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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4IA
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 SEPTEMBRE 2023
N° RG 22/07512
N° Portalis DBV3-V-B7G-VSFW
AFFAIRE :
[T] [X]
C/
S.E.L.A.F.A. MJA
LE PROCUREUR GENERAL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Novembre 2022 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2021L01571
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Isabelle PORTET
Me Victor RANIERI
MP
TC VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [T] [X]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 13]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Isabelle PORTET, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 484
Représentant : Me James CHOURAQUI de la SCP CHOURAQUI QUATREMAIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0170
APPELANT
****************
S.E.L.A.F.A. MJA mission conduite par Me [F] ès qualités de liquidateur de la société PROCO FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Victor RANIERI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1702
LE PROCUREUR GENERAL
POLE ECOFI – COUR D’APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 5]
[Localité 7]
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Mai 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, et Madame Delphine BONNET, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l’avis du 26/01/2023 a été transmis le 13/03/2023 au greffe par la voie électronique.
M. [T] [X], désigné au cours de l’assemblée générale des associés du 9 février 2015, a été le gérant de la Sarl Proco France qui, depuis avril 2010, exerçait notamment une activité de transport routier de marchandises en zone nationale et internationale.
A compter de la démission de M. [X] le 13 novembre 2017, M. [D] [R] a été désigné pour lui succéder ; à la suite de la démission de ce dernier, M. [C] [P] a été désigné en qualité de gérant, fonctions qu’il a exercées à compter de l’assemblée générale extraordinaire du 15 septembre 2018 jusqu’à l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société Proco France, par jugement du 20 décembre 2018 du tribunal de commerce de Versailles qui a fixé la date de cessation des paiements au 1er septembre 2018 et désigné la Selafa MJA, prise en la personne de maître [H] [F], en qualité de liquidateur judiciaire.
La Selafa MJA, ès qualités, considérant que plusieurs fautes de gestion justifiaient l’application de sanctions pécuniaires à l’encontre des dirigeants successifs, MM. [X], [R] et [P], les a assignés par actes des 16 et 17 décembre 2021 devant le tribunal de commerce de Versailles lequel, par jugement réputé contradictoire du 29 novembre 2022, a :
– constaté l’absence de M. [P] ;
– débouté M. [X] de sa demande d’écarter la pièce 35 versée aux débats par la société MJA, ès qualités;
– dit que M. [X] a été gérant de fait de la société Proco France depuis le 13 novembre 2017 jusqu’à l’ouverture de la liquidation judiciaire ;
– condamné MM.[X], [R] et [P] à payer respectivement les sommes de 100 000 euros, 10000 euros et 70 000 euros à la société MJA, ès qualités, pour être affectées à l’apurement de l’insuffisance d’actif de la société Proco France ;
– dit que ces montants porteront intérêt au taux légal à compter du 17 décembre 2021 ;
– ordonné la capitalisation des intérêts suivant les dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;
– condamné MM. [X], [R] et [P] à payer chacun 1 000 euros à la société MJA, ès qualités, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné solidairement MM. [X], [R] et [P] aux dépens.
Le tribunal qui a considéré qu’un faisceau d’indices caractérisait la gérance de fait de M. [X] a retenu à l’encontre des trois dirigeants successifs :
– le caractère incomplet et irrégulier de la comptabilité,
– le détournement ou la dissimulation d’éléments d’actif (matériel de transport),
– la poursuite abusive de l’activité déficitaire ayant contribué à l’augmentation de l’insuffisance d’actif.
Par déclaration en date du 14 décembre 2022, M. [X] a interjeté appel partiel du jugement.
Par ordonnance d’incident en date du 12 avril 2023, le magistrat délégué, après avoir dit que la demande de rectification de l’erreur matérielle ou de l’omission de statuer ne ressort pas du pouvoir juridictionnel du président de la chambre ou des conseillers désignés par le premier président, a notamment débouté la Selafa MJA, ès qualités, de sa demande de radiation.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 mai 2023, M. [X] demande à la cour de :
– le déclarer recevable en son appel ;
Ce faisant,
– le dire bien fondé ;
– débouter la Selafa MJA, ès qualités, de son appel incident et de l’intégralité de ses demandes ;
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Ce faisant,
– écarter la pièce n°35 (devenue pièce n°20 en appel) comme étant non probante ;
– dire et juger qu’il n’a pas été gérant de fait de la société Proco France après le 13 novembre 2017 ;
– dire et juger que rien ne démontre sa responsabilité dans le caractère incomplet et irrégulier de la comptabilité de la société Proco France, dans le détournement des actifs de cette société, et, dans la poursuite abusive de l’exploitation ;
Si par extraordinaire la cour le condamnait à verser des sommes à la Selafa MJA, ès qualités,
– limiter la condamnation à un plus juste montant ;
Dans tous les cas,
– laisser les dépens à la charge de la Selafa MJA, ès qualités.
La Selafa MJA, ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 24 avril 2023, demande à la cour de :
– statuer ce que de droit sur la recevabilité de l’appel interjeté par M. [X] à l’encontre du jugement ;
– débouter M. [X] de l’ensemble de ses demandes ;
– juger qu’elle est autant recevable que bien fondée en l’ensemble de ses demandes et notamment en son appel incident ;
En conséquence,
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que :
– M. [X] a eu la qualité de gérant de fait de la société Proco France depuis le 13 novembre 2017 et jusqu’au prononcé du jugement de la liquidation judiciaire du 20 décembre 2018 ;
– les fautes de gestion de tenue d’une comptabilité incomplète et irrégulière, de détournement de l’actif et d’augmentation frauduleuse du passif sont caractérisées à l’égard de M. [X] ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a limité à 100 000 euros le montant de la condamnation mise à la charge de M. [X] en réparation de ces fautes ;
Statuant à nouveau et accueillant son appel incident,
– condamner M. [X] à supporter la totalité de l’insuffisance d’actif de la société Proco France à hauteur de 1 110 454,18 euros sauf à parfaire ;
– ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [X] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
– condamner M. [X] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [X] aux entiers dépens.
