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AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 19/04800 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MPBD
[T]
C/
SAS EUROCAVE
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de prud’hommes de LYON
jugement du 17 décembre 2015
Cour d’appel de LYON
arrêt du 5 mai 2017
Cour de Cassation de PARIS
du 15 Mai 2019
RG : J17-20.615
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
AUDIENCE SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2020
DEMANDEUR A LA SAISINE:
[X] [T]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Me Vincent DE FOURCROY de la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat postulantau barreau de LYON
Me Karine THIEBAULT avocat plaidant au barreau de LYON
DEFENDEUR A LA SAISINE:
SAS EUROCAVE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat postulant au barreau de LYON
Me Joseph AGUERA, avocat plaidant a barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 29 Juin 2020
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Joëlle DOAT, Président
Evelyne ALLAIS, Conseiller
Nathalie ROCCI, Conseiller
Assistés pendant les débats de Manon FADHLAOUI, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 30 Septembre 2020, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Président, et par Manon FADHLAOUI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Monsieur [X] [T] a été embauché le 1er octobre 2010 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée par la société EUROCAVE, en qualité de directeur général.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Par lettre remise en main propre le 18 novembre 2011, Monsieur [T] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 28 novembre 2011, avec mise à pied à titre conservatoire jusqu’à l’issue de la procédure.
Le 6 décembre 2011, il a été licencié pour faute grave.
Monsieur [T] a saisi le conseil de prud’hommes de LYON le 7 février 2012. Il demandait en dernier lieu à cette juridiction de dire que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse ainsi que de condamner la société EUROCAVE à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de préavis, une indemnité de licenciement, un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable 2011 ainsi qu’une indemnité de procédure, avec exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par jugement du 17 décembre 2015, le conseil de prud’hommes, dans sa formation de départage, a:
-déclaré irrecevable la demande de la société EUROCAVE tendant à faire juger non fondée l’ordonnance rendue le 29 mai 2012 par le bureau de conciliation présidé par le juge départiteur,
-dit que le licenciement de Monsieur [T] reposait bien sur une faute grave,
-condamné la société EUROCAVE à verser à Monsieur [T] la somme de 7.500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation contractuelle de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable pour 2011, outre intérêts légaux à compter de la décision,
-débouté Monsieur [T] du surplus de ses demandes,
-débouté la société EUROCAVE de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné la société EUROCAVE aux dépens.
Par arrêt du 5 mai 2017, la cour d’appel de Lyon, saisie par appel du salarié, a:
-confirmé le jugement, sauf quant au montant des dommages et intérêts alloués à Monsieur [T] au titre du manquement à l’obligation contractuelle de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable pour 2011,
-condamné la société EUROCAVE à payer à Monsieur [T] la somme de 17.500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation contractuelle de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable pour 2011,
-débouté Monsieur [T] du surplus de ses demandes,
-débouté Monsieur [T] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
-laissé à sa charge les dépens d’appel.
Statuant sur le pourvoi de Monsieur [T], la cour de cassation, par arrêt du 15 mai 2019, a:
-cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de la société EUROCAVE tendant à faire juger non fondée l’ordonnance rendue le 29 mai 2012 par le bureau de conciliation présidé par le juge départiteur,
-renvoyé la cause et les parties sur les autres points devant la cour d’appel de Lyon, autrement composée,
-condamné la société EUROCAVE aux dépens,
-vu l’article 700 du code de procédure civile, condamné la société EUROCAVE à payer la somme de 3.000 euros à Monsieur [T].
