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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4IA
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MAI 2023
N° RG 22/06770 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VQJP
AFFAIRE :
[B]
….
C/
S.E.L.A.R.L. [Y]
….
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Octobre 2022 par le TJ de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 22/00024
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Dan ZERHAT
Me Eric REBOUL
MP
TJ PONTOISE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [U], [F] [B]
né le [Date naissance 5] 1953 à [Localité 9] (ALGERIE)
[Adresse 4]
[Localité 7]
Monsieur [E] [D]
né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 10] (ALGERIE)
domicilié chez [K] [D] [Adresse 2] (ISRAEL)
Représentant : Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 – N° du dossier 22078186
Représentant : Me Jean-Marc BENHAMOU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0849
APPELANTS
****************
S.E.L.A.R.L. [Y] ès qualités de liquidateur judiciaire de l’association APPRENDRE AUTREMENT
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Eric REBOUL de la SCP MARGUET-LE BRIZAULT-REBOUL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 726
LE PROCUREUR GENERAL
POLE ECOFI – COUR D’APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 6]
[Localité 11]
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,chargé du rapport, et Madame Delphine BONNET, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l’avis du 13/01/2023 a été transmis le 18/01/2023 au greffe par la voie électronique.
L’association Apprendre autrement, constituée en vue d’exercer l’activité d’école privée confessionnelle, a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 2 juillet 2019, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 18 juin 2019.
M. [E] [D] exerçait les fonctions de président de l’association tandis que M. [U] [B], était le directeur de l’établissement scolaire.
Par actes du 11 mai 2022, la Selarl [Y], prise en la personne de maître [S] [L] [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de l’association Apprendre autrement, a assigné MM. [D] et [B] aux fins de les voir condamner solidairement à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif constatée dans le cadre de la liquidation judiciaire de l’association outre une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement réputé contradictoire assorti de l’exécution provisoire du 18 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Pontoise, après avoir ordonné la jonction des procédures n° 22/00024 et 22/00025, a :
– condamné in solidum MM. [D] et [B] à payer à la société [Y], ès qualités, la somme de 184888,04 euros au titre de l’insuffisance d’actif constatée dans le cadre de la liquidation judiciaire de l’association Apprendre autrement outre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum MM. [D] et [B] aux entiers dépens.
Le tribunal, qui a considéré que tous les actes de gestion effectués par M. [B] le font apparaître comme un dirigeant de fait de l’entreprise, a retenu à l’encontre de ce dernier et du dirigeant de droit :
– le non paiement des dettes sociales ;
– la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire.
Par déclaration en date du 9 novembre 2022, MM. [B] et [D] ont interjeté appel du jugement.
Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 24 février 2023, ils demandent à la cour de :
– les juger recevables et bien fondés en leur appel ;
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
– juger que M. [B] n’a jamais occupé les fonctions de dirigeant de fait de l’association Apprendre autrement et que ses actions n’ont pas excédé celles tirées de l’exercice normal de son contrat de travail en qualité de directeur ;
– juger que la société [Y], ès qualités, ne justifie ni de la faute de gestion, ni du lien de causalité entre celle-ci et l’insuffisance d’actif ;
– juger que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut être valablement actionnée à l’encontre de M. [D], président bénévole d’une association régie par la loi de 1901 ;
– condamner la société [Y], ès qualités à leur verser à chacun la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société [Y], ès qualités, aux entiers dépens d’instance.
La société [Y], ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 3 janvier 2023, demande à la cour de :
– déclarer MM. [D] et [B] recevables mais mal fondés en leur appel ;
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
– condamner MM. [D] et [B] à lui payer chacun la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Dans son avis notifié par RPVA le 18 janvier 2023, le ministère public demande à la cour d’infirmer partiellement le jugement au motif qu’aucun élément univoque ne permet de rapporter la preuve de ce que M. [B] aurait accompli des actes de gestion et de direction en toute indépendance de sorte que celui-ci ne peut être qualifié de dirigeant de fait ; il expose qu’en effet, en tant que directeur pédagogique, celui-ci exerçait des fonctions certes importantes, mais inhérentes à son poste, comme le recrutement des professeurs. Il considère que la gestion et la direction administrative et financière de l’association étaient bien exercées par M. [D].
