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N° D 17-82.526 F-D
N° 1482
CK
19 JUIN 2018
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
– –
M Vincent X…,
M. Yoann Y…,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 2017, qui a condamné, le premier, pour diffamation publique envers un particulier, à 8 000 euros d’amende, le second, pour complicité de ce délit, à 600 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 23 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Z…, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller Z…, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, la société civile professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général A…;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme, 29 alinéa 1 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 111-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. Vincent X… coupable de diffamation publique envers un particulier, en l’espèce, la société SARL Marbrerie Pompes Funèbres B… et M. Yoann Y… coupable de complicité de ce délit, a condamné M. X… à une amende de 8 000 euros et M. Y… à une amende de 600 euros et a prononcé sur les intérêts civils ;
“aux motifs que, s’agissant de l’article paru le 9 octobre 2013, dans l’édition du […] de l'[…], il ressort de la lecture de la plainte avec constitution de partie civile, qui a mis en mouvement l’action publique, que les extraits de l’article retenus comme diffamatoires sont les suivants :
« A/ Les propos poursuivis :
A la une du numéro 1023 de […], en date du 9 octobre 2013 :
« […]. Les pompes funèbres B… ne rendaient pas toutes les cendres aux familles »
« une brouette, de cendres
« une enquête de gendarmerie est en cours »
« une enquête est en cours après des accusations de négligence ; que les pompes funèbres B… suspectées de ne pas rendre toutes les cendres aux familles » « La société de pompes funèbres B… est plongée en pleine tempête ; que c’est un courrier adressé au procureur de la République qui a mis le feu aux poudres ; que dans ce dernier, il est indiqué que les crémations ne sont pas totalement achevées et que les familles ne récupèrent donc qu’une partie des cendres du défunt, contrairement à la loi ; que des accusations fondées sur plusieurs éléments, dont une brouette chargée de cendres et qui aurait été acheminée le 18 décembre 2012, jusqu’au cimetière de […] dans le but d’être déversées dans le jardin des souvenirs ; que « des employés de la société B… sont venus me voir pour déposer les cendres, mais je m’y suis opposé car c’est totalement illégal » explique le conservateur du cimetière. ; que la brouette reprend alors le chemin du crématorium dans lequel se trouvaient alors des employés municipaux ; qu’« un corps d’un département voisin venait d’arriver et dans ces cas-là, la police est présente ; que les deux policiers ont vu la brouette, l’ont photographiée, puis sont repartis ; que ce n’était pas le premier incident, mais après avoir alerté la direction à plusieurs reprises (sic), nous n’avons jamais eu de retour » affirme un ancien salarié de la société (
) LES CENDRES DE 2 DEFUNTS PARFOIS MELANGEES M. Jean-Luc B…, patron de la société, ne nie pas la présence de cette brouette mais minimise les faits « Il s’agissait de cendres de nettoyage et non humaines, assure-t-il. Tout ça, c’est une cabale menée par mon ex employé qui est parti chez un concurrent » peste le patron. Pourtant, d’autres voix font état de négligences au sein du crématorium. « pour gagner du temps certains opérateurs ne finissent pas la crémation. Il m’est arrivé d’ouvrir le four et (sic) de voir que les poumons avaient été placés sur le côté, car c’est ce qui met le plus de temps à brûler. Du coup, le cercueil suivant arrive et est incinéré avec les restes du précédent défunt. Et sous la porte d’introduction, il y a parfois des cendres » confie un employé qui souhaite conserver l’anonymat ; qu’un autre incident a également été relevé par l’ancien salarié, avec un aspirateur rempli de cendre ; que là encore, la police municipale se rend sur place et constate les faits sans pour autant inquiéter davantage la société ; que consciente des retombées d’un tel scandale, la direction de l’établissement aurait même menacé ses salariés poursuit cette même source, « vendredi matin, pendant le nettoyage des véhicules, un de nos patrons nous a convoqués et nous a dit « ceux qui foutent la m
vont le payer. Normalement, ce sont eux qui devraient partir les premiers, mais on va faire le contraire, ils resteront et regarderont leurs anciens collègues se faire licencier. » Des années de silence avant le grand déballage « pour les familles », insiste l’ancien salarié de la société, « certains nous disent que ce ne sont que des cendres, mais ce sont des cendres humaines, par celles de la cheminée », peste-t-il ; que M. Jean-Claude D…, conservateur du cimetière, ne dit pas autre chose, « je suis surtout en colère vis-à-vis des familles, je me demande si nous avons vraiment eu nos cendres. Je me demande comment vont réagir les familles ». Une enquête de gendarmerie est actuellement en cours pour faire toute la vérité sur cette affaire et, pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s’interrogent ». » ; que ces extraits contiennent des allégations ou des imputations de faits précis :
– le fait que les crémations ne sont pas totalement achevées ;
– l’existence d’une brouette chargée de cendres qui aurait été acheminée, le 18 décembre 2012, jusqu’au cimetière de […] afin d’être déversée dans le jardin des souvenirs ce à quoi se serait opposé le conservateur du cimetière ;
– des photographies de la brouette prises par des policiers municipaux ;
– des négligences au sein du crématorium de la part de certains opérateurs lesquels, pour gagner du temps, ne finissent pas la crémation ou placent sur le côté les poumons, qui mettent plus de temps à brûler afin de permettre la mise en route de la crémation suivante induisant ainsi l’incinération du cercueil avec les restes du précédent défunt ;
– un incident avec un aspirateur rempli de cendres qui aurait été constaté par la police municipale ;
– des menaces sur le personnel exercées par la direction, consciente des retombées d’un tel scandale ; que ces allégations et imputations visent expressément la société des pompes funèbres B… ; qu’à l’inverse de ce que soutiennent, dans leurs conclusions, MM. X… et Y…, ces allégations et imputations, contenues dans l’article publié le 9 octobre 2013, ne constituent pas un simple dénigrement de produits ou services mais portent sur des faits précis ; que si aucun des gérants de la société des pompes funèbres B… n’est nommément désigné, ils sont clairement identifiables dès lors qu’il est porté atteinte à l’image de l’entreprise ; qu’en effet, ces allégations et imputations portent manifestement atteinte à l’honneur et à la considération de la société des pompes funèbres B… qui se voit mis en cause pour un traitement indigne et contraire à la loi des corps puis des cendres des défunts dont la crémation lui a été confiée ; qu’il est, notamment, allégué que, pour gagner du temps, le processus de crémation n’est pas mené à son terme et que les restes d’un défunt se trouvent incinérées en même temps que le cercueil suivant ; qu’il ne saurait donc être soutenu, ainsi que le prétendent, dans leurs conclusions, MM. X… et Y…, qu’il ne s’agit que de « l’affirmation de l’existence de cendres résiduelles issues de crémations des corps que la société B… avait pris l’habitude de disperser dans le jardin des souvenirs du cimetière de […], par respect dû aux morts ou à leur famille », termes ne figurant d’ailleurs pas dans l’article incriminé ; que les conditions cumulatives prévues par l’article 29 alinéa 1 étant réunies, le délit de diffamation publique envers un particulier est caractérisé ;
“1°) alors que la mise en cause des produits ou des services d’une entreprise ne relèvent pas de la loi sur la presse ; qu’en affirmant que l’appréciation portée par l’article en cause sur les prestations de service de la société B… caractérise une diffamation, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;
2°) alors que si la société Marbrerie Pompes Funèbres B… est nommément citée dans cet article, ce n’est qu’en raison des négligences relevées par les journalistes relativement à la qualité de ses prestations et que l’écrit incriminé ne comporte aucune attaque personnelle à l’encontre de la société” ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l’hebdomadaire […] a fait paraître dans son édition […] du 9 octobre 2013 un article signé par M. Yoann Y…, journaliste, sous le titre “Une enquête est en cours après des accusations de négligence. Les pompes funèbres B… suspectées de ne pas rendre toutes les cendres aux famille” ; qu’à la suite de cette parution, la société MarbreriePOMPES FUNEBRES B… (la société) a porté plainte et s’est constituée partie civile du chef susvisé, retenant comme diffamatoires les passage suivants :
A la une :
“[…]. Les pompes funèbres B… ne rendaient pas toutes les cendres aux familles” “une brouette, de cendres .. “une enquête de gendarmerie est en cours”;
En page 6 :
“Une enquête est en cours après des accusations de négligence.
La société de pompes funèbres B… est plongée en pleine tempête.
C’est un courrier adressé au procureur de la République qui a mis le feu aux poudres. Dans ce dernier, il est indiqué que les crémations ne sont pas totalement achevées et que les familles ne récupèrent donc qu’une partie des cendres du défunt contrairement à ce qu’exige la loi.
Des accusations fondées sur plusieurs éléments dont une brouette chargée de cendre et qui aurait été acheminée, le 18 décembre 2012, jusqu’au cimetière de […] dans le but d’être déversée dans le jardin des souvenirs.
« Des employés de la société B… sont venus me voir pour déposer les cendres mais je m’y suis opposé car c’est totalement illégal », explique le conservateur du cimetière.La brouette reprend alors le chemin du crématorium dans lequel se trouvaient alors des policiers municipaux ;
« Un corps d’un département voisin venait d’arriver et dans ces cas-là, la police est présente. Les deux policiers ont vu la brouette, l’ont photographiée puis sont repartis. Ce n’était pas le premier incident mais après avoir alerté la direction à plusieurs reprises nous n’avons jamais eu de retours », affirme un ancien salarié de la société ; que LES CENDRES DE 2 DEFUNTS PARFOIS MÉLANGÉES
Jean-Luc B…, patron de la société ne nie pas la présence de cette brouette mais minimise les faits. « Il s’agissait de cendres de nettoyage et non humaines, assure-t-il. Tout ça, c’est une cabale menée par mon ex-employé qui est parti chez un concurrent », peste le patron.
Pourtant d’autres voix font état de négligences au sein du crématorium.
« Pour gagner du temps certains opérateurs ne finissent pas la crémation. Il m’est arrivé d’ouvrir le four et de voir que les poumons avaient été placés sur le côté car c’est ce qui met le plus de temps à brûler. Du coup, le cercueil suivant arrive et est incinéré avec les restes du précédent défunt. Et sous la porte d’introduction, il y a parfois des cendres », confie un employé qui souhaite conserver l’anonymat.
Un autre incident a également été relevé par l’ancien salarié avec un aspirateur rempli de cendre. Là encore, la police municipale se rend sur place et constate les faits sans pour autant inquiéter davantage la société.
Consciente des retombées d’un tel scandale, la direction de l’établissement aurait même menacé ses salariés, poursuit cette même source. « Vendredi matin, pendant le nettoyage des véhicules, un de nos patrons nous a convoqués et nous a dit « ceux qui foutent la m
vont le payer. Normalement ce sont eux qui devraient partir les premiers mais on va faire le contraire, ils resteront et regarderont leurs anciens collègues se faire licencier ».
Des années de silence avant le grand déballage « pour les familles », insiste l’ancien salarié de la société, « certains nous disent que ce ne sont que des cendres mais ce sont des cendres humaines, pas celles de la cheminée », peste-t-il.
Jean-Claude D…, conservateur du cimetière ne dit pas autre chose, « je suis surtout en colère vis-à-vis des familles, je me demande si nous avons vraiment eu nos cendres. Je me demande vraiment comment vont réagir les familles ».
Une enquête de gendarmerie est actuellement en cours pour faire toute la vérité sur cette affaire et pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s’interrogent” ;
Attendu qu’ à l’issue de l’information, MM.Vincent X…, directeur de la publication, et Yoann Y… ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour diffamation et complicité de ce délit ; que les prévenus, ayant été déclarés coupables du chef susvisé par les premiers juges, ont relevé appel de cette décision, de même que le procureur de la République ainsi que la partie civile quant aux dispositions civiles ;
Attendu que, pour retenir le passage incriminé comme diffamatoire, l’arrêt énonce que l’écrit en cause contient des allégations ou des imputations de faits précis, constitués notamment par l’existence de crémations non totalement achevées, par le constat d’une brouette chargée de cendres, d’abord acheminée le 18 décembre 2012 jusqu’au cimetière de […] afin d’être déversée dans le jardin des souvenirs, puis photographiée par des policiers municipaux après l’opposition du conservateur du cimetière à cette opération, par le relevé de négligences au sein du crématorium de nature à provoquer l’incinération d’un cercueil avec les restes d’un précédent défunt, par la présence, constatée par la police municipale, d’un aspirateur rempli de cendres, ainsi que par des menaces exercées par la direction de la société envers son personnel au regard des risques de retombées de ces événements ; que les juges retiennent que ces allégations et imputations, qui visent expressément la société partie civile, ne constituent pas un simple dénigrement de produits ou services, mais portent sur des faits précis ; qu’ils ajoutent que, si aucun des gérants de la société n’est nommément désigné, ces derniers sont clairement identifiables ; qu’ils déduisent de ces éléments que les propos incriminés portent manifestement atteinte à l’honneur et à la considération de la société dès lors que cette dernière a été mise en cause pour un traitement indigne et contraire à la loi des corps des défunts, puis des cendres de ces derniers dont la crémation lui avait été confiée ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a fait
l’exacte application des textes visés au moyen, dès lors que le caractère diffamatoire des imputations se détermine exclusivement par la nature des faits allégués, que, tant la crémation des défunts, que la dispersion des cendres de ces derniers, en contradiction avec des dispositions spécifiques constitue une violation de la loi et que l’imputation d’un comportement illicite à une personne morale porte nécessairement atteinte à sa considération ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;