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11 janvier 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/07193
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 11 JANVIER 2023
(n° 4 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07193 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFTXJ
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 16 Février 2022 – Cour de Cassation – Pourvoi N°M20-20.491 – Arrêt N°119 F-D
Jugement du 30 Mai 2017 -Tribunal de Commerce de CRETEIL – RG N°2015F00667
Arrêt du 2 Juillet 2020 – Cour d’Appel de PARIS – RG N°17/13752
Arrêt du 16 Février 2022 – Cour de Cassation – Pourvoi N°M20-20.491 – Arrêt N°119 F-D
DEMANDERESSE A LA SAISINE
S.A.S. ELIVIEagissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de LYON sous le numéro 333 954 386
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque G0334
avocat postulant
Assistée de Me Déborah ITTAH de la SELAS FIDAL, avocat au barreau du VAL DE MARNE, toque PC 406, avocat plaidant
INTIMEE
S.A.S. NHC agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de MEAUX sous le numéro 432 362 101
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Fabrice GRIMAULT de la SCPVERGNE GRIMAULT, avocat au barreau de PARIS, toque P0109, avocat postulant et plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère, chargée du rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre
Madame Brigitte BRUN-LALLEMAND, Première Présidente de chambre
Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère
Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La société NHC exerce une activité de fourniture dans le domaine de la nutrition et tous autres types de soins associés de produits matériels et services nécessaires au maintien des malades à leur domicile et notamment une activité d’insulinothérapie à domicile.
La société Assistances Médicales Spécialisées (ci-après dénommée AMS), aux droits de laquelle se trouve la société Elivie depuis le 1er septembre 2016, est une société spécialisée dans la livraison à domicile des appareils de traitement et du matériel médical, structurée en quatre départements : assistance respiratoire, perfusion, diabète et nutrition.
Courant 2013/2014, trois salariés de la société NHC, Mmes [T], [D] et M. [H], ont démissionné puis ont été embauchés par la société AMS.
Concernant Mme [F] [T], elle a été engagée par la société NHC par contrat du 26 mai 2011 en qualité d’infirmière Coordinatrice Diabète sur le secteur d’activité des département 28 et 78. Elle a démissionné de ses fonctions par lettre du 29 octobre 2013 à effet du 31 janvier 2014, pour rejoindre la société AMS. Par lettre du 15 novembre 2013, la société NHC a délié Madame [T] de son obligation de non-concurrence.
Concernant Mme [O] [D], elle a été engagée par la société NHC par contrat du 31 janvier 2011 en qualité d’infirmière Coordinatrice Diabète. Elle a démissionné de ses fonctions par lettre du 12 décembre 2013, puis elle a été embauchée par la société AMS par contrat du 17 mars 2014, en qualité d’infirmière chargée de la pédagogie et de l’installation auprès des patients du département perfusion, cadre.
Enfin, concernant M. [R] [H], il a été engagé par la société NHC par contrat du 23 septembre 2011 en qualité d’infirmier Coordinateur Diabète. Il a démissionné de ses fonctions par lettre du 13 février 2014, puis il a été embauché par la société AMS par contrat du 9 mai 2014, en qualité d’infirmier commercial.
S’estimant victime d’une concurrence déloyale, la société NHC a fait assigner, par acte d’huissier de justice du 16 juin 2015, la société AMS devant le tribunal de commerce de Créteil, aux fins d’obtenir notamment le paiement de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice commercial et moral.
Par jugement du 30 mai 2017 le tribunal de commerce de Créteil a :
– Ecarté des débats les pièces n°61 et n° 62 versées aux débats par la partie demanderesse.
-Condamné la société ELIVIE, venant aux droits de la SASU ASSISTANCES MEDICALES SPECIALISEES – AMS, à payer à la société NHC la somme de 100.000,00 euros au titre du préjudice commercial subi et débouté la société NHC du surplus de sa demande.
-Condamné la société ELIVIE, venant aux droits de la SASU ASSISTANCES MEDICALES SPECIALISEES – AMS, à payer à la société NHC la somme de 10.000,00 euros au titre du préjudice moral subi et débouté la société NHC du surplus de sa demande.
-Dit la société ELIVIE, venant aux droits de la SASU ASSISTANCES MEDICALES SPECIALISEES – AMS mal fondée en sa demande de dommages-intéréts et l’en déboute,
-Condamne la société ELIVIE, venant aux droits de la SASU ASSISTANCES MEDICALES SPECIALISEES – AMS à payer à la société NHC la somme de 3.500,00 euros au titre de l’article 700 du CPC, déboute la société NHC du surplus de sa demnde et déboute la société ELIVIE venant aux droit de la SASU ASSISTANCES MEDICALES SPECIALISEES -AMS de sa demande formée de ce chef.
