Your cart is currently empty!
15 février 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/14049
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 15 FEVRIER 2023
(n°023/2023, 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/14049 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEER5
sur renvoi après cassation, par arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation rendu le 23 juin 2021 (pourvoi n°D19-18.111), d’un arrêt du pôle 5 chambre 2 de la Cour d’appel de PARIS rendu le 1er mars 2019 (RG n°17/17885) rendu sur appel d’un jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS du 07 septembre 2017 (RG n° 16/11378)
DEMANDERESSE À LA SAISINE
S.A. LALIQUE
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 775 667 736
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
Assistée de Me François GREFFE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0617
DÉFENDERESSE À LA SAISINE
S.A.S.U. HABITAT FRANCE
Société au capital de 39 750 000 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de BOBIGNY sous le numéro 389 389 545
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Cyril TRAGIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0524
Assistée de Me Lorans CAILLÈRES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Déborah BOHÉE, conseillère et Mme Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Mme Agnès COCHET-MARCADE, conseillère,
Greffier, lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société LALIQUE a créé et commercialise une gamme de sept verres à pied baptisée ‘100 Points’, caractérisée par une jambe (ou tige), sur laquelle elle revendique des droits d’auteur.
Elle est également titulaire d’un modèle de verre à vin présentant une tige identique à celle sur laquelle elle revendique des droits d’auteur, qu’elle a déposé à la fois en tant que modèle communautaire, le 26 septembre 2012, sous le n° 2109439-0001, et en tant que modèle international visant la France, le 25 mars 2013, sous le n° DM/080502.
La société HABITAT FRANCE (ci-après, la société HABITAT) crée et commercialise des articles de décoration d’intérieur et notamment, depuis octobre 2015, une gamme de trois verres à pied (verres à champagne, à vin rouge et à vin blanc) référencée ‘Glitz’.
Estimant que les verres ‘Glitz’ constituaient une contrefaçon de ses droits d’auteur et de ses modèles, la société LALIQUE, après avoir mis vainement en demeure la société HABITAT par courrier du 29 mars 2016, et après avoir fait dresser deux procès-verbaux de constat, l’un le 30 mars 2016 sur le site internet habitat.fr exploité par la société HABITAT, l’autre le 31 mars 2016 dans une boutique à l’enseigne HABITAT située [Adresse 5], a assigné la société HABITAT, par acte d’huissier du 20 juillet 2016, devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Par jugement du 7 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a notamment :
– rejeté l’intégralité des demandes principales et subsidiaires de la société LALIQUE tant au titre de la contrefaçon de droits d’auteur et de ses modèles que de la concurrence déloyale et parasitaire ;
– rejeté la demande reconventionnelle de la société HABITAT au titre de la procédure abusive ;
– condamné la société LALIQUE à payer à la société HABITAT la somme de 10 000 euros en
application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société LALIQUE aux dépens.
Sur l’appel interjeté par la société LALIQUE, cette cour (chambre 5-2), par un arrêt du 1er mars 2019, a :
– infirmé le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de la société LALIQUE d’enjoindre à la société HABITAT de produire des éléments comptables et de publier le jugement, ainsi que la demande de la société HABITAT au titre de la procédure abusive ;
– statuant à nouveau dans cette limite,
– dit que la société HABITAT a commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur et de modèles au préjudice de la société LALIQUE ;
– dit que la société HABITAT a commis des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société LALIQUE ;
– fait interdiction à la société HABITAT de poursuivre la commercialisation de sa gamme de verres ‘Glitz’, et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée à l’expiration du délai d’un mois suivant la signification de l’arrêt ;
– condamné la société HABITAT à payer à la société LALIQUE les sommes de :
– 200 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de droit
d’auteur et de modèles ;
– 80 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale
et parasitaire ;
– rejeté toute autre demande des parties contraire à la motivation ;
– condamné la société HABITAT aux dépens de première instance et d’appel, dont distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et à verser à la société LALIQUE une somme de 20 000 euros euros au titre des frais irrépétibles.
