Diffamation : décision du 28 septembre 2016 Cour de cassation Pourvoi n° 15-17.994

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Diffamation : décision du 28 septembre 2016 Cour de cassation Pourvoi n° 15-17.994
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SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 28 septembre 2016

Rejet non spécialement motivé

M. LACABARATS, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président

Décision n° 10753 F

Pourvoi n° U 15-17.994

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :

Vu le pourvoi formé par la société Carrefour hypermarchés, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,

contre l’arrêt rendu le 11 mars 2015 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. A… W…, domicilié […] ,

2°/ à Pôle emploi Ile-de-France, dont le siège est […] ,

défendeurs à la cassation ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 12 juillet 2016, où étaient présents : M. Lacabarats, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Geerssen, conseiller rapporteur, Mme Reygner, conseiller, Mme Becker, greffier de chambre ;

Vu les observations écrites de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Carrefour hypermarchés, de Me Rémy-Corlay, avocat de M. W… ;

Sur le rapport de Mme Geerssen, conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l’article 1014 du code de procédure civile ;

Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l’encontre de la décision attaquée, n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Qu’il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Carrefour hypermarchés aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Carrefour hypermarchés et condamne celle-ci à payer à M. W… la somme de 3 000 euros ;

Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE à la présente décision

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour hypermarchés

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement en toutes ses dispositions sauf sur le montant de l’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau d’AVOIR condamné la société Carrefour Hypermarchés à verser à M. W… la somme de 14 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonné à la société Carrefour Hypermarchés de rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage versés au salarié dans la limite de six mois d’indemnités et enfin d’AVOIR condamné la société Carrefour Hypermarchés à verser à M. W… la somme de 2 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

AUX MOTIFS PROPRES QUE « Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché au salarié d’avoir le 27 octobre 2009 menacé M. Y…, son manager métier, qui venait de procéder à l’affichage des horaires de travail pour les trois semaines à venir et dont il exigeait des explications sur le rétablissement des permanences de 20 h, en lui déclarant : « écoutes moi bien… si je me fais virer à cause de toi, tu es un homme mort » tout le menaçant avec un couteau à beurre ; la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend nécessaire le départ immédiat du salarié ; l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ; en l’occurrence, la société Carrefour Hypermarchés produit pour démontrer la réalité des griefs énoncés la plainte déposée par M. Y… dans laquelle K… expose que M. W… s’est énervé en s’apercevant que les permanences de 20h étaient rétablies et l’a accusé de chercher à le « faire virer » ; il confirme les propos cités dans la lettre de licenciement ainsi que le geste de menace avec le couteau à beurre ; l’employeur verse encore aux débats le procès-verbal d’audition de M. V… qui, témoin de la scène ayant opposé M. Y… et M. W…, indique que le ton est monté car ce dernier était mécontent de ne pas avoir été prévenu des changements d’horaires mais précise qu’il n’a pas prêté attention aux paroles échangées, l’attestation et le procès-verbal d’audition de M. U…, témoin également de l’altercation , qui déclare avoir entendu M. W… menacer M. Y… en employant les termes suivants : « tu cherches la merde », ainsi que le procès-verbal de M. T… qui se souvient avoir entendu M. W… dire à M. Y… que c’était un fainéant et qu’il fallait toujours changer d’horaire de repos ; M. W… conteste les faits qui lui sont reprochés ; il fait remarquer qu’aucun des témoins n’évoque la présence d’un couteau et souligne que la plainte de M. Y… a été classée sans suite. Il verse aux débats des planning antérieurs au mois d’octobre 2009 dont il ressort que les salariés étaient chaque semaine amenés à faire des horaires différents selon les jours de la semaine et selon les semaines comportant une permanence jusqu’à 20h ; Il résulte de l’enquête menée à la suite de la plainte déposée par M. Y… contre son collègue de travail pour menace de mort que les témoins n’ont confirmé ni les menaces de mort ni la présence d’un couteau à beurre ; que M. W… a reconnu s’être énervé et avoir reproché à M. Y… de « chercher la merde et de changer les horaires » alors que K… ne voulait pas discuter avec lui des planning. M. D…, entendu dans le cadre de l’enquête, déclare avoir assisté à toute la dispute et être resté à côté d’eux jusqu’à ce qu’ils se séparent ; il indique que « le ton est monté entre eux » ; que M. Y… a commencé à provoquer M. W… en se rapprochant de lui. Il affirme ne pas avoir entendu ce dernier menacer son collègue, les deux protagonistes n’ayant fait que parler planning ; de l’ensemble de ces éléments, et étant souligné que le salarié en sept ans d’ancienneté ne s’est jamais fait remarquer par un comportement violent, il résulte que la preuve de l’existence d’une faute grave n’est pas rapportée ; le jugement sera confirmé en ce qu’il a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Carrefour Hypermarchés à verser les indemnités de rupture et le rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire injustifiée ; Aux termes de l’article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et qu’il n’y a pas réintégration du salarié dans l’entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l’employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. W…, de son ancienneté de sept années, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L.1235-3 du code du travail, la somme de 14 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé sur le montant alloué de ce chef ; l’application de l’article L.1235-3 du code du travail appelle celle de l’article L.1235-4, la société sera en conséquence condamnée à rembourser à pôle emploi les indemnités versées au salarié dans la limite de six mois d’indemnités ; la société Carrefour Hypermarchés sera condamnée aux dépens et versera à M. A… W… la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Vu l’article L.1221-1 du code du travail relatif à la justification de tout licenciement pour motif personnel, vu le principe constant qu’en matière de faute grave, la charge de la preuve est à l’employeur, vu le principe constant que la lettre fixe les limites du litige, vu les dispositions de l’article L.1121-1 du code du travail selon lesquelles ‘nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché’, vu les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail relatives à l’indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, en l’espèce, attendu que la plainte pénale déposée par M. Y… a été classée sans suite par le Tribunal d’Evry ; que les deux attestations de témoins produites à l’appui du licenciement ne corroborent pas les propos et attitudes de la lettre de licenciement ; qu’au cours de la discussion entre M. Y… et M. A… W… , ce dernier n’a tenu aucun propos diffamatoire, injurieux ni excessif ;le conseil considère la sanction disproportionnée, au vu de l’échelle des sanctions mentionnée dans le règlement intérieur produit ; en conséquence, le conseil dit que le licenciement est sans cause suffisamment sérieuse et fera droit à la demande au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 9 295,48euros » ;

1.ALORS QUE la preuve d’un fait juridique est libre ; que la preuve d’un comportement violent et menaçant peut donc résulter des seules déclarations de la victime ; qu’en l’espèce, la lettre de licenciement reprochait au salarié d’avoir déclaré à son supérieur hiérarchique « écoutes moi bien… si je me fais virer à cause de toi tu es un homme mort » en le menaçant avec un couteau à beurre, circonstances dont la cour d’appel a expressément relevé qu’elles étaient confirmées par les déclarations de M. Y…, victime de ces menaces, devant les services de police ; qu’en retenant que la plainte de M. Y… était restée sans suite et que les faits de violence décrits n’étaient pas corroborés, la cour d’appel, qui a implicitement mais nécessairement estimé que les seules déclarations de M. Y… étaient insuffisantes, a violé l’article 1315 du Code civil ;

2.ALORS QU’en toute état de cause la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que les juges du fond sont tenus d’examiner les griefs invoqués à l’appui du licenciement prononcé à l’encontre du salarié tels qu’ils sont formulés dans la lettre de rupture ; qu’en l’espèce, si dans la lettre de licenciement, l’employeur faisait état de faits qui lui avaient été rapportés par M. Y… et notamment le fait que M. W… avait déclaré « écoutes moi bien … si je me fait virer à cause de toi tu es un homme mort » en le menaçant avec un couteau à beurre, il reprochait plus globalement au salarié qui avait reconnu s’être énervé et avoir mal parlé à son supérieur hiérarchique en lui déclarant d’un ton menaçant « tu cherches la merde » d’avoir, par ses propos et son attitude menaçante, agi en violation de l’article 10 al.2-3 du règlement intérieur (lettre de licenciement p.2§2) ; qu’en estimant néanmoins qu’aux termes de la lettre de licenciement il était seulement reproché au salarié d’avoir menacé M. Y… de mort avec un couteau à beurre, la cour d’appel a violé l’article L.1232-6 du code du travail.

3.ALORS QUE constitue une faute grave le fait pour le salarié d’adopter un comportement agressif et insultant à l’encontre de son supérieur hiérarchique, peu important son ancienneté et l’absence de sanctions antérieures ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément constaté que dans les procès-verbaux d’auditions M. U… avait déclaré avoir entendu le salarié « menacer M. Y… en employant les termes ‘tu cherches la merde’ », M. T… expliquait qu’il avait « entendu M. W… dire à M. Y… que c’était un fainéant » et enfin que le salarié lui-même avait reconnu s’être énervé et avoir reproché à son supérieur « de chercher la merde », ce dont il résultait que le salarié avait à la fois abusé de sa liberté d’expression en tenant des propos diffamatoires, injurieux et excessif et adopté une attitude menaçante à l’encontre de son supérieur hiérarchique ; qu’en jugeant le contraire et en retenant pour écarter la faute grave du salarié que ce dernier, en sept ans d’ancienneté, ne s’était jamais fait remarquer par un comportement violent, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé les articles L.1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 du code du travail.

4.ALORS QUE les juges sont tenus de répondre aux moyens des parties ; que dans ses écritures l’employeur, qui reprochait au salarié d’avoir agi en violation du règlement intérieur, faisait notamment valoir que ce dernier avait déjà fait l’objet de 5 rappels à l’ordre entre 2005 et 2006 et de deux lettres recommandées en 2008 et 2009 pour avoir enfreint les règles de l’entreprise (conclusions p.11 et 12) ; qu’en retenant pour écarter la faute grave du salarié qu’en sept ans d’ancienneté, il ne s’était jamais fait remarquer par un comportement violent sans répondre au moyen tiré de la violation réitérée par le salarié de ses obligations contractuelles, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

5. ALORS de même QUE les juges ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; qu’en l’espèce, l’employeur reprochait au salarié, qui avait reconnu s’être énervé et avoir mal parlé à son supérieur hiérarchique d’avoir, par ses propos et son attitude menaçante, agi en violation de l’article 10 du règlement intérieur de l’entreprise, lequel prohibait à la fois toute forme d’insubordination et les propos diffamatoires ou vexatoires vis-à-vis des autres salariés ; qu’à l’appui du licenciement qu’il avait prononcé à l’encontre de M. W…, l’employeur produisait notamment l’attestation de M. V… dans laquelle ce dernier déclarait qu’il avait été témoin d’une altercation verbale entre les deux individus et que « A… était très énervé après P… M… (attestation p.1) et celle de M. U… qui faisait état de ce qu’il avait entendu « le ton monter violemment et A… menacer d’un ton agressif ‘tu cherches la merde’ assez fort pour que je puisse l’entendre » (attestation p.1 in fine) ; qu’en estimant néanmoins, par motifs adoptés, que « les deux attestations de témoins produites à l’appui du licenciement ne corroborent pas les propos et attitudes de la lettre de licenciement » (jugement p.5al.6) la cour d’appel a dénaturé lesdites attestations et violé le principe interdisant aux juges de dénaturer les documents de la cause;

6. ALORS QUE la décision de classement sans suite d’une plainte par le procureur de la République constitue un acte dépourvu de l’autorité de la chose jugée ; que pour dire que la faute grave du salarié n’était pas caractérisée la cour d’appel a, par motifs adoptés, retenu que « la plainte pénale déposée par M. Y… a été classée sans suite par le Tribunal d’Evry » et par motifs propres relevé que le salarié faisait observer que la plainte avait été classée sans suite ; qu’en se référant, pour écarter la faute grave du salarié, à l’absence de suite pénale n’ayant aucune autorité de la chose jugée, la Cour d’appel a statué par des motifs inopérants en violation de l’article 455 du Code de Procédure Civile ;

7.ALORS enfin QUE l’excuse de provocation ne peut être retenue que lorsque la réaction est proportionnée à la provocation ; qu’en relevant, pour juger que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse que M. D…, entendu dans le cadre de l’enquête, avait déclaré que M. Y… avait « commencé à provoquer M. W… » sans constater que la réaction du salarié qui avait notamment consisté à tenir des propos insultants et à adopter une attitude menaçante à l’encontre de son supérieur hiérarchique était proportionnée à la prétendue provocation qu’il aurait subie, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 du code du travail.

 


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