Diffamation : décision du 15 septembre 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-82.124

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Diffamation : décision du 15 septembre 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-82.124
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N° G 19-82.124 F-D

N° 1682

15 SEPTEMBRE 2020

EB2

IRRECEVABILITÉ
NON LIEU À RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 SEPTEMBRE 2020

M. G… Y… a présenté, par mémoire spécial reçu le 18 mars 2019, une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion du pourvoi formé par lui contre l’arrêt n°567 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes, en date du 18 octobre 2016, qui, dans l’information suivie contre lui du chef de complicité de diffamation publique envers un fonctionnaire public, a prononcé sur sa demande d’annulation de pièces de la procédure.

Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« Les articles 23, 29, 31, 32, 35, 42, 43, 55 et 59 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et 121-7 du code pénal portent-ils atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et spécialement :
– au droit à la liberté en général comme droit naturel de l’homme et au droit à la liberté d’entreprendre consacrés par les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 Août 1789 (ci-après « DDH ») ;
– au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense garantis par l’article 16 DDH ;
– au droit à la liberté d’expression garanti par l’article 11 DDH ;
– à l’article 34 de la Constitution du 4 Octobre 1958 fixant, en partie, le domaine de la loi ;
– au principe d’égalité garanti par l’article 6 DDH et l’article 1er de la Constitution du 4 Octobre 1958 ;
– au principe de la légalité des délits et des peines consacré par les articles 7 et 8 DDH ;
– au principe de présomption d’innocence garanti par l’article 9 DDH ;
– au principe de réparation – responsabilité corollaire de la liberté conçue comme pouvoir de « faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », garanti par l’article 4 DDH ;

en ce que :

1°/ la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante leur confère (CC, décision n°2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes H… D. et W… B. consid. 2 ; CC, décision n°2010-52 QPC du 14 octobre 2010, Compagnie agricole de la Crau, consid. 4) conduit à considérer que les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec l’intention de nuire, (Crim. 19 nov. 1985, n° 84-95.202, Bull. crim. n° 363 ; Civ. 2e, 24 févr. 2005, n° 02-19.136, Bull. civ. 11, n° 48, arrêts cités par Cass. 1° Civ., 28 Septembre 2016, n°15-21.823), sans possibilité concrète et effective de combattre utilement cette présomption de culpabilité et rompt, partant, l’égalité des armes, principe directeur du procès équitable, spécialement lorsque les discours ou écrits prétendument diffamatoires s’analysent, en réalité, en dénonciation d’un comportement constitutif de harcèlement moral ?

2°/ sauf réserve d’interprétation, l’article 121-7du code pénal permet à l’Etat une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 11 DDH, en traitant comme complice d’une diffamation la victime d’un harcèlement moral dénoncé par voie de presse, alors que ce comportement peut être signalé au Défenseur des droits, en vertu de l’article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 Mars 2011 relative au Défenseur des droits, compétent pour prendre les mesures relatives à l’orientation et à la protection des lanceurs d’alerte ?

3°/ le délai non franc de trois jours imparti au demandeur au pourvoi en matière de presse, par l’article 59, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne permet pas un accès effectif au juge de cassation, spécialement lorsque le conseil de l’intéressé ne reçoit pas copie de l’acte de signification délivré à son client et ne réside pas dans le ressort de la cour d’appel au greffe de laquelle doit être reçue la déclaration de pourvoi ?

4°/ la nullité prévue par l’article 59, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse frappant la voie de recours, appel ou pourvoi en cassation, exercée contre la décision statuant « sur les incidents et exceptions autres que les exceptions d’incompétence » fait obstacle sans motif légitime à ce que soit immédiatement tranchée une question de fait ou de droit conditionnant la régularité de la procédure soumise à la juridiction ? »

2. L’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui définit l’injure, l’article 32 de la même loi, qui incrimine et sanctionne la diffamation publique envers un particulier, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap, ne sont pas applicables au litige.

3. Les articles 42 et 43 de la loi précitée, qui déterminent l’ordre et la nature des responsabilités pénales des directeurs de la publication, éditeurs, auteurs des propos, imprimeurs, vendeurs, distributeurs et afficheurs, ne le sont pas davantage, dès lors qu’un site internet constitue un moyen de communication au public par voie électronique et qu’à ce titre, la responsabilité pénale du directeur de la publication et de l’auteur des propos diffusés sur ce site est engagée dans les conditions prévues par l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

4. Ledit article 93-3 a déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel (16 septembre 2011, décision n° 2011-164 QPC), sans qu’aucun changement de circonstances depuis cette date ne soit caractérisé.

5. Les autres dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

6. En dépit d’un prétendu droit constitutionnel à concourir à la formation de la loi qu’elle invoque, lequel n’est consacré par aucune disposition constitutionnelle, la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.

7. La question posée ne présente pas un caractère sérieux.

8. Les dispositions combinées des articles 23, 29, alinéa 1er, et 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 121-7 du code pénal définissent, en des termes suffisamment clairs et précis, les éléments matériels du délit de diffamation publique envers, notamment, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, ou un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, et de la complicité de cette infraction pour permettre que leur interprétation, qui relève de l’office du juge, se fasse sans risque d’arbitraire.

9. La présomption d’imputabilité à l’auteur des propos incriminés, au titre de l’élément moral du délit de diffamation, qui est inhérente aux dispositions en cause, est dépourvue de tout caractère irréfragable, le prévenu ayant la faculté de démontrer, soit la vérité du fait diffamatoire, selon les modalités prévues par les articles 35, 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse précitée, soit l’existence de circonstances particulières de nature à le faire bénéficier de la bonne foi. Elle ne fait pas obstacle à l’exercice des droits de la défense.

10. Il ne résulte, en conséquence, ni de l’incrimination de diffamation publique et de complicité de ce délit prévue par les articles 23, 29, alinéa 1er, et 31 de ladite loi et l’article 121-7 du code pénal, ni des conditions dans lesquelles peut être retenue la culpabilité d’une personne poursuivie pour cette infraction, que les atteintes ainsi portées à la liberté d’expression ou à l’un des droits ou principes constitutionnels invoqués seraient inappropriées ou disproportionnées.

11. Enfin la fixation du délai du pourvoi en cassation en matière d’infractions de presse à trois jours non francs et l’obligation de ne former un pourvoi contre les arrêts des cours d’appel qui auront statué sur les incidents et exceptions autres que les exceptions d’incompétence, à peine de nullité, qu’après l’arrêt définitif et en même temps que le pourvoi contre ledit arrêt, qui s’appliquent tant au prévenu qu’à la partie civile et au ministère public, ne les privent pas de la possibilité d’exercer un recours effectif devant la Cour de cassation et permettent l’exercice, également effectif, des droits de la défense.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE la question prioritaire de constitutionnalité en ce qu’elle porte sur les articles 29, alinéa 2, 32, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité en ce qu’elle porte sur les articles 23, 29, alinéa 1er, 31, 35, 55 et 59 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et 121-7 du code pénal ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du quinze septembre deux mille vingt.

 


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