Sur le pourvoi formé par la société HABITAT, la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 juin 2021, a :
– cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel, mais seulement en ce qu’il a :
– dit que la société HABITAT a commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur et de modèles au préjudice de la société LALIQUE ;
– dit que la société HABITAT a commis des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société LALIQUE ;
– fait interdiction à la société HABITAT de poursuivre la commercialisation de sa gamme de verres ‘Glitz’, et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée à l’expiration du délai d’un mois suivant la signification de l’arrêt ;
– condamné la société HABITAT à payer à la société LALIQUE les sommes de 200 000 euros, en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de droits d’auteur et de modèles, et de 80 000 euros, en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
– condamné la société HABITAT aux dépens de première instance et d’appel à verser à la société LALIQUE une somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
– remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état ou elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
– condamné la société LALIQUE aux dépens et au paiement à la société HABITAT de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société LALIQUE, par déclaration du 23 juillet 2021, a saisi cette cour désignée comme cour de renvoi.
Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 19 avril 2022, la société LALIQUE demande à la cour :
– de recevoir la société LALIQUE en son appel et l’y dire bien fondée en l’ensemble de ses demandes,
– d’infirmer le jugement du 7 septembre 2017, en ses dispositions concernées par la cassation partielle,
– statuant à nouveau,
– de juger que le modèle LALIQUE est défini par ses éléments caractéristiques énumérés à la page 9 des présentes conclusions,
– de débouter la société HABITAT de sa demande reconventionnelle,
– de juger que la société LALIQUE est titulaire des droits de création sur le modèle objet des dépôts n° 002109439 du 27 septembre 2012 (modèle communautaire) et DM/080502 du 25 mars 2013 (modèle international),
– de juger que ledit modèle est protégé cumulativement par les dispositions des livres I et V du code de la propriété intellectuelle et le règlement communautaire (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001,
– de constater notamment qu’il résulte des pièces communiquées par la société HABITAT que cette dernière n’invoque aucune antériorité et prétend que les modèles ne seraient pas contrefaisants au motif notamment que l’un serait en cristal et l’autre en verre, que l’un serait vendu 110 € (LALIQUE) et l’autre 7,50 € (HABITAT) et que les paraisons seraient de configuration proche,
– de juger en conséquence que la société HABITAT s’est livrée et se livre au préjudice de la société LALIQUE à des agissements de contrefaçon en violation des dispositions des articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 521-1 du code de la propriété intellectuelle et des articles 10 et 19 du règlement communautaire (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001 du conseil sur les dessins et modèles communautaires,
– subsidiairement, de juger qu’en offrant à la vente et en commercialisant des verres reproduisant à l’identique les caractéristiques de ceux créés par LALIQUE, sans que cela ne soit justifié par une quelconque nécessité technique ou autre, engendrant ainsi un risque de confusion, la société HABITAT a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– au surplus, de juger que la société HABITAT a commis des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire en commercialisant une même série de verres que celle de la société LALIQUE reprenant ainsi le même effet de gamme,
– en conséquence,
– de faire interdiction à la société HABITAT d’importer, d’offrir à la vente, de promouvoir et/ou de commercialiser, de quelque façon que ce soit, des verres qui reproduisent les modèles de la société LALIQUE, et ce sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir,
– de condamner en conséquence la société HABITAT à payer à la société LALIQUE la somme provisionnelle de 490 000 € et ce au titre de la contrefaçon,
