Designer : 23 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01531

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Designer : 23 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01531
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 NOVEMBRE 2023

N° RG 21/01531 –

N° Portalis DBV3-V-B7F-UQVH

AFFAIRE :

[N] [A]

C/

S.A.S. KEOLIS CIF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Section : C

N° RG : 19/00759

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Valérie LANES

Me Pascal GEOFFRION

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant initialement être rendu le 12 octobre 2023 et prorogé au 23 novembre 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Madame [N] [A]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Valérie LANES de l’AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2185

APPELANTE

****************

S.A.S. KEOLIS CIF

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Pascal GEOFFRION de la SELEURL PG AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0190

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 23 Juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

La société Les courriers de l’Ile de France, devenue Keolis CIF, dont le siège social est situé [Adresse 2], dans le département du Val-de-Marne, est spécialisée dans le secteur du transport public. Elle emploie plus de 11 salariés.

La convention collective applicable est celle des transports routiers et activités auxiliaires de transport du 12 décembre 1950.

Mme [N] [A], née le 20 juin 1975, a été engagée par la société Les courriers de l’Ile de France selon contrat de travail à durée indéterminée, du et à effet au 13 mai 2013, en qualité de conducteur receveur, catégorie ouvrier, groupe 9, coefficient 140 V, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 800 euros pour un temps de travail de 151,67 heures par mois.

Par avenant à son contrat de travail du 1er septembre 2016, après une mission temporaire au poste d’employée de planning du 7 mars 2016 au 6 septembre 2016, elle a été promue au poste de responsable de planning, catégorie agent de maîtrise, coefficient 165 (Groupe 3), moyennant une rémunération mensuelle brute de base de 2 447,33 euros outre une prime d’ancienneté.

Le 22 septembre 2018, Mme [A] a été victime d’un accident du travail. Le 8 novembre 2018, le médecin du travail l’a déclarée apte à reprendre son poste en mentionnant ‘déplacement intermittent siège ergonomique’.

Par courrier en date du 3 décembre 2018, la société Keolis CIF a convoqué Mme [A] à un entretien préalable qui s’est déroulé le 17 décembre 2018, avec mise à pied à titre conservatoire.

Mme [A] a contesté la mesure par courrier du 16 décembre 2018.

Par courrier en date du 11 janvier 2019, la société Keolis CIF a notifié à Mme [A] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

‘Le 3 décembre 2018, nous vous avons convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, par courrier établi en double exemplaire et remis en main propre contre décharge le jour même.

Cet entretien s’est tenu le lundi 17 décembre 2018 à 12h, à l’unité de [Localité 5], [‘], dans le bureau du directeur et réalisé par M. [D] [C], responsable exploitation en présence de Mme [M] [V], responsable ressources humaines.

Vous vous êtes présentée à cet entretien assistée de M. [T] [F], représentant du personnel.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les faits qui nous ont conduits à envisager votre licenciement et que nous reprenons ci-après :

Vous occupez depuis le 1er septembre 2016 le poste de responsable planning. Dans ce cadre, vous êtes chargée de gérer et suivre le planning des conducteurs dans le respect de la réglementation sociale afin d’assurer la continuité du service et de garantir l’exactitude de la paie des conducteurs et ce en étroite collaboration avec les membres de votre équipe et des autres services.

Malgré tout l’accompagnement dont vous avez pu bénéficier de la part de vos encadrants depuis maintenant 2 ans, nous avons constaté des dysfonctionnements sur la bonne exécution de vos missions et constituant des fautes professionnelles.

– le vendredi 30 novembre 2018, nous avons eu connaissance de la diffusion de votre message à destination d’un conducteur portant atteinte à l’intégrité de vos collègues de travail. Le 2 novembre 2018 vous mettez en avant le planning d’un agent établi par votre collègue en annotant « nulle n’est senser ignorer la loi » [sic]. Dans la suite de cet échange, vous indiquez « si la personne qui ta mis le service aurai fait le contrôle cela lui aurait dit comme a moi » [sic].

Lors de l’entretien préalable, vous avez nié avoir communiqué ces informations.

Force est de constater que vous n’avez pas pris la mesure de la charte d’utilisation des systèmes d’information distribuée avec votre bulletin de paie du mois de décembre 2017. Vous diffusez des documents de travail à des fins non professionnelles. L’usage aux systèmes d’information et aux réseaux de communication doit être rationnel et loyal afin de ne pas en perturber le bon fonctionnement et d’en éviter le détournement à des fins illicites ou non professionnelles.

En agissant ainsi, vous avez manifestement abusé de votre droit d’expression et vous persistez de ce fait dans un comportement malveillant vis-à-vis de vos collègues de travail malgré les consignes de votre responsable vous demandant à plusieurs reprises de communiquer directement avec vos collègues de travail.

***

– suite à la nouvelle réorganisation des tâches du planning, vous aviez la responsabilité de contrôler les paies. A ce titre, votre collègue vous a transféré par mail, le 26 novembre 2018, un référentiel de points de vigilance pour réaliser de manière optimum le processus du contrôle. Il vous a précisé en fin de mail, être disponible pour des explications complémentaires.

Lors de votre échange en date du mercredi 28 novembre 2018 avec votre responsable hiérarchique, vous avez reproché cette démarche en vous citant « c’est quoi ce mail envoyé comme ça ‘ » et vous déblatérez avec insistance et aucun recul sur votre collègue de travail.

Votre responsable vous a alors expliqué qu’il s’agissait d’une bonne démarche et que votre collègue partageait avec vous son savoir et son expérience professionnelle sans faire de rétention d’informations. Ce mail ainsi que la disponibilité de votre collègue devaient vous permettre d’être formée et opérationnelle sur ce sujet. Votre responsable vous a rappelé une fois de plus l’importance de communiquer avec vos collègues de travail en vous expliquant qu’un travail collaboratif dans le service est essentiel pour la bonne réalisation des missions. Votre attitude individualiste va à l’encontre des prérogatives de ce poste.

Dans la continuité de cet échange, votre responsable a donc souhaité continuer l’entretien en présence de vos deux autres collègues de travail afin de reposer le cadre des attendus de cette nouvelle organisation. Il a souligné l’esprit de cohésion pour traiter l’ensemble des sujets de manière constructive, être respectueux les uns des autres sans engendrer de tensions stériles. Par exemple, en manifestant votre volonté de ne pas parler directement avec les personnes qui travaillent avec vous.

Lors de l’entretien préalable, vous avez soutenu que depuis votre arrivée au service planning, vos deux collègues n’avaient pas fait d’effort à votre encontre et que vous n’aviez pas été formée.

Concernant le mail de votre collègue, vous avez avancé que celui-ci l’avait transmis à la demande de votre responsable hiérarchique sans réellement mesurer et partager l’utilité de la démarche.

***

– le vendredi 23 novembre 2018, nous avons appris votre manquement à répondre aux appels téléphoniques de votre ligne 8878 pendant vos heures de services.

Effectivement sur la journée du jeudi 15 novembre 2018, suite à la non prise en charge d’un appel sur la ligne 8882 votre téléphone aurait dû prendre le relais. Cependant, nous avons constaté que le transfert n’avait pas déclenché de sonnerie sur votre ligne 8882. Après, un deuxième appel, il s’avère que la sonnerie de votre téléphone était coupée.