Le ministère public poursuit en indiquant que la responsabilité de M. [D] est engagée compte tenu des fautes de gestion qui lui sont reprochées et qui sont caractérisées, la simple négligence ne pouvant être invoquée compte tenu du temps pendant lequel elles ont été commises.
Enfin, il s’en remet à la sagesse de la cour quant au quantum du montant de l’insuffisance d’actif à faire supporter à M. [D] en appelant son attention sur le fait que ce dernier exerçait les fonctions de président de l’association en tant que bénévole.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Aucun moyen n’étant soulevé ou susceptible d’être relevé d’office, il convient de déclarer l’appel de MM. [B] et [D] recevable.
Sur la gestion de fait de M. [B] :
Les appelants font valoir que M. [B] qui était exclusivement salarié de l’association ne détenait pas le moindre pouvoir de gestion au nom et pour le compte de M. [D] excédant celui propre à son poste de directeur pédagogique de l’école, en lien avec les parents d’élèves, le rectorat, les enseignants, les élèves et le personnel encadrant ces derniers, observant que les attestations produites démontrent les qualités humaines, de pédagogie, d’accompagnement, de sérieux et de professionnalisme du directeur dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Il est précisé qu’il était en charge de l’animation, de l’organisation pédagogique et éducative de l’école en relation avec les administrations académiques mais qu’il n’était pas en lien avec les donateurs, n’organisait pas le gala, ne contactait ni l’Urssaf ni les administrations publiques, ne gérait pas les subventions publiques et ne faisait aucun acte matériel pouvant excéder ses fonctions salariales.
Les appelants qui contestent les éléments invoqués par le liquidateur judiciaire observent notamment que celui-ci affirme sans le démontrer queM. [B] aurait été le véritable ‘instigateur’ de l’association alors qu’il n’est pas à l’initiative de sa création et que l’intimée ne justifie pas de la réalité de la procuration et de la délégation de signature que M. [B] aurait eues sur le compte et dont il indique n’avoir ‘aucun souvenir’; qu’une telle délégation de signature, en tout état de cause, ne suffit pas à elle seule à caractériser la gérance de fait ; que l’affirmation selon laquelle M. [B] procédait à la signature de la totalité des contrats de travail est vaine dans la mesure où ils produisent des contrats de travail signé par M. [D], soulignant qu’un directeur pédagogique dispose de toutes les qualités pour recruter et embaucher un professeur, indépendamment de toute qualification de dirigeant de fait. Ils ajoutent que le fait qu’il aurait déjà exercé des fonctions de direction dans une précédente association démontre uniquement son expérience et qu’il ne peut être tiré aucune conclusion ni du mandat qu’il a donné à un avocat pour assurer la défense de l’association devant le conseil de prud’hommes dès lors qu’il s’agit d’un acte de gestion courante et qu’il était personnellement mis en cause par le salarié, M. [D] lui ayant laissé toute latitude sur le suivi de ce dossier, ni davantage du fait qu’il se soit désigné comme dirigeant de l’école dans un courrier adressé au rectorat, au regard de son pouvoir de direction et de contrôle des professeurs vis-à-vis du rectorat en sa qualité de directeur pédagogique. Rappelant les éléments exigés par la jurisprudence pour caractériser la gestion de fait, les appelants concluent à l’infirmation du jugement de ce chef dès lors que M. [B] ‘s’en retournait systématiquement auprès de M. [D] qui avait seul le pouvoir décisionnaire et directionnel de l’association’ et qui a lui-même assuré avoir été seul ‘aux commandes de l’association’.
