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ARRÊT N°
R.G : N° RG 21/03199 – N° Portalis DBVH-V-B7F-IE7Q
YRD/ID
POLE SOCIAL DU TJ DE NIMES
19 juillet 2021
RG:21/00199
[P]
C/
S.A.S. [9]
CPAM DU GARD DEPARTEMENT DES AFFAIRES JURIDIQUES
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022
APPELANT :
Monsieur [X] [P]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représenté par Me Yann LE TARGAT de la SEP ALAIN ARMANDET ET YANN LE TARGAT, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉES :
S.A.S. [9]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 8]
représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, avocat au barreau de NIMES, Me Déborah ATTALI du PARTNERSHIPS EVERSHEDS Sutherland (France) LLP, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Audrey TOMASZEWSKI, avocat au barreau de PARIS
CPAM DU GARD DEPARTEMENT DES AFFAIRES JURIDIQUES
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par M. [S] en vertu d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, a entendu les plaidoiries en application de l’article 945-1 du code de Procédure Civile, sans opposition des parties.
en a rendu compte à la Cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
À l’audience publique du 22 Juin 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 20 Septembre 2022
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 20 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M [X] [P] exerce la profession d’agent de préparation de véhicule automobile au sein de la société [9] depuis le 26 février 2002.
Le 23 octobre 2017, M [P] a souscrit une déclaration de maladie professionnelle sur la base d’un certificat médical initial, établi par le docteur [N] [K] le 10 mai 2017, qui fait état d’une ‘leucémie aiguë myéloblastique’.
Par courrier du 2 mai 2018, la caisse primaire d’assurance maladie du Gard (CPAM) a informé M. [P] et la société [9] de la prise en charge de la maladie déclarée par M. [P] dans le cadre du tableau n°4 des maladies professionnelles relatif aux hémopathies provoquées par le benzène et tous les produit refermant.
Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 19 juin 2018, la société [9] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM du Gard (CRA) afin de contester la décision de prise en charge du 2 mai 2018.
Par courrier du 17 août 2018, M [P] a saisi la CPAM d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Le 6 septembre 2018, la CPAM a établi un procès-verbal de non-conciliation.
Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 19 septembre 2018, la société [9] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine (TASS) afin de contester la décision de rejet implicite de la CRA.
Par décision du 8 novembre 2018, la CRA a explicitement rejeté la contestation de la société [9].
Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 20 mai 2019, M. [P] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Nîmes d’un recours tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Le dossier a été enrôlé sous le n° de RG 19 00519.
Par décision du 1er octobre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Nîmes dans le dossier opposant à la société [9] à la CPAM. L’affaire a été enrôlée sous le n° de RG 20 00807.
Les deux affaires ont été appelées à l’audience du 24 février 2021 date à laquelle elles ont fait l’objet d’une radiation.
A la demande de M. [P] le dossier n° RG 19 00519 a été remis au rôle sous le numéro de RG 21 00199.
A la demande de la société [9], le dossier n° RG 20 00807 a été remis au rôle sous le numéro de RG 21 00230.
Par jugement du 19 juillet 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes a :
– révoqué l’ordonnance de clôture du 15 octobre 2020, ayant fixé la clôture au 17 février 2021 dans le dossier RG n° 21/00199 (anciennement RG n° 19/00519),
– déclaré recevables les écritures et pièces échangées postérieurement au 17 février 2021,
– ordonné la jonction de la procédure 21/00230 à la procédure numéro RG 21/00199,
– dit que la procédure portera le numéro RG 21 00199,
– rejeté la contestation de la société par actions simplifiée [9] relativement à la décision de prise en charge de la caisse primaire d’assurance maladie du Gard en date du 2 mai 2018,
– rejeté la demande de la société par actions simplifiée [9] tendant à se voir déclarer inopposable de la décision de prise en charge de la caisse primaire d’assurance maladie du Gard du 2 mai 2018,
– dit que la maladie dont est atteint M. [P] est d’origine professionnelle,
– débouté M. [P] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur relativement à sa maladie professionnelle objectivée par le certificat du docteur [N] [K] en date du 10 mai 2017,
– débouté M. [P] de sa demande d’expertise médicale avant dire droit,
– débouté M. [P] de sa demande de condamnation de la société par actions simplifiée [9] à lui verses une provision,
– condamné M. [P] aux entiers dépens de l’ancienne instance RG n° 19/00519,
– condamné la société par actions simplifiée [9] immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 625.023.961, prise en la personne de son représentant légal en exercice, aux entiers dépens de l’ancienne instance RG n° 20/00807,
– débouté M. [P], de sa demande de condamnation de la société par actions simplifiée [9] de sa demande de condamnation de la caisse primaire d’assurance maladie du Gard sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté toute demande plus ample ou contraire,
– dit n’y avoir lieu à avoir exécution provisoire.
Par acte du 10 août 2021, M. [P] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 22 juillet 2021.
Par conclusions déposées et développées oralement à l’audience, M. [P] demande à la cour de :
– recevoir l’appel comme régulier, en la forme,
Au fond, y faisant droit,
– infirmer la décision en ce qu’elle :
* l’a débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur relativement à sa maladie professionnelle objectivée par le certificat du docteur [N] [K] en date du 10 mai 2017,
* l’a débouté de sa demande d’expertise médicale avant-dire droit,
* l’a débouté de sa demande de condamnation de la société par actions simplifiée [9] à lui verser une provision,
* l’a condamné aux entiers dépens de l’ancienne instance RG n°19/00519,
* l’a débouté de sa demande de condamnation de la société par actions simplifiée [9] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau sur ces différents points :
– juger qu’il est en droit de bénéficier du régime de la faute inexcusable de droit à l’égard de la société [9] avec toutes les conséquences légales en découlant,
– débouter la société [9] de toutes demandes, fins et conclusions contraires comme injustes et, en toutes hypothèses, mal fondées,
– ordonner une expertise médicale avant dire droit sur le quantum des préjudices qu’il a subis,
– designer tel expert qu’il plaira à la cour et le mandater aux fins de mission suivante :
* décrire les lésions subies,
* indiquer leur traitement, leur évolution et celles des troubles en rapport direct avec les maladies,
* déterminer, décrire, qualifier et chiffrer :
° les préjudices expressément énumérés par l’article l.452-3 du code de la sécurité sociale à savoir,
– les souffrances endurées sur une échelle de 1 à 7,
– le préjudice esthétique sur une échelle de 1 à 7,
– le préjudice d’agrément,
– la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
° le déficit fonctionnel temporaire,
° la nécessité éventuelle d’avoir dû recourir à une tierce personne avant et/ou après la consolidation,
– condamner la société [9] au paiement d’une provision de 5 000 euros de dommages et intérêts à valoir sur la réparation définitive de son préjudice,
– condamner la société [9] à payer à M. [P] la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Il soutient que :
– en sa qualité de préparateur de véhicules il a été exposé au benzène, de sorte qu’il considère remplir les conditions nécessaires à la présomption simple permettant la reconnaissance de sa maladie professionnelle,
– son employeur avait conscience du danger comme en atteste l’enquête du CHSCT réalisée en 2014,
– son employeur n’a pas pris les mesures nécessaires permettant de le préserver, notamment en ne lui faisant pas participer à une formation de prévention organisée à la suite de l’enquête du CHSCT de 2014,
– son employeur a manqué à son obligation légale de sécurité et n’a pas mis en place tous les moyens à sa disposition afin d’assurer sa santé et sa sécurité,
– la société [9] a commis une faute inexcusable.
La CPAM du Gard, reprenant oralement ses conclusions déposées à l’audience, a demandé à la cour de :
-confirmer purement et simplement le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes rendu le 10 juillet 2021 en ce qu’il a rejeté la contestation de la société [9] quant au caractère professionnel de la maladie dont est atteint M. [P] et à la décision de prise en charge en date du 2 mai 2018,
– confirmer purement et simplement le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes rendu le 19 juillet 2021 en ce qu’il a débouté la société [9] de sa demande tendant à ce que la décision de prise en charge du 2 mai 2018 lui soit déclarée inopposable,
– rejeter l’ensemble des demandes de la société [9],
– lui donner acte de ce qu’elle déclare s’en remettre à justice sur le point de savoir si la maladie professionnelle en cause est due à une faute inexcusable de l’employeur,
– si la cour retient la faute inexcusable :
* constater que l’assuré est titulaire d’une rente basée sur un taux d’incapacité permanente de 100%,
* limiter l’éventuelle mission de l’expert aux poste de préjudices visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et ceux non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et mettre les frais d’expertise à la charge de l’employeur,
* lui donner acte de ce qu’elle déclare s’en remettre à justice sur la demande de provision,
* condamner l’employeur à lui rembourser dans le délai de quinzaine les sommes dont elle aura fait l’avance, assorties des intérêts légaux en cas de retard.