Après vérification des appels entrants de votre ligne, nous avons relevé 12 appels en absences sur les journées du vendredi 16 novembre, lundi 19 novembre et jeudi 22 novembre 2018 en raison de l’activation en mode silencieux de votre téléphone.

En votre qualité de responsable de planning, vos missions intègrent pleinement la relation avec les conducteurs. Une permanence téléphonique est ainsi pratiquée au sein de l’équipe et à tour de rôle.

L’ensemble des membres de l’équipe doit se rendre disponible pour répondre aux sollicitations des conducteurs sur la planification de l’activité. Or force est de constater que vous n’avez pas fourni cette aptitude de travail en équipe malgré la nouvelle organisation et le changement de bureau améliorant vos conditions de travail. Pour rappel, cette organisation répondait à vos attentes en terme de tâches administratives et ce afin de mieux vous positionner dans le service.

Lors de l’entretien préalable, vous avez déclaré que le téléphone était déjà en « off » depuis votre reprise de travail. De plus, vous avez justifié ces manquements par le fait que peut être vous n’étiez pas à votre poste de travail.

Le jeudi 22 novembre 2018, par mail adressé à votre responsable hiérarchique, M. [S] [B], vous lui faites part de plusieurs remarques que nous reprenons ci-après :

« Je reviens ce matin à ma grande stupéfaction le réaliser n’est pas fait depuis le lundi 19 novembre 2018 » (…, aucun mouvement n’a été produit par la personne devant faire la 14z mais à 14h elle te signale « Je ne sais pas si demain la 14z sera finie’ » Vendredi j’ai dû faire la feuille samedi et dimanche donc je n’ai pas pu faire les contrôles ni les km des bc (pas pu faire mes tâches.) Peux-tu m’expliquer comment cela se fait que [R] [U] et [J] était [sic] sur la 14z ‘ 3 personnes ‘ Alors que quand [J] la fait il est seul et moi le peu que je la fais avec aucune formation je suis seul(e) aussi.

Lundi 19/11 je reçois un coup de téléphone d’un Cr en me disant je ne comprends pas le 26/11 je suis programmé alors que je suis en vacances. Puis un intérimaire m’appelle en me disant j’ai demandé le 20/11 à [U] bien avant que la 14z soit sortie pas fait sur la 14z, pourtant ils étaient à 3 dessus, merci de contrôler si les FCO et les AS déjà prévu(s) dans la 14z sont bien cotés car à 3 cela devrait être fait puisque seul c’est fait. »

Par l’ensemble de ces remarques, vous démontrez votre manque de concertation avec votre équipe en ignorant leur travail. Une fois de plus, vous ne prenez pas en compte les alertes de votre responsable de solliciter vos collègues avant de lui demander un accompagnement. Ce mail est resté sans traitement de votre part suite à la directive de votre responsable de démêler ces points entre vous.

Le lundi 26 novembre 2018, vous persistez dans votre comportement inadapté à la situation, par mail adressé à votre responsable, vous demandez la procédure à suivre avec comme seul élément un imprimé écran représentant le roulement d’un agent par quatorzaine. Il vous demande alors plus de détails. Vous lui expliquez le respect du délai d’amplitude dans ce cas précis. Il vous demande si vous vous êtes rapprochée de la personne ayant effectué la planification et que cela pouvait être une erreur. Contre toute attente vous lui répondez sèchement « [S], je n’ai pas le temps de m’attarder à savoir si chacun fait son boulot, …». Votre insistance une fois de plus à gérer vos missions sans vous remettre en cause alourdit et porte préjudice au bon fonctionnement du service. Vous vous obstinez à ne pas interagir avec votre équipe. Vos missions demandant une responsabilité justifiant un statut d’agent de maîtrise. [sic]

Par conséquent, vous vous positionnez en défaut face aux membres de votre équipe et de votre responsable en multipliant des allers retours au bureau de votre responsable pour prendre en charge votre travail. En vous inscrivant dans un rôle de victime, vous générez une ambiance de travail délectable [sic].

Nous déplorons votre manque total de remise en question ni même un changement de comportement.

La direction a tenté de s’adapter aux aléas pour permettre une meilleure cohésion d’équipe.

Pour rappel, l’organisation du service planning a été modifiée par deux fois durant l’année 2018 pour trouver la meilleure des organisations correspondant à l’équipe et à chacun. De manière concertée, il était convenu pour redynamiser l’équipe :

– d’assurer un meilleur accueil conducteur,

– une meilleure répartition de l’espace travail,

– une réalisation de point quotidien via une réunion de pilotage.

Lors de l’entretien préalable, vous avez répété que ce n’était pas à vous de surveiller vos collègues, en employant à plusieurs reprises dans vos phrases le terme « mes collaborateurs » pour designer vos collègues. A aucun moment de l’entretien, vous avez remis en cause votre façon de vous exprimer face à un responsable hiérarchique. Aussi, vous avez expliqué que vous ne pouviez pas communiquer avec une personne en particulier de votre service en reportant la faute sur cette dernière et en argumentant qu’elle avait déjà eu des conflits sur le dépôt de [Localité 6] et s’être fait insulter sous entendant en raison de son comportement. Malheureusement, votre raisonnement nous démontrant une fois de trop votre côté critique non constructif.

– le mardi 20 et mercredi 21 novembre 2018, vous avez participé à la formation « décompte du temps de travail dans l’interurbain » afin de performer vos connaissances et optimiser la gestion du planning. Toutefois, vous avez fait preuve d’une incompréhension totale des règles conventionnelles et des pratiques opérationnelles en fonction des accords et usages de l’entreprise. Vous avez avancé en présence d’un conducteur que les mises en production des temps de travail étaient non réglementaires. En dépit de la demande de votre responsable d’arrêter votre démonstration, vous avez continué votre monologue devant le conducteur n’ayant rien demandé. Cette insubordination d’une part n’est pas acceptable et d’autre part votre raisonnement à ne prendre de la hauteur sur des éléments réglementaires compliqués, vous inscrit en faute.

L’objectif de la formation étant de vous donner des bases. Toutefois, chaque apprentissage de ces formations génériques doit être transposé dans le contexte de la filiale au risque de faire circuler des informations erronées. Votre parole en qualité d’agent de maîtrise au service planning apporte aux salariés toute crédibilité. Ainsi l’annonce de votre part, que l’entreprise déroge aux règles est dangereux pour le climat social de l’entreprise.

***

En conséquence, le non-respect des consignes, le manque d’autonomie et d’analyse, le manque de communication auprès de vos collègues de travail ne permettent pas un échange professionnel basé sur une confiance afin de répondre efficacement aux différentes situations dans l’intérêt de l’entreprise et ce, malgré les points réguliers effectués par votre hiérarchie. L’enchainement de ces manquements perturbe le fonctionnement de l’exploitation et du service auquel vous appartenez et dégrade considérablement le climat de votre service, de l’entreprise compte tenu des tensions et perturbations qui s’en ressentent au sein du service planning.

Les explications recueillies lors de l’entretien préalable du 17 décembre dernier ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits. Les manquements répétés et le non-respect des consignes obligent votre hiérarchie à reprendre certains points et à faire l’intermédiaire systématiquement des tâches du planning entre vous et vos collègues ce qui n’est pas tolérable compte tenu de votre niveau de responsabilité.