– d’ordonner à la société HABITAT, conformément aux dispositions des dispositions des articles L.331-1-2 et L. 521-5 du code de la propriété intellectuelle de produire les éléments comptables déterminant « les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées » contrefaisant ceux de la société LALIQUE ainsi que le prix desdits modèles, et ce pour estimer le préjudice total subi au titre de la contrefaçon par la société LALIQUE,
– d’ordonner à la société HABITAT de préciser l’origine de ses verres « modèle Glitz »,
– de condamner en outre la société HABITAT à payer à la société LALIQUE la somme de 100 000 € et ce, compte tenu du préjudice moral subi par la société LALIQUE, de même que des économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels dont a bénéficié la société HABITAT en fraude des droits de la société LALIQUE,
– subsidiairement, de condamner la société HABITAT à la somme provisionnelle de 490 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à l’encontre de la société LALIQUE et résultant des mêmes faits que ceux de la contrefaçon, sauf à parfaire en fonction des éléments comptables qui seront versés aux débats par la société HABITAT,
– au surplus, de condamner la société HABITAT à la somme provisionnelle de 200 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à l’encontre de la société LALIQUE consistant à avoir repris le même effet de gamme, sauf à parfaire en fonction des éléments comptables qui seront versés aux débats par la société HABITAT,
– d’ordonner en outre et ce à titre de supplément de dommages et intérêts, la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux au choix de la société LALIQUE aux frais de la société HABITAT et dire et juger que le coût de chacune de ces publications ne saurait être inférieur à 15 000 €,
– de condamner la société HABITAT à payer à la société LALIQUE au titre de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 30 000 €,
– de condamner la société HABITAT aux entiers dépens dont distraction au profit de Me FLAURAUD, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions transmises le 13 octobre 2021, la société HABITAT demande à la cour :
– de recevoir la société HABITAT en ses écritures et de la déclarer bien fondée,
– de débouter la société LALIQUE de l’ensemble de ses demandes,
– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société LALIQUE de ses prétentions
dirigées contre la société HABITAT, tant au titre de la contrefaçon des droits d’auteur et des modèles qu’à celui de la concurrence déloyale et parasitaire, sur le modèle de verre objet des dépôts n°002109439 du 27 septembre 2012 (modèle communautaire) et DM/080502 du 25 mars 2013 (modèle international),
– y ajoutant,
– de condamner la société LALIQUE à verser à la société HABITAT la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la société LALIQUE aux dépens, dont le recouvrement sera assuré par Me TRAGIN, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2022.
MOTIFS DE L’ARRET
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les chefs du jugement non atteints par la cassation partielle
La cour constate que l’arrêt précédent de cette cour n’est pas atteint par la cassation partielle en ce qu’il a confirmé le jugement en ce que ce dernier a rejeté les demandes de la société LALIQUE d’enjoindre à la société HABITAT de produire des éléments comptables et de publier le jugement, ainsi que la demande de la société HABITAT au titre de la procédure abusive.
Le jugement est donc irrévocable de ces chefs.
Sur les demandes en contrefaçon de droits d’auteur de la société LALIQUE
Il est souligné que malgré l’ambiguïté dont sont empreintes les écritures de la société LALIQUE, qui mêle dans de mêmes paragraphes des développements sur le droit d’auteur et sur les modèles enregistrés, il en ressort que sont revendiqués des droits d’auteur, non sur les verres de la gamme ‘100 Points’, mais sur la tige (ou jambe) de ces verres. C’est ce qu’ont retenu les trois décisions qui ont déjà été rendues dans ce litige, par le tribunal de grande instance, la cour d’appel (arrêt de 2019) et la Cour de cassation et c’est donc dans ce cadre que cette cour de renvoi, tenue de statuer dans les limites de la cassation partielle prononcée, examinera les demandes de l’appelante.
Sur l’originalité de la tige des verres de la gamme ‘100 Points’
Il est précisé que dans son arrêt du 23 juin 2021, la Cour de cassation a cassé le précédent arrêt de cette cour pour avoir notamment considéré (comme avant elle, le tribunal) que l’originalité de la tige des verres ‘100 Points’ de la société LALIQUE n’était pas contestée. Il convient donc d’examiner cette originalité qui est, de fait, déniée par la société HABITAT.