Dans son avis notifié par RPVA le 26 janvier 2023, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement aux motifs que les premiers juges, au regard d’un faisceau d’indices concordants, ont retenu à raison la qualité de dirigeant de fait de M. [X].
S’agissant des fautes de gestion, il expose que la tenue de la comptabilité de la société a été irrégulière, relevant en particulier que l’absence de toute facture relative aux créances clients a empêché le liquidateur de procéder à leur recouvrement, alors que leur montant total de 159 752 euros d’après la déclaration de cessation des paiements aurait pu diminuer d’autant l’insuffisance d’actif ; que le détournement d’actifs ayant contribué à l’insuffisance d’actif doit être retenu dans la mesure où les véhicules dont la société Proco France était propriétaire n’ont pas été retrouvés par le commissaire-priseur ; qu’enfin, la poursuite de l’activité jusqu’à la déclaration de cessation des paiements le 11 décembre 2018 était abusive, l’aggravation des créances fiscales et sociales, impayées depuis mai 2018 et déclarées à hauteur de 446 697,75 euros, ayant contribué à l’aggravation de l’insuffisance d’actif.
Par ailleurs, il mentionne que M. [W], ‘ le conseiller’ pour la reprise de l’activité de la société Proco France, dont l’interlocuteur était M. [X], a bénéficié d’une rémunération totale de 229 777 euros entre septembre et décembre 2018, alors que le projet de cession n’a pas abouti.
Eu égard à l’appel incident interjeté par le liquidateur judiciaire, le ministère public s’en remet à la sagesse de la cour quant à l’éventuelle aggravation du quantum de l’insuffisance d’actif à faire supporter à M. [X].
L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2023.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Aucun moyen n’étant soulevé ou susceptible d’être relevé d’office, il convient de déclarer recevables l’appel principal de M. [X] et l’appel incident de la Selafa MJA, ès qualités.
Pour solliciter de la cour qu’infirmant le jugement, elle écarte la pièce numérotée 20 en appel ( 35 devant le tribunal), M. [X] soutient uniquement que cette pièce n’est pas probante ; comme le relève l’intimée, il ne s’agit pas d’un motif justifiant d’écarter cette pièce dont la cour aura simplement à apprécier la force probante pour statuer sur les prétentions dont elle est saisie par les parties.
Le jugement qui a débouté M. [X] de sa demande de ce chef est par conséquent confirmé.
Sur la gérance de fait :
M. [X] qui critique les motifs retenus par le tribunal auquel il reproche des erreurs manifestes d’appréciation, expose à l’appui de sa demande d’infirmation que :
– étant toujours associé unique de la société, il était normal, même s’il n’en était plus le gérant, qu’il se soucie de la situation de la société ; la cession de ses parts sociales étant un acte de disposition appartenant au seul propriétaire des parts, l’interdiction de gérer provisoire dont il faisait l’objet ne lui interdisait pas de céder ses parts sociales de sorte que dans ce cadre, il était normal qu’il dispose des bilans et éléments comptables pour finaliser cette cession et donner une image fidèle de la société au ‘repreneur’ ; il n’a aucunement cédé le fonds de commerce appartenant à la société Proco France mais uniquement ses parts sociales, ajoutant que le fait de détenir des parts sociales n’a jamais constitué une activité positive de direction ;
– il lui était impossible juridiquement, en application des dispositions des articles L.128-1 et L.128-2 du code de commerce et D.144-12 du code monétaire et financier, de conserver une signature bancaire au regard de ‘l’interdiction de gérer’ dont il a fait l’objet le 10 novembre 2017 dans le cadre du contrôle judiciaire décidé à son égard et qui a été levée le 24 septembre 2018 ; il soutient que le fait que ce compte ait continué de fonctionner démontre que son nom et ses pouvoirs ont été supprimés auprès de la banque ; évoquant les éléments communiqués par l’intimée sous sa pièce 57, après une sommation de communiquer, il souligne qu’il n’a pas signé les chèques versés aux débats, dont les signataires sont deux personnes dont l’identité n’a pas été communiquée et qu’il n’est le bénéficiaire d’aucun de ces chèques qui ont été honorés par la banque, l’existence de ces chèques contredisant l’allégation ‘fallacieuse’ de cette dernière en janvier 2022, selon laquelle elle n’avait pas connaissance de l’identité d’un autre signataire, la banque ayant aussi indiqué ‘ne pas avoir retrouvé le carton de signature’ ; observant que la détermination du signataire de ces chèques n’est pas du ressort de la cour, il estime qu’en tout état de cause le liquidateur judiciaire n’apporte pas la preuve que postérieurement au 13 novembre 2017, il a usé du compte bancaire de la société ouvert au Crédit agricole ;
– au vu des éléments communiqués à la suite des réquisitions adressées dans le cadre de la procédure pénale à la Société générale et au Crédit agricole, et en particulier du numéro de téléphone dont disposait le Crédit agricole dans le cadre de ses relations avec la société Proco France qui était le même que celui donné à la Société générale lorsque M. [R] a signé la convention de compte de la société Proco France le 17 novembre 2017, c’est ce dernier qui disposait seul de la signature bancaire sur tous les comptes de la société, y compris celui ouvert au Crédit agricole ; l’appelant évoque à cet égard également les termes de l’arrêt rendu le 20 décembre 2018 par la présente cour dans une autre formation à propos des sommes saisies sur le compte dont disposait la société liquidée au Crédit agricole, celle-ci ayant alors jugé qu’il ne pouvait ‘être considéré que M. [X] avait la libre disposition des sommes portées au crédit du compte saisi’ ;
– les grands livres provisoires sur la période de juillet 2017 à décembre 2018 établissent, contrairement aux allégations du liquidateur judiciaire, qu’il n’a pas perçu une rémunération supérieure aux gérant et salarié principal de la société Proco France ;
– rien ne démontre que M. [P] soit un gérant de paille alors qu’il est le dirigeant de nombreuses sociétés (19), toujours en activité, que seules deux sociétés, dont la société Proco France, ont été placées en liquidation judiciaire, qu’il a été désigné à des dates diverses alors qu’ il était largement plus jeune ;
– il n’est pas en possession d’une copie de l’acte de cession car les actes devaient être enregistrés, soulignant que les formalités incombent à l’acquéreur et que si la réalité de cette cession n’est justifiée que par l’assemblée générale de la société qui la constate de même que le changement de gérant, documents en possession du liquidateur judiciaire depuis 2018, il n’existe aucune obligation de publier ces actes au registre du commerce et des sociétés ;
– il a cessé toute activité commerciale pour la société Proco France à compter du 20 octobre 2018 après avoir été licencié la veille, avec dispense d’exécution de son préavis.