Vos agissements malveillants perdurent en s’intensifiant, et vous comprendrez que cette posture est d’autant plus inacceptable qu’en qualité d’agent de maîtrise, vous véhiculez une image négative de vos collègues et du service auquel vous appartenez.

Nous vous rappelons qu’il incombe à l’employeur de veiller à ce que les salariés ne se portent pas préjudice entre eux.

Il est également de notre obligation de veiller à protéger les victimes éventuelles de ces comportements ou débordements.

En conséquence de tout ce qui précède et après réflexion, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. Ces manquements sont constitutifs d’une faute grave. [‘]

La période de mise à pied à titre conservatoire, justifiée par la gravité des faits reprochés et qui a débuté le 3 décembre 2018, ne vous sera donc pas régularisée et non rémunérée et ce du fait de la notification qui s’en suit.’

Par requête reçue au greffe le 4 novembre 2019, Mme [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency aux fins de voir :

A titre principal, dire et juger son licenciement nul car attentatoire à sa liberté d’expression et condamner la société Keolis CIF à lui verser à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul : 35 000 euros,

A titre subsidiaire si le conseil ne devait pas retenir la nullité du licenciement :

– dire et juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– dire et juger que doit être écarté le montant maximal d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la Convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable,

– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 35 000 euros,

Infiniment subsidiairement :

Si le conseil ne devait pas écarter le montant maximal d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail comme étant contraire aux dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la Convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable,

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 17 673,78 euros,

– dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral subi par la perte de son emploi et par les circonstances particulièrement brutales et vexatoires entourant la rupture du contrat de travail : 17 000 euros,

En tout état de cause :

– rappel de salaire du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019 : 3 666,62 euros,

– congés payés incidents : 366,62 euros,

– indemnité compensatrice de préavis : 5 891,26 euros,

– congés payés incidents : 589,12 euros,

– indemnité conventionnelle de licenciement : 5 154,84 euros,

– indemnité de congés payés : 331,34 euros,

– rappel de prime de 13e mois au titre de l’année 2018 : 2 626,56 euros,

– congés payés incidents : 262,65 euros,

– rappel de salaire des 1er et 2 décembre 2018 : 44,92 euros,

– congés payés incidents : 4,49 euros,

– article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros,

– remise du certificat de travail,

– remise de l’attestation Pôle emploi,

– remise du bulletin de salaire récapitulatif,

– astreinte par jour et par document à compter de la notification : 50 euros,

– dire que le conseil se réservera le droit de liquider l’astreinte,

– exécution provisoire (article 515 du code procédure civile),

– dépens,

– intérêt au taux légal,

– capitalisation des intérêts.

La société Keolis CIF avait, quant à elle, demandé que Mme [A] soit déboutée de ses demandes et sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 22 mars 2021, la section commerce du conseil de prud’hommes de Montmorency a :

– requalifié le licenciement pour faute grave de Mme [A] en licenciement pour une cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Keolis CIF prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mme [A] les sommes suivantes :

. 3 666,62 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied à titre conservatoire du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019,

. 366,62 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 891,26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 589,12 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 154,84 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 331,34 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

. 1 956 euros à titre de rappel de prime de 13eme mois au titre de l’année 2018,

. 195,60 euros au titre des congés payés afférents,

. 44,92 euros à titre de rappel de salaire du 16 et 2 décembre 2018,

. 4,49 euros au titre des congés payés afférents,

. 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné la remise d’un certificat de travail, d’une attestation destinée au Pôle emploi et d’un bulletin de paie conformes au présent jugement,

– dit n’y avoir lieu à astreinte,

– dit que l’exécution provisoire aura lieu selon les conditions prescrites par l’article R. 1454-28 du code du travail,

– dit que les sommes ordonnées dans le jugement porteront intérêt au taux légal, à compter de la réception par le défendeur de la convocation en bureau de conciliation et d’orientation pour les créances salariales et à compter de la date de mise à disposition du jugement, pour les créances indemnitaires,

– débouté Mme [A] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Keolis CIF au titre de sa demande ‘reconventionnelle’,

– mis les entiers dépens de l’instance à la charge de la société Keolis CIF.

Mme [A] a interjeté appel de la décision par déclaration du 21 mai 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2022, Mme [N] [A] demande à la cour de :

– dire et juger Mme [A] bien fondée en son appel,

– dire et juger la société Keolis CIF mal fondée en son appel incident et en sa demande tendant à voir juger que le licenciement pour faute grave de Mme [A] est fondé et, en conséquence, la débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

– dire et juger Mme [A] bien fondée en son appel incident sur l’appel incident formé par la société Keolis CIF dans ses conclusions notifiées le 29 septembre 2021,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a condamné la société Keolis CIF à payer à Mme [A] les sommes suivantes :

. 3 666,62 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied à titre conservatoire du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019,

. 366,62 euros au titre des congés payés incidents,

. 5 891,26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 589,12 euros au titre des congés payés incidents,

. 5 154,84 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 331,34 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

. 44,92 euros à titre de rappel de salaire des 1er et 2 décembre 2018,

. 4,49 euros au titre des congés payés incidents,

. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer, dans son principe, le jugement rendu par le conseil de prud’hommes des chefs de rappel de prime de 13e mois au titre de l’année 2018 et de congés payés incidents, sauf à porter le montant des sommes allouées de ces chefs aux sommes de respectivement 207,39 euros à titre de solde de prime de 13e mois et de 20,74 euros au titre des congés payés incidents,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que les sommes ordonnées dans le jugement porteront intérêt au taux légal, à compter de la réception par le défendeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation pour les créances salariales et à compter de la date de mise à disposition de jugement pour les créances indemnitaires et en ce qu’il a mis les entiers dépens de l’instance à la charge de la société Keolis CIF,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a mis à la charge de la société Keolis CIF les entiers dépens de l’instance,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Mme [A] de sa demande tendant à voir dire et juger son licenciement, attentatoire à la liberté d’expression, nul et, en tout état de cause, dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul et, subsidiairement, d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Mme [A] de sa demande, subsidiaire, tendant à voir écarter le montant maximal d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité et de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral subi par la perte de son emploi et des conditions brutales et particulièrement vexatoires ayant entouré la rupture du contrat de travail,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Mme [A] de sa demande de capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article L. 1343-2 du code civil,

Et, statuant à nouveau sur ces chefs de demandes,

A titre principal :

– dire et juger le licenciement de Mme [A], attentatoire à la liberté d’expression, nul,

En conséquence,

– condamner la société Keolis CIF à payer à Mme [A] la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Subsidiairement, si la cour ne devait pas retenir la nullité du licenciement de Mme [A],

– dire et juger le licenciement de Mme [A] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– écarter le montant maximal d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la Convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable,

En conséquence,

– condamner la société Keolis CIF à payer à Mme [A] la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Plus subsidiairement, si la cour ne devait pas écarter le montant maximal d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail comme étant contraire aux dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, des articles 4 et 10 de la Convention 158 de l’OIT et du droit au procès équitable,

– condamner la société Keolis CIF à payer à Mme [A] les sommes suivantes :

. 17 673,78 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse due en application de l’article L. 1235-3 du code du travail,

. 17 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral subi par la perte de son emploi et par les circonstances particulièrement brutales et vexatoires entourant la rupture du contrat de travail,

En tout état de cause,

– condamner la société Keolis CIF à payer à Mme [A] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

– condamner la société Keolis CIF aux entiers dépens, lesquels comprendront, outre le droit de plaidoirie, l’intégralité des frais de signification et d’exécution de l’arrêt à intervenir,

– dire que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,

– ordonner la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2021, la société Keolis CIF demande à la cour de :

– juger recevable et bien-fondé l’appel incident de la société Keolis CIF,

– infirmer le jugement rendu le 22 mars 2021 par le conseil de prud’hommes de Montmorency en ce qu’il a requalifié le licenciement prononcé pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société Keolis CIF à lui verser les sommes suivantes :

. 3 666,62 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied à titre conservatoire du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019,

. 366,62 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 891,26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 589,12 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 154,84 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 331,34 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

. 1 956 euros à titre de rappel de prime de 13e mois au titre de l’année 2018,

. 195,60 euros au titre des congés payés afférents,

. 44,92 euros à titre de rappel de salaire du 1er et 2 décembre 2018,

. 4,49 euros au titre des congés payés afférents,

. 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– le confirmer en ce qu’il a débouté Mme [A] de ses prétentions indemnitaires en réparation d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– juger que le licenciement pour faute grave de Mme [A] est parfaitement fondé,

– débouter Mme [A] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– la condamner à verser à la société Keolis CIF la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 24 mai 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 23 juin 2023.

MOTIFS DE L’ARRET

Il convient d’indiquer à titre liminaire qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir ‘dire et juger’ qui ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile mais sont la reprise des moyens des parties.

Mme [A] soutient à titre principal que son licenciement est nul car il est fondé sur un abus de sa liberté d’expression qui n’est pas établi. Elle soutient à titre subsidiaire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse car les griefs ne sont pas fondés.

Sur la nullité du licenciement

Mme [A] fait valoir qu’elle n’a été licenciée que parce qu’elle a usé de sa liberté d’expression et dénoncé les dysfonctionnements de la société dans l’organisation du temps de travail des salariés ; que n’ayant pas abusé de son droit d’expression, son licenciement doit être déclaré nul sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs.

La société répond que Mme [A] n’a pas été licenciée pour cette raison mais du fait de son attitude négative et de ses agissements fautifs, qui étaient source de grandes perturbations au sein du service planning et de l’entreprise.

L’article L. 1121-1 du code du travail dispose : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

L’article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit la liberté d’expression.

Il résulte de la combinaison de ces textes que, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul.

L’abus du droit d’expression peut être sanctionné par un licenciement lorsqu’il est constitué par l’utilisation de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs.

En l’espèce, Mme [A] soutient que le licenciement est fondé à trois reprises dans la lettre de licenciement sur un abus de son droit d’expression qui est injustifié.

Elle se réfère en premier lieu au reproche qui lui est fait d’avoir le 2 novembre 2018 ‘abusé de son droit d’expression’ en diffusant un message à destination d’un conducteur portant atteinte à l’intégrité de ses collègues de travail, constituant une violation de la charte d’utilisation des systèmes d’information distribuée avec le bulletin de paie du mois de décembre 2017 et un comportement malveillant vis-à-vis de ses collègues de travail, alors qu’il lui avait été demandé à plusieurs reprises de communiquer directement avec eux.

L’employeur explique que Mme [A] faisait partie d’un groupe WhatsApp comprenant des conducteurs de l’entreprise et qu’elle y critiquait le travail de ses collègues du service planning. Il se réfère au message qu’elle y a posté le 2 novembre 2018, par lequel elle dénigrait et tournait en dérision le travail fait par un collègue, dans une forme et un contenu en inadéquation avec son statut d’agent de maîtrise impliquant un devoir d’exemplarité et un comportement de rigueur.

Il produit en pièce 6 un extrait d’échanges de messages téléphoniques qui débute par la photographie d’un écran informatique qui comporte un tableau de planning, avec la case de la date du vendredi 02 novembre 2018 marquée en rouge, le tableau mentionnant pour cette date : ‘GFM 308 11:00 – 21:00″. Sous cette photographie, est inscrit le commentaire ‘Nulle n’ai sencer ignorer la loi’ [sic] avec quatre émoticônes dont l’un fait un clin d’oeil en tirant la langue et les trois autres rient aux larmes. A la question d’un interlocuteur ‘C’est pour ça que c’est en rouge’, il est répondu ‘Ben oui si la personne qui ta mis le service aurai fait le contrôle cela lui aurait dit comme a moi’ [sic].

Mme [A], qui soutient par ailleurs que la preuve n’est pas rapportée de la date du message, du fait qu’elle en est l’auteur, fait valoir que ce message ne constitue pas une atteinte à l’intégrité de ses collègues de travail et un abus de sa liberté d’expression.

Or l’auteur de ce message met en avant auprès du public élargi d’un groupe WhatsApp et non pas seulement en avertissant le conducteur concerné, une erreur commise par le service planning, avec des signes qui indiquent une moquerie et donc une atteinte à l’intégrité du service et du collègue concerné, ce qui constitue un abus du droit d’expression.

Mme [A] se réfère en deuxième lieu au grief qui lui est fait concernant les remarques contenues dans les courriels adressés à son supérieur hiérarchique les 22 et 26 novembre 2018, rappelés ci-dessus, dont la lettre de licenciement soutient qu’ils traduisent un manque de concertation avec son équipe.

Elle soutient qu’elle n’a fait qu’user de sa liberté d’expression en rapportant les dysfonctionnements du service.

La société produit en pièce 13 le courriel envoyé le 22 novembre 2018 par Mme [A] à M. [B], dans lequel elle dénonce le fait qu’ayant mis à jour le ‘réaliser’ le lundi 19 novembre au soir, elle a constaté à son retour de formation le 22 novembre qu’il n’avait pas été fait depuis, soulignant que trois personnes de l’équipe n’arrivaient pas à terminer la quatorzaine alors que d’autres y arrivent seuls. M. [B] lui a demandé si elle en avait discuté avec ses collègues avant de lui écrire. Aucune réponse de sa part n’est versée au débat.

La lettre de licenciement ne reproche pas à Mme [A] la teneur de ses propos mais un manque de concertation avec ses collègues sur le sujet, malgré les alertes faites par son responsable pour qu’elle sollicite ses collègues avant de demander son accompagnement. Le grief ne constitue donc pas une violation de la liberté d’expression de la salariée.

Il en va de même au sujet du courriel du 26 novembre 2018.

La société produit en pièce 14 les échanges de courriels qui ont eu lieu entre Mme [A] et M. [B] le 26 novembre 2018. Ils débutent par un message de Mme [A] qui envoie à son supérieur hiérarchique une copie d’écran comportant un tableau de planning avec la case du 2 novembre 2018 marquée en rouge, similaire à celui qui a été envoyé par le sms évoqué plus avant, avec le seul commentaire ‘Merci de me dire comment je dois procéder ”. M. [B], après avoir demandé et reçu de sa part des explications sur le problème en cause, a demandé à Mme [A] si elle avait parlé à la personne qui avait fait cela pour savoir si ce n’était pas une erreur. Mme [A] lui a répondu ‘[S], je n’ai pas le temps de m’attarder à savoir si chacun fait son boulot’, avant de se plaindre du volume des tâches qui lui a été attribué, des corrections qu’elle a été contrainte de faire, concluant par ‘Est-ce que M. [K] est en accord avec le principe de continuer à laisser le navire s’embourber de plus en plus ”. M. [B] lui a répondu notamment ‘Comme demandé à chacun d’entre vous, je traite vos demandes sous réserve que vous en ayez parlé tous ensemble. Vous êtes une équipe, vous êtes agents de maîtrise et ce n’est pas à moi de faire le lien entre vous.’ Ce faisant, M. [B] ne reproche pas ses propos à Mme [A] mais le fait qu’elle n’ait pas parlé du sujet en équipe avant de le contacter. La lettre de licenciement formule le même reproche.

En l’absence de violation par l’employeur de la liberté d’expression de Mme [A], celle-ci devra être déboutée de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et à se voir allouer une indemnité pour licenciement nul, par confirmation de la décision entreprise.

Sur le bien-fondé du licenciement

Mme [A] soutient qu’aucun des griefs allégués dans la lettre de licenciement ne peut être retenu. La société estime au contraire que le licenciement pour faute grave est bien fondé.

Il résulte de l’article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause du licenciement, qui s’apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l’employeur, doit se rapporter à des faits objectifs, existants et exacts, imputables au salarié, en relation avec sa vie professionnelle et d’une certaine gravité qui rend impossible la continuation du travail et nécessaire le licenciement.

L’article L. 1235-1 du code du travail prévoit que le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement.

En l’espèce, la lettre de licenciement est fondée sur cinq griefs.

– sur le dénigrement de collègues par message du 2 novembre 2018

Il est reproché à Mme [A] d’avoir écrit un message portant atteinte à l’intégrité de ses collègues, constituant un abus de son droit d’expression, en diffusant au surplus des documents de travail professionnels en violation de la charte d’utilisation des systèmes d’information.

Mme [A] soutient que la pièce n°6 produite par l’employeur est dénuée de toute force probante et n’a aucune valeur juridique dès lors qu’il s’agit d’une capture d’écran ou photo prise par on ne sait qui, à une date inconnue, alors que seul un huissier de justice est en mesure de dresser une retranscription fidèle des messages échangés sur un téléphone et d’apporter une certification aux messages ; que la communication de cette pièce issue d’un compte privé porte une atteinte disproportionnée et déloyale à sa vie privée, de sorte que la pièce doit être écartée des débats ; qu’à la date supposée d’envoi du message, elle était en arrêt de travail pour accident du travail; que le fait que la société n’aurait eu connaissance du message que le 30 novembre 2018 par M. [Y] [X] n’est étayé par aucun élément objectif versé au débat ; que le sms litigieux ne constitue ni un abus du droit d’expression ni une violation de la charte d’utilisation des systèmes d’information, laquelle ne s’applique qu’aux réseaux de communication propres à l’entreprise et non aux réseaux privés des salariés. Elle critique les attestations de Mme [G] et de M. [L] qui sont versées au débat par la société et souligne qu’aucune attestation de conducteurs n’est produite.

Il a été retenu plus avant que les propos contenus dans le message en cause sont constitutifs d’un abus de la liberté d’expression.

Ainsi que le souligne la société et que l’a jugé la Cour de cassation, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve et le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, la production d’échanges issus d’un groupe WhatsApp non professionnel auquel appartiendrait Mme [A] constitue une atteinte à la vie privée de cette dernière.

La société soutient que le message litigieux lui a été spontanément communiqué par un salarié, M. [Y] [X], en dehors de tout stratagème.

Elle produit pour en justifier :

– en pièce 7 une attestation de Mme [U] [G], responsable planning, datée du 3 décembre 2018, qui relate que ‘un matin, je l’ai [Mme [A]] vu prendre une photo de l’écran de l’ordinateur avec son smartphone. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu que ça faisait des preuves… Les conducteurs viennent régulièrement nous voir pour nous signaler qu’elle parle dans notre dos, et cela nous met très mal à l’aise. La semaine dernière un conducteur est venu me voir en me disant qu’un groupe de conducteurs avait été créé sur l’application WhatsApp afin d’échanger sur leur travail et que Mme [A] [N] en faisait partie, et régulièrement elle me dénigrait et dénigrait le service. Elle exprimait que mon travail était mal fait et qu’elle était obligée de repasser derrière moi. Elle tient de tels propos à mon égard depuis début octobre 2018. Les conducteurs sont gênés de cette situation, et cela commence à me faire perdre toute crédibilité envers les conducteurs’,

– en pièce 8 une attestation de M. [J] [L], responsable planning, datée du 4 décembre 2018, qui relate que ‘CL [[N] [A]] se permet de dénigrer le service planning auprès des conducteurs. Elle incite les conducteurs à se plaindre à notre responsable s’il trouve un problème [sic]. Mais des conducteurs ne cautionnent pas et nous remontent des informations. Nous avons écouté un message vocal où CL signale que le problème au planning ce n’est pas elle, des messages écrits sur un réseau social interne (WhatsApp) à des conducteurs d’une même ligne et qui dénigre [U] [W] et le planning.’

Il ressort de ces attestations que les échanges sur un groupe WhatsApp constitué entre conducteurs, avec l’information que Mme [A] en faisait partie et y postait des messages critiques envers ses collègues, ont été portés à la connaissance de l’employeur, non par un stratagème mais par un conducteur, peu important que ce dernier ne soit pas dénommé par les attestants, à la fin du mois de novembre 2018.

La production de cette pièce est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de la société et l’atteinte à la vie privée de Mme [A] est proportionnée au but poursuivi. La pièce n’a donc pas à être écartée des débats.

La pièce est probante quand bien même la date des échanges et les auteurs des messages ne sont pas certifiés par un huissier, dès lors que dans le groupe WhatsApp, seule Mme [A] pouvait avoir accès aux tableaux informatiques des plannings. Le fait que Mme [A] était en arrêt de travail le 2 novembre 2018 ne l’empêchait nullement de poster un message sur un groupe WhatsApp.

La diffusion du tableau des plannings sur un réseau privé constitue en outre une violation de la charte de l’utilisation des systèmes d’information de la société, que cette dernière produit en pièce 16, qui prévoit en page 6 que chacun est responsable de l’usage qu’il fait des ressources auxquelles il a accès, qui ne doivent pas être détournées à des fins illicites ou non professionnelles et que chacun doit respecter la confidentialité des fichiers et des logiciels qui lui sont confiés.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le grief est établi.

– sur le comportement inadapté vis-à-vis de ses collègues et de sa hiérarchie

La lettre de licenciement reproche à Mme [A] d’avoir, lors d’un entretien avec son supérieur hiérarchique le 28 novembre 2018, critiqué la démarche de son collègue qui lui avait envoyé un courriel le 26 novembre 2018, en disant ‘c’est quoi ce mail envoyé comme ça ” et en ‘déblatérant’ avec insistance et aucun recul sur son collègue de travail.

La société indique que le supérieur hiérarchique a une fois de plus rappelé à Mme [A] l’importance de communiquer avec ses collègues de travail et que son attitude allait à l’encontre des prérogatives de son poste.

Mme [A] fait valoir que ce grief fallacieux ne repose sur aucun élément objectif matériellement vérifiable, le courriel produit par la société étant une preuve à soi-même destinée à constituer un dossier contre elle.

La société produit en pièce 9 un courriel envoyé à Mme [A] le 26 novembre 2018 par son collègue M. [J] [L], dans lequel il lui communiquait le mémo dont il se servait pour ne rien oublier dans le contrôle des paies, concluant qu’il restait à sa disposition pour des explications complémentaires.

Elle produit en pièce 10 le courriel du 29 novembre 2018 par lequel M. [S] [B], responsable d’exploitation adjoint, adresse à Mme [V] [M], responsable des ressources humaines, et M. [C] [D], directeur d’exploitation, le compte-rendu de l’entretien qu’il a eu la veille avec Mme [A] à la demande initiale de cette dernière. A propos des sujets sur lesquels il avait été sollicité, il relate avoir demandé à Mme [A] de d’abord voir avec ses collègues car il ne pouvait faire le lien entre les membres du service planning, lui répétant de nombreuses fois qu’elle se mettait en faute en ne parlant pas à ses collègues. Il rapporte que Mme [A] lui a dit qu’elle allait d’avantage le faire mais l’a mis en garde sur le fait qu’on lui répondait de manière agressive. M. [B] relate que Mme [A] a encore critiqué ses collègues ‘en me disant qu’elle seule avec [R] sont capables de tout faire et que quand ils sont à 3 ou 4 rien n’avance et que les choses sont faites n’importe comment…’. Il écrit encore ‘Enfin on a parlé du mail que lui a envoyé [J] sur les contrôles de paie car c’est elle qui va reprendre le sujet (cf. ci-joint). Elle a critiqué ce mail en me disant ‘c’est quoi ce mail envoyé comme ça ” et n’a sorti que du négatif sur [J]. Je lui ai indiqué que [J] a partagé avec elle son savoir et son expérience sur le sujet (il traite ça depuis des mois voire des années) et [J] a proposé en fin de mail d’être disponible si besoin. Elle m’a dit qu’elle allait lui demander de prendre du temps pour elle et je lui ai encore dit qu’il fallait qu’elle parle à ses collègues.’

Ce courriel rapporte de manière probante le contenu de l’entretien que M. [B] et Mme [A] ont eu et l’absence de communication avec les membres de son équipe qui était reprochée à Mme [A].

M. [B] avait déjà demandé à Mme [A] si elle avait discuté avec ses collègues des difficultés qu’elle relatait par courriel du 22 novembre 2018 (pièce 13 de l’employeur) et avait souligné la nécessité d’avoir une cohésion d’équipe par courriel du 26 novembre 2018 (pièce 14 de l’employeur).

Cette absence de communication est également rapportée par Mme [U] [G], qui relate dans son attestation les difficultés rencontrées dans le service depuis l’arrivée de Mme [A], qu’elle décrit comme ayant un ‘fort caractère’ et qui ‘a voulu faire le planning à sa façon sans écouter tous les conseils et recommandations qu’on avait à lui transmettre’. Elle indique que Mme [A] allait porter ses demandes directement à leur chef sans même poser des questions à ses collègues, prenait des initiatives sans concertation, n’avait pas l’esprit d’équipe.

De même, M. [L] relate que ‘Quand CL [[N] [A]] fait la feuille journalière, elle se plaint au chef, des services trop nombreux en corbeille. On est obligé de se justifier pour chaque cas.’

Le grief est en conséquence établi.

– sur le non-respect des missions concernant la gestion des appels téléphoniques

La lettre de licenciement reproche à Mme [A] de ne pas avoir répondu aux appels reçus sur sa ligne téléphonique fixe pendant ses heures de service, à plusieurs reprises, la sonnerie de son téléphone s’avérant coupée, alors que sa mission de responsable de planning intègre pleinement la relation avec les conducteurs.

La société précise qu’une permanence téléphonique était pratiquée au sein de l’équipe du service planning à tour de rôle, que Mme [A] était chargée d’assurer l’accueil des conducteurs et de renvoyer vers ses collègues si nécessaire ; qu’elle ne participait manifestement pas à cette tâche collective, ce qui faisait ressortir son attitude individualiste et son manque d’implication au sein de l’équipe.

Mme [A] réplique que ce grief n’est pas établi de manière probante par des pièces que la société s’est constituée à elle-même, à une époque où la société avait exprimé sa volonté de se débarrasser d’elle ; qu’aucune attestation de conducteur rencontrant des difficultés à la joindre n’est produite ; que quelques appels ont pu être manqués durant ses pauses ou des absences momentanées et qu’elle était en formation les 20 et 21 novembre 2018.

Pour justifier du grief, la société produit :

– en pièce 17 un courriel du 1er juin 2018 par lequel M. [B] a décrit la nouvelle organisation du service planning, les tâches de Mme [A] comportant notamment la mission suivante : ‘assure l’accueil systématique des conducteurs (physique + téléphonique) et renvoie vers [U] ou [J] si nécessaire’,

– en pièce 11 un courriel daté du 22 novembre 2018 par lequel M. [L] a demandé à M. [B] s’il avait dispensé Mme [A] de répondre au téléphone car son téléphone ne sonnait pas depuis le jeudi précédent. Mme [M], qui était en copie du message, a demandé un accès au listing des appels entrants/sortants du planning. Le 23 novembre 2018, M. [L] a relaté à M. [B] que le 15 novembre, il avait entendu le téléphone sonner et qu’il n’avait pas répondu car il était occupé à autre chose et se disait que l’appel serait transféré sur le poste de Mme [A], qui n’avait pas pour autant sonné, à deux reprises ; qu’il avait vérifié que le transfert sur le poste de Mme [A] s’opérait mais la sonnerie de son téléphone était coupée. Il relate que le téléphone de Mme [A] n’avait pas sonné les 16, 19 et 21 novembre,

– en pièce 8 l’attestation de M. [L] qui indique qu’après le déménagement du planning en novembre 2018 il a constaté que le téléphone de Mme [A] ne sonnait pas, la sonnerie étant coupée, et que cela a duré une semaine,

– en pièce 12 une liste des appels non répondus sur la ligne de Mme [A], transmise par M. [B] à Mme [M], soit 25 appels sur 5 jours, étant souligné que 13 appels ont été reçus les 20 et 21 novembre alors que Mme [A] était absente pour formation, que la lettre de licenciement n’évoque pas.

Ces pièces sont suffisamment probantes pour justifier de la réalité du grief.

– sur le manque de concertation et de communication avec l’équipe

La lettre de licenciement reproche à Mme [A] d’avoir, par les propos tenus dans ses courriels des 22 et 26 novembre 2018, démontré son manque de concertation avec son équipe en ignorant son travail et en ne sollicitant pas ses collègues avant de demander l’accompagnement de son responsable, malgré les alertes de ce dernier.

Mme [A] estime que ce grief est ridicule et ne vise qu’à la sanctionner pour avoir dénoncé les dysfonctionnements de son service constitués par la mauvaise gestion des plannings des conducteurs (courriers du 22 novembre) et le non-respect du délai d’amplitude de repos (courriel du 26 novembre).

Dans les courriels en cause (pièces 13 et 14 de la société), qui ont été évoqués plus avant, Mme [A] évoque des dysfonctionnements de ses collègues dans la gestion des plannings. Cependant, ce n’est pas cette dénonciation qui lui est reprochée mais le fait qu’elle en réfère directement à son supérieur hiérarchique au lieu d’en parler préalablement avec ses collègues, attitude qui est justifiée par les pièces versées au débat, ainsi qu’établi plus avant. La réalité du grief est dès lors démontrée.

– sur le comportement d’insubordination

La lettre de licenciement relate que Mme [A] a suivi la formation ‘décompte du temps de travail dans l’interurbain’ des 20 et 21 novembre 2018, afin de performer ses connaissances et optimiser la gestion du planning. Elle reproche à Mme [A] d’avoir fait preuve d’une incompréhension totale des règles conventionnelles et des pratiques opérationnelles en fonction des accords et usages de l’entreprise, en avançant en présence d’un conducteur que les mises en production des temps de travail étaient non réglementaires et en poursuivant ses propos malgré la demande de son responsable de les arrêter, ce qui constitue une insubordination aggravée par sa position d’agent de maîtrise qui confère de la crédibilité à ses propos, dangereux pour le climat social de l’entreprise.

Mme [A] réplique qu’aucune pièce ne justifie des propos qu’elle aurait tenus lors de la formation.

La lecture attentive de la lettre de licenciement montre qu’il n’est pas reproché à Mme [A] d’avoir tenu des propos inadaptés au cours de la formation. Il est simplement relaté que Mme [A] a suivi une formation sur un sujet sur lequel elle s’est exprimée.

La société produit en pièce 15 un courriel adressé par M. [B] à Mme [M] le 23 novembre 2018, dont l’objet est ‘décompte du temps de travail dans l’interurbain 20 et 21 nov.’ qui relate que ‘Suite à cette formation, j’ai demandé jeudi matin à [N] [A] et [R] [H] vers 15h45 comment la formation s’était passée.

Contexte : j’étais dans le bureau planning tous les responsables plannings étaient à leur poste, il y avait aussi [R] en +, ainsi qu’un conducteur debout au comptoir.

Elle m’a indiqué suite à cette formation que beaucoup de choses n’étaient pas correctes au CIF.

Bien entendu compte tenu de la présence du conducteur, je lui ai fait comprendre que je voulais bien en discuter mais plus tard sans personne autour.

Cependant ça n’a pas eu d’effet et je lui ai précisé quand le conducteur était sorti que ce genre de discussions ne doit pas être tenu en public.

Ce comportement n’a rien de correct pour un agent de maîtrise.’

Il en ressort que Mme [A] a tenu des propos mettant en cause la régularité du fonctionnement de l’entreprise devant un salarié et qu’elle les a poursuivis malgré l’incitation de son supérieur hiérarchique à en discuter à un autre moment, ce qui constitue un acte d’insubordination. Le grief est en conséquence établi.

Ainsi, tous les griefs invoqués dans la lettre de licenciement sont établis. S’ils constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail, ils ne sont pas d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifient son départ immédiat, sans indemnités.

La décision de première instance sera en conséquence confirmée en ce qu’elle a retenu l’absence de faute grave, a requalifié la rupture du contrat de travail en licenciement pour cause réelle et sérieuse et a débouté Mme [A] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires

Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire

Mme [A] demande paiement d’un rappel de salaire de 3 666,62 euros correspondant à la période de sa mise à pied à titre conservatoire et 366,62 euros au titre des congés payés afférents.

La société répond qu’une faute grave ayant été commise, la mise à pied conservatoire était justifiée.

Seule la faute grave peut justifier le non-paiement du salaire pendant la mise à pied.

Dès lors qu’il n’est pas retenu que Mme [A] a commis une faute grave, son salaire doit lui être payé durant la période de mise à pied conservatoire du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019, soit la somme de 3 366,62 euros et non de 3 666,62 euros (2 440,80 euros du 3 au 31 décembre 2018 et 925,82 euros du 1er au 11 janvier 2019), outre 336,66 euros au titre des congés payés afférents.

La décision de première instance sera infirmée en ce qu’elle a alloué à Mme [A] à ce titre les sommes de 3 666,62 euros et 366,62 euros et la cour, statuant de nouveau, allouera les sommes susvisées.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Par application de l’article L. 1234-1 du code du travail, Mme [A] ayant une ancienneté de plus de deux ans chez le même employeur, elle doit se voir allouer une indemnité compensatrice de préavis de deux mois.

Mme [A] estime que le salaire à prendre en compte s’élève à 2 945,63 euros, comprenant sa prime d’objectif et son 13ème mois prorata temporis tandis que la société soutient que seule la somme de 2 609,14 euros correspondant au salaire de base et à la prime d’ancienneté doit être retenu.

L’indemnité compensatrice de préavis est calculée sur la base du salaire brut qu’aurait perçu le salarié s’il avait continué à travailler. Le dernier salaire perçu par l’intéressé doit être pris en compte, à moins que la rémunération ne soit pas régulière d’un mois sur l’autre, auquel cas il convient de se baser sur une moyenne annuelle. Toutes les primes et gratifications qui viennent à échéance pendant la période du préavis doivent être versées, y compris lorsqu’elles sont liées à une condition de présence. Si la date de versement d’une prime, un treizième mois par exemple, tombe en dehors de la période de préavis, le salarié n’y a pas droit, sauf à prouver que celle-ci est due au prorata du temps de travail en vertu d’un usage ou d’un accord collectif.

En l’espèce, Mme [A] percevait en dernier lieu un salaire brut mensuel de 2 496,78 euros outre 112,36 euros de majoration au titre de l’ancienneté soit 2 609,14 euros au total. Il convient de prendre en compte, au prorata, sa prime contractuelle d’objectif et la prime de 13ème mois perçue en décembre 2018, prévue par la convention collective applicable.

Sur la base du salaire mensuel brut ainsi fixé à 2 945,63 euros, les sommes de 5 891,26 euros et 589,12 euros allouées en première instance seront confirmées.

Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement

L’article 18 de l’accord du 30 mars 1951 relatif aux techniciens et agents de maîtrise annexe III de la convention collective applicable prévoit que :

‘Dans le cas de rupture du contrat individuel de travail du fait de l’employeur entraînant le droit au délai-congé, l’employeur versera au technicien ou agent de maîtrise congédié une indemnité de congédiement calculée en fonction de l’ancienneté dans les conditions suivantes :

a) Technicien ou agent de maîtrise justifiant de 2 ans d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur : indemnité calculée à raison de 1/10 de mois par année de présence sur la base du salaire effectif de l’intéressé au moment où il cesse ses fonctions.

b) Technicien ou agent de maîtrise justifiant d’au moins 3 années d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur : indemnité calculée à raison de 3/10 de mois par année de présence sur la base du salaire effectif de l’intéressé au moment où il cesse ses fonctions.

Lorsque le salaire effectif de l’intéressé comporte une partie fixe et une partie variable, la valeur de la partie variable à prendre en considération sera la valeur moyenne de cette partie variable au cours des 12 derniers mois.

Lorsque le technicien ou agent de maîtrise licencié a atteint l’âge qui lui permet de bénéficier d’une retraite au titre du régime en vigueur dans l’entreprise, l’indemnité calculée comme il est dit ci-dessus pourra être réduite de 20 % par année au-delà de 60 ans, jusqu’à suppression complète à partir de 65 ans.

L’indemnité de congédiement est payable à la cessation des fonctions.’

En application de ces dispositions, Mme [A], qui avait une ancienneté de 5 ans et 10 mois du 13 mai 2013 au 11 mars 2019, date de cessation de ses fonctions, préavis inclus, a droit à une indemnité de 5 154,84 euros. La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle lui a alloué cette somme.

Sur l’indemnité compensatrice de congés payés

Mme [A] expose qu’elle avait droit à une indemnité de 3 260,44 euros au titre des 23,56 jours de congés payés lui restant à prendre mais qu’elle n’a perçu que la somme de 2 929,10 euros, de sorte qu’elle demande paiement du solde, soit 331,34 euros.

La société demande l’infirmation de la décision qui a alloué cette somme dès lors que des jours de congés payés ont été réglés à Mme [A] en janvier 2019.

Il ressort du bulletin de salaire du mois de décembre 2018 que Mme [A] avait droit au paiement de 9 jours de congés payés au titre de l’année N-1 et 14,56 jours au titre de l’année N et du bulletin de salaire du mois de janvier 2019 qu’elle a été payée de 9 jours au titre de l’année N-1 et de 15,32 jours au titre de l’année N (pièces 15 et 16 de la salariée).

Mme [A] calcule la somme qui lui est due en tenant compte de toutes les primes qu’elle percevait (2 945,63 euros) tandis que la société a opéré un calcul sur la base du seul salaire brut et de la majoration pour ancienneté (2 609,14 euros).

L’article L. 3141-24 du code du travail prévoit les modalités de calcul de l’indemnité de congés.

L’assiette de l’indemnité comprend les primes d’ancienneté mais non les primes ou le 13ème mois qui ne sont pas affectées par le départ en congé et sont calculées sur l’année entière.

En calculant les congés payés sur la base d’un salaire de 2 609,14 euros, la société a rempli Mme [A] de ses droits et la décision de première instance devra être infirmée en ce qu’elle a condamné la société à payer à Mme [A] une somme de 331,34 euros.

Statuant à nouveau, la cour déboutera Mme [A] de sa demande.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire

Mme [A] demande paiement d’une indemnité de 17 000 euros du fait des conditions particulièrement vexatoires et brutales entourant la rupture du contrat de travail, faisant valoir qu’elle était mère célibataire de deux enfants âgés de 16 et 13 ans lors du licenciement, qu’elle avait plus de 5 années au service de la société, a été reconnue travailleur handicapé le 24 juin 2020 et a été affectée matériellement et psychologiquement par la perte brutale de son emploi.

La société répond que Mme [A] ne justifie pas de son préjudice et qu’elle a été licenciée en raison de son comportement déloyal à l’égard de son employeur.

En l’espèce, le caractère brutal et vexatoire des circonstances du licenciement n’étant pas établi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [A].

Sur le rappel de prime 13ème mois

Mme [A] expose qu’en première instance, il ressortait de son bulletin de paie de décembre 2018 que la société avait procédé à une retenue d’un montant net de 1 956 euros à titre d’acompte de 13ème mois, de sorte qu’elle a été condamnée à juste titre à payer cette somme outre les congés payés afférents. Au regard du paiement de cette somme dont justifie la société en cause d’appel, qui correspond à un montant brut de 2 401,75 euros, elle estime que la différence, soit un solde de 207,39 euros, lui est dûe, outre 20,74 euros au titre des congés payés afférents.

La société répond que Mme [A] avait droit pour 2018 à une prime de 13ème mois d’un montant brut de 2 496,78 euros ; que déduction faite d’une retenue de 93,03 euros opérée sur cette prime, une somme brute de 2 401,75 euros lui était due ; que cette somme ne lui a pas été versée intégralement dès lors qu’elle avait perçu un acompte de 1 956 euros, avant les fêtes de fin d’année.

Il ressort du bulletin de paie du mois de décembre 2018 que Mme [A] devait percevoir une prime de 13ème mois d’un montant brut de 2 401,75 euros. Il est néanmoins justifié que la somme lui a été versée pour un montant net de 1 956 euros, par deux versements des 13 et 17 décembre 2018 (pièce 18 de la société).

La décision de première instance doit en conséquence être infirmée en ce qu’elle a alloué à Mme [A] les sommes de 1 956 euros à ce titre et 195,60 euros au titre des congés payés afférents.

Mme [A] n’est pas fondée à réclamer paiement de la différence entre le montant brut qui lui était dû et la somme nette qu’elle a reçue, qui correspond au montant brut déduction faite des charges sociales. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande en paiement des sommes de 207,39 euros et 20,74 euros.

Sur le rappel de salaire pour les 1er et 2 décembre 2018

Mme [A] demande paiement de la somme de 44,92 euros correspondant à la différence entre le salaire qu’elle aurait dû recevoir et celui qu’elle a perçu pour les 1er et 2 décembre 2018.

La société répond que Mme [A] a été payée pour ces deux journées.

Il ressort du bulletin de salaire de Mme [A] de décembre 2018 que le salaire de base de 2 609,14 euros a été amputé de 2 488,72 euros au titre de l’absence correspondant à la période de mise à pied conservatoire, de sorte que Mme [A] a été payée de la somme de 120,42 euros pour les 1er et 2 décembre 2018.

Or le rappel de salaire dû au titre de la mise à pied conservatoire a été évalué plus avant à 2 440,80 euros pour cette période. En conséquence, Mme [A] aurait dû recevoir une somme de 168,34 euros pour ces deux jours de travail, qu’elle fixe toutefois à 165,34 euros.

La société lui est donc redevable de la différence, soit 44,92 euros outre 4,49 euros au titre des congés payés. La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle lui a alloué ces sommes.

Sur les intérêts moratoires

Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement qui en fixe tout à la fois le principe et le montant, sur la base du montant arrêté par la cour s’agissant du rappel de salaire concernant la mise à pied à titre conservatoire et les congés payés afférents.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil, par infirmation de la décision entreprise.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

Les dépens de l’instance d’appel, tels que définis à l’article 695 du code de procédure civile, seront mis à la charge de Mme [A], qui succombe en ses demandes.

Mme [A] sera condamnée à payer à la société une somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa demande formée du même chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 22 mars 2021 par le conseil de prud’hommes de Montmorency excepté en ce qu’il a :

– condamné la société Keolis CIF à verser à Mme [N] [A] les sommes de :

. 3 666,62 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied à titre conservatoire du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019,

. 366,62 euros au titre des congés payés afférents,

. 331,34 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

. 1 956 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois au titre de l’année 2018,

. 195 euros au titre des congés payés afférents,

– débouté Mme [N] [A] de sa demande de capitalisation des intérêts,

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Keolis CIF à verser à Mme [N] [A] les sommes de :

. 3 366,62 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied à titre conservatoire du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019,

. 336,66 euros au titre des congés payés afférents,

Déboute Mme [N] [A] de ses demandes en paiement formées au titre d’une indemnité compensatrice de congés payés, d’un rappel de prime de 13ème mois au titre de l’année 2018 et des congés payés afférents,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement, sur la base du montant arrêté par la cour s’agissant du rappel de salaire concernant la mise à pied à titre conservatoire et les congés payés afférents,

Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,

Condamne Mme [N] [A] aux dépens d’appel tels que définis à l’article 695 du code de procédure civile,

Condamne Mme [N] [A] à payer à la société Keolis CIF une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [N] [A] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Valérie de Larminat, conseiller, pour Mme Catherine Bolteau-Serre, président empêché, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, P/ Le président empêché,

 


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