Dirigeant de fait : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07339

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Dirigeant de fait : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07339
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07339 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCTAP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Septembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/06204

APPELANT

Monsieur [H] [X]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

INTIMEE

S.A. MIRABAUD & CIE (EUROPE) SA Prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

siège social du LUXEMBOURG : [Adresse 4]

[Localité 3]

siège social de [Localité 8]: [Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Sandrine LOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS Présidente de la chambre

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

La société Mirabaud & Cie (Europe) SA est une société de droit luxembourgeois ayant son siège au Luxembourg. Elle appartient au groupe bancaire suisse Mirabaud, lequel regroupe environ 700 collaborateurs dans le monde. Son activité principale est le conseil dans la gestion du patrimoine d’investisseurs privés ou institutionnels.

En France, Mirabaud était implantée sous la forme d’une société Mirabaud France SA, de droit français, laquelle a été radiée du registre du commerce en février 2015.

L’activité de la société Mirabaud France SA a été reprise par la succursale française de Mirabaud & Cie (Europe) SA, dénommée SA Mirabaud & Compagnie (Europe).

M. [H] [X] a été engagé par la société Mirabaud France SA, suivant contrat à durée indéterminée en date du 24 octobre 2006, en qualité de Gestionnaire Senior.

Le 30 octobre 2017, le salarié a été élu délégué du personnel.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale des activités de marchés financiers, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 17 786 euros.

Par courrier en date du 1er février 2019, reçu le 4 février suivant, M. [H] [X] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, dans les termes suivants :

“C’est avec un soulagement certain, mais une tristesse réelle, que je quitte ce soir Mirabaud après une longue collaboration qui, pendant 12 ans, a été heureuse et fructueuse.

Mais, peut-être parce que j’ai eu la mauvaise idée de me faire élire délégué du personnel, je subis des pressions qui pour moi constituent des manquements graves.

De même, malgré les réserves que j’ai pu émettre sur la dénonciation que vous m’avez fait tenir en novembre 2017, je relève que cette dernière porte atteinte à des éléments contractuels, ce qui constitue un autre manquement. (…)

Depuis 2017, percevant une véritable dégradation des relations de travail tant pour moi que pour les autres salariés de Mirabaud & Compagnie (Europe), j’ai décidé de me présenter aux élections professionnelles en qualité de délégué titulaire.

Mal m’en a pris, car j’ai été élu.

À compter de cette date, j’ai ressenti notamment de votre part, mais également de celle de [O] [Y] [T], dont je m’interroge encore sur le rôle qu’il a au sein de cette succursale, un climat de haine palpable à mon endroit.

Dois-je reprendre vos observations sur mon poids ‘

Est-il utile que je vous rappelle qu’alors que je vous faisais observer que les salariés craignaient que leurs mails ne soient épiés, vous avez mis en doute mon état de santé mentale.

Alors que vous m’avez envoyé à la médecine du travail afin que cette dernière vous rassure sur l’état de ma santé mentale, vous avez été contraint de reconnaître en réunion de délégués du personnel qu’effectivement sans que le personnel n’ait été informé [O] [Y] [T] s’était attribué une auto délégation sur les messageries de tous les collaborateurs lui permettant de contrôler tous les mails, sans qu’on ait aucune assurance sur le distinguo existant sur le caractère professionnel ou personnel de ces derniers.

Bien plus, malgré mon opposition, [O] [Y] [T] a maintenu cette auto délégation qui lui permettait de contrôler la nature des mails qui m’étaient adressés par les salariés en ma qualité de délégué du personnel, il en est d’ailleurs de même pour mes agendas.

Je tiens d’ailleurs à vous préciser que face à cette décision qui constitue, à mon sens, un délit d’entrave à l’exercice de ma fonction de délégué du personnel j’ai, pour prendre date, déposé une main courante et suis prêt, si besoin était, à donner, à votre encontre et à l’encontre de celui qui est dirigeant de fait de cette succursale, les suites judiciaires.

Durant toute cette période, j’ai fait l’objet de dénigrements, les salariés étant incités à surtout ne pas rentrer en contact avec moi.

Ce traitement, qui pour partie repose sur une discrimination, constitue un manquement grave justifiant la rupture de contrat de travail aux torts exclusifs.

