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N° P 18-85.046 F-D
N° 2334
SM12
26 NOVEMBRE 2019
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
M. F… G… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 9 juillet 2018, qui, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, l’a condamné à 500 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils.
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 15 octobre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAGAUCHE ;
Des mémoires, en demande, en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. D… L…, magistrat, a porté plainte et s’est constitué partie civile, du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, à la suite de la publication dans le quotidien Le Monde et de la mise en ligne sur les sites internet de ce journal d’un article faisant état de la plainte déposée des chefs d’homicide involontaire et de harcèlement moral par la veuve d’un substitut au parquet de Nanterre après le suicide de son mari, et de l’ouverture d’une information judiciaire sur ces faits, et en raison des titres de cet article, soit, dans le quotidien, “D… L… poursuivi pour homicide involontaire” et, sur les sites internet, “L’ex-procureur de Nanterre D… L… poursuivi pour homicide involontaire”.
3. M. G… a été déclaré coupable par les juges du premier degré en sa qualité de directeur de la publication du quotidien et de ses sites internet.
4. Il a relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public et la partie civile.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 23, 29, alinéa 1er, 30, 31, alinéa 1er, 35, 42 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.
6. Le moyen critique l’arrêt attaqué “en ce que l’arrêt attaqué a condamné M. G… du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire, dépositaire de l’autorité publique ou citoyen chargé d’une mission de service public à l’encontre de L… ;
1°) alors qu’ il doit exister entre les imputations et la fonction de la personne diffamée, ou sa qualité, une relation directe et étroite, à défaut de laquelle il y a simple diffamation de l’homme privé ; qu’a méconnu le sens et la portée de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d’appel qui s’est bornée à indiquer, de manière péremptoire, que les propos imputent des faits précis « à une personne expressément dénommée, dont la qualité de magistrat est également expressément mentionnée », sans préciser en quoi la nature même du fait imputé contenait la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction, ni établir précisément que la qualité ou la fonction de la personne visée avait été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son support nécessaire ;
2°) alors qu’ il appartient aux juges du fond d’apprécier le sens et la portée des propos poursuivis au regard des éléments intrinsèques et extrinsèques qui en éclairent le sens et la portée ; que n’a pas rempli son office et n’a pas légalement justifié sa décision, la cour d’appel qui s’est bornée à se cantonner aux seuls titres des articles litigieux sans analyser précisément leur contenu qui indiquait, notamment, que les raisons du suicide de N… W…, souffrant de difficultés personnelles, n’avaient pu être élucidées, en recueillant et en retranscrivant l’opinion de la partie civile, nuançant ainsi largement les titres de l’article poursuivis ;
3°) alors qu’en outre, la bonne foi ne saurait se confondre avec la vérité des faits ; que dès lors la cour d’appel ne pouvait, sans priver sa décision de toute base légale, condamner le prévenu et écarter sa bonne foi en se fondant sur le seul fait qu’aucune « poursuite », au sens strict, n’avait eu lieu à l’encontre du magistrat et, partant, sur l’inexactitude alléguée des propos poursuivis résultant des titres suivants « M. D… L… poursuivi pour homicide involontaire » et « l’ex procureur de Nanterre, M. D… L… poursuivi pour homicide involontaire », le caractère juridiquement discutable, voire inexact, de l’information délivrée n’étant pas exclusif de la bonne foi et, plus précisément, du sérieux de l’enquête ou de la suffisance de la base factuelle ;
4°) alors qu’en tout état de cause, l’animosité personnelle réside dans la volonté primordiale de porter tort à la personne visée au moyen d’attaque personnelle ; que la seule existence d’un conflit, à le supposer établi, ne permet pas d’écarter systématiquement la bonne foi ; qu’au cas présent, n’a pas légalement justifié sa décision la cour d’appel qui a retenu « l’existence d’une animosité personnelle du journaliste à l’égard du plaignant » à raison d’« un grave conflit (qui) a opposé le journal Le Monde et certains de ses journalistes à M. L… suite à des informations parues dans ce journal, conflit qui s’est poursuivi au niveau judiciaire » et de la rédaction d’articles critiques à l’égard de ce dernier par le journaliste auteur des propos poursuivis, ces seuls éléments n’étant pas suffisants à démontrer une volonté de porter tort, au cas concret, à la personne poursuivie au moyen d’attaque personnelle ;
5°) alors qu’enfin, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’expression, laquelle ne peut faire l’objet d’une limitation qu’à la condition d’être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus ; qu’en l’espèce, n’ont pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, les titres, pouvant paraître exagérés ou provocateurs, d’un article dont le contenu était équilibré en mentionnant clairement la position de la partie civile et en rappelant que les raisons du suicide du magistrat, non élucidées, pouvaient être imputables à différents facteurs, tant professionnels que personnels, les juges du fond reconnaissant eux-mêmes que « M. D… L…, haut magistrat ayant eu à traiter d’affaires médiatisées, peut s’attendre à des attaques sur le plan professionnel, et que les faits relatés, à savoir le suicide d’un magistrat du parquet qu’il dirigeait, constituent un sujet d’intérêt général » et que « les limites de la critique admissible sont plus larges envers les personnes chargées de fonctions officielles, telles les magistrats ».
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris, en ses deux premières branches
7. L’arrêt énonce que l’imputation d’être poursuivi pour homicide involontaire est celle d’un fait précis contraire à l’honneur et à la considération visant M. L…, dont la qualité de magistrat est expressément mentionnée, même s’il résulte du contenu de l’article lui-même que les poursuites, liées au suicide d’un des anciens collaborateurs de l’intéressé, consistent uniquement en l’ouverture d’une information judiciaire.
8. Il confirme en conséquence le jugement en ce qu’il a retenu que les titres poursuivis contenaient une imputation diffamatoire à l’encontre de la partie civile.
9. En prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision, pour les deux motifs qui suivent.
10. En premier lieu, il résulte de ces énonciations que le fait imputé à la partie civile contenait la critique d’actes de sa fonction susceptibles d’avoir été commis en sa qualité d’ancien procureur de la République de Nanterre.
11. En second lieu, la cour d’appel a exactement apprécié le sens et la portée des titres poursuivis, éclairés par le contenu de l’article qu’elle a souverainement analysé.
12. Ainsi, les griefs doivent être écartés.
Mais sur le moyen, pris en ses trois autres branches
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
13. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
14. L’arrêt énonce que le suicide d’un magistrat du parquet dirigé par la partie civile, haut magistrat ayant eu à traiter des affaires médiatisées, constitue un sujet d’intérêt général.
15. Les juges ajoutent que l’article litigieux se garde de préciser que seule une plainte simple contre personne non-dénommée a été déposée, et que l’information judiciaire a été également ouverte contre personne non-dénommée, et en déduisent qu’il n’existe, en droit, aucune poursuite contre la partie civile et qu’il est faux d’affirmer que celle-ci a été poursuivie pour homicide involontaire, de sorte qu’il ne peut être retenu que l’enquête du journaliste a été sérieuse et que les propos reposent sur une base factuelle suffisante.
16. Les juges retiennent enfin l’existence d’une animosité personnelle du journaliste envers la partie civile, qui résulte du grave conflit ayant opposé le quotidien et certains de ses journalistes à celle-ci, conflit qui s’est poursuivi sur le terrain judiciaire, et auquel l’auteur de l’article a participé en rédigeant plusieurs autres articles critiques à son égard.
17. Ils confirment en conséquence le jugement en ce qu’il a refusé au prévenu le bénéfice de la bonne foi.
18. En prononçant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision, pour les deux motifs qui suivent.
19. En premier lieu, il lui incombait de rechercher, au regard du sujet d’intérêt général que constituaient les éventuelles responsabilités de la partie civile dans le suicide d’un magistrat du parquet qu’elle dirigeait, si les propos reposaient sur une base factuelle, sans subordonner l’existence de celle-ci à la preuve de la vérité des faits.
20. En second lieu, elle ne pouvait déduire l’existence d’une animosité personnelle de la seule circonstance que l’auteur de l’article ou d’autres journalistes du même quotidien avaient précédemment publié dans les colonnes de celui-ci des articles critiques à l’égard de la partie civile, eussent-ils fait l’objet de poursuites judiciaires, cette circonstance, qui n’était pas dissimulée aux lecteurs de l’article dont le titre était incriminé, n’étant pas de nature à faire disparaître le but légitime d’information du public poursuivi par la publication de celui-ci.
21. La cassation est en conséquence encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Douai, en date du 9 juillet 2018 et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six novembre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.