– Ordonne l’exécution provisoire de ce jugement, sous réserve qu’en cas d’appel il soit fourni par le bénéficiaire une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit.
– Condamne la partie défenderesse aux dépens.
Par déclaration du 7 juillet 2017, la société Élivie a interjeté un appel de ce jugement.
Par arrêt du 2 juillet 2020, la Cour d’appel de Paris a :
Confirmé le jugement entrepris, sauf concernant le quantum de l’indemnisation due par la société Elivie à la société NHC sur le préjudice matériel en réparation des actes de concurrence déloyale,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamné la société Elivie à payer à la société NHC la somme de 478.104,32 euros au titre du préjudice matériel en réparation des actes de concurrence déloyale,
Y ajoutant,
Condamné la société Elivie à payer à la société NHC à la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société Elivie à payer les entiers dépens de l’appel.
A la suite du pourvoi formé par la société Elivie venant aux droits de la société AMS, par arrêt du 16 février 2022 pourvoi n°20-20.491 la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 2 juillet 2020, pour défaut de base légale et a remis en conséquence sur ces points, la cause, et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris.
Par déclaration reçue au greffe le 3 avril 2022, la société Elivie a saisi la Cour de renvoi.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 8 novembre 2022, la société Elivie demande à la Cour de :
Vu, les articles 1382 et 1351 anciens du code civil,
l’article 146 du code de procédure civile,
– Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de CRETEIL en date du 30 mai
2015, sauf en ce qu’il a écarté des débats les pièces n°61 et 62 versées par la société
NHC ;
Et statuant à nouveau :
– Ecarter des débats les sommations interpellatives produites par la société NHC n°61 et
62 obtenues de manière illicite ;
– Débouter la société NHC de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner la société NHC à payer à la société ELIVIE une somme de 10.000 euros pour
procédure abusive ;
– Condamner la société NHC à payer à la société ELIVIE une somme de 20.000 euros sur
le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société NHC aux entiers dépens et autoriser Me BELLICHACH à les
recouvrer conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 novembre 2022, la société NHC demande à la Cour de :
-Déclarer la Société ELIVIE irrecevable et infondée en son appel principal, et la débouter de toutes ses demandes fins et conclusions,
-Déclarer la Société NHC recevable et bien fondée en son appel incident, et statuant à nouveau avec infirmation partielle,
-Infirmer le Jugement en ce qu’il a écarté des débats les pièces NHC n°61 et 62, qui constituent des éléments de preuve parfaitement licites,
-Dire et juger que la Société AMS, aux droits de laquelle se trouve la Société ELIVIE a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la Société NHC, en confirmant le jugement sur ce point,
– Réformer le jugement pour le montant des dommages et intérêts, et condamner la société ELIVIE à payer à la Société NHC les sommes suivantes :
*1.228.014,20 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices commerciaux
*50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice
moral
*5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles de première instance.
*Débouter la Société ELIVIE de toutes ses demandes d’indemnités, notamment de dommages intérêts pour procédure abusive,
Subsidiairement, sur les préjudices, désigner tel expert qu’il plaira à la Cour avec mission de :
– se rendre sur place aux sièges des Sociétés NHC et ELIVIE
– se faire remettre et examiner tous les documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission, et notamment les documents comptables de la Société AMS afin de déterminer le nombre des anciens patients de la société NHC qui ont contracté avec la Société AMS à compter du 29 octobre 2013, date de la démission de Madame [F] [T],
– déterminer le chiffre d’affaires et le montant de la marge réalisés par la société AMS et/ou la Société ELIVIE avec lesdits patients depuis le 29 octobre 2013, date de la démission de Mme [F] [T],
– fournir tous autres éléments de fait de nature à permettre d’évaluer les préjudices subis par la Société NHC,
– Condamner la Société ELIVIE à payer à la Société NHC une indemnité de 20.000€
au titre de l’article 700 du CPC, en cause d’appel,
– Condamner la Société ELIVIE aux entiers dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2022.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la communication aux débats des pièces 61 et 62
La Cour estime que les sommations interpellatives versées aux débats par la société NHC, pièces n°61 et 62, ne sont pas nécessaires à la résolution du litige et qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la licéité de ces pièces.