M. [X] en conclut que le liquidateur judiciaire ne fait donc pas la démonstration d’un quelconque acte positif de gestion à son encontre, tous les indices démontrant qu’il n’a jamais été gérant de fait.
La Selafa MJA, ès qualités, après avoir rappelé en premier lieu la motivation pertinente du tribunal qui a retenu un faisceau d’indices sur la gestion de fait, fait valoir en deuxième lieu que M. [X], bien qu’il ait démissionné de ses fonctions à compter du 13 novembre 2017, a conservé jusqu’au 15 septembre 2018 la totalité du capital social qu’il n’a cédé que deux mois avant la déclaration de cessation des paiements et qu’il a manifestement conservé de forts liens avec la société Proco France, cette détention du capital constituant un indice probant de la capacité de l’appelant ‘à s’ingérer dans la gestion de la société’.
Le liquidateur soutient en troisième lieu que la cessation de la fonction de gérant de droit de M. [X] s’est poursuivie par une gestion de fait ; il expose à cet égard que malgré son retrait allégué de ses fonctions de gérant de la société, c’est l’appelant qui a continué de se présenter aux yeux des tiers comme le représentant légal en agissant comme interlocuteur privilégié, non pas seulement dans le cadre de la cession de ses parts sociales comme l’appelant le relève, mais aussi, à l’égard en particulier de M. [W], dans le cadre de la cession de l’activité de la société Proco France, opération distincte de la cession des titres et relevant exclusivement des attributions du gérant de droit, peu important que le projet de reprise n’ait pas abouti ; le liquidateur observe qu’à cet égard, M. [X] qui a traité directement avec M. [W], ne justifie ni d’un mandat ni d’une délégation de pouvoir du dirigeant et qu’il affirme lui-même n’avoir cessé toute relation avec la société Proco France qu’à compter du 19 octobre 2018, alors même qu’il prétend avoir cédé l’intégralité de ses parts le 15 septembre précédent. Il indique que dans le fonctionnement interne de la société Proco France, M. [X] se positionnait aussi comme gérant de fait dès lors que la comparaison de son bulletin de salaire avec celui du nouveau dirigeant de droit en octobre 2018 révèle une rémunération supérieure de 70 %, les documents comptables provisoires visés dans les écritures du 22 février 2023 de l’appelant étant dénués de tout caractère probant sur ce point.
En quatrième lieu, il relève que M. [X] était détenteur de la signature bancaire sur le compte de la société ouvert au Crédit agricole et qu’il a continué d’en être le seul détenteur, bien après la cessation de ses fonction de gérant de droit, jusqu’à la date du jugement d’ouverture, ce qui constitue encore un indice de la gestion de fait ; l’intimé souligne à cet égard que l’échange de mails intervenu avec l’agence bancaire en janvier 2022 ne se borne pas à indiquer que le carton de signature n’a pas pu être retrouvé mais confirme que la convention de compte n’a fait l’objet d’aucun avenant ou modification, ce qui démontre que M. [X] a conservé le pouvoir de disposer du compte et des instruments qui y étaient attachés. A supposer même, comme le prétend M. [X], que le ‘numéro de contact’ renseigné auprès du Crédit agricole, qui est le même que celui renseigné auprès de la Société générale vis-à-vis de laquelle M. [R] était mentionné comme le représentant légal de la société Proco France, soit celui de M. [R], ce qui n’est pas prouvé selon le liquidateur, ce dernier estime que sa mention dans le formulaire communiqué par le Crédit agricole ne permet de tirer aucune conclusion quant à la signature bancaire et ne prouve pas en tout état de cause que M. [X] n’en disposait plus lors de l’ouverture de la procédure collective. Le liquidateur judiciaire ajoute que l’arrêt visé par l’appelant se rapporte à des saisies pénales pratiquées sur les comptes de la société Proco France en raison des agissements frauduleux commis par M. [X] et qu’il n’opère strictement aucune constatation sur la détention de la signature bancaire qui n’est pas incompatible avec le défaut de libre disposition des fonds de la société Proco France que l’appelant était tenu d’utiliser conformément à l’objet social, sauf à commettre un abus de biens sociaux. Le liquidateur judiciaire observe aussi qu’il n’existe aucun fondement légal permettant de soutenir que l’interdiction de gérer prononcée à l’encontre de M. [X] par le juge d’instruction du 10 novembre 2017 au 24 septembre 2018 emportait interdiction de disposer de la signature bancaire puisqu’aucune des sanctions visées par les dispositions citées par ce dernier n’a été prononcée à son encontre et qu’il lui a été simplement imposé une obligation de ne pas exercer une fonction de dirigeant de la société dans le cadre du contrôle judiciaire auquel il a été assujetti ; que le compte de la société Proco France a d’ailleurs continué de fonctionner durant cette période sans modification de la signature bancaire, rien ne démontrant que le nouveau dirigeant aurait disposé d’une telle signature ; que le fait que ce nouveau dirigeant ait disposé de la signature de la société sur l’autre compte dont la société était titulaire dans les livres de la Société générale ne remet pas en cause l’appréciation du tribunal.
En cinquième lieu, le liquidateur estime que les conditions de la cession prétendue du capital social de la société Proco France ‘confirment les soupçons d’agissements frauduleux imputables à M. [X]’ dès lors que le seul document produit pour justifier de cette cession est un procès-verbal d’assemblée générale qui ne fait strictement état d’aucun prix et dont il n’est pas prouvé qu’il a été suivi d’une cession effective des parts sociales par M. [X] qui, outre qu’il ne produit aucun document pour justifier de la régularisation de la cession, n’indique pas le prix qu’il a reçu à ce titre, celui-ci ne communiquant aucun document bancaire justifiant de l’opération créditrice s’y rapportant.
Le liquidateur prétend enfin que l’âge de M. [P], âgé de 78 ans quand il a remplacé M. [R], et le nombre de sociétés dont il est indiqué sur le site d’infogreffe.fr qu’il est le dirigeant, tendent à confirmer qu’il n’a exercé qu’une gérance de paille et que ces désignations ont été réalisées soit à son insu, soit dans des conditions éminemment douteuses, relevant enfin que l’adresse de M. [P] figurant sur l’extrait Kbis de la société Proco France correspond à l’adresse d’un ancien centre d’action sociale de la ville de [Localité 18], désormais définitivement fermé.
La direction de fait d’une personne morale suppose de démontrer l’exercice, en fait, en toute indépendance d’une activité positive de gestion ou de direction, étant souligné que la qualité de gérant de fait n’est pas exclusive d’une relation de travail salarié. Doivent être démontrés par le liquidateur judiciaire qui l’allègue des faits précis de nature à caractériser l’immixtion de la personne poursuivie dans la gestion de société, traduisant une activité positive et indépendante de direction.
Il ressort des éléments du dossier que :
– M. [X] qui a été le dirigeant de droit de la société Proco France jusqu’au 13 novembre 2017, a été salarié de la société, au poste de ‘commercial transport’ qu’il a occupé à compter du 6 décembre 2017, d’après le bulletin de salaire versé aux débats par le liquidateur judiciaire, jusqu’à son licenciement pour motif économique qui lui a été notifié par M. [P], alors dirigeant de droit de la société, par lettre datée du 19 octobre 2018 et qui a pris effet au 30 novembre 2018 après l’exécution de son préavis dont, contrairement à ce qu’il prétend, il n’a pas été dispensé d’après sa lettre de licenciement ; son salaire mensuel imposable de janvier à octobre 2018, d’après le cumul imposable figurant sur les bulletins de paie d’octobre 2018 communiqués par le liquidateur judiciaire et plus probants que les comptes provisoires produits par l’appelant, a été plus élevé que celui de M. [R] ( 30 061,85 euros sur dix mois) alors que ce dernier, dirigeant de droit jusqu’au 15 septembre 2018, a perçu 26 202,76 euros sur la même période, la différence entre les salaires bruts de base de chacun étant encore plus flagrante puisqu’en octobre 2018, celui de M. [X] était de 5 356,02 euros alors que celui de M. [R] se limitait à 2 233,51 euros, en ce compris des heures supplémentaires ;
– la démission de M. [X] de ses fonctions de dirigeant de droit fait suite, comme il a lui-même indiqué, à l”interdiction de se livrer à l’activité professionnelle de gérance d’entreprise’ par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 10 novembre 2017, dans le cadre d’un contrôle judiciaire ;
– M. [X] était l’unique associé de la société Proco France, à la suite de la cession des parts sociales que détenaient ses associés, par acte du 9 février 2015 ; il a procédé à une augmentation de capital d’après le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire du 24 novembre 2015 ; ce n’est qu’aux termes d’une assemblée générale extraordinaire du 15 septembre 2018 que le transfert à M. [P] des 3 500 actions détenues par M. [X] a été validé, étant toutefois observé par la cour, comme précédemment par le tribunal, que l’appelant n’a pas déféré à la demande du liquidateur judiciaire de produire l’acte de cession des parts et que celui-ci ne justifie pas davantage des fonds perçus en contrepartie de cette cession qui n’est datée, en tout état de cause, que de septembre 2018 ;
– à la date de sa nomination en qualité de gérant de droit, M. [P], né le [Date naissance 4] 1940, était âgé de 78 ans ; M. [X] qui confirme que celui-ci a été dirigeant de nombreuses sociétés depuis plusieurs années, ne conteste pas que trois d’entre elles sont radiées du registre du commerce et des sociétés, comme le liquidateur judiciaire le précise dans ses écritures, et qu’une autre a fait l’objet d’une liquidation judiciaire ;
– s’il est constant que M. [X] était seul en mesure de céder les parts sociales qu’il détenait dans la société Proco France et si sa qualité d’unique associé de cette société explique qu’il ait été affecté par les saisies opérées le 8 juin 2018 sur les comptes de cette dernière, comme il le précise dans le rappel des faits de ses conclusions, il indique également avoir ‘cherché des repreneurs dans le domaine du transport, ou des investisseurs’, s’être ‘rendu auprès du tribunal pour se renseigner’ en juin 2018 et que ‘quelques temps après’, il a été ‘contacté par M. [L] [W], se présentant comme un intermédiaire chargé par les administrateurs judiciaires et liquidateurs de trouver des repreneurs pour des sociétés en difficultés (…)’ ; il relate que ce dernier ‘a présenté des repreneurs dont plusieurs sociétés de transport dès le mois d’août 2018 mais’ qu’il ‘n’a jamais reçu de documents relatifs aux propositions chiffrées’ ; au vu de ces explications, il est établi qu’aux yeux des tiers, M. [X], bien qu’il ne soit plus alors dirigeant de droit, est apparu comme l’interlocuteur privilégié au sein de la société Proco France et disposait du pouvoir de décider de sa cession, l’intervention de M. [W] portant sur la cession de l’activité de la société et pas simplement sur celle des parts sociales ; M. [X] ne prouve pas avoir agi, comme il l’affirme uniquement, sur mandat du dirigeant alors même qu’à cette période sa qualité d’associé, même unique, ne permettait pas qu’il soit l’interlocuteur des candidats à la reprise de la société, mission qui ressort du pouvoir de direction du seul dirigeant et qui excédait largement ses fonctions salariées de ‘commercial transport’; même s’il est effectivement soutenu que seule la cession de ses parts sociales est intervenue, sans cession de l’activité de la société, le rôle que M. [X] explique avoir joué démontre le pouvoir de direction dont il disposait au sein de la société ;
– si M. [X] souligne qu’il ne pouvait plus conserver la signature sur le compte ouvert au Crédit agricole au regard de l’interdiction dont il faisait l’objet et qu’il n’a signé aucun des chèques communiqués sous la pièce 57 de l’intimée qui prétend que certains d’entre eux ont effectivement été signés par un ancien associé de la société Proco France, il ne justifie pas cependant qu’il se trouvait dans une situation entraînant son inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la banque aurait été informée, puisque comme il le précise lui-même en page 6 de ses écritures, il faisait uniquement l’objet, dans le cadre d’un contrôle judiciaire par ordonnance du juge des libertés et de la détention, d’une interdiction ‘de se livrer à l’activité professionnelle de gérance d’entreprise’ ; il n’est pas établi que la banque avait connaissance de cette interdiction, étant observé que les relevés du compte de la société Proco France, ouvert dans les livres du Crédit agricole, démontrent qu’il a continué de fonctionner après la démission de M. [X] de ses fonctions de dirigeant de droit, le liquidateur judiciaire communiquant des relevés de ce compte sur la période de septembre à décembre 2018 ; il ressort en outre d’un échange de mails en décembre 2021 et janvier 2022 entre le Crédit agricole et l’étude du liquidateur judiciaire, communiqué sous la pièce 35 de ce dernier, que la banque qui a indiqué ‘ne pas avoir retrouvé le carton de signature’ a précisé ne pas avoir connaissance d’un autre signataire que M. [X] sur le compte ouvert par ce dernier au nom de la société Proco France, selon convention de compte transmise par le Crédit agricole et signée par l’appelant le 18 février 2016 ; le fait qu’à propos des chèques communiqués par le liquidateur judiciaire et émis sur le compte du Crédit agricole entre août et octobre 2018, celui-ci admette qu’ils n’aient pas été signés par M. [X] ne démontre pas pour autant que ce dernier ne disposait plus de la signature bancaire ; en outre, même s’il est ressort des pièces qu’en juin 2018, le Crédit agricole disposait, en qualité de ‘personne à contacter’, du même numéro de téléphone que celui figurant sur la convention de compte conclue le 17 novembre 2017 par M. [R] auprès de la Société générale, la pièce 35 précitée établit que M. [X] n’a pas informé la banque d’une modification de son statut de dirigeant de droit. Par conséquent, celui-ci disposait toujours de la signature sur le compte ouvert au Crédit agricole, lui permettant d’en vérifier les opérations.
S’il est exact qu’il est indiqué dans les motifs de l’arrêt rendu le 20 décembre 2018 par l’une des chambres de l’instruction de la présente cour, à l’occasion des saisies pénales opérées dans le cadre de la procédure en cours à l’égard de M. [X] mis en examen pour abus des biens d’une société par le gérant à des fins personnelles et escroquerie, que celui-ci ‘ ne dispose d’aucun pouvoir sur les biens appartenant à la société Proco France qui est une personne morale distincte et qui est gérée par M. [N] [R] depuis le 17 novembre 2017. Dans ces conditions M. [X] ne dispose plus de la signature bancaire (…)’, la cour observe que ces motifs n’ont pas autorité de la chose jugée et qu’il n’est pas établi quels éléments la cour avait alors en sa possession.
Au regard de ces différents éléments, pris dans leur ensemble, il convient de considérer, confirmant le jugement, qu’un faisceau d’indices démontre que M. [X], postérieurement à sa démission de ses fonctions de gérant de droit de la société Proco France, a exercé la direction de fait de cette société depuis le 13 novembre 2017 jusqu’à l’ouverture de la liquidation judiciaire.
Sur le montant de l’insuffisance d’actif :
M. [X] qui a contesté toute gestion de fait estime que c’est à la date de cessation de ses fonctions en qualité de dirigeant de droit que doit être appréciée l’existence d’une éventuelle insuffisance d’actif, soit le 13 novembre 2017.
La Selafa MJA, ès qualités, indique qu’au regard du passif définitif (1 115 789,13 euros) et de l’actif réalisé (5 334,95 euros), l’insuffisance d’actif ressort donc à 1 110 454,18 euros.
Dès lors que la qualité de dirigeant de fait est retenue par la cour, il n’y a pas lieu d’apprécier l’insuffisance d’actif à la date à laquelle M. [X] a démissionné de ses fonctions de dirigeant de droit.
L’insuffisance d’actif est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis définitivement et le montant de l’actif réalisé de la personne morale débitrice. Elle s’apprécie à la date à laquelle le juge statue.
M. [X] ne contestant pas autrement le quantum de l’insuffisance d’actif arrêté par le tribunal à la somme de 1 110 454,18 euros, la cour retient ce montant.
Sur les fautes de gestion :
La tenue d’une comptabilité incomplète et irrégulière :
M. [X] qui, préalablement à l’examen des griefs, a entendu attirer l’attention de la cour sur les détournements de fonds opérés par MM. [P] et [W] entre octobre et décembre 2018, fait valoir qu’il est normal que le Cabinet SECRH, qui a été l’expert-comptable de la société Proco France jusqu’à sa reprise par M. [K], dont le nom figure sur la déclaration de cessation des paiements, n’ait pas disposé des derniers éléments de comptabilité et qu’en tout état de cause, l’exercice 2018 devant se terminer le 31 décembre 2018, il n’était pas comptablement possible pour l’expert-comptable de fournir des documents comptables définitifs lors de l’ouverture de la procédure collective, celui-ci n’ayant pu transmettre que des documents provisoires le 21 décembre 2018. Il fait valoir que l’établissement de documents provisoires ne signifie pas que la comptabilité n’a pas été tenue en temps réel, que dès le lendemain de l’ouverture de la liquidation judiciaire, les documents comptables définitifs des exercices clôturés les 30 juin 2016 et 30 juin 2017 ont été transmis au liquidateur judiciaire et que pour sa part, il ne dispose d’aucun élément comptable postérieur au 13 novembre 2017, observant que dans son courrier qu’il lui a adressé le 19 mars 2019, le liquidateur judiciaire ne lui a réclamé aucune pièce. Il souligne que les documents produits par ce dernier démontrent que l’enregistrement des écritures comptables a été effectué jusqu’au 30 novembre 2018 et qu’en tout état de cause, il est établi par les termes de l’assignation que la comptabilité de la société Proco France a été régulièrement tenue et probante jusqu’au 13 novembre 2017.
Après avoir rappelé les dispositions des articles L.123-12, R.123-73 et R.123-74 du code de commerce, le liquidateur judiciaire fait valoir que la carence des dirigeants successifs de la société Proco France est parfaitement caractérisée dans la mesure où malgré les courriers de convocation en son étude adressés à MM. [X] et [P], aucun document comptable ne lui a été adressé par ces derniers en plus d’une part des grands livres arrêtés au 30 novembre 2018 qui seuls étaient joints à la déclaration de cessation des paiements, d’autre part des bilans arrêtés aux 30 juin 2016 et 20 juin 2017, seuls documents accessibles sur Infogreffe et enfin des balances, grands livres et journaux que l’expert-comptable de la société, à sa demande, lui a adressés pour les exercices clos aux 30 juin 2016 et 30 juin 2017. Il explique que par conséquent il ne dispose d’aucun élément comptable pour la période comprise entre le 1er juillet 2017 et le jugement d’ouverture du 20 décembre 2018, puisque pour cette période l’expert-comptable ne lui a adressé que les fiches d’immobilisation, les grands livres provisoires et des journaux provisoires arrêtés au 30 novembre 2018 ; il estime que ceux-ci sont dépourvus de tout caractère probant puisqu’il ne s’agit que de projets établis par l’expert-comptable qui a en outre précisé qu’il n’était en charge ni de la tenue comptable ni des déclarations de TVA. Il considère que la faute de gestion est ainsi caractérisée, rappelant que la Cour de cassation juge qu’en l’absence de documents fiables et récents donnant une image précise de la société, un lien de causalité existe entre le défaut de comptabilité régulière et l’insuffisance d’actif ; il ajoute qu’en l’espèce la remise de la comptabilité aurait permis le recouvrement des créances clients mentionnées dans la déclaration de cessation des paiements pour un total de 159 752 euros, ce qui n’a pu se faire en l’absence de toute facture et de toute information relative à la nature des créances et n’a pas permis de diminuer l’insuffisance d’actif, au détriment des intérêts des créanciers.
Les articles L.123-12 à L.123-28 et R.123-172 à R.123-209 du code de commerce imposent aux commerçants personnes physiques et personnes morales la tenue d’une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise, au moyen de la tenue d’un livre journal et d’un grand livre ; les mouvements doivent être enregistrés chronologiquement au jour le jour et non en fin d’exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l’exercice.
L’établissement de la comptabilité complète d’une société, d’après les textes précédemment rappelés, ne se limite pas à la remise annuelle des bilans et comptes de résultat mais suppose l’établissement d’une comptabilité quotidienne au travers des éléments comptables précités.
Il est exact que le liquidateur judiciaire dispose d’éléments comptables puisque grâce à l’expert-comptable de la société Proco France notamment, il a été destinataire des balances, grands livres et livres journaux pour les exercices clos aux 30 juin 2016 et 30 juin 2017 qui ont complété les bilans arrêtés à ces mêmes dates auxquels il a eu accès sur Infogreffe ; il n’est d’ailleurs pas reproché une absence totale de tenue de comptabilité à M. [X], la cour relevant que pour l’essentiel de la période durant laquelle il a assuré la gérance de droit, la comptabilité de la société Proco France est complète, tout au moins jusqu’au 30 juin 2017.
Il est cependant constant, alors même que le dirigeant de fait est tenu, en matière comptable, des mêmes obligations que le dirigeant de droit, qu’il n’a été adressé au liquidateur judiciaire, ni à la cour au demeurant, ni les grands livres ni les livres journaux définitifs arrêtés à la date de l’ouverture de la cessation des paiements, seuls des éléments provisoires n’ayant pas de valeur probante ayant été transmis, ni le bilan et le compte de résultat de la société sur l’exercice postérieur au 30 juin 2017, de sorte que sur la dernière période de dix-huit mois durant laquelle la société Proco France a continué son exploitation, il n’est pas justifié de la tenue d’une comptabilité complète et fiable ; il n’est pas expliqué pourquoi en 2018 les comptes de l’exercice n’ont pas été arrêtés en juin comme lors des exercices précédents.
Alors que le liquidateur judiciaire relève qu’en l’absence de toute facture, il n’a pu procéder au recouvrement des créances clients mentionnées sur la déclaration de cessation des paiements pour un montant total de 159 752 euros, aucun justificatif n’a été fourni à ce titre de sorte que l’insuffisance d’actif s’en est trouvée nécessairement augmentée dès lors qu’au moins une partie de ces créances aurait pu être recouvrée si les factures avaient été communiquées.
Le défaut de comptabilité complète a néssairement contribué à l’insuffisance d’actif dès lors que faute de démonstration de l’établissement d’une comptabilité régulière, les dirigeants n’ont pas eu conscience de la situation exacte de la société liquidée ; au regard de l’importance de cette obligation légale et de la durée de la période durant laquelle la comptabilité n’a pas été régulièrement établie, ce manquement constitue non pas une négligence mais une faute de gestion caractérisée à l’égard du dirigeant de fait.
Le détournement d’éléments d’actif :
M. [X] qui estime qu’il ‘est étonnant que la liste des véhicules répertoriés par le commissaire-priseur ne se retrouve pas dans la prétendue liste de la préfecture’ fait valoir que ces véhicules n’ont pas été détournés puisqu’ils sont toujours immatriculés au nom de la société Proco France et qu’il incombe au commissaire-priseur d’effectuer les recherches alors que celui-ci a restitué les locaux de la société au propriétaire sans se préoccuper des véhicules qui s’y trouvaient. L’appelant soutient que dans tous les cas il ignore où sont les véhicules en question sur lesquels il n’a jamais été interrogé par le liquidateur judiciaire. Faisant ensuite état des nombreux crédits-bails souscrits par la société Proco France pour du matériel de transport, il soutient qu’il est ainsi manifeste que le liquidateur vise des véhicules n’appartenant pas à cette société et observe que les salariés ont d’ailleurs déclaré que les véhicules avec lesquels ils travaillaient avaient été restitués aux loueurs ou aux clients. Il en conclut que l’intimée n’établit ni la liste des véhicules ayant appartenu à la société Proco France au jour de l’ouverture de la liquidation judiciaire ni la réalité des détournements dont il serait responsable.
Le liquidateur judiciaire qui explique que le commissaire-priseur n’ayant constaté le 22 décembre 2018, lors de sa visite au siège social de la société Proco France, que la présence de quelques véhicules dont certains étaient dépourvus de valeur marchande alors que la déclaration de cessation des paiements faisait état d’un total de 248 523 euros au titre de ses immobilisations en ‘matériel de transport’, expose que la préfecture lui a confirmé, à sa demande, que la société Proco France était propriétaire de dix véhicules, selon relevés des 30 janvier et 8 février 2019, de sorte que ces véhicules qui n’ont pas été pris en crédit-bail et qui sont la propriété de la société Proco France, auraient dû se trouver dans son patrimoine lors de l’ouverture de la procédure et que leur détournement est caractérisé. Il reproche à M. [X] ses commentaires ‘désinvoltes’ et sa particulière mauvaise foi en sa qualité d’ancien dirigeant de la société alors qu’aucun des véhicules n’a été retrouvé, observant que le commissaire-priseur n’a pas à se substituer aux services de police et qu’aucun renseignement utile n’a pu être obtenu des salariés.
Le liquidateur judiciaire justifie que le commissaire-priseur qui s’est rendu au siège social de la société Proco France le 22 décembre 2018 n’a relevé la présence que de cinq véhicules dont il précise l’immatriculation et dont l’un était accidenté et un autre réduit à l’état d’épave alors même qu’il avait été déclaré, dans la déclaration de cessation des paiements de la société, au titre de l’actif immobilisé, du matériel de transport évalué à 248 523 euros ; il démontre également qu’après s’être rapproché des services du ministère de l’intérieur, il lui a été communiqué les fiches d’identification datées des 8 février 2019, 29 et 30 janvier 2019 établissant que postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, la société Proco France, à l’adresse de son siège social à [Localité 9], restait propriétaire de neuf véhicules, dont la date de première mise en circulation s’étageait entre le 25 novembre 2002 pour le plus ancien et le 1er octobre 2018 pour le plus récent ; l’immatriculation de ces véhicules est la suivante : [Immatriculation 17], [Immatriculation 19]
[Immatriculation 19], [Immatriculation 12], [Immatriculation 16], [Immatriculation 14], [Immatriculation 15], [Immatriculation 10], [Immatriculation 15], [Immatriculation 19], étant précisé que trois autres véhicules sont répertoriés comme étant la propriété d’une société Proco France domiciliée à [Localité 11].
Aucun de ces véhicules n’a été retrouvé au siège social par le commissaire-priseur lorsqu’il s’est déplacé pour l’inventaire obligatoire à l’ouverture de la procédure collective, étant observé que ce professionnel n’a aucunement à procéder à des investigations dans le cadre de sa mission mais qu’il incombe en revanche aux dirigeants de fournir toute explication sur la disparition des éléments d’actif se trouvant dans le patrimoine de la société avant l’ouverture de la procédure collective.
M. [X] est totalement défaillant dans ses explications à ce titre, le fait que la société Proco France ait effectivement conclu de nombreux contrats de crédit-bail portant sur le matériel de transport utile à son activité étant sans incidence sur l’imputation de ce grief à l’appelant dès lors que la preuve est rapportée que la société Proco France était toujours propriétaire après l’ouverture de la procédure collective des véhicules dont aucune trace n’a été retrouvée.
Ce détournement a nécessairement augmenté l’insuffisance d’actif dans la mesure où il n’a pu être procédé notamment à la vente des véhicules qui aurait permis d’augmenter l’actif réalisé dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers ; compte tenu du nombre de véhicules qui ont ainsi disparu, ce grief constitue non pas une négligence, au demeurant non alléguée par l’appelant, mais une faute de gestion caractérisée à son encontre.
La poursuite abusive d’exploitation ayant conduit à l’augmentation du passif fiscal et social :
M. [X] qui relève que toutes les inscriptions de privilèges à l’égard de la société Proco France sont intervenues postérieurement au 13 novembre 2017, soutient que la cour, dans la mesure où elle n’admettra pas sa gérance de fait, ne pourra que constater que le passif social est né postérieurement à sa démission de sorte qu’il ne peut lui être reproché une poursuite abusive de l’exploitation.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que la poursuite de l’exploitation déficitaire de la société Proco France ne présentait aucun intérêt de nombreux mois avant le dépôt de la déclaration de cessation des paiements au regard de l’ancienneté et de l’aggravation des difficultés financières rencontrées par la société, démontrées notamment par les quatre inscriptions de privilèges prises par l’Urssaf entre le 13 septembre et le 14 décembre 2018 ; il souligne qu’il en est résulté une augmentation frauduleuse du passif attestée par les déclarations de créances sociales et fiscales qui démontrent que la poursuite de l’activité n’a été rendue possible que par l’absence de règlement des cotisations et impôts dus par la société pour des montants détaillés dans ses écritures et que M. [X] ne pouvait ignorer dès lors qu’il était gérant de fait lorsque ces dettes sont devenues exigibles. Il en conclut que la poursuite de l’activité a ainsi revêtu un caractère abusif ayant conduit à une augmentation frauduleuse du passif par l’accumulation des dettes fiscales et sociales.
L’activité de la société Proco France s’est poursuivie, sous la gestion de fait de M. [X], jusqu’en décembre 2018, la déclaration de cessation des paiements établie par le dirigeant de droit, M. [P], ayant été reçue le 11 décembre 2018 au tribunal de commerce qui a fixé la date de cessation des paiements au 1er septembre 2018.
A cette date M. [X], en sa qualité de gérant de fait, n’ignorait pas cependant les difficultés de la société Proco France dans la mesure où :
– sont restées impayées, de façon répétée, les sommes dues au titre de la TVA entre le 1er mai et le 30 septembre 2018 pour un montant total de 123 442,02 euros, mentionnées dans la déclaration de créances du pôle de recouvrement spécialisé datée du 25 février 2019 ;
– la société n’a pas réglé les cotisations dues à l’Urssaf entre les mois de mai 2018 et novembre 2018 pour un montant total de 173 698,62 euros , objet de la déclaration de créance du 25 juin 2019 ;
– de même, elle a laissé impayées les cotisations dues aux organismes de retraite complémentaire pour une somme totale de 47 509,01 euros sur la période de juin 2018 à décembre 2018.
Dans le même temps, l’Urssaf a procédé les 13 septembre 2018, 18 octobre 2018, 29 novembre 2018 et 14 décembre 2018 à quatre inscriptions de privilèges à hauteur successivement de 15 790 euros, 16 172 euros, 20 595 euros et 35 689 suros.
M. [X] qui a néanmoins poursuivi l’activité de la société Proco France alors même que les créances fiscales et sociales exigibles n’étaient pas réglées a contribué à augmenter l’insuffisance d’actif faute d’augmentation de l’actif alors que le passif continuait de s’alourdir. La persistance pendant plusieurs mois de la poursuite dans ces conditions de l’activité sociale caractérise non pas une négligence mais une faute de gestion qui est également imputable au dirigeant de fait.
Sur la sanction :
A titre subsidiaire, M. [X], pour demander à la cour, si elle décide de le condamner, de modérer la sanction, voire de la réduire à un montant symbolique, souligne que le liquidateur judiciaire a accepté la condamnation de M. [R] à la somme de 10 000 euros alors que le passif est né pendant sa période de gestion et qu’il n’a pas motivé le montant de la condamnation prononcée à son égard en comparaison avec celle de M. [P] alors même que celui-ci, en collusion avec M. [W], a détourné plus de 100000 suros.
Il fait état de sa situation en produisant deux avis d’imposition ainsi que les décisions qui l’ont condamné en paiement ainsi que son épouse dans le cadre de cautionnements qu’ils avaient souscrits dans l’intérêt d’une autre société dont son épouse était la gérante.
M. [X] demande également à la cour de débouter le liquidateur judiciaire de son appel incident sur le quantum de la condamnation prononcée en soulignant que celui-ci n’a effectué aucune recherche sur la destination des sommes détournées par M. [W] pour le compte de M. [P], et qu’il a choisi une solution de facilité en l’assignant sans s’interroger sur le rôle de M. [W].
Après avoir rappelé que la caractérisation d’une faute de gestion peut justifier la condamnation d’un dirigeant à supporter la totalité de l’insuffisance d’actif, quand bien même cette faute n’aurait conduit à générer qu’une partie du montant total de l’insuffisance d’actif et que le lien de causalité entre les fautes de gestion imputables à M. [X] et la totalité de l’insuffisance d’actif est indéniable au regard de leur caractère systématique et de leur gravité, le liquidateur judiciaire qui estime que M. [X] a sciemment organisé le pillage de la totalité des actifs de la société Proco France tout en tentant de dissimuler son action derrière un gérant de paille et en adoptant une attitude particulièrement désinvolte au cours de la procédure de liquidation judiciaire, demande à la cour de le condamner à supporter la totalité de l’insuffisance d’actif.
Le dirigeant, de droit ou de fait, d’une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l’article L.651-2 du code de commerce même dès lors que la faute de gestion qu’il a commise a contribué à l’insuffisance d’actif, même si elle n’en est que l’une des causes et sans qu’il y ait lieu de déterminer la part de l’insuffisance imputable à sa faute ; il peut être ainsi condamné à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales même si cette faute n’a contribué que partiellement à la réalisation du préjudice.
La sanction doit être proportionnée à la gravité des fautes commises.
M. [X] qui est marié et dont l’épouse travaille justifie de ses revenus annuels jusqu’en 2021, d’un montant de 20 451 euros en 2019 et de 16 727 euros en 2021 en ce qui le concerne.
Il ne donne d’indication ni sur ses revenus postérieurs ni sur son patrimoine dans ses conclusions ; il ressort cependant d’un jugement du tribunal de commerce de Versailles du 16 février 2018, qu’il verse aux débats pour justifier de la condamnation solidaire prononcée à son encontre au titre des cautionnements souscrits avec son épouse dans l’intérêt d’une société dont elle était la cogérante, que M. [X] et son épouse, en 2013, étaient propriétaires en commun de quatre biens immobiliers, leurs avis d’imposition versés aux débats mentionnant encore, en 2020 et 2022, un déficit au titre des revenus fonciers nets déclarés.
Au regard du nombre de fautes de gestion retenues à l’égard de M. [X] et de leur gravité, il convient, infirmant le jugement uniquement sur le quantum de la condamnation prononcée, de le condamner au paiement à la Selafa MJA, ès qualités, de la somme de 180 000 euros.
Cette condamnation, s’agissant d’une action en responsabilité, portera intérêt au taux légal non pas à compter de la date de l’assignation comme en a décidé le tribunal mais, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil à compter du présent arrêt.
Le jugement est en revanche confirmé en ce qu’il a ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, dans la limite des appels principal et incident,
Déclare recevables l’appel principal de M. [T] [X] et l’appel incident de la Selafa MJA, ès qualités ;
Confirme le jugement du 29 novembre 2022 sauf sur le quantum de la condamnation prononcée à l’encontre de M. [T] [X] et le point de départ des intérêts au taux légal ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne M. [T] [X] à payer à la Selafa MJA, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Proco France, la somme de 180 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne M. [T] [X] à payer à la Selafa MJA, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Proco France, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [T] [X] aux dépens de la procédure d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Delphine BONNET, Conseiller, pour le Président empêché, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,