CADIVI ;

– troisièmement, les documents sociétaires d’Alimentos Frisa et de Transporte Dole ne sont pas frauduleux ;

– le Venezuela possède les livres d’actionnaires d’Alimentos Frisa et de Transporte Dole et contrôle le contenu du registre du commerce vénézuélien ;

– la validité des documents sociaux et des procès-verbaux qu’ils contiennent n’ont jamais fait l’objet de contestations de la part du Venezuela qui n’a pas intenté d’action judiciaire aux fins de remettre en cause les prétendues fraudes et opérations fictives ;

– la plainte pour faux, usage de faux, escroquerie et tentative d’escroquerie en France a été classée sans suite ;

– aucune règlementation vénézuélienne ne permet de soutenir que les irrégularités invoquées par le Venezuela affecteraient la validité des opérations en cause ;

– le rapport graphologique produit par le Venezuela au soutien de prétendus problèmes de forme et de certaines erreurs typographiques sur certains procès-verbaux est dénué de force probante ;

– les prétendues fraudes des consorts [Z] sont intervenues bien avant les mesures d’expropriation prises par le Venezuela, ce qui voudrait dire que les consorts [Z] auraient commis des fraudes en prévision d’une expropriation dont ils n’ont été victimes que plusieurs années plus tard ;

– en tout état de cause, il n’y a pas eu d’opération fictive, les consorts [Z] ayant valablement acquis les actions d’Alimentos Frisa et Transporte Dole.

SUR CE :

88. La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision prise par ceux-ci a été surprise.

89. En l’espèce, la demanderesse au recours invoque la production devant le tribunal arbitral d’états financiers, de documents sociétaires et de lettres falsifiés par les consorts [Z], auxquels elle impute des affirmations et déclarations mensongères.

90. L’examen de la sentence querellée fait toutefois apparaître que ces imputations ont déjà été soutenues par le Venezuela devant le tribunal arbitral, qu’elles ont alors donné lieu à un débat contradictoire entre les parties et que le tribunal arbitral s’est prononcé sur leur bienfondé.

91. La sentence relève ainsi (par. 384) que :

« La Défenderesse à l’arbitrage aborde les questions suivantes : [‘]

(b) Il n’existe pas d’information fiable qui permette d’apprécier les flux historiques d’Alimentos Frisa, étant donné que toutes les informations financières sur Alimentos Frisa proviennent de documents frauduleux. En particulier, selon la Défenderesse, les Demandeurs ont créé les états financiers “pour tromper, par la fraude, le Tribunal”. [‘]

(c) Pour la Défenderesse, l’analyse des flux historiques effectuée par les Demandeurs était basée sur des informations frauduleuses contenues dans les états financiers des Sociétés. Pour cette raison, les informations sur les prétendus prêts des Demandeurs, les dépôts bancaires d’Alimentos Frisa, les registres d’actionnaires, les prétendues “lettres frauduleuses aux fournisseurs” et les “antécédents frauduleux relatifs au projet Agrofino” ne peuvent être inclus dans la méthode.

92. Le tribunal arbitral s’est prononcé sur ce point en retenant (par. 477 et 478) que :

« Le droit des Demandeurs à une indemnisation intégrale n’est ni modifié ni diminué par les allégations de fraude de la Défenderesse concernant les états financiers des Sociétés. Outre le fait que les allégations de fraude n’ont pas été prouvées, les procès-verbaux des Sociétés n’ont pas été contestés par leurs actionnaires ou par des personnes susceptibles d’être concernées (en particulier Mme [R] [Z] [O] et Mme [D] [Z] [O]), ni déclarés nuls par un tribunal ayant compétence en la matière. Par conséquent, de telles allégations ne sont pas pertinentes en ce qui concerne le droit des Demandeurs à une indemnisation ainsi qu’à sa quantification.

478. De même, le Tribunal considère que les irrégularités invoquées par la Défenderesse à M. [Z] [C], ou de membres de sa famille, concernant des transactions entre les Sociétés et d’autres entreprises dont il est propriétaire, n’affectent pas le droit des Demandeurs à obtenir une indemnisation équitable et complète pour les pertes subies en raison de la violation par la Défenderesse du Traité et des règles du droit international. »

93. La falsification des procès-verbaux d’assemblée générale des sociétés a, de même, été invoquée par le Venezuela (sentence, par. 430 et 553), sur laquelle le tribunal a statué (par. 477 précité), les contestations relatives aux signatures de Mme [Z] [O] étant évoquées (par. 430 et 431).

94. Il ne saurait, dans ces conditions, être considéré que la décision du tribunal arbitral aurait été « surprise » par la fraude, la demanderesse au recours invitant ici le juge de l’annulation à réviser l’appréciation portée par ce tribunal sur la véracité et la portée des documents et déclarations contestés devant lui, ce qu’elle ne peut faire.