Sur les actes de concurrence déloyale
La société NHC soutient que la société Elivie a commis des agissements constitutifs de concurrence déloyale, à savoir :
– l’embauche simultanée de plusieurs salariés d’une entreprise concurrente
– la complicité de la société Elivie dans les violations des clauses de non-concurrence des salariés Mme [D] et M. [H]
– la complicité de la société Elivie dans les agissements déloyaux de Mme [T]
– le détournement d’informations médicales et commerciales et de clientèle
– les perturbations et la désorganisation subie par NHC
* sur le grief de la complicité de la société Elivie dans les agissements déloyaux de Mme [T]
La société NHC fait valoir que Mme [T], bien qu’ayant été libérée de sa clause de non-concurrence (à un moment où NHC n’imaginait pas avoir à subir les agissements de concurrence déloyale), demeurait tenue au respect d’une clause de confidentialité et de loyauté relativement aux données de la clientèle de la société NHC. Elle prétend démontrer que Mme [T] a massivement incité ses anciens patients de NHC à s’appareiller chez la société concurrente AMS, nommément citée dans ses démarches, et ce en allant jusqu’à dénigrer son ancien employeur NHC et en utilisant les informations confidentielles qu’elle détenait chez NHC ( noms et coordonnées de patients) au profit de son nouvel employeur. La société NHC relève que 77% des patients suivis par Mme [T] ont sollicité leur désappareillage au moment de son départ. Elle soutient que la société Elivie a nécessairement cautionné la manière d’agir de sa nouvelle salariée, dès lors qu’elle ne pouvait ignorer la provenance d’une soixantaine de nouveaux clients d’un même secteur, en l’occurrence celui de la nouvelle infirmière embauchée, laquelle venait de quitter NHC, en se rendant ainsi complice des agissements fautifs de sa nouvelle salariée.
La société Elivie réplique pour l’essentiel, d’une part qu’elle n’avait pas connaissance des agissements de Mme [T] ayant agit de son propre chef et d’autre part que les pièces versées aux débats ne permettent pas d’établir le caractère fautif des agissements reprochés de cette dernière.
Sur ce,
Mme [T], engagée le 26 mai 2011 par la société NHC en qualité d’infirmière coordinatrice diabète, a démissionné de cette société par lettre du 29 octobre 2013. La société NHC justifie (pièce n°7) qu’au 20 octobre 2013, Mme [T] suivait 76 patients pour le compte de la société NHC.
Par lettre du 15 novembre 2013, la société NHC a fixé la fin du préavis au 30 janvier 2014 et délié Mme [T] de son obligation de non-concurrence mais celle-ci restait tenue au respect d’une clause de confidentialité.
Il n’est pas contesté qu’à la suite de son départ de la société NHC, Mme [T] a rejoint la société AMS.
La société NHC produit aux débats diverses pièces provenant d’anciens patients suivis par Mme [T] ou de collaborateur au sein de NHC ou partenaires (pièces n°9 à 16) démontrant que Mme [T], par divers procédés parfois dénigrant la société NHC, a fortement incité ses anciens patients de chez NHC à changer de prestataires et de rejoindre son nouvel employeur la société AMS. La société NHC démontre également que concomitamment au départ de Mme [T], 59 de ses anciens clients ont sollicité leur désappareillage chez NHC
Néanmoins, l’ensemble de ces éléments demeurent insuffisants pour établir que la société AMS avait incité ou était informée des méthodes peu loyales de Mme [T] pour recruter de nouveaux patients dans ses nouvelles fonctions, étant observé que celle-ci était déliée de son obligation de non-concurrence.
* sur le grief de la complicité de la société Elivie dans les violations des clauses de non-concurrence des anciens salariés Mme [D] et M. [H]
Il n’est pas contesté que les activités des sociétés NHC et Elivie étaient concurrentes et que celles-ci avaient pendant la période litigieuse la même activité de services à laquelle étaient attachés Mme [D] et M. [H] chez NHC, à savoir la fourniture et les soins associés aux produits et matériels nécessaire au traitement à domicile des malades diabétiques par insulinothérapie, étant observé que la société AMS avait à cette période d’autres domaines d’activité.
Mme [D] a été engagée par la société NHC en qualité d’infirmière coordinatrice Diabète pour le secteur région parisienne. Son contrat de travail comprenait une clause de non concurrence valable pendant une durée de deux ans à la suite de la cessation des fonctions et sur son secteur d’activité.
Mme [D] a démissionné de ses fonctions par lettre du 12 décembre 2013. Par lettre du 31 décembre 2013, la société NHC a accusé réception de cette lettre de démission, a fixé la fin du préavis au 15 mars 2014 et lui a rappelé son obligation de loyauté et de non-concurrence pour une durée de deux ans et s’exerçant sur les départements du 78 et 92. Le 17 mars 2014, Mme [D] a été engagée par la société AMS.
M. [H] a été engagé par la société NHC en qualité d’infirmier coordinateur Diabète pour le secteur région parisienne. Son contrat de travail comprenait une clause de non concurrence valable pendant une durée de deux ans à la suite de la cessation des fonctions et sur son secteur d’activité.
M. [H] a démissionné de ses fonctions par lettre du 13 février 2014. Par lettre du 28 février 2014, la société NHC a accusé réception de cette lettre de démission et a fixé la fin du préavis au 13 mai 2014 et lui a rappelé son obligation de loyauté et de non-concurrence pour une durée de deux ans et s’exerçant sur le département 60. Le 14 mai 2014, M. [H] a été engagé par la société AMS.
Estimant que ses anciens salariés avaient violé leur clause de non-concurrence à la suite de leur embauche par la société AMS, la société NCH a saisi les juridictions prud’homales. Par arrêts du 7 juin 2018 et 26 septembre 2019, dans des instances opposant la société NHC à ses anciens salariés, la cour d’appel de Versailles a jugé que la clause de non-concurrence avait été violée par Mme [D] et M. [H] et ceux-ci ont été condamnés à rembourser à la société NHC la contrepartie financière de cette clause de non-concurrence.
Dans la présente instance, opposant la société NHC à la société Elivie venant aux droits de la société AMS, la premier reproche à la seconde une complicité dans cette violation des clauses de non-concurrence par ses anciens salariés et réclame sa condamnation à lui réparer son préjudice commercial et moral.
Il est constant que toute personne qui sciemment emploie un salarié en violation d’une clause de non-concurrence, dont la licéité n’est pas contestée, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction sans qu’il soit besoin d’établir à son encontre l’existence de manoeuvres déloyales (com.22 février 2000, pourvoi n°97-18.728 ; Com.16 octobre 2019, pourvoi n°18-15.478).
La société Elivie ne conteste pas avoir eu connaissance des clauses de non-concurrence auxquelles étaient soumis M. [H] et Mme [D] lors de leur embauche mais fait valoir qu’elle n’a pas participé à la violation de la clause de non-concurrence et qu’elle a pris les mesures nécessaires pour veiller au respect de celle-ci, en confiant à ces salariés une mission différente située hors du périmètre géographique concerné par les clauses.
S’agissant de Mme [D], la société Elivie soutient d’une part que celle-ci a été engagée pour exercer des fonctions différentes au sein du département perfusion, distinct des autres départements notamment celui du diabète et que son rôle consistait en tant qu’infirmière perfusion de coordonner avec les hôpitaux le retour du patient à son domicile et le traitement par perfusion. Elle devait à cet effet suivre le dossier administratif, la logistique (mise à disposition et installation du matériel nécessaire au traitement) et la formation des infirmiers libéraux pour les soins. D’autre part, la société Elivie relève que le secteur géographique des fonctions de cette salariée portait sur les départements 27 et 28, alors que celui de la société NHC portait sur les départements 78 et 92.
Pour justifier de ces éléments, la société Elivie produit le contrat de travail de Mme [D] signé le 17 mars 2014.
La cour constate que si, aux termes de ce contrat, Mme [D] a été engagée en qualité d’infirmière ‘chargée de la pédagogie et de l’installation auprès des patients de notre département perfusion’ et qu’au titre de ses missions (article 6) figure bien les fonctions décrites par la société Elivie au sein du département perfusion, il est toutefois précisé au dernier alinéa de l’article 6 ‘ Ses missions seront éventuellement étendues à d’autres prestations de santé à domicile impliquant réglementairement la fonction infirmière, en fonction des besoins de l’entreprise’. Comme le fait également remarquer la société NHC, la clause de non-concurrence figurant à ce contrat de travail à l’article 15 précise que ‘par entreprise concurrente, il faut entendre toute entreprise, sous quelque forme que ce soit, réalisant ou projetant de réaliser, directement ou indirectement, à titre principal ou accessoire, toute prestation médico-technique à domicile, ayant des visées thérapeutiques relatives au diabète (..)’, soit les missions exercées antérieurement par Mme [D] au sein de la société NHC.
Pour le périmètre géographique, le contrat de travail précise bien les départements 27 et 28, mais comme le relève à juste titre la société NHC, la clause de l’article 7 du secteur géographique précise néanmoins que ‘des débordements éventuels d’une distance maximum de cinquante kilomètres au-delà de ce secteur pouvant intervenir exceptionnellement’, ce qui autorisait l’infirmière à travailler sur une partie de son ancien secteur NHC limitrophe, soit le département 78. La société NHC justifie (pièce 80) avoir constaté entre le 13 décembre 2013 et le 23 septembre 2014, 24 demandes de désinstallations pour les patients suivis par Mme [D] sur son ancien secteur.
S’agissant de M. [H], la société Elivie relève que la clause de non-concurrence le concernant chez la société NHC portait sur le département 60 alors que le périmètre géographique de ses fonctions chez Elivie s’étendaient aux départements 27 et 28.
Pour justifier de ces éléments, la société Elivie produit le contrat de travail de M. [H] signé le 9 mai 2014.
La cour constate que suivant ce contrat de travail, M. [H] a été engagé en qualité d’infirmier ‘commercial’ avec notamment pour mission (article 6) ‘d’assurer auprès des patients l’action pédagogique initiale et d’installation des pompes à insuline, puis en organisera le suivi, que ce soit au sein des centres initiateurs spécialisés ou directement au domicile des patients’ et que sa rémunération comportait une partie variable avec un commissionnement sur le chiffre d’affaires HT global société-location et vente-du département insulinothérapie. Comme le fait également remarquer la société NHC, la clause de non-concurrence figurant à ce contrat de travail à l’article 15 précise que ‘par entreprise concurrente, il faut entendre toute entreprise, sous quelque forme que ce soit, réalisant ou projetant de réaliser, directement ou indirectement, à titre principal ou accessoire, toute prestation médico-technique à domicile, ayant des visées thérapeutiques relatives au diabète (..)’, soit les missions exercées antérieurement par M. [H] au sein de la société NHC
Si la clause de secteur géographique (article 7) vise bien une zone comprenant les départements 27 et 28, il est néanmoins précisé ‘toutefois, des clients hors secteur tel qu’il défini ci-dessus pourront vous être attribués dans la mesure où ils ne sont pas déjà clients de notre société (..)’. La société NHC justifie par ailleurs (pièce 80) avoir constaté entre le 12 février 2014 et le 23 septembre 2014, 23 demandes de désinstallations pour les patients suivis par M. [H].
Il ressort de ces constatations, que la société Elivie a rédigé les contrats de travail de telle manière que M. [H] et Mme [D] pouvaient en réalité exercer à son profit dans le cadre de ces contrats les mêmes activités sur le même secteur géographique tels que visés par les clauses de non-concurrence auxquelles ces salariés étaient tenus à l’égard de la société NHC et dont elle avait connaissance, de telle sorte qu’elle a sciemment embauché M. [H] et Mme [D] en violation de ces clauses.
Ces agissements sont constitutifs d’une concurrence déloyale et de nature à engager la responsabilité de la société Elivie, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs relatifs au détournement des informations commercial et médical ou à la désorganisation de l’entreprise.
Sur l’évaluation du préjudice
* sur le préjudice commercial
La société NHC sollicite au titre de son préjudice commercial la somme de 1 228 014,20 euros correspondant à la perte de marge brute résultant de la perte de 106 patients sur une durée de 3 ans. Elle relève que quasi-immédiatement après le départ de Mme [T], Mme [D] et M. [H], la société NHC a enregistré 106 désappareillages, sur les 2018 patients que ces trois salariés suivaient précédemment pour son compte. Elle fait essentiellement valoir que ce taux de désapareillage est nécessairement imputable aux agissements déloyaux de la société AMS dès lors que celle-ci n’avait matériellement aucun moyen de connaître les coordonnées des patients concernés et que les pièces produites confirment que lorsqu’un patient décide de quitter un prestataire de soins à domicile, c’est toujours pour suivre l’infirmier auquel il était attaché chez ce prestataire. A titre subsidiaire, la société NHC sollicite la désignation d’un expert pour l’évaluation du préjudice.
La société Elivie fait principalement valoir en réplique qu’aucun démarcharge systématique n’est prouvé pas plus que l’utilisation d’un fichier commercial et médical ou l’accaparement de son savoir-faire comme invoqué par la société NHC au titre des agissements déloyaux. Elle insiste sur le fait que la société NHC ne démontre aucune perte de clientèle au profit de la société Elivie et encore moins d’un transfert effectif de 106 patients à son profit. Elle critique en outre le postulat d’une perte de trois années de soins avec ces patients, étant précisé que ces derniers sont libres de changer de prestataire sans préavis. Elle s’oppose à la désignation d’un expert pour suppléer à la carence de la société NHC dans sa charge de la preuve ou refaire a posteriori les investigations annulées.
Sur ce,
La société NHC évalue son préjudice commercial à partir de la perte de 106 patients.
D’une part, les agissements de concurrence déloyale à l’égard de la société Elivie n’ont été retenus qu’au titre de la violation de la clause de non-concurrence à laquelle étaient tenus Mme [D] et M. [H]. D’autre part, il est constant que la société NHC n’a pas été en mesure de justifier que l’ensemble des patients suivis par ces salariés chez NHC et qui ont demandé leur désapareillage au moment de leur départ, sont effectivement passés au service de la société Elivie.
Néanmoins, la société NHC justifie, sans être utilement contredite par la société Elivie que :
– concomitamment au départ de Mme [D] et M. [H], elle a constaté la demande de désapareillage de 24 patients sur 89 suivis par Mme [D] et 23 patients sur 88 suivis par M. [H] ( pièce n°59.1 à 59.3),
– les infirmiers sont attachés à une zone géographique précise dans laquelle ils suivent de manière continue plusieurs patients avec lesquels ils tissent progressivement des liens personnels forts, de sorte que leur départ est de nature à déstabiliser les patients facilement enclin à suivre l’infirmier chez un nouveau prestataire ( pièces NHC n° 14, 65, 82 et 9)
Aussi la Cour considère que le préjudice commercial de la société NHC à la suite de l’embauche de ces deux salariés par la société Elivie en violation de leur clause de non-concurrence, peut raisonnablement être évalué sur la base de 80% des clients ayant demandé leur désapareillage (47), soit l’équivalent de 38 patients.
La perte de marge annuelle par patient, calculée par la société NHC sur la base de la tarification fixée par la sécurité sociale déduction faite de divers coûts directs (attestation NHC pièce n°80) et évaluée à la somme de 3855,68 euros HT, n’est pas sérieusement contestée par la société Elivie.
De même que les explications de la société NHC sur la durée de traitement retenue de 3 ans, suivant lesquelles le taux de désappareillage des patients est très faible en raison du fait qu’il s’agit d’une maladie chronique rendant obligatoire le traitement par pompe à insuline avec une durée d’utilisation sur de nombreuses années permettant au patient d’améliorer son autonomie, ne sont pas autrement critiquées par la société Elivie que par la seule allégation de la liberté de choix du patient de son prestataire.
A partir de ces éléments, la Cour évalue le préjudice commercial de la société NHC à la somme de 439 547,52 euros de dommages-intérêts (38 patients x 3855,68 € HT x 3ans).
Le jugement sera infirmé sur le quantum de ce chef de préjudice.
* sur le préjudice moral
La société NHC réclame la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, en réparation d’une atteinte à sa notoriété et sa réputation à la suite des graves agissements de la société Elivie dont le dénigrement déloyal de la société NHC auprès de ses anciens patients afin de les inciter massivement à changer de prestataires.
Dès lors qu’il a été jugé qu’il n’était pas rapporté la preuve que la société Elivie a dénigré directement ou indirectement la société NHC au titre d’agissements de concurrence déloyale, celle-ci sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un préjudice moral et le jugement infirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Elivie pour procédure abusive
Compte tenu du sens de la décision rendue, la société Elive sera déboutée de sa demande et le jugement confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Elivie aux dépens de première instance et à payer à la société NHC la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Elivie, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Elivie sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société NHC la somme de 15 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Vu l’arrêt du 16 février 2022 (pourvoi n°20-20.491) de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation ;
La Cour statuant dans la limite de sa saisine, publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement mais seulement en ce qu’il a condamné la société Elivie, venant aux droits de la société AMS, à payer à la société NHC la somme de 100 000 euros au titre du préjudice commercial et 10 000 euros au titre du préjudice moral ;
Statuant de nouveau sur ces chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Elivie à payer à la société NHC la somme de 439 547,52 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial subi à la suite d’actes de concurrence déloyale ;
Déboute la société NHC de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un préjudice moral d’atteinte à la notoriété et réputation ;
Condamne la société Elivie aux dépens d’appel ;
Condamne la société Elivie à payer à la société NHC la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE