Dirigeant de fait : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05334

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Dirigeant de fait : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05334
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 22 NOVEMBRE 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 19/05334 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LIKA

Monsieur [F] [R]

c/

UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 5]

SARL GROUPE CARTHAGE – KNRJ

SCP [Z] [V] & A. LAGEAT

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 septembre 2019 (R.G. n°F 17/01014) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 08 octobre 2019,

APPELANT :

Monsieur [F] [R]

né le 14 Février 1968 de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Marine HAINSELIN substituant Me Agathe DE GROMARD, avocat au barreau de BORDEAUX, et Me Anne-Véronique WEBER FARUCH, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 5], prise en la personne de sa Directrice Nationale domiciliée en cette qualité audit siège social

[Adresse 1]

représentée et assistée de Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

SARL Groupe Carthage – KNRJ, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 6]

SCP [Z] [V] & A. Lageat, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de la SARL [Adresse 4]

représentées et assistées de Me Hélène PUJOL, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 septembre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Bénédicte Lamarque, conseiller chargé d’instruire l’affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Groupe Carthage, anciennement dénommée Capital Energies a pour activité la vente à domicile d’équipements thermiques de chauffage et de climatisation et de solutions d’installations à base d’énergies naturelles et renouvelables.

Cette société, créée en 2012, et désormais dénommée société Groupe Carthage, a pour dirigeant M. [O] [H].

Entre juin 2014 et mars 2017, Mme [U], compagne de M. [H] est devenue gérante de l’entreprise, gérance rendue à M. [H], par démission à la date du 6 mars 2017. M. [H] occupait parallèlement un poste de directeur général commercial au sein de l’entreprise.

La société relève de la convention collective des entreprises de vente à distance.

M. [H] était également gérant de la SCI Carthage, immatriculée le 14 juin 2014, dont l’activité était la location de logements, ainsi que d’autres sociétés dont certaines radiées à la date des faits.

Deux sociétés ont été créées comme appartenant à la SARL Groupe Carthage :

– la SA Sertec, le 4 août 2014, M. [H] en est désigné président et M. [R] directeur général. Cette société est mise en liquidation judiciaire le 7 février 2017,

– la SA ADN Global, immatriculé le 21 octobre 2014, M. [R] en est nommé président et M. [H] en étant directeur général. Cette société sera radiée le 8 septembre 2017,

En parallèle, M. [R] a créé sa propre marque ‘Openbaie’ dont il a effectué le dépôt à l’INPI le 2 septembre 2014 en classes de produits et services. Le 1er septembre 2014, M. [R] a consenti un contrat de licence de marque à la SARL Groupe Carthage, prévoyant l’exploitation à titre exclusif de la marque sur l’ensemble du territoire national français, moyennant le versement de redevances, l’une fixe et l’autre proportionnelle au chiffre d’affaires réalisé.

M. [R] a également créé et déposée la marque ‘Ecolonomia’ dont il a effectué le dépôt à l’INPI le 27 mars 2017 ainsi que ‘Capital Energies Pro’ déposée à l’INPI le 28 mars 2016.

La société Groupe Carthage est donc utilisatrice de plusieurs marques détenues par M. [R] : Openbaie pour les menuiseries, Capital Energies pour le chauffage, Ecolonomia pour les appareils d’éclairage, construction et télécommunications.

Enfin, M. [R] a créé le 9 mars 2016 les sociétés Aquitaine rénovation et e-commerce distribution, dont il est le gérant.

M. [H] a mis fin à la relation de travail par courriel en date du 22 mars 2016.

Le 26 juin 2017, M. [F] [R], a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux en vue de se voir reconnaître la qualité de salarié de la société Groupe Carthage, prétendant avoir travaillé pour le compte de celle-ci en qualité de directeur commercial jusqu’au 21 mars 2016, sans être rémunéré et produisant des bulletins de paie pour les mois de décembre 2014 à décembre 2015.

Par jugement du 15 mars 2017, la société Groupe Carthage a été admise au bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire. La SCP [Z] [V] & A.Lageat prise en la personne de Maître [Z] [V] a été nommée en qualité de mandataire judiciaire. Par jugement du 14 mars 2018, un plan de continuation sur 8 ans a été adopté. La SCP [Z] [V] & A.Lageat prise en la personne de Maître [Z] [V] occupe désormais la fonction de commissaire à l’exécution du plan.

La société Groupe Carthage a déposé plainte à l’encontre de M.[R] le 12 octobre 2017 pour tentative d’escroquerie, faux et usage de faux, association de malfaiteurs en réunion, abus de confiance, détournement de clientèle et concurrence déloyale, arguant notamment du caractère mensonger des bulletins de paie produits. Elle a également déposé plainte contre l’épouse de M. [R], et son beau-frère, expert de la société de gestion qui s’occupait du volet social de la société Capital énergie au moment des faits.

La liquidation judiciaire de la société ADN Global a été prononcée le 2 novembre 2016 et la société a été radiée le 8 septembre 2017. Celle de la société Sertec a été prononcée le 7 février 2017 sans être radiée à ce jour.

Par jugement rendu le 20 septembre 2019, le conseil de prud’hommes a :

– jugé que M. [R] n’a pas la qualité de salarié de la société Groupe Carthage – KNRJ,

– s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de M. [R],

– débouté M. [R] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [R] à verser à la société Groupe Carthage – KNRJ la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclaré le jugement opposable à l’AGS CGEA de [Localité 5] ainsi qu’à la SCP [Z] [V] & A.Lageat prise en la personne de Maître [Z] [V], en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la société,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné M. [R] aux dépens.

Par déclaration du 8 octobre 2019, M.[R] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 11 novembre 2022, M.[R] demande à la cour de :

– le recevoir en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– l’y déclarer bien fondé,

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

– se déclarer à connaître du présent litige,

– fixer :

* le salaire mensuel moyen qu’il lui est dû par la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie à la somme de 5.096,44 euros brut,

* le montant dû par la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie , au titre des salaires non réglés, à la somme de 66.357,28 euros et la somme de 6.635,73 euros au titre des conges payés afférents,

* le montant qu’il lui est dû par la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie à au titre de l’indemnité de préavis non réglée, à la somme de 15.289,32 euros et la somme de 1.528,93 euros au titre des conges payés afférents,

* le montant dû par la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie à lui, au titre de l’indemnité de travail dissimulé, à la somme de 30.578,64 euros,

– requalifier la rupture de son contrat de travail en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– fixer le montant dû par la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie, au titre des dommages et pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à la somme de 15.289,32 euros,

– condamner la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie à lui verser les sommes ainsi fixées :

* au titre des salaires non réglés, la somme de 66.357,28 euros et la somme de 6.635,73 euros au titre des congés payés afférents,

* au titre de l’indemnité de préavis non réglée, la somme de 15.289,32 euros et la somme de 1.528,93 euros au titre des congés payés afférents,

* au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, la somme de 30.578,64 euros,

* au titre des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à la somme de 15.289,32 euros,

– assortir les condamnations prononcées de l’intérêt au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud’hommes,

– condamner la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie à lui remettre à les documents sociaux lui revenant (certificat de travail, solde de tout compte, attestation pôle emploi), sous astreinte de 100 euros par jour de retard compter du prononcé du jugement à intervenir,

– ordonner, au besoin, l’inscription des créances du salarié, dans les termes ci-dessus, sur le relevé de créances salariales de la société Groupe Carthage – KNRJ – Capital Energie,

– ordonner l’avance au salarié, ou la prise en charge dans les conditions légales, au vu de la situation juridique de l’employeur, des sommes visées ci-dessus, par le Centre de Gestion et d’Étude AGS de [Localité 5] (CGEA

– débouter la société Groupe Carthage et le CGEA-AGS de toutes demandes reconventionnelles,

– condamner la société Groupe Carthage à lui verser une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– condamner la société Groupe Carthage aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 août 2023, la société Groupe Carthage – KNRJ et la SCP [Z] [V] & A. Lageat demandent à la cour de’:

– juger irrecevable la prétention nouvelle au titre de l’indemnité pour travail dissimulé

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux,

En conséquence,

– juger que M.[R] n’apporte aucune preuve de l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée,

– débouter M.[R] de l’ensemble de ses demandes de rappels de salaires, de congés payés afférents, du préavis, d’indemnité pour licenciement injustifié, d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [R] à payer à leur verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive en application de l’article 32’1 du code de procédure civile, outre la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M.[R] aux dépens de la présente instance et en ce compris les frais éventuels d’exécution forcée.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 novembre 2022, l’AGS CGEA de [Localité 5] demande à la cour de’:

– rabattre l’ordonnance de clôture à l’audience des plaidoiries,

– confirmer le jugement sauf à juger que M.[R] n’a pas la qualité de salarié de la société Groupe Carthage, faute d’existence d’un lien de subordination,

En conséquence,

– débouter M. [R] de l’ensemble de ses prétentions,

Subsidiairement, en cas de reconnaissance de la qualité de salarié,

– déclarer irrecevable la demande d’indemnité pour travail dissimulé formulée par voie des conclusions signifiées le 11 novembre 2022, et subsidiairement mal fondée,

– débouter M.[R] de sa demande de paiement de salaire, faute d’établir un travail correspondant à celui d’un directeur commercial,

– constater l’absence de rupture à l’initiative de l’employeur ou de prise d’acte de rupture aux torts de l’employeur,

En conséquence,

-débouter M.[R] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive et d’indemnité compensatrice de préavis,

A titre très subsidiaire,

– fixer le montant des dommages et intérêts pour rupture abusive à la somme maximum de 2.550 euros, au visa de l’article L.1235-5 du code du travail, dans sa version en vigueur,

– déclarer l’arrêt opposable à l’A.G.S. – C.G.E.A. de [Localité 5] que dans la limite légale de sa garantie, laquelle :

* est limitée à cinq fois le plafond mentionné à l’article D. 3253-5, applicable en 2016,

* est subsidiaire à la trésorerie disponible de la société Groupe Carthage, actuellement bénéficiaire d’un plan,

* exclut l’astreinte et l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Après ordonnances de clôture révoquées à la demande des parties le 21 novembre 2022, le 28 mars 2023 et le 6 juin 2023, l’ordonnance de clôture a été fixée le 31 août 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 25 septembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la qualité de salarié de M. [R]

Pour voir infirmer le jugement déféré qui lui refusé la qualité de salarié au motif qu’il était dirigeant de fait de la société Groupe Carthage en application de l’article L. 8221-6 du code du travail, M. [R] fait valoir le travail effectué en qualité de directeur marketing pour la société depuis la fin de l’année 2014 et son lien de subordination à M. [H], au même titre que les autres salariés :

– il ne détenait aucune fonction de mandataire social ni n’était associé au sein de la société Carthage, n’ayant aucun pouvoir de direction ni de délégation. S’il détenait des parts dans deux des filiales de la société, ADN et Sertec, c’était à l’initiative de M. [H], il conteste avoir signé les statuts de la société Sertec, n’ayant servi que de prête nom à M. [H] pour qu’il puisse créer deux sociétés intégrées au Groupe Carthage,

– l’organigramme de la société Carthage en décembre 2014 le place au 3ème rang, sous l’autorité du directeur commercial,

– le directeur le présente en janvier 2015 comme acheteur, indiquant qu’il fait partie des trois personnes habilitées à passer des commandes, entre le 13 juin 2014 et le 23 mars 2016. Il produit le listing des 3224 échanges de courriels avec le directeur dans le cadre du travail accompli au sein de la société, entre janvier 2015 et mars 2016 ainsi que le listing de plus de 2.000 SMS et 500 communications téléphoniques témoignant du volume d’activité et de son investissement,

– la société s’était engagée à le rémunérer à compter du 1er décembre 2014 pour ses fonctions de directeur région et gestion du marketing, lui ayant remis des bulletins de salaire de décembre pendant 13 mois en plus des royalties qu’il devait percevoir pour l’usage de sa marque, produisant un courriel en ce sens du 7 août 2014. M. [R] conteste avoir falsifié les bulletins de paie, et soutient au contraire avoir été embauché en qualité de directeur commercial, statut cadre au forfait (218 jours), coefficient 610, moyennant un salaire de base de 5.200 euros bruts par mois,

– M. [H] avait seul le pouvoir de décision en ce qu’il gérait les litiges prud’homaux, répondait au questions posées par le directeur des ventes Aquitaine,

pilotait les dossiers de vente et gérait les relations avec tous les salariés de l’entreprise y compris les salariés de l’agence Aquitaine,

– M. [H] lui donnait des directives notamment tout ce qui relevait du marketing, de la gestion des sites internet et du SAV, ce qui permet d’établir qu’il s’agissait d’un travail à temps plein (courriel du 9 octobre 2014), et fixait les directives sur les missions à réaliser concernant les nouveautés 2015,

– recevant son salaire partiellement et avec retard, il a signifié à la société son départ aux torts de l’employeur pour non paiement des salaires qui lui étaient dus.