95. Le moyen développé de ce chef est dès lors irrecevable.

3) Sur le moyen tiré de l’irrégularité de constitution du tribunal arbitral

96. La République Bolivarienne du Venezuela conclut à l’irrégularité de constitution du tribunal arbitral à raison d’un manque d’indépendance et d’impartialité de sa composition. Elle fait valoir à ce titre que :

– premièrement, le co-arbitre nommé par les consorts [Z] a sciemment omis de révéler au Venezuela des circonstances de nature à objectivement générer un doute quant à son indépendance et impartialité ;

– il a en effet été passé sous silence le fait qu’une collaboratrice spécialisée en arbitrage d’investissement au sein du cabinet coreprésentant des consorts [Z] dans la procédure arbitrale avait rejoint les effectifs du cabinet d’avocats dont le co-arbitre, qui connaissait cette collaboratrice d’une précédente affaire, était alors associé ;

– alors que l’arbitre concerné indiquait, dans une lettre du 29 novembre 2017, que cette situation ne générait aucun conflit, celui-ci a obtenu auprès du comité exécutif de son cabinet le licenciement de cette collaboratrice, ce qui constitue, per se, une reconnaissance de la gravité de la situation et donc de la faute imputable à l’arbitre ;

– le 12 février 2018, le Secrétaire Général de la CPA a rejeté la demande de récusation de cet arbitre tout en constatant qu’il aurait dû révéler cette circonstance ;

– le manquement par l’arbitre à son obligation de révélation et sa réticence postérieure à clarifier la situation a objectivement généré des doutes quant à son impartialité et son indépendance ;

– deuxièmement, le tribunal arbitral a conduit la procédure et rendu la sentence finale dans un contexte de défiance et sous l’emprise d’une inimitié manifeste à l’égard des représentants du Venezuela ayant dénoncé la fraude ;

– en effet, après que le Venezuela eut dénoncé la fraude procédurale orchestrée par les consorts [Z], le tribunal arbitral a interdit que la question de la fraude soit abordée lors de l’audience au fond et a pris plus de deux ans pour statuer sur le recours en révision ;

– le Venezuela est recevable à invoquer cette inimité : la voie de la récusation est fermée et seul le recours en annulation est ouvert, dès lors que les circonstances donnant lieu aux doutes sur l’impartialité et l’indépendance des membres du tribunal arbitral se sont pleinement révélées au moment où la sentence finale a été rendue et, par conséquent, suite au dessaisissement du tribunal arbitral.

97. Les consorts [Z] répliquent que :

– premièrement, le moyen tiré du prétendu manquement de l’un des arbitres à son obligation de révélation est infondé ;

– en effet, l’arbitre n’a pas manqué à son obligation de révélation, dès lors que l’embauche de la collaboratrice précédemment employée dans un cabinet ayant conseillé les consorts [Z] dans la procédure arbitrale n’était pas de nature à affecter son jugement au regard de la taille des cabinets concernés, de la durée d’embauche et du fait que l’intéressée n’a pas travaillé sur le dossier de la procédure ;

– le simple fait que l’arbitre n’a pas révélé ces informations ne suffit pas à justifier l’annulation de la sentence, la révélation n’étant exigée que lorsque l’information était pertinente, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ;

– le manquement allégué à l’obligation de révélation ne peut en toute hypothèse suffire à justifier l’annulation de la sentence, dès lors que le Venezuela n’établit pas que les circonstances qu’il dénonce étaient de nature à provoquer un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ;

– deuxièmement, le moyen tiré d’une prétendue inimité du tribunal arbitral envers le Venezuela est irrecevable et infondé ;

– le Venezuela est irrecevable à invoquer la prétendue inimitié dont il fait aujourd’hui état devant la cour de céans dès lors qu’il n’a pas formulé de demande de récusation sur ces éléments dans le délai de quinze jours qui lui était imparti en vertu de l’article 11 du Règlement CNUDCI, de sorte qu’il est réputé avoir renoncé à s’en prévaloir devant la cour de céans ;

– les éléments invoqués par le Venezuela sont fondés sur son seul sentiment subjectif et ne sont pas de nature à créer un doute objectif ni un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité des membres du tribunal arbitral ;

– le tribunal arbitral a entendu les parties sur les allégations de fraude formulées par le Venezuela et les a rejetées en rappelant que de telles accusations devaient, le cas échéant, faire l’objet d’une procédure de récusation ;

– le Venezuela n’a pas initié de procédure de récusation sur ce fondement.

SUR CE :

98. L’article 1520, 2°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal a été irrégulièrement constitué.

99. Conformément à l’article 1456, alinéa 2, du même code, applicable à l’arbitrage international en vertu de l’article 1506, il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission.

100. Cette obligation doit être regardée comme déterminante de la régularité de la constitution de la juridiction arbitrale, son accomplissement conditionnant l’acceptation de la nomination de l’arbitre par les parties.

101. Le défaut de révélation ne suffit toutefois pas, à lui seul, à justifier l’annulation de la sentence, celle-ci n’étant encourue que dans la mesure où les éléments tus sont de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, qui sont l’essence même de la fonction arbitrale.

102. En l’espèce, le moyen soutenu par la demanderesse au recours pour conclure à l’irrégularité de constitution du tribunal arbitral de ce chef est scindé en deux branches, la première reposant sur une dissimulation fautive de l’un des arbitres, la seconde, sur l’inimitié du tribunal arbitral à l’égard des représentants du Venezuela.

i. Sur la première branche du moyen

103. La République Bolivarienne du Venezuela fait grief à l’arbitre nommé par les consorts [Z] de n’avoir pas révélé le fait que le cabinet dans lequel il exerçait a embauché, alors que l’arbitrage était en cours, une collaboratrice précédemment employée dans un cabinet vénézuélien qui est intervenu aux côté des consorts [Z] dans la présente affaire.

104. Il est à cet égard constant que :

– la collaboratrice dont s’agit a travaillé au sein du cabinet D’Empaire Reyna d’août 2014 à septembre 2017 ;

– ce cabinet a conseillé les consorts [Z] pour les besoins de la procédure arbitrale à compter de janvier 2016 ;

– le 15 novembre 2017, cette collaboratrice a été embauchée par le cabinet M. & M. Bomchil, au sein duquel le professeur [P], arbitre nommé sur désignation des consorts [Z], était associé ;

– par note du 29 novembre 2017, la République Bolivarienne du Venezuela a formulé une demande d’explication au professeur [P] ;

– le jour même, le cabinet M. & M. Bomchil a mis fin à la période d’essai de la collaboratrice ;

– la République Bolivarienne du Venezuela a sollicité la récusation de M. [P] le 13 décembre 2017, en invoquant un conflit d’intérêts non déclaré ;

– par décision du 12 février 2018, le secrétaire général de la cour permanente d’arbitrage a rejeté cette demande de récusation.