La Selarl [Y], ès qualités, fait valoir qu’il existe un faisceau d’indices permettant de considérer que M. [B] a effectué des actes de gestion en toute indépendance ; le liquidateur judiciaire expose ainsi que d’après les déclarations de la secrétaire de l’association, le président, compte tenu de son âge, n’intervenait plus dans la gestion courante de l’entreprise, ce qui ‘semble’ corroboré au vu des pièces communiquées par les appelants dans lesquelles la signature du président n’apparaît que de manière exceptionnelle ; que M. [B], qui occupait la fonction officielle de chef d’établissement, assurait la direction effective de l’association dès lors qu’il détenait la signature sur le compte bancaire, comme confirmé par M. [D] dans le courrier que ce dernier lui a adressé le 2 octobre 2019, qu’il procédait à la signature de nombreux contrats de travail, observant que la plupart des contrats de travail communiqués par les appelants ont été signés au début de l’activité de l’association par M. [G] à une époque où M. [B] n’était pas encore directeur de l’école et qu’aucun des contrats communiqués ne semble avoir été signé par M. [D] ; que M. [B] a en outre signé de son propre chef une convention d’honoraires avec un avocat dans une procédure dans laquelle l’association était impliquée et qu’à l’occasion de chacune de ces opérations, il est intervenu comme représentant de l’association et non comme délégataire d’un pouvoir du président. L’intimée ajoute que d’ailleurs le CGEA a refusé de le prendre en charge du fait de son incapacité à prouver son lien de subordination, décision que M. [B] n’a jamais remise en cause.
La direction de fait d’une personne morale suppose de démontrer l’exercice en toute indépendance d’une activité positive de gestion ou de direction ; la preuve en incombe au demandeur à l’action en responsabilité, soit en l’espèce au liquidateur judiciaire de l’association.
D’après son contrat de travail, daté du 1er septembre 2009, M. [B] a été embauché en qualité de directeur, y étant précisé que son domaine d’action était orienté sur la pédagogie, l’éducation et les contraintes organisationnelles ; si la fiche de poste détaillant ses missions n’est pas versée aux débats, il ressort des attestations de quatre enseignants de l’établissement que M. [B] était très impliqué dans son rôle pédagogique de direction, de coordination et d’animation tant auprès de l’équipe enseignante que des élèves et parents d’élèves. Etant observé que dans le cadre de ses fonctions salariées, M. [B] avait nécessairement des contacts réguliers avec l’académie, il ne peut être tiré aucune conclusion opérante de l’envoi par celui-ci à l’académie de [Localité 11], le 3 septembre 2019 alors que la procédure collective était déjà ouverte, d’un mail dans lequel il indique ‘diriger l’école’, ce qui résultait de sa mission salariée de direction.
Les trois contrats de travail signés par M. [B], dans lesquels il est mentionné que l’association Apprendre autrement ‘dénommée l’employeur’ est ‘représentée’ par ce dernier, que le liquidateur judiciaire verse aux débats, sont signés sur une période restreinte au cours de l’été 2015 et pour embaucher trois enseignants, lesquels rejoignait l’équipe pédagogique que M. [B] était en charge d’animer en sa qualité de directeur.
En outre, s’il est exact que plusieurs des contrats de travail versés aux débats par les appelants ont été signés antérieurement à l’embauche de M. [B] de sorte que leur communication est inopérante, les appelants produisent cependant quatre autres contrats de travail, établis alors que ce dernier était en poste; il n’y est pas mentionné que l’association est représentée par M. [B], étant précisé que la signature de la personne représentant l’employeur figurant sur trois de ces contrats, si elle n’est pas identifiable, n’est pas identique à celle de M. [B] et que l’une des salariées embauchée selon l’un de ces contrats signé le 1er septembre 2017, Mme [M], indique, dans l’attestation communiquée sous la pièce 3 des appelants, avoir été embauchée par le président de l’association.
Il ressort effectivement de la lettre écrite par M. [D] le 2 octobre 2019 à maître [L] [Y] que celui-ci y déclare avoir demandé à M. [B] ‘d’accepter la signature sur le compte bancaire pour les petits frais quotidiens et subséquents aux cas d’urgence’ et que celui-ci ‘ a bien voulu l’assumer’ ; toutefois, le président y mentionne aussi que cette délégation s’est opérée sous son entière responsabilité et que ‘cela constituait des dépenses négligeables au regard des transactions réalisées par virement ou par prélèvement (…) mis en place de manière automatique’.
Si le liquidateur judiciaire explique avoir compris des explications de la secrétaire de l’association que M. [D] n’intervenait plus dans la gestion courante de l’association, celle-ci, dans une attestation du 20 novembre 2022 dont la force probante n’est pas plus discutée que les précédentes par le liquidateur judiciaire, y fait état au contraire de l’implication du président dans la bonne gestion de l’école dont il a cherché à améliorer le fonctionnement sur le plan matériel et dans la recherche de fonds, en particulier lors du gala annuel en expliquant avoir uniquement informé le liquidateur judiciaire de la fatigue de ce dernier lors de la cessation d’activité ; il ressort d’ailleurs de la lettre que M. [D] a adressée au liquidateur le 23 juillet 2019 que c’est à compter de la date de cessation des paiements que ce dernier a laissé la secrétaire ‘s’occuper des démarches’ tout en restant en étroite relation avec elle ‘pour les mener’ comme il se doit. Une autre salariée, Mme [W], également mère d’élèves scolarisés dans l’établissement exploité par l’association, confirme dans son attestation du 15 septembre 2022 l’intervention ‘de façon très active’ de M. [D] dans l’amélioration de l’école sur le plan matériel et que l’organisation du gala se faisait ‘sous l’égide ‘ de ce dernier , celle-ci évoquant la responsabilité de M. [B] uniquement sur le plan pédagogique.
Enfin la lettre de mission donnée à un avocat, ‘dans le cadre d’une action devant le conseil de prud’hommes entreprise par une employée relative à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail’, si elle a été uniquement signée par M. [B], concernait non seulement l’association mais aussi ce dernier.
Dans ces circonstances, au regard de ces indices qui ne sont pas suffisamment précis et de la fonction salariée de direction exercée par M. [B], la cour considère que la démonstration n’est pas faite de la gestion de fait, assurée en toute autonomie et indépendance par ce dernier, peu important que le CGEA, dont la décision ne lie pas la cour dans le cadre de l’examen de la responsabilité pour insuffisance d’actif, ait considéré que la preuve du lien de subordination de M. [B] avec l’association n’était pas rapportée.
Il convient par conséquent d’infirmer le jugement sur ce point.
Sur les fautes de gestion reprochées à M. [D] :
Les appelants rappellent les conditions d’application de la sanction pécuniaire prévue à l’article L.651-2 du code de commerce en soulignant notamment la nécessité de prouver le lien de causalité entre les fautes reprochées et l’insuffisance d’actif qui doit être appréciée au regard des seules dettes antérieures au jugement d’ouverture, l’absence de responsabilité du dirigeant ayant simplement fait preuve de négligence et le fait que, concernant une association, la faute de gestion du dirigeant est appréciée au regard de sa qualité de bénévole. Ils soutiennent que le liquidateur judiciaire ne démontre pas le lien de causalité des fautes avec l’insuffisance d’actif alors que M. [D] qui prouve s’être utilement préoccupé du développement de l’association, de sa gestion effective, de son administration et de son organisation, établit aussi ‘l’absence de toute faute de gestion caractérisée’ et ‘de toute démonstration du lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif’ ainsi que le caractère bénévole de son mandat de président de l’association. Il est enfin fait état des circonstances à l’origine des difficultés de l’association, en particulier l’effet ‘catastrophique’ de la suppression des contrats aidés qui s’est fait ressentir dès la rentrée de septembre 2018, laquelle s’est doublée de la diminution des effectifs puis de l’échec de la collecte de fonds lors du gala annuel 2018/2019 dont les résultats n’avaient rien à voir avec ceux des années précédentes et enfin du refus de l’Urssaf d’accorder un échelonnement de la dette sociale sur plus de dix-huit mois.
Le liquidateur judiciaire qui précise que l’insuffisance d’actif de l’association Apprendre autrement s’établit à la somme de 184 888,04 euros, fait valoir que si l’on excepte la créance considérable du CGEA, le passif est essentiellement constitué de dettes sociales de l’Urssaf et de B2V dont les cotisations sont demeurées impayées pendant près d’un an, respectivement à compter de juin 2018 et septembre 2018, alors même que les appelants reconnaissent que la rentrée de l’année 2017-2018 qui ne permettait pas de reconstituer la trésorerie se présentait très défavorablement ; il observe que l’importance de ces créances démontre que l’association avait conservé un personnel hors de proportion avec son activité prévisionnelle et qu’il n’est communiqué aucun document prouvant l’existence du moratoire avec l’Urssaf évoqué par les appelants.