La société LALIQUE soutient qu’il n’est pas contestable que le ‘modèle 100 Points’ bénéficie de la protection du droit d’auteur et elle caractérise ainsi qu’il suit la jambe des verres de cette gamme (pages 9 et 10 de ses écritures) :
‘ La jambe des modèles de la gamme « 100 Points » en combinaison avec le gobelet (paraison) et le pied se définit et se caractérise notamment par la combinaison des trois figures, des lignes et des contrastes suivants :
1- une figure haute polie transparente, de faible hauteur,
2- une figure basse polie transparente, de hauteur double de la précédente, le diamètre de cette dernière étant supérieur au diamètre de la première,
3- entre les parties haute et basse qui sont polies, la jambe est satinée (mate) et comporte un renflement dans sa partie supérieure. Le satiné étant l’un des éléments caractéristiques des modèles LALIQUE depuis plus d’un siècle : dont il résulte le contraste du cristal clair et mâtiné.
4- les figures haute et basse formant deux Points lumineux contrastant avec la partie dépolie (mat) de la jambe. Les jeux de lumière sont également des éléments caractéristiques des modèles LALIQUE.
(…)
Ainsi le modèle «100 Points » répond à une définition précise qui résulte notamment de la combinaison de trois figures géométriques, les figures haute et basse formant deux Points lumineux contrastant avec la partie dépolie (mat) de la jambe’.
La société HABITAT conteste l’originalité revendiquée, faisant valoir que la forme de la jambe du verre LALIQUE, en ce qu’elle présente une protubérance, est typique du style baroque et que la gravure de cette même jambe apparaissait déjà au 17ème siècle, notamment en Hollande et en Allemagne.
En application de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Il se déduit de ces dispositions, le principe de la protection d’une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Selon l’article L.112-2, 10° du même code, sont considérées comme ‘uvres de l’esprit les oeuvres de arts appliqués.
La notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l’oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l’originalité doit être appréciée au regard d’oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d’un effort de création, marquant l’oeuvre revendiquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur.
En l’espèce, la cour, après le tribunal, relève que la société LALIQUE a choisi de passer sous silence la présence de stries verticales sur la jambe du verre, cette caractéristique esthétique étant pourtant très remarquable et particulièrement mise en avant par la société LALIQUE dans sa communication relative à sa gamme ‘100 Points’ comme traduisant le raffinement et le ‘style unique’ de cette collection (‘le verre se distingue par sa jambe striée à côtes dépolies’), créée en collaboration avec un oenologue américain de renom, M. [C] [U], et positionnée dans le haut de gamme (ses pièces 7 et 11), et ce, manifestement, afin de faire correspondre les caractéristiques revendiquées avec celles du produit litigieux de la société HABITAT et ainsi favoriser le succès de ses prétentions, comme l’ont très justement souligné les premiers juges.
La société HABITAT produit aux débats plusieurs pièces montrant des verres à pied anciens dont la jambe comporte en son milieu un renflement, une partie inférieure transparente plus fine et plus haute que la partie supérieure également transparente (notamment, verres en cristal mis en vente par la GALERIE D’INTERIEUR à [Localité 8] (antiquités 18ème et 19ème siècles), flûte à champagne gravée de la galerie CABOTSE au marché Dauphine à [Localité 7], verres des 17ème siècle (‘Fougère’), 18ème siècle et 19ème siècle proposés par [H] [J] au marché de [Localité 7], verres à vin [Localité 6] des antiquités [F] [Y], modèle BACCARAT ‘Picadilly’ de [S] [I], verre à vin BACCARAT ‘Roemer’ (pièces 24 b, 25 g, 26 a, c, h, i, 27c, g, 30). Est également fourni un extrait du site www.latabledarc.com montrant un verre LUMINARC contemporain présentant une tige renflée en son centre avec une partie basse transparente plus haute que la partie haute également transparente (pièce 14). La société HABITAT produit en outre des photographies de verres anciens comportant des gravures sur la jambe (verre ‘Fougère’ précité du 17ème siècle et verres allemands ou flamands de la fin du 17ème ou début 18ème siècles – pièces 22 et 28), ces gravures conférant à la partie gravée un aspect mat ou satiné, tel celui revendiqué par la société LALIQUE.