105. Les consorts [Z] ne contestent pas la recevabilité du grief tiré de l’embauche de cette collaboratrice par le cabinet M. & M. Bomchil.

106. Sur le fond, la cour relève que :

– il n’est pas démontré que le professeur [P] serait à l’origine ou aurait pris une quelconque part dans l’embauche de la collaboratrice par le cabinet M. & M. Bomchil ;

– il n’est pas davantage établi que cette collaboratrice aurait eu une quelconque relation personnelle avec cet arbitre, le fait qu’elle soit intervenue plus de quatre ans auparavant dans une procédure impliquant le Venezuela devant un tribunal arbitral au sein duquel siégeait le professeur [P] étant d’autant plus indifférent que cette procédure s’est conclue au bénéfice du Venezuela ;

– aucun élément versé aux débats ne permet de conclure que la collaboratrice aurait, avant comme après son embauche, travaillé sur le dossier opposant les parties à l’arbitrage objet du présent recours, ni qu’elle aurait conseillé les consorts [Z] à aucun moment ;

– les défendeurs au recours soulignent, sans être utilement contredits sur ces points, que le cabinet M. & M. Bomchil employait à l’époque des faits près de 70 avocats répartis en une quinzaine de départements et que la collaboratrice dont s’agit n’a travaillé que sur le secteur de l’énergie et les partenariats public-privé, qui est étranger au contentieux dont était saisi le tribunal arbitral ;

– le passage de cette collaboratrice au sein de ce cabinet n’a duré que deux semaines, son nouvel employeur ayant mis fin à sa période d’essai le jour même de la demande d’explication formulée par le Venezuela dans la procédure arbitrale ;

– loin de valider la proximité alléguée par le Venezuela, cette décision souligne le souhait de ce cabinet d’éviter tout risque de conflit d’intérêts.

107. Il apparaît, au vu de ces circonstances, qu’indépendamment de la question de savoir si l’embauche de l’intéressée en qualité de collaboratrice aurait dû être déclarée par l’arbitre, cette circonstance n’était pas de nature à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur l’indépendance et l’impartialité du professeur [P] dans la procédure.

108. Le moyen pris en sa première branche doit en conséquence être rejeté comme infondé.

ii. Sur la deuxième branche du moyen

109. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que le tribunal arbitral a fait preuve de défiance et d’inimitié à l’égard de ses représentants.

110. Les consorts [Z] concluent à l’irrecevabilité de ce moyen, faute pour le Venezuela d’avoir invoqué cette allégation devant le tribunal arbitral.

111. Selon l’article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l’arbitrage international par l’article 1506, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir.

112. En application de ce texte, une partie qui, durant la procédure arbitrale, n’a pas protesté contre un fait connu propre à mettre en cause l’indépendance de l’arbitre n’est pas recevable à s’en prévaloir lors du recours en annulation, son abstention s’appréciant au regard de chacune des circonstances propres à affecter cette indépendance.

113. Il incombe au juge de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances allégués comme constitutifs d’une irrégularité, la partie qui s’en prévaut en avait connaissance alors que la procédure arbitrale était en cours, de sorte qu’elle aurait dû alors s’en prévaloir et à défaut est réputée y avoir renoncé.

114. En l’espèce, une part importante de l’argumentation développée par la République Bolivarienne du Venezuela pour justifier de l’inimitié dont le tribunal arbitral aurait fait preuve à l’égard de ses représentants repose sur des éléments intervenus au cours de la procédure arbitrale. La demanderesse au recours met en effet en cause l’inertie du tribunal arbitral après qu’elle eut dénoncé l’existence d’une fraude et exercé ses recours en révision, le refus opposé par ce tribunal d’aborder la question de la fraude lors d’une audience, ses choix procéduraux quant au traitement de la fraude et des recours, ainsi que les termes et la teneur de l’ordonnance de procédure n° 9, rendue le 12 décembre 2016.

115. Ces circonstances et éléments de faits, tous antérieurs à la sentence querellée, n’ont fait l’objet d’aucune demande ni d’aucune protestation de la part de la République Bolivarienne du Venezuela en cours d’arbitrage, alors même qu’ils étaient connus d’elle et qu’elle disposait des moyens temporels et procéduraux de s’en prévaloir.

116. La demanderesse au recours n’est dès lors pas recevable à les invoquer comme tels pour les besoins du présent recours.

117. Elle n’en met pas moins en cause les termes et la teneur de la sentence attaquée, qu’elle regarde comme révélateurs du manque d’impartialité du tribunal à son endroit.