Il précise, s’agissant de la seconde faute de gestion, que l’examen des comptes de résultat des trois derniers exercices, tous déficitaires, démontre à l’évidence que l’association n’était pas en mesure de faire face à ses charges d’exploitation du fait de la baisse importante de son activité qui n’a pu être poursuivie que par un financement artificiel résultant du non règlement des dettes sociales alors que les dirigeants auraient dû tirer les conclusions qui s’imposaient au vu de l’évolution de la législation et des participations de la communauté et notamment rechercher de nouveaux fonds propres pour compenser les pertes d’exploitation dès lors que l’activité courante était en nette régression; il observe que les appelants restent taisants sur l’attitude qu’ils ont adoptée face à la dégradation continue de la situation financière de l’association de sorte que ce grief est également fondé.
Soulignant que ces fautes sont à l’origine de l’insuffisance d’actif, il sollicite la confirmation du jugement, indiquant aussi qu’il ne peut être déduit de l’article L.651-2 du code de commerce qu’aucune sanction ne puisse être appliquée au regard de la qualité de bénévole du dirigeant dont il relève qu’elle n’est de surcroît pas prouvée.
L’article L.651-2 du code de commerce dispose notamment que lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, peut décider que son montant sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.
Enfin, lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association et non assujettie à l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l’article 206 du code général des impôts, le tribunal apprécie l’existence d’une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant.
L’insuffisance d’actif est égale à la différence entre le montant du passif antérieur au jugement d’ouverture et admis définitivement et le montant de l’actif réalisé de la personne morale débitrice. Elle s’apprécie à la date à laquelle le juge statue.
D’après la liste des créances communiquée par le liquidateur judiciaire, le passif qui n’est pas discuté, d’un montant total de 283 644,41 euros comme justifié par le liquidateur, est notamment composé des créances déclarées par le CGEA dont le détail, en dehors de leur répartition entre créances superprivilégiées (117 650,28 euros), privilégiées (38 953,37 euros) et chirographaires (1 301,26 euros), n’est pas fourni.
Il est mentionné sur les comptes adressés par M. [D] au liquidateur judiciaire qu’il s’agit d’un ‘état comptable sans règlement des salaires de juin 2019’, étant précisé en page 5 des conclusions des appelants que les salaires ont été payés jusqu’en mai 2019 inclus. L’absence de toute déclaration détaillée ne permet pas toutefois d’évaluer, dans la créance déclarée par le CGEA à titre superprivilégié, le montant correspondant aux salaires des soixante jours précédant le jugement de liquidation judiciaire versés par ce dernier aux vingt-six salariés de l’association, alors que dans le même temps sa créance comprend aussi les indemnités versées suite à leur licenciement consécutif à la liquidation judiciaire.
Par conséquent, les créances super privilégiées du CGEA seront écartées de l’évaluation du passif retenu au titre de l’insuffisance d’actif.
Le passif s’évalue ainsi à 165 994,13 euros ; l’actif réalisé étant de 98 756,37 euros d’après les conclusions du liquidateur judiciaire, l’insuffisance d’actif s’établit donc à 67 237,76 euros.
Sur les fautes de gestion :
M. [D], qui était âgé de 73 ans à l’ouverture de la procédure collective, indique avoir exercé ses fonctions de président de l’association à titre bénévole. Etant observé que le président d’une association organisée selon le régime de la loi de 1901 est en principe un bénévole, le liquidateur judiciaire, qui ne communique pas les statuts de l’association, n’établit pas que M. [D] aurait perçu une rémunération, notamment dans les conditions de la tolérance admise par l’administration fiscale à hauteur d’une somme correspondant à trois-quarts du montant du SMIC.
Dans ces conditions, l’existence des fautes de gestion reprochées à M. [D] doit être appréciée au regard de sa qualité de bénévole.
Sur le non paiement des dettes sociales :
Il ressort des déclarations de créance de l’Urssaf et de B2V gestion, communiquées par l’intimée, que ces créanciers ont déclaré respectivement une créance d’un montant total de 86 768,11 euros correspondant aux cotisations impayées du mois de juin 2018 au mois d’avril 2019 et de 21 695 euros correspondant aux cotisations Agirc-Arrco du 1er octobre 2018 au 2 juillet 2019.
Il n’est pas communiqué le moratoire que l’Urssaf aurait accordé à l’association et que M. [D] dit avoir respecté jusqu’en mai 2019 de sorte qu’il doit être considéré qu’à compter du mois de juin 2018, les cotisations sociales pour le personnel employé par l’association sont demeurées impayées alors que celle-ci a poursuivi son activité, la déclaration des paiements n’étant intervenue que le 18 juin 2019.
Il ne peut s’agir d’une simple négligence du dirigeant, compte tenu de la persistance et du montant de ces cotisations impayées et le fait qu’il ait été bénévole ne permet pas, compte tenu du non paiement caractérisé de ces cotisations, d’écarter cette faute de gestion.
Celle-ci, compte-tenu de l’augmentation du passif qui en est résultée, a nécessairement contribué à l’augmentation de l’insuffisance d’actif.
Sur la poursuite d’une activité déficitaire :
L’examen des comptes transmis par M. [D] au liquidateur judiciaire, qui ont été établis, comme il l’a précisé dans la lettre du 23 juillet 2019 adressée à ce dernier, sur des ‘tableaux Exel’ mentionnant les ‘entrées et les sorties’, fait état de la persistance d’un résultat déficitaire sur les derniers ‘exercices’ : il est ainsi fait état d’un déficit de 122 175 euros pour ‘2016/2017’, de 51 604 euros pour ‘2017/2018’ et de 16 791 euros pour ‘2018/2019’.
Si ces pertes ont diminué, les comptes démontrant qu’effectivement des ‘compressions’ de personnel ont été menées par l’association, les charges salariales passsant de 491 492 euros sur 2016/2017 à 410 372 euros l’année suivante puis à 230 090 euros la dernière année, ces mesures n’ont pu permettre le redressement de l’activité alors que dans le même temps les aides à l’emploi dont bénéficiait l’association ont sérieusement diminué du premier au deuxième exercice avant de disparaître l’année suivante (132 370 euros en 2016/2017 et 43 500 euros en 2017/2018), le dirigeant ayant évoqué la disparition des contrats aidés par l’Etat suite à une loi de septembre 2017. M. [D] n’ignorait pas en outre que la diminution constante des effectifs des élèves sur cette période (309, puis 243 et enfin 197 élèves la dernière année) comme il l’a précisé dans la lettre précitée adressée au liquidateur judiciaire, avait pour conséquence de moindres recettes de frais de scolarité et nécessitait de trouver d’autres sources de financement, d’autant qu’il avait pu constater la diminution importante des subventions entre 2016/2017 et l’année suivante, celles-ci étant passées de 357 364 euros à 150 877 euros, cette diminution s’ajoutant à la baisse puis à la disparition des aides à l’emploi.
Dans ces circonstances, la poursuite de l’activité déficitaire dès l’année 2017/2018 et encore plus l’année suivante alors même que la diminution des sources de financement s’aggravait et que les charges n’étaient pas suffisamment réduites, constitue une faute de gestion qui ne peut s’analyser en une négligence et qui ne peut être écartée au motif que M. [D] ait été bénévole ; elle a contribué à l’insuffisance d’actif dès lors que de nouvelles dettes sont nées à compter du mois de juin 2018 et que l’actif n’a pas été suffisamment renforcé pour en permettre le paiement.
Sur la sanction :
La sanction doit être proportionnée à la gravité des fautes de gestion commises et à la situation du dirigeant.
M. [D], âgé de 76 ans, est retraité ; compte tenu du montant de l’insuffisance d’actif et du caractère bénévole de son mandat, il convient, infirmant le jugement, de le condamner à verser à la Selarl [Y], ès qualités, au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif, la somme de 15 000 euros.
Compte tenu du sens du présent arrêt et de la situation respective des parties, l’intimée intervenant dans le cadre de son mandat de liquidateur judiciaire de l’association, il n’y a pas lieu en appel de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Déclare l’appel de MM. [U] [B] et [E] [D] recevable ;
Infirme le jugement du 18 octobre 2022 sauf en ce qu’il a condamné M. [E] [D] au paiement des dépens et de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
Dit que M. [U] [B] n’était pas dirigeant de fait de l’association Apprendre autrement ;
Rejette les demandes formées à son encontre ;
Condamne M. [E] [D] à payer à la Selarl [Y], en qualité de liquidateur judiciaire de l’association Apprendre autrement, la somme de 15 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif ;
Rejette en appel les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [E] [D] aux dépens de la procédure d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller faisant fonction de Président,