Il ressort de toutes ces pièces qu’antérieurement au dépôt des modèles de verres ‘100 Points’ en 2012 et 2013, aucune autre date de création n’étant spécialement invoquée au titre du droit d’auteur, étaient déjà connus des verres présentant des jambes avec en leur milieu un renflement, une partie inférieure transparente plus fine et plus haute que la partie supérieure également transparente et avec, par ailleurs, un contraste entre des parties opaques et d’autres plus transparentes induit par la présence de gravures.
Dans ces conditions, alors que force est de constater que la société LALIQUE se borne à décrire techniquement les caractéristiques de la jambe de son verre ‘100 Points’, au nombre desquelles elle ne revendique pas le travail de stries, sans aucunement expliciter la démarche créative et le parti pris esthétique qui traduiraient les choix personnels d’un auteur et seraient le reflet de sa personnalité, la cour estime que la tige du verre telle que revendiquée, faute de traduire un travail créatif résultant de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur, n’est pas éligible à la protection au titre du droit d’auteur.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté toutes les demandes formées par la société LALIQUE au titre du droit d’auteur.
Sur les demandes en contrefaçon des dessins et modèles enregistrés de la société LALIQUE
La société LALIQUE soutient que les verres « Glitz » de la société HABITAT et ses propres verres « 100 Points », au regard non seulement de leur tige (jambe) mais également de leur paraison (gobelet) et de leur socle, produisent sur l’utilisateur averti, qui est doté d’une vigilance particulière, une même impression visuelle globale, et ce, en tenant compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration d’un modèle de verre, et que les verres litigieux reprennent à l’identique ce qui constitue le caractère propre et individuel de ses modèles enregistrés. Elle précise qu’on retrouve, en effet, disposés sur la jambe : une figure haute polie transparente, de faible hauteur, une figure basse polie transparente, de hauteur double de la précédente, le diamètre de cette dernière étant supérieur au diamètre de la première, et entre les parties haute et basse qui sont polies, une jambe satinée (mate) comportant un renflement dans sa partie supérieure, les verres HABITAT reprenant par ailleurs les paraisons (ou contenants) et socles de la série ‘100 Points’ qui présentent en partie un caractère fonctionnel et sont dans le domaine public. Elle argue que la société HABITAT elle-même souligne dans sa communication « le style original de son modèle » ou la «légèreté de la flûte sophistiquée » ou encore le « ballon en verre poli contrastant élégamment avec le pied mat ».
La société HABITAT répond qu’en raisons de nombreuses différences, les modèles de la société LALIQUE et ses verres ‘Glitz’ ne produisent pas sur l’observateur averti la même impression visuelle globale.
La validité des deux modèles enregistrés de la société LALIQUE n’est pas discutée.
Ceci étant exposé, l’article L. 513-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que ‘La protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente’. Et selon l’article 10 du règlement CE 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, ‘Etendue de la protection – 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente. 2. Pour apprécier l’étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.’.
Le précédent arrêt de cette cour a été censuré en ce qu’il a retenu que la tige des modèles de verre à vin invoqués et celle des verres ‘Glitz’ de la société HABITAT produisaient la même impression visuelle alors que, les modèles déposés portant sur un verre à vin, il aurait fallu rechercher si l’impression visuelle d’ensemble produite par les verres ‘Glitz’ était identique ou différente de celle produite par les modèles enregistrés. C’est donc à juste raison que la société LALIQUE plaide que la contrefaçon doit être examinée au regard non seulement de la tige des verres (des modèles enregistrés et des verres ‘Glitz’), mais également de leur gobelet et de leur socle.
En l’occurrence, les deux modèles déposés, qui comportent des représentations graphiques strictement identiques, concernent des verres à vin comprenant : un gobelet (ou contenant ou paraison) dont l’épaule est plus large que le buvant ; une tige (ou jambe ou pied) dont la description technique livrée dans le cadre de la demande en contrefaçon de droits d’auteur est transposable, étant toutefois précisé que, contrairement à ce qui est soutenu par la société appelante, les stries ornant la tige sont parfaitement visibles aussi bien sur le modèle communautaire que sur le modèle international visant la France, étant particulièrement mises en évidence sur les figures 1. 3 des dépôts (pièces 1 et 2 de l’appelante) ; et une base (ou socle) circulaire.