118. Les arguments développés de ce chef sont toutefois impropres à caractériser le grief dont elle se prévaut dès lors que :

– l’inimitié alléguée ne saurait se déduire du décompte du nombre de lignes consacrées au résumé des positions respectives des parties et de leur prétendue dissymétrie, la cour relevant que le Venezuela n’établit aucune dénaturation dans le rappel de ses prétentions et moyens ;

– le fait de qualifier d’abusif l’exercice d’une voie de recours ne constitue pas un signe de partialité, les termes employés par le tribunal ‘ en particulier le fait qu’il souligne « le peu d’attachement [du Venezuela] à la bonne marche de la procédure » ‘ procédant d’une appréciation sur le déroulement de la procédure qui ne révèle aucune marque d’irrespect ou de parti pris ;

– il en va de même de la motivation selon laquelle :

« le Tribunal Arbitral manifeste son ferme rejet face aux commentaires des représentants [du Venezuela] s’agissant de la conduite prétendument irrégulière d’un ou plus des arbitres qui composent ce Tribunal Arbitral. Les représentants [du Venezuela] sont absolument irrespectueux lorsqu’ils insinuent que l’uns des arbitres est malhonnête et que les autres sont sots, raison pour laquelle le Tribunal arbitral ne peut laisser sans réponse de telles accusations, qui visent à ternir illégitimement la réputation et l’honneur des trois arbitres. Pour cela, il les rejette catégoriquement » ;

– il apparaît en effet que cette motivation répond, en des termes qui, pour être fermes, n’en demeurent pas moins respectueux, à des allégations de fraude et des imputations mettant directement en cause le tribunal arbitral ;

– elle ne caractérise pas un manque d’impartialité.

119. Le moyen pris en sa deuxième branche sera également rejeté.

4) Sur le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral

120. La République Bolivarienne du Venezuela fait grief au tribunal arbitral de s’être implicitement considéré comme compétent pour connaître des prétentions des consorts [Z] relatives à des prêts prétendument consentis par M. [I] [Z] à la société Alimentos Frisa et à de prétendus dépôts de garantie effectués par celui-ci au bénéfice de sociétés qu’il contrôlait et qui fournissaient Alimentos Frisa, alors que :

– la sentence sur la compétence prise dans la première phase de l’arbitrage ne concernait que les participations des consorts [Z] dans Alimentos Frisa et Transporte Dole ;

– le tribunal arbitral a néanmoins pris en considération les prétendus prêts et dépôts de garantie dans sa sentence finale, faisant partiellement droit aux demandes des consorts [Z] sur les dépôts de garanties ;

– il n’était compétent ni ratione personae ni ratione materiae pour connaître d’une telle demande.

121. Elle fait valoir, sur l’incompétence ratione personae, que :

– le tribunal n’a pas vérifié que les conditions de nationalité étrangère fixée par le TBI était remplie ;

– les prétentions soumises par les consorts [Z] ne correspondent pas à l’offre d’arbitrage contenue à l’article XI.4 du TBI ;

– l’interprétation des termes du TBI conformément à la règle générale d’interprétation de l’article 31 de la Convention de Vienne exclut en effet les doubles nationaux hispano-vénézuéliens de son champ d’application ratione personae, au regard du sens ordinaire à attribuer au terme « investisseur », pris littéralement comme pris dans son contexte à la lumière de l’objet et du but du traité ;

– la possibilité de recourir au CIRDI ou à un arbitrage selon le mécanisme supplémentaire du CIRDI confirme cette analyse, ces deux modes de règlement excluant les binationaux ;

– cette exclusion est confortée par le droit rendu applicable à l’arbitrage en vertu de l’article XI.4 du traité ;

– le Traité d’Amitié entre l’Espagne et le Venezuela conclu le 7 juin 1990, qui, d’une part, a pour objectif d’inciter la réalisation d’investissements par les nationaux de chacun des États contractants sur le territoire de l’autre, et, d’autre part, renvoie au principe d’égalité en droit international interdisant aux nationaux d’un État de l’attaquer devant un for international, confirme l’exclusion des doubles nationaux de la protection des dispositions du TBI ;

– de même, les règles et principes du droit international, tels que le principe de non-responsabilité, qui interdit aux nationaux d’un État d’attraire cet État devant une juridiction internationale, et le principe de la nationalité effective et dominante, qui interdit à un double national d’attraire son État lorsque la nationalité dominante et effective est celle de l’État attaquée, militent pour l’exclusion des doubles nationaux de la protection offerte par le TBI et au rejet de la compétence du tribunal arbitral en l’absence de toute réalité concrète matérialisant la nationalité espagnole des consorts [Z] ;

– le tribunal arbitral aurait dû constater une violation du droit vénézuélien, rendu applicable par les articles I et XI du TBI, M. [Z] [C] ayant franchi les contrôles douaniers au Venezuela en présentant son passeport espagnol entre 1983 et 2004, et ce, malgré son acte de naturalisation de 1972, par lequel il jouit de la seule nationalité vénézuélienne.

122. Elle expose, sur la compétence ratione materiae, que :

– le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent pour n’avoir pas fondé sa décision sur le Traité d’Amitié entre l’Espagne et le Venezuela ;

– M. [I] [Z] ne peut par ailleurs revendiquer un investissement direct étranger, seule catégorie d’investissement protégée par ce traité, dès lors que le centre de ses liens personnels, économiques, politiques et juridiques est incontestablement au Venezuela ;

– le tribunal arbitral n’a, en outre, pas fondé sa décision sur les règles et principes du droit international, en ne satisfaisant pas à la condition posée par le TBI tenant à la possession par le prétendu investisseur de la nationalité d’un État partie au TBI au moment de réalisation de l’investissement sur le territoire de l’autre État contractant, M. [I] [Z] étant exclusivement vénézuélien lors de la prétendue réalisation des investissements revendiqués sur le territoire vénézuélien ;

– enfin, le tribunal n’a pas fondé sa décision sur le droit vénézuélien, les dépôts de garantie n’ayant pas été inscrit sur un registre spécifique comme le veut la loi vénézuélienne.