La société, s’appuyant sur l’article L. 8221-6 3° du code du travail fait valoir l’application de la présomption légale de non salariat tirée de sa qualité de dirigeant de personnes morales inscrites au RCS, laquelle n’est pas renversée par M. [R], ce dernier ayant eu une activité totalement indépendante et ne pouvant prétendre à la reconnaissance du statut de salarié vis à vis de la société Groupe Carthage.

La société conteste avoir signé un contrat de travail avec M. [R], ou lui avoir édité des bulletins de paie, n’ayant jamais revendiqué la collaboration ‘salariée’ . Elle conteste tout travail qu’aurait effectué M. [R] pour la société Groupe Carthage ainsi que tout lien de subordination et soutient qu’il ne produit aucun élément permettant de renverser la présomption de salariat qui lui est attachée en sa qualité de président de la société Adn Global et directeur général de la société Sertec.

L’UNEDIC, délégation AGS CGEA de [Localité 5] conteste la présomption de salariat en l’absence de contrat de travail et de bulletins dont la véracité est contestée. Elle s’étonne de certaines incohérences portées sur ces bulletins de paie dans le cumul brut du 1er bulletin, dans la rémunération alléguée supérieure aux dispositions conventionnelles correspondant au coefficient dont il demande application, et de ce que M. [R] n’ait jamais demandé paiement du salaire après réception de ses bulletins de paie.

Elle soutient que M. [R] et M. [H] étaient en relations d’affaires comme étant gérants respectifs des sociétés Sertec et ADN Global et M. [R] percevant des redevances importantes au titre des contrats de licence souscrites avec la société Groupe Carthage. S’appuyant sur la propriété des actifs incorporels liés aux activités commerciales de la société Groupe Carthage, elle conteste tout lien de subordination, faisant valoir au contraire le rattachement de l’activité de M. [R] exerçant sous la marque Openbaie à la société Groupe Carthage (site internet, boutique mentionnée sur le site de la société, numéro de téléphone et adresse). Etant partenaire commercial via les marques déposées par lui et les sociétés qu’il gérait, elle relève qu’il était étranger à une qualité de salarié.

L’UNEDIC soutient que M. [R] était assimilé à la direction générale de la société Groupe Carthage, une salariée lui écrivant directement en sa qualité de ‘patron’ pour lui demander de respecter le paiement de son salaire à date régulière.

***

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

En l’absence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui s’en prévaut de rapporter la preuve qu’il a fourni un travail moyennant rémunération et dans le cadre d’un lien de subordination avec celui qu’il désigne comme son employeur.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un

employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements à son subordonné.

M. [R] qui ne produit que des bulletins de paie dont la validité est contestée par l’intimé, et en l’absence de contrat de travail, ni de lettre de licenciement ou de démission, il lui appartient de rapporter la preuve qu’il était sous un lien de salariat avec la société.

Au vu des pièces produites, la cour relève les éléments suivants :

M. [R] n’a jamais sollicité l’établissement d’un contrat de travail, ni du paiement du salaire qu’il revendique pendant la période entre décembre 2014 et décembre 2015. Le 1er bulletin de paie de décembre 2014 fait mention d’une rémunération brute de 5.200 euros mais porte mention en bas du bulletin d’un cumul brut de 20.800 euros, ne correspondant pas à la réalité, M. [R] ne soutenant pas avoir été embauché avant cette date. Comme le relève l’intimé, la mention du coefficient 610, coefficient IX sur les bulletins de paie correspond à la classification la plus élevée de la convention collective applicable en l’espèce.

M. [R] était mentionné dès le 22 janvier 2015 comme étant l’une des trois personnes habilitées à passer les commandes, avec notamment M. [H], dans un courrier portant l’entête de Capital Energies et Openbaie, marques détenues par M. [R], ce qui le plaçait au même rang que M. [H].

Le seul contrat attestant d’un lien juridique entre M. [R] et la société Carthage est le contrat de licence consentie pour l’usage de la marque Openbaie moyennant une redevance propositionnelle égale à 2% HT du chiffre d’affaires mensuel HT ainsi qu’une rémunération mensuelle fixe de 4.000 euros. M. [R] ne verse aucun document sur la manière dont il était rétribué pour l’usage de la marque Ecolonomia qui apparaît sur l’extrait Kbis comme une marque également utilisée par la société Carthage. Dans un courriel du 22 mars 2016, M. [H] lui rappelle qu’il a bénéficié d’une indemnisation de près de 40.000 euros pour la licence Openbaie ‘sans chiffre d’affaire en face’.

M. [R] ne produit ainsi aucun élément permettant de justifier du travail effectué en qualité de ‘directeur commercial’ mention portée sur le bulletin de paie.

M. [R] n’était soumis à aucun lien de subordination juridique par rapport à M. [H], gérant de la société Groupe Carthage, les nombreux échanges de courriels, de SMS ou d’appels téléphonique ne faisant que démontrer les liens entre ces deux personnes, qui d’une part étaient liées par des liens de co-gérance dans deux sociétés appartenant à la société Groupe Carthage dès juillet 2014, donc avant la date présumée d’embauche de M. [R] et d’autre part étaient liées par la gestion des marques créées par M. [R] et utilisées par la société Groupe Carthage dans son ensemble contre le versement de redevances. Il ne se déduit pas plus des extraits de courriels produits que des ordres étaient donnés par M. [H] à M. [R], ces échanges traduisant des discussions sur un pied d’égalité :

– dans le courriel du 14 août 2014, M. [H] lui fait part des avancées sur les différents dossiers de création des deux sociétés Sertec et Adn Global, dans d’autres courriels M. [R] n’est destinataire qu’en copie ou copie cachée, ne permettant pas d’établir de lien de subordination, mais au contraire de la nécessité de le tenir informé pour des questions dans lequelles il avait un intérêt commercial,

– le courriel du 16 juillet 2014 n’est pas adressé à M. [R] mais à un comptable, M. [R] étant en copie comme intéressé par le montage des sociétés, de même le courriel du 31 décembre 2014 où M. [R] n’apparaît qu’en copie d’un point dossiers ventes, les échanges se faisant directement entre M. [H] et M. [M], directeur régional des ventes Aquitaine,

– dans le courriel du 21 novembre 2014, M. [R] demande à M. [M] de réserver une salle pour ‘lancer le nouveau mois’, propos qui démontrent le rôle de manager de M. [R],

– le courriel du 7 août 2014 adressé à M. [R] évoque le projet de définition de la stratégie de lancement, ‘ci joint la projection de ce que j’avais imaginé pour le groupe.. Il y a des interactions entre différentes entités’ . Il apparaît bien être concerné par le projet général du groupe en sa qualité de co-gréant de deux ‘entités’ et de détenteur d’au moins deux des marques, mais pas au titre de directeur commercial,

Dans ce même courriel, M. [H] évoque d’ailleurs la possibilité qu’il ait un salaire de la société Adn Global dont il devait être le président, le même montage étant réalisé sur la société Sertec mais cette fois ci M [R] apparaissant directeur général et M. [H] président, lui permettant de percevoir une rémunération à ce titre,

– dans le courriel du 9 janvier 2016, M. [R] demande de supprimer les bibliothèques de Kits Autoconso somaire et Ballon Themo ballon isolation VMC, message cohérent avec sa responsabilité dans la communication internet notamment.

Trois courriels sont produits des 13 novembre 2015, 9 janvier 2016 et 17 janvier 2016, ce qui ne permet pas d’établir le lien de subordination de M. [R] à M. [H].

M. [R] ne produit aucun planning dont il aurait rendu compte à M. [H], ni de fixation de rendez-vous qui lui auraient été imposés. Il ne verse aucune demande de congés ni autorisation d’absence, démontrant ainsi la liberté d’action dont il bénéficiait dans l’exercice de ses missions et l’absence de contrôle opéré par la société.

Il ressort notamment du courriel entre M. [R] et M. [H] du 9 octobre 2014 que M. [R] ne travaillait pas à plein temps pour la société Groupe Carthage, puisqu’il pose les bases de la répartition des tâches et missions entre eux : M. [H] se positionnant sur la ‘1ère mission de recruter, former et encadrer les vendeurs’, qui’ serait une mission à plein temps’ : ‘il faut que JE sois plus efficace dans ce domaine (…) En clair, je dois gérer les contacts et la création des ventes, et je me débrouille de les faire poser et payer’. Sur la seconde partie, de service d’aide à la vente, des sites internet il rappelle que c’est M. [R] qui maîtrise le sujet. Ce travail que M. [H] évalue également à plein temps, par comparaison au sien ne concernait que les sociétés Sertec et Adn Gobal. Le ton du courriel n’est pas celui d’un supérieur hiérarchique à son salarié mais d’un échanges entre deux co-gérant qui ‘auto-critiquent le travail fait et non fait jusqu’à présent’.

Ainsi, les courriels produits par l’appelant au soutien du rôle important de M. [H] dans la société Carthage confirment l’absence de fonction dédiée de M. [R] soit en qualité de responsable des ventes de l’agence de [Localité 3], soit pour gérer les salariés de la société. Il s’agissait en réalité d’un partage des tâches entre les deux co-gérants, le premier responsable du personnel et des ventes et le second des marques, de l’informatique et des sites des sociétés.

Ainsi, le courriel du 17 décembre 2014 concerne la demande de modifier les sites Openbaie et capital énergie pro, marques appartenant à M. [R] et dans lequel il avait un intérêt financier.

Alors que M. [R] produit des courriels reçus par deux salariés en février 2016 demandant à leur employeur de les payer régulièrement, il apparaît qu’il a été destinataire du courriel au titre de ‘patron’ par [B] [S] et qu’il est avec M. [H] destinataire de celui de M. [L], salarié. Il est donc identifié comme employeur au même titre que M. [H]. Il apparaît du couriel du 11 juin 2015 adressé par M. [H] à un salarié licencié lui indiquant que M. [R] le recevrait à la date fixée pour restitution du matériel et documents et du courriel du même jour adressé à M. [R] lui demandant d’être présent sous cette formule ‘sois dispo du coup le 18 stp !’ , qu’aucun ordre n’était donné à M. [R] et qu’en qualité de co-gérant ils avaient réparti leurs rôles et fonctions. La même configuration se retrouve dans les échanges pour le recrutement de M. [X], à qui M. [H] indique par courriel le 25 juillet 2014 de prendre contact dès lundi avec M. [R], faisant de ce dernier la personne ressource employeur à contacter dès son arrivée au sein de la société.

Le courriel du 22 mars 2016 ne prend ni la forme ni le fond d’une lettre de licenciement pas plus d’un retour en réponse à une lettre de démission. Il fait état d’un échec de la relation commerciale, chacun reprenant ses affaires, M. [H] faisant le parallèle de la fin de leur collaboration avec un ‘divorce’.

Même si M. [R] conteste avoir signé les statuts de la société Sertec, il ne conteste pas en avoir été directeur général dans le montage fait en lien avec la société Adn Global où il était président et M. [H] directeur général.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [R] s’est toujours présenté comme co-gérant, qu’il ne démontre pas avoir effectué un travail distinct de cette cogérance et qu’il n’était soumis à aucun pouvoir de direction et de subordination, agissant librement, qu’il était lié à la société Groupe Carthage par des liens de commercialisation des marques dont il était détenteur et déposées à l’INPI.

M. [R] ne peut donc pas revendiquer la qualité de salarié, le jugement déféré sera confirmé en ce que la juridiction prud’homale est incompétente.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. [R], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’au paiement à la SARL Groupe Carthage de la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d’appel.

Sur la demande reconventionnelle

La société sollicite le paiement de la somme de 5.000 euros au titre du préjudice subi pour procédure abusive en application de l’article 21-1 du code de procédure civile.

M. [R] s’y oppose rapportant la preuve des faits à l’appui de la plainte pénale invoquée en première instance que M. [H] était au courant de l’existence de l’association Accent’up comme en ayant signé lors de l’assemblée générale constitutive le 21 décembre 2014, les statuts en qualité de membre fondateur et le transfert du siège social dans un local lui appartenant. Il indique que cette association était un prestataire pour le groupe Carthage qui mettait à sa disposition u local pour y effectuer des prestations de télémarketing.

Le droit d’agir en justice et d’exercer une voie de recours ne dégénère en abus qu’en cas de faute caractérisée par l’intention de nuire de son auteur, sa mauvaise foi ou sa légèreté blâmable, qui ne résultent pas du seul caractère infondé des prétentions formulées.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne M. [R] aux dépens ;

Condamne M. [R] à verser à la SARL Groupe Carthage – KNRJ la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d’appel,

Déclare la présente décision opposable à l’AGS-CGEA de [Localité 5] ainsi qu’à la SCP [Z] [V]& A. LAGEAT prise en la personne de Maître [Z] [V], ès qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SARL Groupe Carthage – KNRJ

Signé par Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard

 


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