Diffamation : décision du 13 octobre 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-85.632

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Diffamation : décision du 13 octobre 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-85.632
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N° W 19-85.632 FS-D

N° 1927

SM12
13 OCTOBRE 2020

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 OCTOBRE 2020

M. U… S… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 27 juin 2019, qui, notamment pour harcèlement moral, l’a condamné à un an d’emprisonnement, dont trois mois avec sursis et mise à l’épreuve, devenu sursis probatoire, 3 000 euros d’amende, cinq ans de privation des droits civils, civiques et de famille, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense, ont été produits.

Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. U… S…, les observations de Me Le Prado, avocat de Mme W… V… J… et M. A… J…, parties civiles, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de-Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. À la suite de plusieurs plaintes déposées par M. A… J…, huissier de justice à Sommières, qui dénonçait l’apposition d’affiches, dans la localité et aux alentours, et le dépôt de tracts dans les boîtes aux lettres, qui le présentaient comme un officier ministériel malhonnête, ainsi que des démarches auprès des clients de l’étude, M. S…, ancien client lui-même, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral dans les conditions de vie, au préjudice de M. J… et de son épouse, huissier associé dans la même étude.

3. Le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable de harcèlement à l’encontre de M. J….

4. Le prévenu, les parties civiles et le ministère public ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable de harcèlement moral au préjudice de M. et Mme J…, alors :

« 1°) que les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, quand bien même ils se répéteraient dans le temps ; qu’en contournant, à travers une condamnation pour harcèlement moral, les dispositions d’ordre public encadrant les poursuites en matière d’abus de la liberté d’expression, seules applicables à la distribution de tracts et à la pose d’affiches, la cour d’appel a violé par fausse application l’article 222-33-2 du code pénal ;

2°) en toute hypothèse, que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’exercice de cette liberté ; qu’en reprochant à M. S… d’avoir distribué sur la voie publique des tracts confectionnés à partir de la photocopie d’un ouvrage intitulé « Manuel de résistance aux huissiers » mettant en cause la profession d’huissier de justice et faisant allusion à la condamnation par la justice de certains d’entre eux, quand de tels propos n’excédaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression dans un pays démocratique, peu important qu’ils portent, par ailleurs, la mention nominative de M. J…, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen pris en sa première branche

6. L’apposition d’affiches accessibles à la vue du public et la distribution publique de tracts, retenues comme caractérisant le délit de harcèlement dans les conditions de vie des personnes que ces affiches et tracts visent, est susceptible d’être le support d’infractions prévues et réprimées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

7. Le moyen tiré de ce qu’en pareil cas, seules ces infractions de presse pourraient faire l’objet de poursuites, n’a pas été soumis aux juges du fond, qui auraient alors dû vérifier que la qualification retenue n’avait pas pour effet d’éluder les règles protectrices de la liberté d’expression instituées par la loi sur la liberté de la presse s’agissant des modalités de poursuite de ces infractions.

8. Il suppose cependant l’appréciation d’éléments de fait, et spécialement la détermination de la teneur, qui ne résulte ni du jugement ni de l’arrêt, des propos figurant sur les affiches et les tracts, dont le caractère diffamatoire ou injurieux ne saurait résulter du seul fait qu’ils ont été retenus comme caractérisant un harcèlement moral des personnes visées.

9. Le moyen est, en conséquence, nouveau et mélangé de fait en sa première branche et, comme tel, irrecevable.

Mais sur le moyen pris en sa seconde branche

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 593 du code de procédure pénale :

10. La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans le cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.

11. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

12. Pour déclarer le prévenu coupable de harcèlement moral au préjudice de M. et Mme J…, l’arrêt attaqué énonce que les faits de diffusion massive et répétée de tracts et d’affiches, ainsi que de démarches diverses auprès de la population et notamment des commerçants de la ville, visant à présenter l’huissier comme un auxiliaire de justice véreux, constituent le délit.
13. En se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions du prévenu qui faisait valoir qu’il n’avait pas excédé les limites de sa liberté d’expression en alertant ses concitoyens sur ce qu’il considérait être de graves dysfonctionnements de l’étude d’huissier, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens de cassation, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Nîmes, en date du 27 juin 2019, mais en ses seules dispositions relatives au délit de harcèlement moral, aux peines et aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize octobre deux mille vingt.

 


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