Mais, il est un autre manquement, à savoir l’atteinte à mon contrat de travail, dont il semblerait que vous n’ayez pas lu les termes avant de procéder, le 2 novembre 2017 à la dénonciation d’un certain nombre d’usages.

Pour mémoire, l’article 8 sur le bonus annuel précise :

“le collaborateur percevra une prime annuelle de résultat dont le montant se montera à 0,1 % de la masse de clientèle apportée à la société depuis la date de son entrée en fonction …”

Cet article ne comporte aucune restriction ni quant au lieu de traitement de la clientèle apportée, ni quant à la nature de l’apport.

Ainsi, jusqu’à votre dénonciation du 2 novembre 2017, les actifs portés, qui pour une raison ou une autre, étaient déposés soit en Suisse où j’ai un nombre de clients, soit au Luxembourg, rentraient dans l’assiette de calcul de mon variable au titre, notamment, du ROA analytique.

Cette absence de limitation, notamment géographique, ne permettait donc pas, dans votre dénonciation du 2 novembre 2017, d’indiquer que ses revenus qui ne sont pas comptabilisés dans les livres de la succursale Mirabaud & Compagnie (Europe), mais dans ceux de Mirabaud en Suisse, n’entrent plus dans le calcul de mon variable.

Cette clientèle ayant été apportée par mes soins et étant traitée par Mirabaud en Suisse, au Luxembourg, doit entrer, déduction faite des frais générés auprès de ses filiales s’urs ou mère, dans le calcul de mon variable.

Votre dénonciation du 2 novembre va donc à l’encontre de mon contrat de travail, ce qui constitue un manquement grave.

Il en est de même pour ce que vous appelez l’usage relatif à la prise en compte dans le calcul de la prime annuelle d’actifs sous gestion confiés aux gérants qui ne sont pas le résultat d’apports personnels de ces derniers.

Cette notion d’apports personnels n’apparaît pas dans le contrat de travail, il est vrai que par la suite, probablement conscient de l’avantage qui m’avait été consenti contractuellement, vous avez modifié les termes des contrats de travail.

Mais, en ce qui concerne le contrat de travail que j’ai régularisé en 2006, il n’est fait aucune différence entre les apports personnels et ceux qui me sont apportés indirectement, notamment par l’intermédiaire d’apporteur d’affaires.

Il est d’ailleurs important de relever que les premiers PNB qui m’ont été remis confortent mon analyse du contrat de travail.

En fait, sous le couvert d’une dénonciation d’un usage qui, en ce qui me concerne, est un élément contractuel, vous avez purement et simplement réduit l’assiette de calcul du bonus pour diminuer le montant de ce dernier.

Pour ma part vous avez réussi puisque si je recalcule mon variable sur la base de mon contrat de travail, je constate une différence d’environ 47 000 € pour l’année 2018.

Or, pour pouvoir opérer cette modification de mon contrat de travail, vous auriez dû me la proposer, me laisser un délai de réflexion et recueillir un accord exprès de ma part, procédure dont vous vous êtes exonéré.

Je suis donc contraint de constater qu’en imposant cette modification de mon contrat de travail, vous avez délibérément porté atteinte à ce dernier et de fait engendrer sa rupture.”

Le 10 juillet 2019, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour voir dire que sa prise d’acte de rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul et pour solliciter des dommages-intérêts pour perte de chance du bénéfice du régime de retraite complémentaire.

Le 24 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :

– considère que la prise d’acte s’analyse comme une démission et en produit les effets

– condamne M. [H] [X] à verser à SA Mirabaud & Cie (Europe), succursale de Mirabaud & Cie (Europe) SA la somme de 25 000 euros au titre du préavis non effectué

Avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation jusqu’au jour du paiement

– le conseil considère le bonus contractuel dû par la SA Mirabaud & Cie (Europe), succursale de Mirabaud & Cie (Europe) SA et la condamne à payer à M. [H] [X] la somme de 47 000 euros à titre de rappel de bonus 2018

Avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation jusqu’au jour du paiement

– déboute M. [H] [X] du surplus de ses demandes

– déboute la SA Mirabaud & Cie (Europe), succursale de Mirabaud & Cie (Europe) SA du surplus de ses demandes reconventionnelles

– ordonne la compensation des sommes entre elles

– condamne M. [H] [X] et SA Mirabaud & Cie (Europe), succursale de Mirabaud & Cie (Europe) SA au partage des dépens.

Par déclaration du 30 octobre 2020, M. [H] [X] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification le 8 octobre 2020.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 30 décembre 2022, aux termes desquelles M. [H] [X], demande à la cour d’appel de :

– juger que Monsieur [X] était fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail

– juger que la prise d’acte du contrat de travail de Monsieur [X] constitue un licenciement

– juger que, compte tenu de la qualité de délégué du personnel de Monsieur [X], le licenciement est frappé de nullité

– condamner Mirabaud & Cie (Europe) au paiement des sommes suivantes :

* 37 500 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

* 3 750 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis

* 40 625 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

* 47 000 euros bruts à titre de rappel de bonus 2018 (à parfaire)

* 368 945 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

* 500 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance du bénéfice de l’article 39 du régime de retraite complémentaire

* 2 000 euros au titre de l’article 700

– confirmer la décision déférée en ce qu’elle a condamné Mirabaud & Cie (Europe) au paiement de 47 000 euros bruts à titre de rappel de bonus 2018

– juger que Monsieur [X] n’est redevable d’aucune indemnité compensatrice de préavis

– infirmer la décision déférée en ce qu’elle a condamné Monsieur [X] au

paiement de 25 000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– juger que Monsieur [X] n’a commis aucun acte déloyal

– confirmer la décision déférée en ce qu’elle a débouté Mirabaud & Cie (Europe) de sa

demande d’indemnisation au titre de la violation d’une obligation de loyauté

– débouter Mirabaud & Cie (Europe) de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de loyauté

– débouter Mirabeau & Cie (Europe) de toutes ses demandes.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 3 janvier 2023, aux termes desquelles la société de droit luxembourgeois Mirabaud & Cie (Europe) SA, prise en sa succursale en France, demande à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes du 24 Septembre 2020 sauf en ce qu’il a :

“- condamné la société Mirabaud & Cie (Europe) S.A au paiement de la somme de 47 000 euros au titre de rappel de bonus 2018,

– débouté la société Mirabaud & Cie (Europe) S.A du surplus de ses demandes reconventionnelles,

– condamné la société Mirabaud & Cie (Europe) S.A au partage des dépens”

Statuant à nouveau sur ces chefs de jugement infirmés

– débouter Monsieur [X] de ses demandes

– condamner Monsieur [X] à verser à la société Mirabaud & Cie (Europe) S.A la somme de 1 791 561 euros à titre de violation de l’obligation de loyauté

En toute hypothèse

– débouter Monsieur [X] de ses demandes, moyens, fins et conclusions

– condamner Monsieur [X] à verser à la société Mirabaud & Cie (Europe) S.A la somme de 25 000 euros au titre de l’inexécution de son préavis.

– condamner Monsieur [X] au versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

– condamner Monsieur [X] aux entiers dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 4 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur la modification unilatérale de la part variable

M. [H] [X] rapporte que l’article 8 de son contrat de travail prévoyait : “Le collaborateur percevra une prime annuelle de résultat dont le montant se montera à 0,1 % de la masse de clientèle apportée à la société depuis la date de son entrée en fonction, calculé au 30 novembre de chaque année sur la base des actifs sous gestion, pour autant que ceux-ci aient une rentabilité (ROA), moyenne de 1%. En cas de rentabilité inférieure, ce taux sera réduit en proportion”. Il ajoute que ce bonus était un élément important du contrat de travail dans la mesure où sa rémunération fixe, qui en octobre 2006, était de 12 500 euros, n’a pas évolué sur les 12 années de collaboration.

Mais, le 2 novembre 2017, l’employeur a entrepris de modifier le calcul de la rémunération variable pratiqué jusqu’à cette date, à effet sur l’exercice 2018, sous la forme d’une dénonciation individuelle d’usage (pièce 42), aux termes de laquelle, il était convenu que ne seraient plus pris en compte dans l’assiette du variable :

– les revenus qui ne sont pas comptabilisés dans les livres de la succursale de Mirabaud & Cie (Europe) SA, y compris ceux réalisés sur les OPCVM gérés par le groupe

– la rentabilité des actifs sous gestion confiés à un gérant qui ne sont pas le résultat d’apports personnels de ce dernier, alors même que la rentabilité desdits actifs est conservée.

Or, le salarié appelant affirme que par ce procédé l’employeur a contourné l’obligation légale qui lui était faite de recueillir l’accord exprès des salariés dès lors qu’il modifiait un élément substantiel du contrat de travail en ajoutant des restrictions et des conditions non prévues dans la clause sur la rémunération variable figurant au contrat de travail.

Ainsi, il n’était pas prévu que les seuls revenus analytiques des actifs pouvant être pris en compte pour le calcul de la part variable soient ceux comptabilisés dans les livres de la succursale française de Mirabeau & Cie et M. [H] [X] explique que certains des clients dont il gérait les actifs préféraient que leurs comptes soient ouverts au Luxembourg ou en Suisse, alors que le suivi de leur patrimoine était effectué à [Localité 8]. En outre, que les actifs soient comptabilisés au Luxembourg ou à [Localité 7], ils produisaient un revenu pour la société Mirabaud & Cie qui percevait les commissions.

De la même manière, il n’a jamais été prévu au contrat de travail de faire une distinction entre la clientèle apportée directement par le salarié et celle traitée dans le cadre d’un contrat avec un apporteur d’affaires. Preuve en est d’ailleurs que d’autres gérants se sont vu notifier une clause prévoyant que leur part variable serait calculée sur la clientèle apportée personnellement.

Estimant que la dénonciation du 2 novembre 2017 aurait nécessairement des conséquences sur le montant de sa rémunération variable M. [H] [X] a émis des réserves sur cette dénonciation et il a pu constater au début de l’année 2019 que ses inquiétudes étaient fondées puisqu’il a perçu un bonus de 61 641 euros au titre de l’exercice 2018, alors qu’il avait été de 204 182 euros en 2017, 163 249 euros en 2016, 157 383 euros en 2015 et 136 755 euros en 2014.

En conséquence, le salarié demande à ce qu’il soit jugé que l’employeur a procédé à une modification unilatérale de rémunération variable sans solliciter son accord, alors même qu’en sa qualité de délégué du personnel un simple changement dans ses conditions de travail doit être soumis à sa validation. Il sollicite, également, un rappel de part variable de 47 000 euros au titre de l’exercice 2018.

L’employeur répond qu’il a dénoncé dans les formes légales l’usage qui avait permis d’élargir l’assiette de la rémunération variable et, qu’à l’époque, le salarié ne s’est pas opposé à cette dénonciation. Il ajoute que les dispositions contractuelles relatives aux méthodes de calcul des bonus étaient particulièrement claires et qu’il était, notamment, précisé dans la clause de rémunération variable que l’assiette porterait “sur la masse de la clientèle apportée à la société” ce qui, pour l’employeur, ne peut se comprendre que comme une référence aux revenus de la société française, qui à la date de signature du contrat de travail était encore une société anonyme de droit français avant de devenir une simple succursale de la société luxembourgeoise.D’ailleurs, il est souligné que le salarié réclame une rémunération sur les actifs gérés et déposés à [Localité 7] et les OPCVM alors que le groupe Mirabaud dispose à [Localité 7] d’une société distincte de celle du Luxembourg, et que les OPCVM sont gérées par les sociétés Mirabaud Asset Management (en France et au Luxembourg) également distinctes, or, il n’a jamais été convenu que la rentabilité serait appréciée au niveau de toutes les sociétés du groupe. Enfin, l’employeur affirme que ,dès lors que que la gestion, en France, d’actifs placés à l’étranger, générait des commissions impactant la rentabilité de la succursale parisienne, ceux-ci était bien évidemment pris en compte dans le calcul de la rémunération variable du salarié.

Concernant la limitation aux seuls apports personnels, la société intimée rappelle que par un avenant n°1 signé le 24 octobre 2006, il était prévu qu’à compter du 1er janvier 2007, M. [H] [X] pourrait percevoir, “en sus de son bonus annuel tel que fixé dans le contrat de travail”, une prime de résultat supplémentaire, dite Bonus +, avec cette précision que le calcul du bonus devait d’effectuer sur la base des “apports personnellement réalisés par le collaborateur” (pièce 2 employeur). L’employeur considère, donc, que le contrat de travail n’a jamais prévu la possibilité de perception d’une prime sur les apports de clients réalisés par des tiers et que ce n’est qu’en raison d’un avantage concédé aux salariés, à titre d’usage, que les actifs présentés par d’autres apporteurs n’ont pas été déduits du calcul des rémunérations variables jusqu’en 2018.

La cour rappelle que dès lors que la rémunération variable constitue une prestation caractéristique prévue au contrat de travail, son objet, portant sur une somme d’argent doit être déterminable au stade de la formation du contrat, en fonction de critères objectifs le rendant indépendante de la seule volonté d’une des parties. De sorte que, lorsqu’un mode de calcul a été arrêté dès l’origine par des contractants, il ne peut pas être modifié sans un nouvel accord des parties sur ce point. En l’espèce, la clause relative à la rémunération variable prévue au contrat de travail n’a pas mentionné l’exclusion de l’assiette de calcul des revenus provenant des actifs présentés par des intermédiaires et pendant 10 ans l’employeur les a intégrés dans le calcul de la part variable du salarié. L’avenant n°1 du 24 octobre 2006, cité par l’employeur, qui prévoyait la limitation de l’assiette de calcul aux “apports personnellement réalisés par le collaborateur” portait sur d’autres bonus distincts du bonus annuel, ce qui tend, d’ailleurs, à démontrer que si l’employeur avait voulu restreindre l’assiette de la rémunération variable aux revenus générés par la clientèle personnellement apportée par le salarié, il l’aurait précisé comme pour les autres bonus.

En conséquence, il appert que par le biais d’une dénonciation d’usage l’employeur s’est livré à une modification des règles de calcul de la rémunération variable du salarié dans des conditions plus restrictives que celles prévues au contrat de travail et en s’exonérant du recueil obligatoire de l’accord exprès de M. [H] [X].

Il sera donc jugé que la société Mirabaud & Cie (Europe) SA s’est livrée à une modification unilatérale irrégulière de la rémunération du salarié et le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué au salarié une somme de 47 000 euros à titre de rappel de part variable sur l’exercice 2018 puisque l’employeur n’apporte aucun élément, ni ne propose de chiffre pour discuter cette somme.

2/ Sur la prise d’acte

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.

Il est rappelé que le courrier par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige, la juridiction doit examiner les manquements invoqués par le salarié même s’ils ne sont pas mentionnés dans ledit courrier.

M. [H] [X] fonde sa prise d’acte sur la modification unilatérale par l’employeur de sa rémunération variable ainsi que sur la dégradation de la relation contractuelle qu’il prétend avoir subie.

A cet égard, il soutient, qu’alors que la relation contractuelle s’était toujours déroulée harmonieusement, à compter de la fin de l’année 2017, alors qu’il venait d’être élu délégué du personnel, il a fait l’objet d’attaques à caractère personnel.

Ainsi, le 8 décembre 2017, il a reçu un mail de M. [U] [D], dirigeant de la succursale française, lui indiquant qu’il avait été destinataire d’observations d’une salariée à son égard, qui se plaignait d’avoir été interpellée sur sa tenue vestimentaire. Alors qu’il a immédiatement contesté cette accusation et demandé une confrontation avec son accusatrice et l’audition des salariés qui auraient été témoins des propos prononcés, rien n’a été fait et il n’a été avisé que deux mois plus tard que sa hiérarchie considérait qu’il devait être mis hors de cause et que l’incident était clos.

Il affirme avoir été l’objet d’une remarque désobligeante sur sa corpulence lors de la présentation des voeux pour la nouvelle année 2018.

En 2018, il a soupçonné des intrusions de l’employeur dans sa messagerie en raison de la modification de la visualisation de ses mails. Ayant interrogé l’employeur sur ce point, il lui a été conseillé de prendre rendez-vous avec la médecine du travail pour vérifier son aptitude professionnelle (pièce 17) alors qu’il est apparu par la suite, que M. [O] [Y] [T], salarié du groupe Mirabaud, avait une auto-délégation pour accéder à tous les agendas électroniques des salariés. M. [H] [X] avance que cette situation a porté atteinte à son mandat de représentant du personnel puisque l’employeur pouvait, ainsi, contrôler le nom des salariés qui prenaient rendez-vous avec lui.

Enfin, alors qu’il avait assisté un salarié, dans le cadre de son licenciement et qu’il avait adressé à l’employeur son compte-rendu de l’entretien préalable, il s’est vu prier de changer les termes de son rapport (pièces 12, 13-1 à 13-6).

Considérant que ces différents agissements constituent des manquements graves à l’égard d’un représentant du personnel, M. [H] [X] demande que sa prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produise les effets d’un licenciement nul.

L’employeur dément avoir été à l’origine d’une quelconque dégradation dans les conditions de travail du salarié et rapporte que l’essentiel des griefs formés par le salarié a fait l’objet d’une enquête interne à la suite de l’exercice par le salarié d’un droit d’alerte relatif au traitement singulier qu’il prétendait subir depuis son élection. Les investigations diligentées ont permis d’écarter l’existence de toute discrimination à l’égard du salarié. En effet, il est apparu qu’après avoir demandé au salarié de s’expliquer sur les accusations formées à son encontre par une de ses collègues en décembre 2017, celle-ci a été recontactée par l’employeur mais n’a pas donné suite à sa dénonciation ce qui a abouti à la mise hors de cause du salarié au terme d’une procédure contradictoire et dans un temps bref. Le dirigant de la succursale française mis en cause pour avoir dit au salarié “Tu as maigri”, ne se souvient pas avoir tenu ses propos, dont le caractère malveillant n’est pas établi.

L’enquête interne a permis d’écarter l’intrusion sur la messagerie des salariés (pièce 31) et si un salarié a pu avoir accès aux agendas professionnels de l’ensemble des employés de la société, cette prise d’information n’excède pas le pouvoir de contrôle de l’employeur sur l’activité de ses salariés.

Enfin, concernant la demande de modification d’un compte rendu d’entretien préalable, le dirigeant de la succursale contestant avoir tenu les propos qui lui ont été prêtés lors ce cet entretien, il a demandé, de manière cordiale, au salarié de rectifier son rapport sur ce point ce que le salarié a refusé de faire, comme il en avait le droit.

Mais surtout, la société intimée fait valoir que la prise d’acte du salarié dissimule une démission préparée et organisée en amont pour rejoindre une société concurrente Matignon Finances. En effet, L’employeur relate que sur 27 collaborateurs, elle a enregistré, en novembre 2018, le départ de deux assistantes, puis de deux ingénieurs patrimoniaux en janvier 2019 et des trois gérants seniors, dont M. [H] [X], qui ont pris acte de la rupture de leur contrat de travail, à la même date, à savoir le 1er février 2019. L’employeur souligne que ces prises d’acte étant intervenues de manière concomitante et, globalement, pour les mêmes griefs, c’est bien la preuve qu’elles ont été préparées en amont de manière à masquer le débauchage dont ces salariés ont fait l’objet par une société concurrente, qui a profité d’un transfert de clientèle à son profit.

En l’état de ces éléments, la cour observe que les agissements dénoncés par le salarié n’ont pas excédé le pouvoir de direction de l’employeur puisqu’il pouvait avoir accès aux agendas professionnels des salariés de la succursale ou contester les termes d’un compte-rendu d’un entretien préalable qui lui était adressé par un représentant du personnel. Les mesures prises par la société intimée à la suite de la dénonciation d’une salarié en décembre 2017, puis de l’exercice par le salarié de son droit d’alerte, ont été parfaitement adaptées. Enfin, il n’est pas démontré que le gérant de la société aurait volontairement tenu des propos injurieux à l’égard de l’appelant. Les griefs formées par le salarié de ces chefs seront donc écartés. En revanche, la modification unilatérale par l’employeur de la rémunération du salarié est un manquement suffisamment grave et actuel pour justifier sa prise d’acte de rupture du contrat de travail puisque ce n’est qu’au début de l’année 2019 que M. [H] [X] a pris connaissance du montant de sa part variable, considérablement réduite par rapport à celle perçue précédemment. Il sera donc jugé que la prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produit les effets d’un licenciement nul, eu égard à la qualité de salarié protégé de M. [H] [X]. Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [H] [X] de ses demandes de ce chef et en ce qu’il a alloué une somme de 25 000 euros à la société intimée au titre du préavis non effectué.

Au titre de l’indemnité pour licenciement nul, conformément à l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsqu’il est constaté que le licenciement est entaché par une des nullités prévues au deuxième alinéa de cet article, dont le harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il est en droit de revendiquer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Au regard de son âge à la date de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, 56 ans, de son ancienneté de 12 ans, du montant de la rémunération qui lui était versée, du fait que M. [H] [X] a immédiatement retrouvé un emploi dans le même domaine d’activité, il convient de lui allouer en réparation de son entier préjudice une somme de 106 716 euros.

Le salarié peut, également, légitimement prétendre aux sommes suivantes :

– 37 500 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (due pour trois mois aux termes de la convention collective applicable)

– 3 750 euros au titre des congés payés afférents

– 40 625 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

3/ Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de chance d’avoir une retraite sur-complémentaire

M. [H] [X] fait valoir qu’en raison de la rupture du contrat de travail, qui est totalement imputable à l’employeur il se trouve privé du bénéfice de l’article 39 du régime complémentaire de retraite qui lui aurait permis, s’il était resté en poste au moment de la liquidation de ses droits à la retraite de percevoir une rente substantielle d’environ 40 000 euros par an.

En conséquence, il sollicite une somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de bénéficier de cette rente.

La cour rappelle que la perte de chance implique la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable, en l’espèce le salarié étant encore éloigné du temps où il pourra prétendre au bénéfice de la retraite, il ne démontre pas qu’il pouvait raisonnablement affirmer qu’il aurait continué sa carrière au sein de la Mirabaud & Cie (Europe) SA pendant encore 9 ans alors que la rupture du contrat de travail est intervenue à son initiative, il convient, en conséquence, de le débouter de sa demande relative à ladite perte de chance au titre du supplément de retraite.

4/ Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts en raison du manquement à la loyauté

La société intimée indique qu’elle a constaté une parfaite concomitance entre le départ de l’appelant et des deux autres gérants séniors, pour être engagés par sa concurrente directe Matignon Finance et une vague massive de dénonciations de contrats au profit de cette dernière. S’agissant de M. [H] [X], pas moins de 200 clôtures, dénonciations et transferts de contrats ont été enregistrées pour un montant chiffré à plus de 117 095 462 d’euros d’encours.

Considérant que le salarié a violé les obligations d’exclusivité et de confidentialité prévues à son contrat de travail, la société Mirabaud & Cie (Europe) SA sollicite une somme de

1 791 561 euros à titre de dommages-intérêts.

Mais, ainsi que le relève le salarié, dès lors qu’il n’a jamais été prévu à son contrat de travail une clause de non-concurrence, il ne peut lui être reproché d’avoir exercé pour le compte d’une société concurrente, une activité identique à celle qu’il développait chez la société intimée. A défaut pour l’employeur d’établir que M. [H] [X] aurait commis, durant la relation contractuelle, des actes déloyaux visant à détourner la clientèle de cette société, c’est à bon escient que les premiers juges ont débouté la société Mirabaud & Cie (Europe) SA de sa demande de ce chef.

5/ Sur les autres demandes

La société Mirabaud & Cie (Europe) SA supportera les dépens de première instance et d’appel et sera condamnée à payer à M. [H] [X] une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :

– condamné la société la société Mirabaud & Cie (Europe) SA à payer à M. [H] [X] la somme de 47 000 euros à titre de rappel de bonus 2018,

– débouté M. [H] [X] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte de chance du bénéfice de l’article 39 du régime de retraite complémentaire

– débouté la société Mirabaud & Cie (Europe) SA de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts en raison du manquement à la loyauté,

L’infirme pour le surplus,

Dit que la prise d’acte de M. [H] [X] en date du 1er février 2019 est aux torts exclusifs de la société Mirabaud & Cie (Europe) SA et qu’elle produit les effets d’un licenciement nul,

Condamne la société Mirabaud & Cie (Europe) SA à payer à M. [H] [X] les sommes suivantes :

– 106 716 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– 37 500 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 3 750 euros au titre des congés payés afférents

– 40 625 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

– 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Mirabaud & Cie (Europe) SA aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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