Les verres de la gamme ‘Glitz’ de la société HABITAT sont de trois types : verre à vin blanc, verre à vin rouge et flûte à champagne, chacun présentant, comme tout verre à pied, un gobelet, une tige et une base, la reprise de ces éléments, en eux-mêmes fonctionnels, étant commandée par la nature du produit et ne pouvant être retenue à faute.
L’examen des verres achetés dans une boutique HABITAT comme celui des photographies intégrées dans le procès-verbal de constat sur le site habitat.fr révèle que les tiges des modèles comme celle des verres litigieux associent pareillement des zones polies transparentes encadrant une zone centrale opaque comportant un renflement. Des différences apparaissent cependant immédiatement : d’une part, les verres ‘Glitz’ d’HABITAT ne comportent aucun bourrelet ni évasement à la jointure entre la tige et le socle et leur jointure entre la tige et le gobelet s’évase alors que sur les modèles LALIQUE, la jointure au niveau du socle est évasée et comporte un bourrelet, la jointure au niveau du gobelet marquant, elle, un rétrécissement ; d’autre part, le renflement de la tige des verres HABITAT est plus accentué et plus central que celui des modèles ; enfin et surtout, la tige des verres HABITAT est uniformément lisse, dépourvue de toute strie verticale.
En raison de cette seule dernière différence sur les jambes des verres, les modèles de la société LALIQUE et les verres à vin commercialisés par la société HABITAT produisent sur l’utilisateur averti – ici l’utilisateur final, amateur de vins et du contenant le mieux adapté à sa dégustation, ou le fabricant ou le vendeur de verrerie, qui du fait de son intérêt pour les produits concernés fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé – une impression visuelle globale distincte, les modèles de verres LALIQUE, en raison du travail de stries sur la tige, affichant une qualité et une sophistication très supérieures à celles des verres HABITAT. Cette différence sera d’autant plus relevée par l’utilisateur averti que, dans le domaine concerné des verres à vin, la liberté du créateur trouve davantage à s’exprimer sur les tiges de verres que sur les gobelets et les socles, plus asservis aux codes du genre.
En outre, à ces différences s’ajoute le fait que les modèles de verre à vin de la société LALIQUE se distinguent des verres à vin blanc, et encore plus des flûtes à champagne, de la société HABITAT par la forme du gobelet.
L’impression visuelle d’ensemble suscitée par les verres incriminés étant distincte de celle produite par les modèles, la contrefaçon des modèles n’est pas caractérisée.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté toutes les demandes formées par la société LALIQUE au titre des modèles enregistrés.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
La société LALIQUE forme des demandes en concurrence déloyale et parasitaire à la fois à titre subsidiaire et au titre de faits distincts. A titre subsidiaire, elle reproche à la société HABITAT d’avoir commercialisé des verres reproduisant, sans nécessité technique et à l’identique, les caractéristiques des verres de sa gamme ‘100 Points’ qui a connu et connaît un succès exceptionnel en termes de chiffre d’affaires (plus de 4,8 millions d’euros entre 2013 et 2018) et de retentissement dans la presse tant professionnelle que de large diffusion. Au titre des faits distincts, elle fait grief à la société HABITAT d’avoir recherché délibérément un risque de confusion entre ses produits et ceux, notoirement connus, de LALIQUE qui ont rencontré un très grand succès commercial, afin de détourner sa clientèle dans des conditions contraires aux usages loyaux du commerce, les produits HABITAT, d’un prix très inférieur, pouvant se substituer à ceux de LALIQUE ou venir les compléter ; elle fait valoir en outre, que la société HABITAT a décliné en une série de trois verres le modèle invoqué, créant ainsi un effet de gamme ; qu’elle a également, comme elle, présenté ses modèles sur fond noir, ce qui accroît le risque de confusion entre les produits ; et qu’elle a profité de son renom dans le domaine de la création de services en cristal originaux et de grande qualité et de la notoriété des verres de la gamme ‘100 Points’ qui représente une valeur économique incontestable.
La société HABITAT répond que le grief tiré de la copie servile des verres de la société LALIQUE est mal fondé, dès lors qu’il ne vise pas un fait distinct de celui invoqué sur le fondement de la contrefaçon et que l’action en contrefaçon et l’action en concurrence déloyale sont deux actions autonomes qui doivent reposer sur des faits différents ; que l’effet de gamme invoqué est inopérant dans le secteur concerné ; que les parties ne sont pas en situation de concurrence, la société LALIQUE fabriquant et commercialisant des verres haut de gamme, caractérisés par un savoir-faire dans le domaine de la cristallerie, alors qu’elle-même, qui n’est pas le concepteur ni le producteur des verres en cause, a commandé les verres « Glitz » auprès d’un fournisseur situé en Chine sur la base d’un catalogue ; qu’aucun détournement de clientèle n’est envisageable, les produits en cause ne pouvant nullement se substituer entre eux.
Ceci étant exposé, la cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
Ces deux notions sont appréciées à l’aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d`un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou par l’existence d’une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce.
L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.
En l’espèce, il résulte des développements qui précèdent, et qui ont conduit à écarter la contrefaçon de modèles, que la reprise à l’identique sur les verres HABITAT des caractéristiques des verres de la gamme ‘100 Points’ n’est pas caractérisée.
En ce qui concerne les faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire, la reprise sur les verres HABITAT d’une tige mate en son centre ne peut suffire à démontrer la recherche fautive d’un risque de confusion avec les verres de la société LALIQUE du fait de l’absence sur les produits litigieux des stries verticales qui font la singularité revendiquée des verres LALIQUE et qui ne passera pas inaperçue aux yeux du consommateur moyen, la reprise, pour un verre, d’un gobelet, d’une base et d’une tige, éléments fonctionnels non appropriables, ne pouvant être en soi constitutive d’une faute. La société LALIQUE invoque vainement par ailleurs un effet de gamme du fait de la déclinaison par la société HABITAT de son modèles en une série de trois verres (verre à vin rouge, verre à vin blanc et flûte à champagne) dès lors qu’il est très habituel dans le secteur concerné de proposer des verres de types différents pour constituer un service complet. L’adoption de la couleur noire pour présenter ou promouvoir des verres à vins est également banale, étant évocatrice de l’univers du luxe dans lequel s’inscrivent les produits vinicoles. Le détournement de clientèle n’est pas démontré, les parties opérant au demeurant sur des segments de marché très distincts, la société LALIQUE fabricant et commercialisant des verres en cristal très haut de gamme alors que la société HABITAT, qui s’est fournie en Chine pour les verres litigieux, propose des produits pour la vie quotidienne à des prix très inférieurs (le prix du verre LALIQUE est d’environ 100 euros alors que le verre HABITAT se vend environ 7 euros), ce qui rend la substituabilité ou la complémentarité des produits invoquées peu probables. Enfin, si la société LALIQUE justifie des investissements consacrés à la promotion de sa ligne ‘100 Points’ (publicités, catalogues…) et de son succès (chiffre d’affaires, parutions presse …), ces investissements (liés notamment à la collaboration avec l’oenologue américain) et ce succès sont présentés comme étant en lien avec la jambe striée des verres, élément qui n’est pas repris sur les verres litigieux. Il n’est donc pas établi que la société HABITAT, qui a proposé à la vente un produit se démarquant très sensiblement du verre LALIQUE, a cherché à tirer profit de ces efforts et de ce succès.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de la société LALIQUE au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société LALIQUE, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me TRAGIN, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de la société LALIQUE au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société HABITAT peut être équitablement fixée à 20 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement et dans les limites de la cassation partielle,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 7 septembre 2017 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société LALIQUE aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me TRAGIN, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’au paiement à la société HABITAT de la somme de 20 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE