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5 janvier 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
19/05328
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 5 JANVIER 2023
N° RG 19/05328 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TLA7
AFFAIRE :
SA ALTEN
…
C/
SA ASTEK
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 3
N° RG : 2016F01822
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Claire RICARD
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
SA ALTEN
RCS Nanterre n° 348 607 417
[Adresse 3]
[Localité 7]
SASU ALTEN SUD OUEST
RCS Toulouse n° 404 191 447
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentées par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Jacques GOYET et Me Paul BRISSET de la SCP BIGNON LEBRAY, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire: P370
APPELANTES
****************
SA ASTEK
RCS Nanterre n° 347 989 808
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 7]
SA GROUPE ASTEK
RCS Nanterre n° 489 800 805
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentées par Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de
VERSAILLES, vestiaire : 622 et Me Marie-Hélène THOMAS et Me Florence DUHESME de la SELARL ON AVOCATS, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : C1577
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA Alten, maison mère du groupe Alten, et sa filiale, la SAS Alten Sud-Ouest, sont des sociétés d’ingénierie et de conseil en technologies. Elles recrutent des ingénieurs, principalement dans les domaines de l’électronique, de la mécanique, de l’informatique et des télécoms.
Le groupe Alten a créé une division Aéronautique Spatial Défense (ASD) dont les équipes sont réparties sur les sites de [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9]. La division ASD est transverse à plusieurs sociétés du groupe, dont la société Alten et la société Alten Sud-Ouest.
La SA Groupe Astek est également spécialisée dans l’ingénierie et le conseil en technologies ; elle détient notamment la SA Astek et la société Astek Sud-Est.
Entre le 1er juillet 2013, date du départ de M. [J] [U] de la société Alten où il était directeur des opérations du pôle parisien de la division ASD, pour devenir président du directoire de la société Groupe Astek, et juin 2016, une quinzaine de managers (dont deux directeurs d’agence et huit responsables d’agence confirmés) du groupe Alten ont démissionné ; certains ont été embauchés par la société Groupe Astek.
Par requête en date du 15 juin 2016, les sociétés Alten ont sollicité du président du tribunal de commerce de Nanterre, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la désignation d’un huissier de justice afin de rechercher des éléments de preuve permettant d’établir ou de confirmer la réalité et l’étendue d’actes de concurrence déloyale commis par les sociétés Astek. Le président du tribunal a fait droit à cette requête par ordonnance du 16 juin 2016 rectifiée le 24 juin 2016. Les opérations ont eu lieu le 4 juillet 2016.
Par acte du 13 septembre 2016, les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ont assigné au fond les sociétés Groupe Astek, Astek et Astek Sud-Est devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de les voir condamner solidairement à réparer l’intégralité du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale dont les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest estiment avoir été victimes.
Par acte du 3 août 2017, les sociétés Astek ont saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre aux fins de rétractation de l’ordonnance du 24 juin 2016, demande rejetée par ordonnance prononcée le 3 novembre 2017. Un appel a été interjeté à l’encontre de cette dernière ordonnance.
Par arrêt du 21 juin 2018, la cour d’appel de Versailles a infirmé l’ordonnance du 3 novembre 2017 et rétracté l’ordonnance sur requête du 16 juin 2016, rectifiée le 24 juin 2016.
Par arrêt rendu le 14 novembre 2019 signifié le 16 janvier 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 21 juin 2018 et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée.
La cour d’appel de renvoi n’a pas été saisie par les sociétés Aster.
Par jugement contradictoire du 17 janvier 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :
– Dit recevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
– Dit recevable l’action conjointement introduite par les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest;
– Dit sans objet l’action à l’encontre de la société Astek Sud-Est ;
– Débouté les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
– Dit n’y avoir lieu à remise des documents par les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest à la société Astek se rapportant au rapport de M. [N] ;
– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest aux entiers dépens.
Par déclaration du 18 juillet 2019, les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ont interjeté appel du jugement.
Par ordonnance d’incident du 18 juin 2020, le conseiller de la mise en état a :
– Déclaré irrecevable devant le conseiller de la mise en état la fin de non-recevoir soulevée par les SA Astek et SA Groupe Astek tirée du défaut d’intérêt à agir de la société Alten et de la société Alten Sud-Ouest ;
– Déclaré irrecevable devant le conseiller de la mise en état la demande des SA Astek et SA Groupe Astek de communication des pièces relatives au rapport de M. [N], dont est saisie la cour ;
– Débouté les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de leur demande de communication du registre du personnel 2016 des SA Astek et SA Groupe Astek ;
– Rejeté toutes autres demandes, y compris celles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Dit que les dépens de l’incident resteront à la charge de chacune des parties.
Le 22 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a été saisi d’un nouvel incident. Les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ont sollicité la mise à disposition, à leur profit, des documents séquestrés à l’issue des saisies pratiquées le 4 juillet 2016 sur la base de l’ordonnance sur requête délivrée le 16 juin 2016, rectifiée le 24 juin 2016, par le président du tribunal de commerce de Nanterre.
Par ordonnance d’incident du 7 janvier 2021, le conseiller de la mise en état, s’estimant incompétent pour statuer sur cette demande, a :
– Rejeté les demandes des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
– Condamné les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest aux dépens de l’incident.
Par arrêt contradictoire et avant-dire droit du 30 juillet 2021, la cour d’appel de Versailles a :
– Révoqué l’ordonnance de clôture prononcée le 11 mars 2021 ;
– Renvoyé l’affaire à la mise en état ;
– Ordonné la levée du séquestre des pièces recueillies par Me [C] [E], huissier de justice membre de la SCP Venezia et Associés, demeurant [Adresse 1] à [Localité 6], au cours des saisies pratiquées le 4 juillet 2016 en exécution de l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre le 16 juin 2016, rectifiée le 24 juin 2016 ;
– Ordonné à Me [C] [E], de remettre aux sociétés Alten et Alten Sud-Ouest l’ensemble de ces documents ;
– Dit qu’une copie de l’arrêt sera notifiée à Me [C] [E], huissier de justice membre de la SCP Venezia et Associés, demeurant [Adresse 1] à [Localité 6].
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 septembre 2022, les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest (ci-après les sociétés Alten) demandent à la cour de :
Sur les demandes formées par les sociétés Astek dans le cadre de leurs « conclusions d’intimées au principal et d’appelantes incident » :
A titre principal,
– Constater que les sociétés Groupe Astek et Astek ne sollicitent pas l’infirmation du jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 17 janvier 2019 dans le dispositif de leurs conclusions régularisées le 14 janvier 2020 ;
En conséquence,
– Déclarer irrecevables les demandes des sociétés Groupe Astek et Astek sollicitant :
– In limine litis et à titre principal, de juger irrecevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ; et
– A titre très subsidiaire, d’ordonner la communication de tout document permettant de justifier la teneur et les conclusions du rapport de M. [N] et à défaut de production desdites pièces par les sociétés Alten, d’ordonner le rejet du rapport de M. [N] et toutes les pièces s’y rapportant ;
A titre subsidiaire,
– Débouter les sociétés Groupe Astek et Astek de leurs demandes sollicitant :
– In limine litis et à titre principal, de juger irrecevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ; et
– A titre très subsidiaire, d’ordonner la communication de tout document permettant de justifier la teneur et les conclusions du rapport de M. [N] et à défaut de production desdites pièces par les sociétés Alten, d’ordonner le rejet du rapport de M. [N] et toutes les pièces s’y rapportant ;
En conséquence,
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Dit recevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
– Dit recevable l’action conjointement introduite par les Alten et Alten Sud-Ouest;
– Dit n’y avoir lieu à remise des documents par les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest à la société Astek se rapportant au rapport de M. [N] ;
En tout état de cause et à titre principal :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Débouté les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
– Condamné les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest aux entiers dépens ;
Et statuant à nouveau,
– Juger que les débauchages opérés par les sociétés Groupe Astek et Astek ont entrainé une désorganisation des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
– Juger que ces débauchages constituent par conséquent des actes de concurrence déloyale ;
– Dire et juger que l’utilisation par les sociétés Groupe Astek et Astek de documents confidentiels appartenant à la société Alten et à la société Alten Sud-Ouest constitue un acte de concurrence déloyale ;
– Condamner in solidum les sociétés Groupe Astek et Astek à verser à la société Alten la somme de 2,8 millions d’euros en réparation de son préjudice ;
– Condamner in solidum les sociétés Groupe Astek et Astek à verser à la société Alten Sud-Ouest la somme de 1 € symbolique en réparation de son préjudice économique ainsi qu’une somme de 10.000 € au titre du préjudice moral ;
– Condamner solidairement les sociétés Groupe Astek et Astek à verser tant à la société Alten qu’à la société Alten Sud-Ouest la somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner solidairement les sociétés Groupe Astek et Astek aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 4 octobre 2022, la société Astek et la société Groupe Astek (ci-après les sociétés Astek) demandent à la cour de :
– Les recevoir en leurs écritures et les y déclarer bien fondées ;
Sur les demandes en cause d’appel de la société Alten et de la société Alten Sud-Ouest,
– Débouter les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de leur demande de voir déclarer irrecevables les conclusions d’appelantes incident de la société Astek et de la société Group Astek pour non-conformité aux dispositions de l’article 954 du code de procédure civile ;
In limine litis et à titre principal,
– Infirmer le jugement du tribunal de commerce du 17 janvier 2019 en ce qu’il a débouté la société Astek et la société Groupe Astek de voir juger irrecevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
Statuant à nouveau,
– Juger irrecevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
A titre subsidiaire,
– Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 17 janvier 2019, en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
– Débouter les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
A titre très subsidiaire,
– Infirmer le jugement du tribunal de commerce du 17 janvier 2019 en ce qu’il a débouté les sociétés Groupe Astek et Astek de leur demande de se voir communiquer les documents permettant de justifier la teneur et les conclusions du rapport de M. [N] ;
Statuant à nouveau,
– Ordonner aux sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de communiquer aux sociétés Astek et Groupe Astek et de verser aux débats tout document permettant de justifier la teneur et les conclusions du rapport de M. [N] et notamment la remise des documents suivants :
1/ L’identité de tous les salariés affectés à la division ASD pour la période courant entre le 01/01/2009 et le 31/12/2016 ainsi que :
– leur site d’affectation ([Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9]),
– leur périmètre client,
– leurs fonctions,
– leur date d’entrée,
– la date de transfert d’une entité à l’autre,
– la date de sortie éventuelle et la cause de leur sortie (fin de période d’essai, démission, licenciement, fin de CDD) ;
2/ Les bilans sociaux des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest;
3/ L’évolution des effectifs affectés à la division ASD sur les sites de [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] et leur affectation par client ;
4/ L’évolution des effectifs par clients et les périmètres clients des salariés des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest;
5/ Le nombre de missions par client (en nombre unitaire et en volume d’€) effectuées par les divisions ASD [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] ;
6/ L’attestation d’un expert-comptable précisant la répartition analytique de l’activité réalisée par les divisions ASD [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] pour le compte de la société Alten en indiquant pour chacune des missions :
– le numéro de référence de la mission,
– le client concerné,
– le chiffre d’affaires H.T. par mission,
– l’identité des salariés ayant travaillé sur chacune des missions,
– le nombre de jours d’inter-contrats pour les salariés de la société Alten de la division ASD [Localité 10] ;
7/ L’attestation d’un expert-comptable précisant la répartition analytique de l’activité réalisée par la division ASD [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] pour le compte de la société Alten Sud-Ouest, et indiquant pour chacune des missions :
– le numéro de référence de la mission,
– le client concerné,
– le chiffre d’affaires H.T. par mission,
– l’identité des salariés ayant travaillé sur chacune des missions,
– le nombre de jours d’inter-contrats pour les salariés de la société Alten Sud-Ouest affectés à la division ASD [Localité 2] ;
8/ La copie de la comptabilité analytique des divisions ASD pour les sites de [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9], permettant d’identifier en quantité et en valeur l’activité réalisée par cette division pour chacune des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
– A défaut de production desdites pièces par les sociétés Alten, ordonner le rejet du rapport de M. [N] et toutes les pièces s’y rapportant ;
– Ecarter des débats les procès-verbaux diligentés par l’huissier de justice au siège social des sociétés Astek et Groupe Astek à [Localité 7], Astek Sud-Ouest à [Localité 8] et Astek Grand Ouest à [Localité 12] ;
– Constater que les pièces produites par les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest comme ayant été trouvées par l’huissier de justice dans les ordinateurs de MM. [K], [B] et [A] n’ont aucune force probante ;
– Juger que les sociétés Alten ne démontrent pas l’existence d’un préjudice actuel, direct et certain ;
En conséquence,
– Débouter les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de l’ensemble de leurs demandes portant sur l’indemnisation d’un préjudice économique et moral ;
En tout état de cause et à titre reconventionnel,
– Condamner chacune des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest à payer à chacune des sociétés Groupe Astek, Astek et Astek Sud Est la somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2022
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l’irrecevabilité de l’appel incident tendant à voir juger irrecevable l’action des sociétés Alten et à obtenir la communication de pièces par les sociétés Alten
Les sociétés Alten soulèvent l’irrecevabilité des demandes formées par les sociétés Astek dans le cadre de leurs conclusions d’intimées au principal et d’appelantes à titre incident, dans la mesure où ces sociétés n’ont pas sollicité l’infirmation ou la réformation du jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 17 janvier 2019 dans le dispositif de leurs premières écritures d’appel incident en date du 14 janvier 2020, qui sont les seules conclusions régularisées par les intimées dans le délai de trois mois prévu à l’article 909 du code de procédure civile.
Elles soutiennent qu’il n’était plus possible pour les sociétés Astek de régulariser des conclusions aux fins de réparer cette omission dans le dispositif au-delà de ce délai, à savoir après le 25 janvier 2020. Elles rappellent les dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile, selon lesquelles les parties doivent présenter, dès leurs premières conclusions, l’ensemble de leurs prétentions au fond, à peine d’irrecevabilité.
Les sociétés Astek font observer en réplique que les sociétés Alten ont fait appel du jugement de première instance par déclaration du 18 juillet 2019 ; que la seule sanction possible du non-respect des exigences de l’article 954 du code de procédure civile pour la présente procédure est celle prévue par l’article 913 du même code, à savoir que la partie défaillante doit régulariser son dispositif sur l’invitation du conseiller de la mise en état, aucun délai n’étant requis par ce texte ; que les conclusions d’intimées au principal et d’appelantes à titre incident ont bien été régularisées ; qu’en corrigeant leur dispositif, les sociétés Astek n’ont pas ajouté des prétentions qu’elles auraient omises mais elles ont simplement mis leurs conclusions en conformité avec les dispositions des articles 954 et 961.
*****
L’article 914 du code de procédure civile dispose que : « Les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu’à la clôture de l’instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à :
– prononcer la caducité de l’appel ;
– déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel ; les moyens tendant à l’irrecevabilité de l’appel doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été ;
– déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 ;
– déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l’article 930-1.
Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la cour d’appel peut, d’office, relever la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci.
Les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909,910, et 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal. »
Les sociétés Alten n’ont pas saisi le conseiller de la mise en état d’une demande tendant à l’irrecevabilité de l’appel incident des sociétés Astek. Néanmoins, la cour, en application des dispositions précitées, relève d’office le moyen tiré de d’irrecevabilité de l’appel incident formé par les intimées par conclusions notifiées le le 14 janvier 2020, ce moyen ayant été débattu contradictoirement par les parties.
Selon l’article 542 du code de procédure civile, « L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel ».
Par ailleurs, l’article 954 du même code énonce que « Les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.
La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs. »
L’article 909 du code susvisé prévoit que’: « L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué ».
Enfin, selon l’article 910-4 de ce code, « A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond ».
Les articles 542 et 954 du code de procédure civile, tels qu’interprétés par la Cour de cassation dans ses arrêts du 31 janvier 2019 (Civ. 2ème n°18-10.983) et du 17 septembre 2020 (Civ. 2ème n°18-23.626), imposent que le dispositif des conclusions de l’appelant comporte une demande d’infirmation ou de réformation du jugement. A défaut, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. Cette interprétation s’impose, qu’il s’agisse d’un appel principal ou incident.
En l’espèce, les sociétés Alten, appelantes du jugement rendu le 17 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Nanterre, ont notifié leurs conclusions le 15 octobre 2019.
Il ressort des conclusions d’intimées au principal et d’appelantes à titre incident notifiées par les sociétés Astek le 14 janvier 2020, soit dans le délai de trois mois prévu par l’article 909 susvisé, que ces dernières n’ont sollicité ni l’annulation, ni l’infirmation du jugement, mais ont demandé à la cour de’:
« – Recevoir la SA (groupe) Astek et la SA Astek en leurs écritures et les y déclarer bien fondées,
In limine litis et à titre principal,
– Juger irrecevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
A titre subsidiaire,
– Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 17 janvier 2019 en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
– Débouter les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
A titre très subsidiaire,
– Ordonner aux sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de communiquer aux sociétés (groupe) Astek et Astek et de verser aux débats tout document permettant de justifier la teneur et les conclusions du rapport de M. [N] et notamment la remise des documents suivants :
1/ L’identité de tous les salariés affectés à la division ASD pour la période courant entre 01/01/2009 et le 31/12/2016 ainsi que :
– leur site d’affectation ([Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9]),
– leur périmètre client,
– leurs fonctions,
– leur date d’entrée,
– la date de transfert d’une entité à l’autre,
– la date de sortie éventuelle et la cause de leur sortie (fin de période d’essai, démission, licenciement, fin de CDD) ;
2/ Les bilans sociaux des sociétés Alten et Alten Sud-Est ;
3/ L’évolution des effectifs affectés à la division ASD sur les sites de [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] et leur affectation par client ;
4/ L’évolution des effectifs par clients et les périmètres clients des salariés des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
5/ Le nombre de missions par client (en nombre unitaire et en volume d’€) effectuées par les divisions ASD [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] ;
6/ L’attestation d’un expert-comptable précisant la répartition analytique de l’activité réalisée par les divisions ASD [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] pour le compte de la société Alten en indiquant pour chacune des missions :
– le numéro de référence de la mission,
– le client concerné,
– le chiffre d’affaires H.T. par mission,
– l’identité des salariés ayant travaillé sur chacune des missions,
– le nombre de jours d’intercontrats pour les salariés de la société Alten de la division ASD [Localité 10],
7/ L’attestation d’un expert-comptable précisant la répartition analytique de l’activité réalisée par la division ASD [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9] pour le compte de la société Alten Sud-Ouest, et indiquant pour chacune des missions :
– le numéro de référence de la mission, – le client concerné,
– le chiffre d’affaires H.T. par mission,
– l’identité des salariés ayant travaillé sur chacune des missions,
– le nombre de jours d’inter-contrats pour les salariés de la société Alten Sud-Ouest affectés à la division ASD [Localité 2] ;
8/ La copie de la comptabilité analytique des divisions ASD pour les sites de [Localité 10], [Localité 2], [Localité 11] et [Localité 9], permettant d’identifier en quantité et en valeur l’activité réalisée par cette division pour chacune des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
– A défaut de production desdites pièces par les sociétés Alten, ordonner le rejet du rapport de M. [N] et toutes les pièces s’y rapportant ;
– Juger que les sociétés Alten ne démontrent pas l’existence d’un préjudice actuel, direct et certain ;
En conséquence,
– Débouter les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest de l’ensemble de leurs demandes portant sur l’indemnisation d’un préjudice ;
En tout état de cause et à titre reconventionnel,
– Condamner chacune des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest à payer à chacune des sociétés (groupe) Astek, Astek et Astek Sud-Est la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest aux entiers dépens. »
Dans des conclusions notifiées le 17 février 2021, les sociétés Astek ont complété ce dispositif et demandé plus précisément à la cour de :
« (…) In limine litis et à titre principal,
– Infirmer le jugement du tribunal de commerce du 17 janvier 2019 en ce qu’il a débouté la SA Atek et la SA (groupe) Astek de voir juger irrecevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest (…) ;
A titre très subsidiaire,
– Infirmer le jugement du tribunal de commerce du 17 janvier 2019 en ce qu’il a débouté la SA Atek et la SA (groupe) Astek de sa demande de se voir communiquer les documents permettant de justifier la teneur et les conclusions du rapport de M. [N] (…) ».
Elles ont maintenu leur demandes, à titre d’appel incident, tendant à voir juger irrecevable l’action des sociétés Alten et à obtenir la communication de pièces par les sociétés Alten.
Il convient de rappeler ici que dans ses arrêts susvisés, la Cour de cassation a indiqué que l’application immédiate de la règle de procédure exposée plus haut, « qui résulte de l’interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ». La Cour a donc précisé qu’il n’y avait lieu d’appliquer cette règle que dans les instances introduites par une déclaration d’appel postérieure au 17 septembre 2020.
Au cas présent, la déclaration d’appel étant antérieure au 17 septembre 2020, la règle énoncée par les appelantes ne s’applique pas.
Dans les conclusions qu’elles ont régularisées le 17 février 2021, les sociétés Astek sollicitent bien l’infirmation du jugement en ce qu’il les a déboutées de leurs demandes de voir juger irrecevable l’action des sociétés Alten et d’obtenir la communication de pièces par ces dernières, étant observé que si les sociétés Astek ne demandaient pas expressément la réformation de ces chefs dans leurs premières conclusions d’intimées, elles ont néanmoins présenté l’ensemble de leurs prétentions dans le dispositif de ces conclusions. La cour est donc régulièrement saisie de ces demandes.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les moyens tirés du non-respect des articles 954 et 910-4 du code de procédure civile doivent être écartés.
Sur l’irrecevabilité de l’action des sociétés Alten
Les sociétés Astek soulèvent à titre principal l’irrecevabilité de l’action des sociétés Alten pour défaut d’intérêt à agir. Elles affirment que les sociétés Alten n’avaient pas connaissance d’un quelconque préjudice lorsque leur assignation a été délivrée le 13 septembre 2016. Elles ajoutent que la société Alten Sud-Ouest ne pouvait agir conjointement avec la société Alten dès lors qu’elle n’a formulé devant les premiers juges aucune demande à l’encontre des sociétés Astek ; que la société Alten Sud-Ouest, qui n’a pas évalué son préjudice et sollicite désormais en cause d’appel la condamnation solidaire des sociétés Astek à lui verser la somme de 1 euro symbolique en réparation de son préjudice économique ainsi qu’une somme de 10.000 € au titre d’un préjudice moral, ne peut se contenter de soutenir que ce préjudice « existe néanmoins ». Les sociétés Astek en déduisent que les appelantes n’ont pas d’intérêt commun dans le cadre de la présente action en concurrence déloyale, dont une des conditions est l’existence d’un préjudice direct, actuel et certain.
Les sociétés Alten répondent qu’elles avaient déjà subi un préjudice au moment de leur assignation, du fait de la désorganisation de leurs services corrélative aux actes de concurrence déloyale commis, qui ont causé une importante augmentation de leur taux d’inter contrat et une perte de chiffre d’affaires, sans compter le coût de recrutement et de formation de nouveaux managers, et que seule l’étendue de ce préjudice restait à parfaire. C’est ainsi que dans le cadre de leur assignation, elles ont évalué leur préjudice « à la somme d’un euro à parfaire », précisant qu’elles étaient en train de collecter tous les éléments utiles à l’évaluation de ce préjudice.
*****
Selon l’article 31 du code de procédure civile, « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »
En application de l’article 32 du même code, l’absence d’intérêt légitime est sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande.
En l’espèce, les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest se plaignent d’un débauchage massif par les sociétés Astek de salariés de la division Aéronautique Spatial Défense (ASD) du groupe Alten, qui aurait entraîné une désorganisation de cette division, ce dont elles déduisent l’existence d’actes de concurrence déloyale commis par les sociétés Astek.
Comme l’ont justement constaté les premiers juges, la demande indemnitaire formulée par les sociétés Alten dans leur assignation du 13 septembre 2016, quand bien même était-elle d’1 €, restait à parfaire sur la base d’éléments supplémentaires permettant d’évaluer précisément le préjudice subi.
Il résulte en outre des pièces versées aux débats que la division ASD, à laquelle appartenaient les salariés débauchés, est transverse à plusieurs sociétés du groupe, dont la société Alten et la société Alten Sud-Ouest.
Alors que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, il doit être retenu que les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest justifient chacune d’un intérêt à agir, au sens des articles 31 et 32 précités, comme d’un intérêt à agir conjointement pour obtenir réparation des préjudices qu’elles prétendent avoir subis du fait des actes de concurrence déloyale par débauchage dont se seraient rendues coupables les sociétés Astek, de sorte que, par confirmation du jugement entrepris, le moyen d’irrecevabilité doit être rejeté.
Sur les actes de concurrence déloyale imputés aux sociétés Astek
Les sociétés Alten soutiennent qu’à compter du second semestre 2013 et jusqu’en 2016, les sociétés Astek ont opéré un débauchage systématique et organisé de 16 salariés, représentant près de la moitié des effectifs d’encadrement et de management (notamment commercial mais aussi financier, RH et technique) de la division ASD d’Alten ; que ce débauchage massif a engendré une désorganisation importante d’Alten et Alten Sud-Ouest, qui s’est produite sur une période relativement longue liée à la durée nécessaire pour recruter de nouveaux managers commerciaux moins seniors que ceux débauchés, les former et leur faire acquérir un niveau de séniorité suffisant, ajoutant que ces départs multiples ont conduit d’autres collaborateurs à démissionner, compte tenu de la charge de travail supplémentaire induite par la désorganisation.
Elles indiquent que ce débauchage est intervenu suite au recrutement par le groupe Astek de M. [J] [U] qui, du fait de ses fonctions de directeur des opérations pour le pôle parisien de la division ASD d’Alten, avait une parfaite connaissance du fonctionnement et de l’organisation de cette division mais aussi des salariés, supervisant lui-même environ 25 managers commerciaux et plus de 620 ingénieurs. Elles soulignent que M. [U] savait donc quelles seraient les conséquences de ces débauchages pour l’activité d’Aten et Alten Sud-Ouest.
Elles énoncent que la désorganisation subie par les sociétés Alten a été d’autant plus importante que les salariés débauchés par les sociétés Astek n’ont pas pas hésité à emporter avec eux des documents internes, confidentiels et à haute valeur ajoutée appartenant aux sociétés Alten, notamment des supports de formation à destination des managers et des stratégies de gestion de la relation client. Plus de 500 fichiers ont ainsi été saisis par les huissiers qui se sont rendus sur les différents sites Astek, ce qui témoigne de l’intention des sociétés Astek de s’approprier, sans bourse délier, le fruit de plusieurs années de travail des sociétés Alten et, in fine, de détourner le fonds de commerce des sociétés Alten.
Les sociétés Astek contestent tout débauchage massif des salariés de la division ASD des sociétés Alten, évaluant à 8 (voire 9 en incluant M. [U]), sur une période de trois ans, le nombre de salariés concernés par le présent litige, ce qui ne peut selon elles représenter près de la moitié des effectifs d’encadrement/managériaux de la division ASD. Elles ajoutent qu’il est parfaitement inexact d’affirmer, comme le font les sociétés Alten, que les sociétés Astek n’auraient débauché que des salariés occupant des postes managériaux importants, faisant valoir que 5 des salariés querellés occupaient le poste de responsable d’agence confirmé qui est le plus bas niveau d’encadrement managérial chez Alten.
Elles réfutent avoir eu recours à des manoeuvres frauduleuses pour embaucher les salariés du groupe Alten, ce qui seul constituerait une faute pouvant donner lieu à réparation, et rappellent que par application du principe de la liberté du travail, engager des salariés même d’une entreprise concurrente ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ; qu’en outre, il existe dans le secteur des SSII un réel turn-over des ingénieurs, qui restent rarement plus de deux à trois ans chez le même employeur. Elles soulignent que les choix effectués par les sociétés Alten démontrent que les départs litigieux n’étaient pas la conséquence de manoeuvres frauduleuses de sociétés du groupe Astek et que ces départs n’ont eu aucune incidence sur l’activité des sociétés Alten ; qu’en effet, ces dernières ont réduit la durée des préavis des huit salariés pouvant être querellés et renoncé à l’application des clauses de non-concurrence lorsque celles-ci existaient.
Elles font observer que les appelantes ne produisent en cause d’appel aucune nouvelle pièce permettant de démontrer le supposé débauchage de leurs salariés, ni la supposée perturbation grave de l’organisation de leur division ASD, ni l’utilisation par les sociétés Astek d’informations ou de documentations appartenant aux sociétés Alten.
Elles critiquent le rapport établi par M. [N] à la demande des sociétés Alten et sollicitent son rejet, à défaut pour ces dernières de produire un certain nombre de pièces justifiant de la teneur et des conclusions de ce rapport.
Elles soutiennent enfin que lors des constats faits au siège des sociétés Astek et Groupe Astek à Boulogne-Billancourt, Astek Sud-Ouest à Colomiers et Astek Sud-Ouest à Saint-Grégoire, l’huissier a outrepassé les termes de l’ordonnance du tribunal de commerce du 15 juin 2016 en saisissant des fichiers appartenant à la société Astek, permettant ainsi aux sociétés Alten de détenir des documents dont elles n’auraient jamais dû avoir connaissance. Elles demandent en conséquence que soient écartés des débats les procès-verbaux d’huissier correspondants.
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Les sociétés Alten reprochant aux sociétés Astek plusieurs actes de concurrence déloyale, à savoir d’une part, un débauchage massif de salariés par usage de manoeuvres déloyales aboutissant à une désorganisation de leurs services et d’autre part, des détournements de documents confidentiels, il convient d’examiner successivement ces différents faits.
– Sur le débauchage illicite de salariés
Il résulte des article 1240 et 1241 du code civil que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, même commis par négligence ou imprudence, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Si le débauchage, s’entendant également de la démission provoquée, n’est pas en lui-même fautif, il devient déloyal si une faute peut être caractérisée à l’égard du nouvel employeur, consistant notamment en des man’uvres pour détourner le salarié vers soi, dans un but déterminé tel que l’utilisation des connaissances acquises par le salarié, le détournement d’une clientèle ou la connaissance du savoir-faire de l’entreprise et ayant pour objet ou pour effet de désorganiser l’entreprise victime.
En l’espèce, il est établi et non discuté qu’alors qu’il était directeur des opérations du pôle parisien de la division ASD de la société Alten, M. [J] [U] a démissionné de ce poste au second trimestre 2013 pour occuper, à compter du 1er juillet 2013, des fonctions de membre du Directoire du groupe Astek, avant d’être nommé, le 17 janvier 2014, président du directoire de cette société, outre sa nomination comme président de différentes filiales du groupe.
Les sociétés Alten produisent diverses pièces justifiant qu’au cours des trois années qui ont suivi le départ de M. [U], 16 salariés ont quitté le groupe, consécutivement à une démission pour 15 d’entre eux (la 16ème salariée ayant été licenciée), alors qu’ils travaillaient au sein de la division ASD, sous l’autorité de M. [U].
Elles indiquent avoir fait appel à un détective privé et communiquent des extraits de son rapport, qui confirment que certains de ces salariés ont été recrutés par le groupe Astek. D’autres salariés ont déclaré travailler pour le groupe Astek lors des sommations interpellatives qui leur ont été délivrées à la demande des sociétés Alten. Les profils Linkedin de plusieurs d’entre eux attestent également de leur emploi par le groupe Astek.
En soi, le seul constat du départ, échelonné de surcroît sur trois ans, de 16 salariés appartenant à la même division (ce chiffre étant cependant contesté par les intimés), pour rejoindre le groupe Astek, n’est cependant pas suffisant à caractériser une faute des sociétés Astek, tout salarié étant libre de travailler pour l’employeur de son choix, sous réserve de respecter ses obligations contractuelles à l’égard de l’employeur qu’il quitte.
Or, comme le soulignent à raison les sociétés Astek, les appelantes ne rapportent pas la preuve que les intimées ont eu recours à des manoeuvres frauduleuses pour recruter les salariés des sociétés Alten, ces dernières se limitant à produire deux attestations sur l’honneur dactylographiées, dont le tribunal a justement relevé qu’elles étaient très similaires, l’une du 4 avril 2016 émanant de M. [W] [D], nommé au poste de directeur des opérations du pôle ASD après le départ de M. [U], et la seconde du 22 avril 2016 signée par M. [Z] [G], directeur exécutif d’Alten, à l’excusion de toutes pièces telles des courriels ou écrits justifiant d’un débauchage.
Ces deux attestations, qui seront considérées avec prudence compte tenu des liens de subordination qui unissent leurs auteurs aux appelantes, font état des perturbations qu’ont engendré les départs des salariés démissionnaires mais n’établissent aucunement que ces départs seraient dus à l’organisation d’un débauchage fautif imputable aux sociétés Astek.
Il convient par ailleurs d’observer que les sociétés Alten ont accueilli favorablement les demandes de dispense de préavis, tout au moins partielle, des salariés en question ; qu’elles ont en outre expressément renoncé à appliquer les clauses de non-concurrence contenues dans certains des contrats de travail, et ce jusqu’en 2016, alors que les départs dont elles se plaignent avaient commencé dès le milieu de l’année 2013 ; que seuls deux salariés ont été assignés devant le conseil de prud’hommes pour non-respect de leur obligation de non-concurrence.
A cet égard, les sociétés Astek font justement observer que la décision des sociétés Alten, consistant à réduire la durée d’exécution des préavis des salariés démissionnaires, vient contredire l’affimation selon laquelle ces salariés étaient difficilement remplaçables. Si cela avait effectivement été le cas, les sociétés Alten auraient eu besoin de la totalité du préavis pour recruter leurs remplaçants, étant d’ailleurs observé qu’elles ne communiquent aucun élément sur les recrutements auxquels elles ont dû procéder, soit-disant en urgence, en suite de ces départs.
Au surplus, la désorganisation alléguée et imputée au débauchage massif qu’auraient prétendument subi les sociétés Alten, apparaît également incertaine au vu des pièces produites par les intimées qui témoignent d’un repli de l’activité aéronautique en 2014 et 2015, confirmée par le président du groupe Alten lui-même, qui explique que ce repli a eu une incidence sur le taux d’intercontrat au second semestre 2015.
Les sociétés Alten communiquent, au soutien de leurs demandes, un rapport établi le 6 février 2017 par M. [Y] [N], expert-comptable, qui évalue « le préjudice subi par les sociétés Alten en raison du débauchage de salariés et de l’utilisation de documents confidentiels par les sociétés du groupe Astek ». Selon M. [N], « la perte d’exploitation subie par les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest peut être estimée à 2,8 millions d’€ ».
Dans un second document intitulé « Analyse des conclusions d’incident des sociétés Astek et groupe Astek », en date du 11 octobre 2017, M. [N] répond aux critiques émises par les sociétés Astek sur son rapport, parmi lesquelles celle relative au fait que le rapport du 6 février 2017 ne comporte aucune annexe qui confirmerait les chiffres qu’il mentionne.
La cour constate en effet que le rapport d’expertise n’est accompagné d’aucune pièce comptable, d’aucun document justifiant de l’augmentation du taux d’intercontrat, de la perte de chiffre d’affaires ou encore du coût des formations des nouveaux embauchés dont se prévalent les appelantes. L’expert indique seulement dans son document responsif que « les informations utiles – tant pour la compréhension du dossier que pour le chiffrage du préjudice subi – sont fournies dans le corps du rapport ».
Dans le cadre de la présente instance, les sociétés Alten ne fournissent pas d’autres pièces que celles qui viennent d’être évoquées pour justifier de la désorganisation majeure alléguée et le prétendu mécontentement de leurs clients est encore moins étayé.
Il résulte de ce qui précède que les appelantes ne démontrent ni l’existence de manoeuvres déloyales des sociétés Astek, ni avoir subi, du fait des agissements de ces dernières, une désorganisation de leurs services.
– Sur le détournement de documents confidentiels
Si les constatations opérées par voie d’huissier, le 4 juillet 2016, en exécution de l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 juin 2016, rectifiée le 24 juin 2016, ont permis d’établir que des documents Alten figuraient dans les ordinateurs professionnels de certains des anciens salariés du groupe, embauchés par des sociétés du groupe Astek, la cour observe qu’il n’est aucunement démontré que les sociétés Astek se sont appropriées les documents litigieux, ni même qu’elles ont eu un rôle quelconque dans l’enregistrement de ces documents sur les ordinateurs des salariés, aucun élément ne permettant de retenir, comme le prétendent les appelantes, que des fichiers ont été retrouvés sur les serveurs informatiques des sociétés Astek.
Il sera d’ailleurs noté que les sociétés Alten ne justifient, ni même n’allèguent, avoir engagé des poursuites à l’encontre de ceux de leurs anciens salariés qui ont emporté avec eux des documents internes du groupe Alten.
Au regard de ces éléments, la preuve d’une appropriation illicite de documents confidentiels Alten par les sociétés Astek n’est donc pas rapportée.
La demande des sociétés Astek de voir écarter des débats certains des procès-verbaux de constat apparaît de ce fait sans objet.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté les sociétés Alten de leurs demandes fondées sur des actes de concurrence déloyale.
Dans ces conditions, il y a également lieu, par confirmation du jugement entrepris, de rejeter la demande formulée par les sociétés Astek, à titre très subsidiaire, de voir ordonner aux sociétés Alten de leur communiquer un certain nombre de pièces en relation avec le rapport de M. [N].
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest supporteront les entiers dépens.
Elles seront en outre condamnées in solidum à verser à chacune des sociétés Astek et Groupe Astek une indemnité de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Astek Sud-Est, à l’encontre de laquelle l’appel n’a pas été interjeté et dont les intimées indiquent qu’elle a été régulièrement radiée du registre du commerce et des sociétés d’Antibes le 1er juillet 2016, ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DÉCLARE recevable l’appel incident formé par les sociétés Astek et Groupe Astek par conclusions notifiées le 14 janvier 2020, tendant à voir juger irrecevable l’action des sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ainsi qu’à obtenir la communication de pièces par les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Nanterre ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest aux entiers dépens ;
CONDAMNE in solidum les sociétés Alten et Alten Sud-Ouest à verser à chacune des sociétés Astek et Groupe Astek la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de frais irrépétibles présentée au nom de la société Astek Sud-Est.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,