La cour de cassation a énoncé:
sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié,
au vu des articles L. 1121-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, qu’en statuant omme elle l’a fait pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, alors que le document remis par le salarié au consultant, qui était chargé de mener une réflexion sur la stratégie du groupe et d’interroger les cadres, ne comportait pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, et que les autres documents retrouvés dans l’ordinateur n’avaient pas fait l’objet d’une diffusion publique, la cour d’appel a violé les textes susvisés,
sur le second moyen du pourvoi principal du salarié,
au vu des articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil, ce dernier texte dans sa rédaction alors applicable, qu’en statuant comme elle l’a fait pour condamner la société à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation contractuelle de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable pour 2011, alors qu’en l’absence de fixation des objectifs, il lui appartenait de fixer le montant de la rémunération variable pour l’exercice 2011 en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Par déclaration du 9 juillet 2019, Monsieur [T] a saisi la cour d’appel de Lyon.
Dans ses conclusions soutenues oralement à l’audience, Monsieur [T] demande à la Cour de:
-infirmer le jugement,
-dire que son licenciement est nul pour être intervenu en violation de sa liberté d’expression et dénué de toute cause réelle et sérieuse,
-condamner la société EUROCAVE à lui payer les sommes suivantes :
7.446,36 euros à titre de rappel de salaire relatif à la mise à pied à titre conservatoire outre 744,66 euros de congés payés afférents,
38.220 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 3.822 euros de congés payés,
3.618,16 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la demande en justice,
76.440 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse,
35.000 euros bruts à titre de rappel de rémunération variable pour l’année 2011 en l’absence de fixation de ses objectifs outre 3.500 euros au titre des congés payés afférents,
5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société EUROCAVE aux dépens de première instance et d’appel.
Dans ses conclusions soutenues oralement à l’audience, la société EUROCAVE demande à la Cour de:
-confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une faute grave et a débouté Monsieur [T] de l’intégralité de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail,
-infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation contractuelle de fixer les objectifs pour le calcul de la rémunération variable 2011,
-débouter Monsieur [T] de toutes ses demandes afférentes à la rémunération variable et du surplus de ses demandes,
-condamner Monsieur [T] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner Monsieur [T] aux dépens de première instance et d’appel.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.
SUR CE:
sur le licenciement:
Selon les termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse. La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit la prouver.
Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables.
Par ailleurs, la sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l’ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés
En application de l’article L. 1232-6 du code du travail, la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige.
Aux termes de la lettre de licenciement, l’employeur reproche à Monsieur [T] d’avoir porté atteinte à son autorité et à sa crédibilité par un comportement fautif caractérisé par une divergence fréquente et affichée sur les enjeux stratégiques, un dénigrement public de la direction, une déloyauté, une perte de confiance et une intention de nuire.
Il ressort des explications des parties et des pièces versées aux débats:
-que Monsieur [N] est le président de la société EUROCAVE, spécialisée dans la création, la fabrication et la commercialisation de produits de conservation du vin,
-que la société EUROCAVE, qui compte plus de 100 salariés, avait un comité de direction et un comité exécutif plus restreint auquel Monsieur [T] participait,
-que Monsieur [T] avait:
pour mission principale de développer le marché des applications à usage professionnel destinées à la conservation du vin, à la mise en température du vin, au service du vin, au rangement du vin,
devait, à ce titre définir, ajuster et mettre en oeuvre la stratégie générale pour développer cette activité,
disposait à cette fin d’importantes responsabilités en matière de commerce, de stratégie produits, de fabrication produits, de logistique, de ressources humaines et de suivi d’activité,
était rattaché hiérarchiquement à Monsieur [N], président du groupe EUROCAVE,
-que Messieurs [N] et [T] se connaissaient depuis longtemps avant l’embauche de Monsieur [T] et que ce dernier avait rendu plusieurs services d’ordre professionnel à Monsieur [N].
Il convient d’examiner les faits fautifs imputés à Monsieur [T] au regard des éléments susvisés.
divergence fréquente et affichée sur les enjeux stratégiques:
Monsieur [T] fait valoir que s’il a eu l’occasion d’exprimer son désaccord quant à certaines décisions stratégiques du président, dans le cadre de son rôle de directeur général et dans un contexte d’incompréhension et de conflit entre la présidence et plusieurs membres du comité exécutif, il n’a fait qu’user de sa liberté d’expression, n’ayant jamais tenu de propos excessifs, injurieux ou diffamatoires à l’égard de l’employeur.
La société EUROCAVE réplique que le salarié s’inscrivait dans une attitude d’opposition systématique à l’égard de de la direction, qui s’étendait au delà du comité de direction, que ce comportement avait pour but de déstabiliser le président de la société et est constitutif d’un manquement fautif à l’obligation de loyauté, peu important que le salarié ait abusé ou non de sa liberté d’expression.
Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Des propos ne peuvent caractériser un manquement à l’obligation de loyauté que s’ils consistent en un abus de la liberté d’expression. Cet abus est caractérisé si les propos en cause revêtent un caractère injurieux, diffamatoire ou excessif, cela en tenant compte notamment du contexte dans lequel ils ont été prononcés, de la publicité donnée aux propos ainsi que de la qualité du salarié.
A l’appui du premier grief, la société EUROCAVE se prévaut de différents courriels et documents contenus dans l’ordinateur professionnel de Monsieur [T], extraits de cet ordinateur suite à un procès-verbal de constat d’huissier du 5 décembre 2011, et notamment de:
-deux projets de courriel à Monsieur [B] [R], actionnaire du groupe QUALIS, qui détient la société EUROCAVE, rédigés les 26 et 29 août 2011 par le salarié,
-un échange de courriels du 17 octobre 2011 entre Madame [P] et Monsieur [T], dans lequel ce dernier indique au sujet de Monsieur [N] « Il est visiblement reparti sur une paranoïa aigue »
-un document de travail établi le 29 août 2011 par Monsieur [T] dans la perspective d’un séminaire stratégie, lequel document critique de manière virulente la stratégie en place au sein de la société,
-un projet de lettre anonyme aux salariés de la société EUROCAVE, rédigé par Monsieur [T], aux termes duquel ce dernier critique les décisions de la direction et met en cause directement Monsieur [N].
Toutefois, l’employeur n’établit pas que le salarié a transmis ses projets de courriels à Monsieur [R] ou encore son projet de lettre anonyme aux salariés de la société EUROCAVE. Par ailleurs, l’échange de courriels du 17 octobre 2011 révèle que Monsieur [T] et Madame [P] entretenaient une relation sentimentale, de telle sorte qu’il avait un caractère privé. Aussi, en l’absence de diffusion publique des écrits précités, le contenu de ceux-ci ne peut être reproché au salarié.
Monsieur [T] a remis un document de travail daté du 29 août 2011 intitulé ‘quel projet pour EUROCAVE 2012″, à Monsieur [E], consultant privé, en charge d’animer un séminaire stratégie du groupe EUROCAVE les 6 et 7 octobre 2011. Ce document de travail, qui révèle d’importantes divergences de Monsieur [T] avec le président de la société quant à la stratégie de l’entreprise, décrit notamment à l’appui du constat négatif dressé par le salarié pour l’année 2011 ‘une équipe de direction qui a perdu le sens et ne comprend plus son PDG qui paraît en mode panique’
Monsieur [T], qui ne conteste pas avoir eu l’occasion de faire valoir son désaccord quant à certaines décisions stratégiques du président comme d’autres membres du comité exécutif, ne démontre pas le caractère confidentiel du document de travail du 29 août 2011, l’ayant remis à un tiers sans précaution particulière.
Toutefois, il incombait à Monsieur [T] en sa qualité de directeur général de définir la stratégie générale pour développer l’activité qui lui était confiée. Il lui appartenait en conséquence de donner son avis sur les enjeux stratégiques de la société dans le cadre du séminaire animé par Monsieur [E], même si cet avis était divergent de celui du président. Aussi, compte tenu des fonctions du salarié, de ce que le document de travail considéré était destiné à alimenter la réflexion des membres du comité exécutif sur la stratégie du groupe EUROCAVE, les avis divergents exprimés par le salarié dans ce document, notamment par le biais de la phrase précitée, ne revêtent pas un caractère injurieux, excessif ou diffamatoire.
Par ailleurs, s’il ressort des attestations versées aux débats qu’au cours de l’année 2011, d’importantes dissensions existaient au sein du comité de direction ou du comité exécutif de la société quant à la stratégie du groupe et que Monsieur [T] a fait part à plusieurs reprises de son désaccord avec Monsieur [N] dans le cadre de ces comités, l’employeur ne démontre pas que le salarié a exprimé ses divergences de point de vue avec le président de la société en dehors des comités considérés, peu important le bien fondé ou non des désaccords dont il s’agit.
Compte tenu de ces éléments, l’employeur ne prouve pas que les divergences manifestées par le salarié quant aux enjeux stratégiques étaient constitutives d’un manquement à l’obligation de loyauté, en l’absence d’un abus de sa liberté d’expression. Le premier grief n’est pas établi.
un dénigrement public de la direction:
Monsieur [T] fait valoir qu’il n’a jamais tenu publiquement de propos dénigrant le président de la société, que s’il a exprimé de tels propos dans un document de travail sur les projets et stratégies de la société, ce document de travail remis au consultant en charge d’un séminaire sur la stratégie était destiné à être modifié et n’avait pas vocation à être diffusé, que compte tenu de leur contexte, ses propos écrits n’étaient pas injurieux, diffamatoires ou excessifs et n’étaient pas fautifs.
La société EUROCAVE réplique que le document de travail de Monsieur [T] contenait des termes de nature à porter atteinte à la crédibilité et aux compétences du président, que le salarié a remis ce document de travail à un consultant, tiers à la société, sans lui donner aucune consigne de confidentialité, de telle sorte que les termes dénigrants utilisés par le salarié avaient un caractère public, que ces termes sont constitutifs d’un abus de la liberté d’expression du salarié du fait de leur caractère excessif et diffamatoire.
Monsieur [E] atteste qu’il a été étonné par les termes employés vis à vis de Monsieur [N] ‘un PDG en mode panique’, ‘une équipe de direction qui ne comprend plus son PDG’, dans le document de travail daté de fin août 2011 que Monsieur [T] lui a remis, que de son point de vue le comité de direction était entré en rébellion contre son PDG sous la conduite de Monsieur [T] auquel chaque personne faisait référence en permanence et que lors d’une nouvelle rencontre avec Monsieur [T] fin novembre 2011, il a pu constater que ce dernier restait extrêmement critique vis à vis de Monsieur [N] et considérait que ce dernier menait la société EUROCAVE à sa perte.
Il a été dit ci-dessus que le document de travail remis à Monsieur [E] ne contenait pas de propos excessifs, diffamatoires ou injurieux. Surabondamment, il convient d’observer que la phrase reprochée au salarié dans le document de travail du 29 août 2011 a été modifiée dans le document final présenté par Monsieur [T] au séminaire stratégie des 6 et 7 octobre 2011 de la manière suivante:
‘une équipe de direction qui a perdu le sens et une compréhension rompue entre le PDG et le COMEX’.
Par ailleurs, l’attestation de Monsieur [E] est trop imprécise sur la date et le contenu de l’entretien de fin novembre 2011 pour prouver que le salarié aurait tenu à cette occasion des propos injurieux, excessifs ou diffamatoires. Le second grief n’est pas établi.
une déloyauté, une perte de confiance et une intention de nuire:
Monsieur [T] fait valoir que ce grief s’appuie pour partie sur des documents trouvés dans son ordinateur professionnel après le 18 novembre 2011, date de mise en oeuvre du licenciement, que les écrits contenus dans cet ordinateur et qui lui sont reprochés n’ont jamais été adressés ou avaient un caractère privé, que si ces écrits étaient critiques à l’égard de Monsieur [N], ils n’étaient pas diffamatoires ni injurieux et n’étaient donc pas fautifs, que la perte de confiance n’est pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, qu’il n’a pas non plus commis d’actes dans l’intention de nuire à Monsieur [N], qu’au contraire, il a alerté Monsieur [N] du désarroi et des craintes des membres du comité exécutif, que certains des témoignages versés aux débats par l’employeur sont indirects ou imprécis et sont contredits par ceux qu’il produit.
La société EUROCAVE réplique qu’à compter du début de l’année 2011, le salarié a mené une véritable campagne de déstabilisation de la direction, essayant de liguer certains membres du comité exécutif à l’encontre de Monsieur [N], que le salarié avait déjà fait preuve du même comportement à l’égard d’un autre employeur, que le projet de lettre anonyme de Monsieur [T] contenait des attaques et des critiques à l’encontre de la direction et était destiné à être diffusé au sein de l’entreprise, que si le salarié acquiesçait aux décisions adoptées, il remettait ultérieurement en cause ces décisions et émettait des critiques à l’égard de la direction en dehors du cadre du comité exécutif
Monsieur [J], alors responsable Asie Pacifique de la société EUROCAVE, témoigne le 25 février 2013 que lors de sa période d’intégration en France du 1er au 31 août 2011, il a reçu de la part des membres du comité de direction de l’époque des informations erronées et de matière à le déstabiliser et à l’influencer contre Monsieur [N]. Néanmoins, il ne nomme pas Monsieur [T] dans le cadre de son attestation.
Par ailleurs, les témoignages de Monsieur [I] et Madame [W] quant aux manoeuvres peu scrupuleuses commises par Monsieur [T] de 2004 à 2006 afin de servir ses intérêts dans le cadre d’une société RAISONNANCE dont il était administrateur sont contredits par ceux de Messieurs [V] et [D] et ne sont d’aucun renseignement quant aux faits imputés au salarié dans le cadre du troisième grief.
Lors de l’examen du premier grief, la cour a dit que le projet de lettre anonyme retrouvé dans l’ordinateur professionnel du salarié n’était pas constitutif d’une faute, en l’absence de diffusion de ce projet. Par ailleurs, si certains des courriels de Monsieur [T], extraits de l’ordinateur professionnel du salarié sont critiques à l’égard de l’employeur, ils ne contiennent pas de termes excessifs, diffamatoires ou injurieux. Le troisième grief n’est pas établi.
Les manquements reprochés au salarié n’étant pas fautifs, le licenciement ne repose donc pas sur une faute grave, ni même sur une cause réelle et sérieuse. Au surplus, Monsieur [T] a été licencié en raison de l’exercice de sa liberté d’expression. Aussi, il convient de prononcer la nullité de son licenciement prononcé en violation de l’exercice d’une liberté fondamentale. Le jugement sera infirmé sur ce point.
En l’absence de réintégration, le salarié victime d’un licenciement nul a droit aux indemnités de rupture ainsi qu’à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l’article L.1235-1 du code du travail, soit les salaires des six derniers mois.
Par ailleurs, le salarié a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire injustifiée, compte tenu de la nullité du licenciement.
Monsieur [T] avait 46 ans et une ancienneté d’un an et un mois dans l’entreprise au moment du licenciement. Il percevait à cette date un salaire mensuel brut fixe de 12.740 euros. Les montants des sommes réclamées par le salarié au titre du rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire injustifiée, de l’indemnité compensatrice de préavis en application de l’article 27 de la convention collective applicable et de l’indemnité légale de licenciement ne sont pas critiquées par l’employeur. Par ailleurs, le salarié sollicite le montant de l’indemnité minimale en cas de licenciement nul.
La société EUROCAVE sera donc condamnée à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes:
7.446,36 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire outre 744,66 euros de congés payés afférents,
38.220 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 3.822 euros de congés payés afférents,
3.618,16 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du 16 février 2012, date d’accusé de réception par l’employeur de la lettre de convocation devant le conseil de prud’hommes,
76.440 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, étant précisé que cette somme supportera s’il y a lieu les cotisations et contributions sociales.
sur la rémunération variable:
Lorsque le calcul de la rémunération variable dépend d’éléments qui n’ont pas été précisés et fixés par l’employeur, celui-ci ne peut imposer au salarié une diminution de cette rémunération laquelle doit être payée intégralement pour chaque exercice.
Monsieur [T] fait valoir qu’il bénéficiait d’une rémunération brute variable sur objectifs, lesquels devaient être fixés chaque année, qu’il a perçu 100 % de sa prime (au prorata) pour l’année 2010 compte tenu de la qualité de son travail, qu’il a reçu une proposition d’objectifs pour 2011 à laquelle il a répondu mais que l’employeur n’y a donné aucune suite et n’a pas procédé au versement de sa rémunération variable pour l’année 2011, qu’en l’absence de fixation de ses objectifs pour l’année 2011, il peut prétendre à la totalité de sa rémunération variable pour l’année 2011.
La société EUROCAVE réplique que le salarié a bénéficié de la totalité de sa rémunération variable pour l’année 2010 au prorata de son temps de présence uniquement en raison de la courte période existant entre la date d’embauche du salarié et la fin de l’année 2010, qu’il résulte d’écrits respectifs des parties de janvier 2011 que le salarié avait connaissance de ses objectifs, qu’elle n’a pas versé au salarié sa rémunération variable pour l’année 2011 du fait qu’une des conditions d’obtention de cette rémunération n’était pas remplie.
Les parties sont d’accord pour reconnaître que Monsieur [T] bénéficiait en sus de sa rémunération fixe d’une rémunération variable sur objectif d’un montant maximum de 35.000 euros.
Par courriel de l’employeur du 5 janvier 2011, Monsieur [T] a reçu une proposition d’objectifs pour 2011 ‘à affiner pour les chiffres’. Il a répondu à cette proposition par courriel du 6 janvier 2011, faisant état de ce que cette proposition ne reprenait pas la répartition entre les objectifs convenue entre les parties et demandant des explications sur certains points. Par ailleurs, une note interne de la société EUROCAVE du 8 février 2011 précise les règles d’attribution de la rémunération variable sur objectifs 2011 mais seulement en ce qui concerne l’objectif collectif, devant compter pour 25 % du montant total brut de la prime sur objectifs des membres du comité d’exécution.
Or, ces pièces ne prouvent pas que l’employeur a fixé à Monsieur [T] des objectifs précis et lui a donné connaissance des modalités de calcul de sa rémunération variable pour l’année 2011 avant l’exercice considéré.
Monsieur [T], qui n’a perçu aucune somme au titre de sa rémunération variable, est donc bien fondé à réclamer la totalité de la rémunération variable sur objectif à laquelle il pouvait prétendre pour l’année 2011, compte tenu de la durée du préavis.
La société EUROCAVE sera condamnée à payer à Monsieur [T] la somme de 35.000 euros au titre de sa rémunération variable pour l’année 2011 outre 3.500 euros au titre des congés payés afférents.
La société EUROCAVE , partie perdante dans le cadre du recours, sera condamnée aux dépens d’appel, y compris ceux de l’arrêt cassé.
Elle sera également condamnée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à payer à Monsieur [T] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de ce dernier tant en première instance qu’en appel.
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,
INFIRME le jugement;
STATUANT A NOUVEAU,
CONDAMNE la société EUROCAVE à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes:
7.446,36 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire outre 744,66 euros de congés payés afférents,
38.220 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 3.822 euros de congés payés afférents,
3.618,16 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du 16 février 2012,
76.440 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
35.000 euros au titre de sa rémunération variable pour l’année 2011 outre 3.500 euros au titre des congés payés afférents;
DIT que les sommes allouées supporteront, s’il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales;
CONDAMNE la société EUROCAVE à payer à Monsieur [T] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE la société EUROCAVE aux dépens d’appel
Le Greffier La Présidente
Manon FADHLAOUIJoëlle DOAT