123. Les consorts [Z] répliquent que le tribunal arbitral s’est valablement déclaré compétent ratione personae dès lors que :

– conformément aux termes du TBI, tels qu’interprétés à l’aune des principes énoncés par la Convention de Vienne, à laquelle le Venezuela n’est pas partie, les nationaux ressortissants d’un des deux États parties au TBI bénéficient de sa protection, qu’ils aient ou non également la nationalité de l’autre État partie au TBI ;

– les travaux préparatoires du TBI confirment que l’Espagne et le Venezuela ont envisagé la question des binationaux lorsqu’ils ont évoqué le champ de protection du Traité, et que leur intention était de ne pas les exclure ;

– en l’espèce, les consorts [Z] ont la nationalité espagnole conformément à la législation espagnole et ont effectué des investissements sur le territoire vénézuélien et dès lors, indépendamment de leur nationalité vénézuélienne, ils sont des investisseurs au sens de l’article I.1.a du TBI et bénéficient de la protection du TBI ;

– aucune autre condition ne peut leur être imposée pour le bénéfice de la protection du TBI.

124. Ils soutiennent, sur la compétence ratione materiae, que :

– seul le TBI, et plus précisément les articles I et XI.1 du TBI sont applicables aux fins de déterminer la compétence du tribunal arbitral, l’article XI.4 portant, quant à lui, uniquement sur le droit applicable au fond du différend ;

– les arguments du Venezuela fondés sur des sources de droit extérieures au Traité sont contradictoires, les définitions invoquées étant inconciliables ne pouvant remplacer celle prévue à l’article I(2) du Traité.

SUR CE :

125. L’article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.

126. Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage.

127. Lorsque celle-ci résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit.

128. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.

129. Au cas présent, l’offre d’arbitrage résulte de la combinaison des articles XI et I du TBI.

130. L’article XI énonce, sous le titre « Différends entre une Partie contractante et des investisseurs de l’autre Partie contractante », que :

1. Tout différend survenant entre un investisseur d’une Partie contractante et l’autre Partie contractante concernant l’exécution par celle-ci des obligations établies dans le présent Accord sera notifié par une notification écrite contenant une information détaillée, par l’investisseur à la Partie contractante d’accueil de l’investissement. Dans la mesure du possible, les parties au différend essaieront de régler ces différends au moyen d’un accord amiable.

2. Si le différend ne peut être résolu de cette manière dans un délai de six mois à partir de la date de notification écrite mentionnée au paragraphe 1, il sera soumis au choix de l’investisseur :

a) Aux tribunaux compétents de la Partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l’investissement, ou

b) Au Centre international pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) créé par la Convention pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements entre États et ressortissants d’autres États, signée à Washington le 18 mars 1965, une fois que chaque État partie au présent Accord aura adhéré à celle-ci. Dans l’hypothèse où l’une des Parties contractantes n’a pas adhéré à la Convention citée, on recourra au Mécanisme supplémentaire pour l’Administration des procédures de conciliation, d’arbitrage et de constatation des faits par le secrétariat du CIRDI ;

3. Si pour quelque raison que ce soit, les instances arbitrales envisagées au point 2 b) de cet article n’étaient pas disponibles, ou si les deux parties en avaient convenu ainsi, le différend serait soumis à un tribunal d’arbitrage « ad hoc » établi conformément au règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international.

« 4. L’arbitrage sera fondé sur :

a) Les dispositions du présent Accord et celles des autres accords conclus entre les Parties contractantes ;

b) Les règles et principes de Droit international ;

c) Le droit national de la Partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l’investissement, y compris les règles relatives aux conflits de Loi.

131. L’article I fournit, pour les besoins de l’application du traité, les définitions suivantes :

1. Le terme « investisseurs » désigne :

a) Les personnes physiques qui ont la nationalité d’une des Parties contractantes en vertu de leur loi nationale et qui réalisent des investissements sur le territoire de l’autre Partie contractante. [‘]

2. Le terme « investissements » désigne tout type d’actifs, investis par des investisseurs d’une Partie contractante sur le territoire de l’autre Partie contractante et, en particulier, bien que non exclusivement, les suivants :

a) Actions, titres, obligations et toute autre forme de participation en sociétés ;

b) Droits provenant de tout type d’apports réalisés dans le but de créer une valeur économique ; sont inclus expressément tous les prêts accordes a cet effet ; soit 0,00 Euros

c) Biens meubles et immeubles, ainsi qu’autres droits réels tels que les hypothèques, droits de gage, usufruits et droits similaires ;

d) Tout type de droits dans le domaine de la propriété intellectuelle, incluant expressément brevets d’invention et marques commerciales, ainsi que licences de fabrication, connaissances techniques et fonds de commerce ;

e) Droits de réaliser des activités économiques et commerciales octroyés par la Loi ou en vertu d’un contrat, y compris ceux liés à la prospection, la culture, l’extraction ou l’exploitation de ressources naturelles.

132. Dans le cadre ainsi institué, la République Bolivarienne du Venezuela fait grief au tribunal arbitral de s’être implicitement reconnu compétent ratione personae et ratione materiae pour connaître des demandes qui lui étaient soumises concernant des prêts et avances consentis par M. [Z] [C].

133. Ce moyen ayant un objet plus large que les dispositions relatives aux dépôts de garanties, dont l’annulation est d’ores et déjà acquise, il y a lieu de l’examiner.

i. Sur la première branche du moyen et la compétence ratione personae

134. La cour relève que le TBI ne comporte aucune disposition concernant les doubles nationaux, l’article I.1 précité retenant pour seule exigence le fait pour l’investisseur d’avoir « la nationalité d’une des Parties contractantes en vertu de leur loi nationale ».

135. Les règles générales d’interprétation de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, invoquées par la demanderesse et qui s’imposent au juge français au titre de la coutume du droit international, ne permettent pas de conclure que ces dispositions priveraient l’investisseur binational de la protection instituée par le traité, ces règles ne conduisant pas à distinguer là où le texte ne distingue pas.

136. L’article 31 de cette Convention prévoient que :

1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;

b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :

a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;

b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;

c) De tout règle pertinente du droit international applicable dans les relations entre les parties.

4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.

137. Son article 32 énonce :

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 :

a) Laisse le sens ambigu ou obscur ; ou

b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

138. À l’aune de ces principes, il ne peut être considéré, suivant le sens ordinaire attribué aux termes employés à l’article I.1, a) du traité, que le double national n’entrerait pas dans le champ de la définition de l’investisseur, le fait qu’un investisseur ayant « la nationalité d’une des Parties contractantes » réalise des « investissements sur le territoire de l’autre » n’étant pas exclusif de la possibilité pour l’intéressé d’avoir également la nationalité de l’État sur le territoire duquel l’investissement est réalisé.

139. La référence faite par certains articles du TBI aux « investisseurs de l’autre partie contractante » n’est pas de nature à remettre en cause cette lecture, que n’infirment pas les travaux préparatoires ayant présidé à la signature de cette convention.

140. Cette solution ne peut davantage être regardée comme contraire à l’objet et au but du traité, qui vise à « créer des conditions favorables pour les investissements réalisés par les investisseurs de chacune des Parties contractantes dans le territoire de l’autre » afin « de renforcer la coopération économique au bénéfice réciproque des deux pays », d’où il ne saurait être déduit aucune exclusion à l’endroit des binationaux.

141. La République Bolivarienne du Venezuela ne saurait par ailleurs se prévaloir de la possibilité offerte par le TBI de soumettre un différend au CIRDI. L’exclusion des doubles nationaux résultant de l’article 25.2 de la Convention de Washington du 18 mars 1965 créant le CIRDI n’est en effet pas applicable à la présente affaire dans laquelle les parties ont opté, conformément à l’article XI du traité, pour une procédure arbitrale conduite sous l’égide de la CNUDCI, qui ne reprend pas une telle restriction. L’application cumulative de toutes les conditions postulées par les mécanismes de règlement visés par le traité, en plus de celles posées par le traité lui-même, à laquelle invite la demanderesse au nom d’un principe d’inaltérabilité des traités, conduirait à méconnaître et dénaturer les termes du TBI, qui ne prévoit pas un tel cumul.

142. Il résulte de l’ensemble de ces constatations que les termes comme l’économie générale du TBI sont dénués d’ambiguïté sur le fait que les parties contractantes n’ont pas entendu réserver un sort particulier aux binationaux en les écartant du bénéfice de sa protection.

143. Il n’y a dès lors pas lieu de recourir aux procédés supplétifs d’interprétation issus de la Convention de Vienne, tirés du contexte d’adoption du traité ou des règles et principes du droit international.

144. La référence faite par la demanderesse au recours au droit vénézuélien est, de même, dénuée de pertinence. Les dispositions de l’article XI.4, selon lesquelles l’arbitrage est fondé a) sur les dispositions de l’accord et celles des autres accords conclus entre les parties contractantes, b) les règles et principes de droit international et c) le droit national de la partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l’investissement, concernent en effet les modalités de traitement au fond du litige soumis à l’arbitrage. Elles ne sont pas de nature à remettre en cause les termes de l’article I qui définissent les investissements et catégories d’investisseurs au regard desquels doit être apprécié le consentement de l’État à l’arbitrage. Il ne saurait dès lors être fait grief au tribunal arbitral de n’avoir pas fait application des dispositions du Traité d’Amitié entre le Royaume d’Espagne et la République Bolivarienne du Venezuela du 7 juin 1990, des principes du droits international ou de la loi nationale vénézuélienne.

145. Il s’ensuit, sans qu’il soit nécessaire de se référer au principe de non-responsabilité et aux règles propres à la protection diplomatique, ou de se livrer à une appréciation sur la nationalité dominante et effective de l’investisseur, que le TBI, qui constitue la lex specialis entre les parties, ne peut conduire à exclure les binationaux de son champ d’application, sauf à ajouter au texte une condition qui n’a pas été stipulée.

146. Il ne saurait dans ces conditions être fait grief au tribunal arbitral de s’être implicitement reconnu compétent ratione personae pour statuer sur les demandes qui lui étaient soumises concernant les prêts et dépôts de garantie revendiqués par M. [Z] [C].

147. La première branche du moyen, qui manque en droit, doit dès lors être écartée.

ii. Sur la deuxième branche du moyen et la compétence ratione materiae

148. La demanderesse au recours fait ici grief au tribunal arbitral de n’avoir pas fondé sa décision sur le Traité d’Amitié entre le Royaume d’Espagne et la République Bolivarienne du Venezuela du 7 juin 1990, d’avoir méconnu les principes du droit international et de n’avoir pas respecté loi nationale vénézuélienne.

149. Pour les raisons précédemment exposées, cette branche du moyen manque en droit, les dispositions de l’article XI.4 du traité, invoquées par le Venezuela pour justifier du renvoi aux normes et principes qu’il reproche au tribunal arbitral de n’avoir pas respecté, ne se rapportant pas à l’examen de sa compétence, le consentement de l’État vénézuélien à l’arbitrage devant être apprécié à l’aune des définitions données à l’article I concernant les catégories d’investisseurs et les investissements entrant dans le champ de l’offre d’arbitrage formulée par le TBI.

150. La notion d’« investissement direct » issue de l’article 5 du Traité d’Amitié précité est dès lors inopérante pour apprécier la compétence du tribunal arbitral à se prononcer sur des dépôts de garanties, dont le Venezuela ne conteste pas qu’ils entrent dans le champ des investissements définis à l’article I(2) du TBI. Le non-respect allégué de loi nationale vénézuélienne, du fait de la non-inscription par les consorts [Z] de cet investissement auprès des autorités compétentes, est de même indifférent, la référence aux principes du droit international étant quant à elle fondée sur les mêmes griefs que ceux développés au titre de la compétence ratione personae, dont la cour a déjà relevé le caractère inopérant en l’espèce.

151. D’où il suit que ce moyen d’annulation doit également être écarté.

5) Sur le moyen tiré de ce que la décision relative aux augmentations de capital a été prise à tort

152. La République Bolivarienne du Venezuela fait grief au tribunal arbitral d’avoir fondé sa décision relative au dommage d’expropriation sur des titres prétendument acquis par les consorts [Z] via des augmentations de capital, en qualifiant implicitement celles-ci d’investissement au sens du TBI, alors que :

– ces augmentations de capital ne sauraient aucunement recevoir la moindre protection du TBI dès lors que leur existence n’a pas été prouvée et que les conditions dans lesquelles elles auraient été réalisées constituent des abus de biens sociaux ;

– le tribunal arbitral était dès lors incompétent pour en connaître au sens de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile.

153. Elle fait par ailleurs grief au tribunal arbitral de n’avoir pas respecté le principe de la contradiction, pour avoir :

– refusé d’entendre le Venezuela quant aux indéniables effets de l’arrêt d’annulation et de la tentative illégitime des consorts [Z] de recalibrer en cours de procédure le périmètre initial de leur prétendu investissement protégé et des demandes en découlant ;

– remodelé à sa guise le cadre de sa compétence en cours de procédure afin d’y inclure, sans permettre aux Parties de faire valoir leur position à ce propos, les augmentations de capital que les Consorts [Z] auraient réalisées ;

– appliqué une méthodologie d’évaluation du prétendu dommage d’expropriation des consorts [Z] fondée sur ces mêmes augmentations de capital, là encore sans entendre les Parties au préalable.

154. Les consorts [Z] répliquent sur la compétence que :

– les allégations de fraude sont injustifiées ;

– la simple détention d’actions ou de titres suffisait en toute hypothèse pour obtenir la protection du traité.

155. Ils font valoir, sur le respect de la contradiction, que le tribunal a entendu les parties sur les effets de l’arrêt d’annulation et sur leur décision de ne formuler des demandes qu’au titre des seuls investissements réalisés lorsqu’ils avaient la nationalité espagnole, les allégations de fraude relatives aux augmentations de capital d’Alimentos Frisa et Transporte Dole dans la procédure, ainsi que sur la prétendue absence d’action d’investir des consorts [Z] dans le cadre de la sentence finale.

SUR CE :

i. Sur la première branche du moyen

156. L’argumentation développée par la demanderesse au recours reprend en substance celle relative à l’existence d’une fraude procédurale commise par les consorts [Z], tenant à la production de pièces falsifiées et de fausses déclaration devant le tribunal arbitral.

157. Le tribunal arbitral s’est toutefois prononcé sur ce point, écartant l’existence d’une fraude, ainsi qu’il résulte des développements qui précèdent (sentence attaquée, par. 477, 478, 510 et 503).

158. Il apparaît, à cet égard, que la République Bolivarienne du Venezuela ne conteste pas le fait qu’une augmentation de capital entre dans le champ des investissements protégé par le traité mais remet en cause la réalité et la licéité de l’investissement querellé, qui relève du fond et qui, sauf à entrer dans un processus de révision de la sentence, n’entre pas dans le champ du contrôle du juge de l’annulation.

159. La première branche du moyen est dès lors inopérante.

ii. Sur la deuxième branche du moyen

160. L’article 1520, 4°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation si le principe de la contradiction n’a pas été respecté.

161. Ce principe veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu’elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire, de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire.

162. Le tribunal arbitral n’est pas tenu de soumettre aux parties l’argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.

163. Il est en l’espèce constant qu’à la suite de l’arrêt d’annulation partielle rendue par la cour d’appel de Paris le 13 février 2019, les consorts [Z] ont renoncé à se prévaloir devant le tribunal arbitral des investissements qu’ils revendiquaient précédemment pour la période durant laquelle ils n’avaient pas la nationalité espagnole.

164. Si la demanderesse au recours fait à cet égard grief au tribunal arbitral de s’être prononcé sans entendre les parties sur les conséquences de cette décision quant à sa compétence et sur l’application de la qualification d’investissement, au sens du TBI, aux augmentations de capital réalisés en 2007 et 2008 fondant alors leurs prétentions, ce moyen manque en fait.

165. La sentence arbitrale consacre en effet un chapitre entier aux « effets de l’arrêt de la cour d’appel et de l’arrêt de la Cour de cassation » (par. 214 à 228). Elle analyse par ailleurs les conséquences du « réajustement de la réclamation des Demandeurs en raison de leur renonciation partielle à les réclamation initiale » (par. 411 à 438). Pour ce faire, elle reprend de façon détaillée les « arguments de la Défenderesse » exposés dans son « Premier Mémoire sur l’Arrêt de la Cour d’appel » comme dans son « Deuxième Mémoire sur l’Arrêt de la Cour d’appel » (par. 417 à 425), auxquels la République Bolivarienne du Venezuela lui reproche, pour les besoins du présent recours, de n’avoir pas répondu.

166. Elle précise notamment, au titre de cette analyse, que :

« 426. Le Tribunal doit tenir compte d’une nouvelle circonstance postérieure à la Décision sur la Compétence, à savoir la renonciation par les Demandeurs à une partie de leurs réclamations initiales. [‘]

429. En réponse à la renonciation des Demandeurs à une partie de leurs réclamations, la Défenderesse s’y est opposée, faisant valoir que les Demandeurs tenteraient, par cette renonciation, de faire en sorte que le Tribunal décide à nouveau sur sa propre compétence.

430. Pour analyser le raisonnement des Demandeurs, il est pertinent de prendre en compte le fait que la Défenderesse a contesté la validité du document intitulé “Modifications à l’Acte de Constitution de Transporte Dole, C.A.” du 8 février 2007 (Pièce C-19) et du document intitulé “Modifications à l’Acte de Constitution d’Alimentos Frisa, C.A.” du 14 avril 2009 (Pièce C-28), invoquant la fraude. Selon la Défenderesse, les signatures de Mme [R] [Z] [O] et de Mme [D] [Z] [O] seraient fausses, ce qui rendrait ces documents irrecevables comme éléments de preuve.

431. Le Tribunal rejette cet argument, étant donné qu’il n’y a pas eu d’allégation de fraude de la part des personnes ayant participé à ces opérations, qui n’ont pas exprimé leur opposition aux actes mentionnés dans les documents sociétaires. Au contraire, les deux signataires ont pleinement ratifié la validité des transferts effectués et enregistrés dans ces documents en affirmant que « nous approuvons et ratifions dans leur intégralité les procès-verbaux et les inventaires mis en cause par le Venezuela »,832 dont le caractère strictement privé leur confère une crédibilité suffisante comme élément de preuve dans cette procédure. [‘]

436. Le Tribunal estime que le raisonnement des Demandeurs en ce qui concerne le moment où les investissements ont été effectués, exprimé avant l’annulation de l’Arrêt de la Cour d’appel, n’est plus pertinent pour la décision sur le fond de cet arbitrage, dès lors que, suite à l’Arrêt de la Cour de cassation, il n’y a plus de débat pour savoir si les investissements effectués sont ou non protégés par le Traité.

437. En effet, les raisons pour lesquelles les Demandeurs ont décidé de renoncer à une partie de l’indemnisation réclamée ne sont pas importantes quant aux effets d’une telle renonciation. Toutefois, il résulte de la renonciation que les actions des Sociétés acquises lorsque les Demandeurs n’avaient pas la nationalité espagnole ont été exclues de l’indemnisation. En conséquence, le Tribunal Arbitral estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la question de savoir si ces actions sont ou non protégées par le Traité ; en ce sens, les affirmations contenues dans la Décision sur la Compétence concernant les effets d’une telle distinction n’affectent pas les conclusions de la présente sentence et sont donc devenues des considérations latérales par rapport au ratio decidendi. »

167. Il résulte de cette motivation que la question des effets sur la procédure arbitrale de l’arrêt du 13 février 2019 a fait l’objet d’un débat entre les parties, la demanderesse au recours ne pouvant ici se prévaloir d’une atteinte au principe de la contradiction.

168. La question de la fraude et ses conséquences sur la prise en considération des augmentations de capital litigieuse a, de même, été largement débattue par les parties, le tribunal y ayant répondu, ainsi qu’il résulte de l’extrait précité et des points 81 à 87 de la présente décision.

169. La méthode d’évaluation du dommage a, elle aussi, été largement débattue, la sentence récapitulant les argumentations respectives des parties sur ce point (par. 417 à 425).

170. Le moyen tiré du non-respect de la contradiction est dès lors infondé. Il sera écarté.

171. Il y a lieu, au vu de ce qui précède d’annuler partiellement la sentence pour ce qui concerne les chefs de condamnation correspondant à la valeur de restitution des dépôts de garantie, et de rejeter le recours en annulation pour le surplus.

D. Sur les frais et dépens

172. Les parties succombant partiellement dans leurs prétentions respectives, les demandes qu’elles forment au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées, chacune supportant la charge des dépens qu’elle a exposés pour les besoins de la procédure.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la Cour :

1) Rejette les écritures signifiées par la République bolivarienne du Venezuela le 13 mars 2023 ;

2) Dit n’y avoir lieu à vérification d’écriture et au rejet de la pièce n° 18 produite par M. [I] [Z] [C] et Mme [R] [Z] [O] ;

3) Annule partiellement la sentence finale rendue à Paris le 26 avril 2019 sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage suivant le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international dans l’affaire CPA n° 2013-3 en ce qu’elle :

– condamne la République Bolivarienne du Venezuela à indemniser M. [I] [Z] [C] pour un montant de 75.677.393,94 dollars américains (soixante-quinze millions six cent soixante-dix-sept mille trois cent quatre-vingt-treize dollars américains et quatorze cents) ‘ (c) du dispositif de la sentence ;

– ordonne à la République Bolivarienne du Venezuela de payer à M. [I] [Z] [C] des intérêts sur cette somme au taux LIBOR pendant 12 mois plus 4,5% par année, capitalisés à chaque période de douze mois, à compter du 20 mai 2010, dont la valeur jusqu’en février 2019 est de 50.637.156,71 dollars américains (cinquante millions six cent trente-sept mille cent cinquante-six dollars et soixante et onze cents) ‘ (d) (i) du dispositif de la sentence ;

4) Rejette le recours en annulation formé par la République Bolivarienne du Venezuela contre cette sentence pour le surplus ;

5) Rappelle qu’en application de l’article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale, pour la partie non-annulée ;

6) Rejette les demandes formées par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

7) Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle a exposés pour les besoins de la procédure.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

 


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