Elle fait valoir que :
-au regard des travaux accomplis par M. [P], celui-ci a bien été exposé au benzène à l’occasion de l’exécution de son contrat de travail,
– M. [P] remplit les trois conditions légales lui permettant de bénéficier de la présomption d’imputabilité au travail de son affection médicalement constatée le 10 mai 2017,
– la CRRMP était donc incompétente et n’avait pas à être saisie,
– elle s’en remet à l’appréciation souveraine de la cour s’agissant de la contestation relative à a la faute inexcusable de l’employeur.
La SAS [9], reprenant oralement ses conclusions déposées à l’audience, a demandé à la cour de:
– infirmer le jugement des chefs ayant :
* rejeté la contestation de la société relativement à la décision de prise en charge de la CPAM de la maladie professionnelle en date du 2 mai 2018,
* rejeté la demande de la société tendant à se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge du clam en date du 2 mai 2018,
* dit que la maladie dont est atteint M. [P] est d’origine professionnelle,
– infirmer le jugement en ce qu’il a confirmé le caractère professionnel de la maladie de M. [P],
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande au titre de la faute inexcusable,
Et ainsi statuant à nouveau :
– dire et juger que le caractère professionnel de la maladie de M. [P] ne peut être reconnue ni au titre du tableau n°4 ni au titre de la maladie professionnelle prouvée,
– annuler la décision de prise en charge de la CPAM Gard,
– dire et juger que la décision de prise en charge de la CPAM du Gard lui est inopposable,
Dire et juger que la demande de reconnaissance de la faute inexcusable n’est ni fondée ni démontrée,
– rejeter la demande d’expertise et de la désignation d’expert de M. [P],
– débouter M. [P] de sa demande de provision d’un montant de 5 000 euros de dommages et intérêts à valoir sur la réparation définitive de son préjudice,
– débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.
Elle expose que :
– le troisième critère du tableau n°4 n’est pas rempli,
– la CPAM du Gard ne rapporte aucun élément suffisant permettant de rattacher la maladie de M. [P] à une maladie contractée dans les conditions mentionnées par le tableau n°4 des maladies professionnelles,
– il n’existe aucun lien direct entre la maladie de M. [P] et son travail habituel,
– la CPAM du Gard a violé la procédure inhérente à la maladie professionnelle prouvée et qu’elle aurait dû saisir le CRRMP,
– la décision de prise en charge par la CPAM du Gard lui est donc inopposable,
– M. [P] ne rapporte pas la preuve qu’elle avait conscience du danger encouru par son salarié,
– elle n’a pas manqué à son obligation de sécurité et qu’elle a mis en place tous les moyens à sa disposition afin d’assurer au mieux la santé et la sécurité de ses salariés,
– l’expertise judiciaire sollicité par M. [P] ainsi sa demande de provision ne peuvent être ordonnés alors qu’il n’a pas été statué sur la demande de faute inexcusable.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l’audience.
MOTIFS :
Sur la désignation de l’affection déclarée par M. [P] :
Selon l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable issu de la loi n°215-994 du 17 août 2015, « les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d’origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l’accident.
Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L’avis du comité s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L. 315-1.
Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle, dans les conditions prévues aux quatrième et avant-dernier alinéas du présent article. Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire ».
La reconnaissance des maladies professionnelles repose ainsi sur des tableaux de maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale. Chaque tableau précise la nature des travaux susceptibles de provoquer la ou les maladies et énumère les affections provoquées. Ces tableaux instituent une présomption d’imputabilité entre la maladie qu’ils décrivent et les travaux qu’ils mentionnent. Les affections ainsi listées sont présumées d’origine professionnelle lorsqu’il est établi que le salarié qui en est atteint a été exposé, de façon habituelle, au cours de son activité professionnelle, à l’action d’agents nocifs.
Fixés par décret et annexés au code de la sécurité sociale, les tableaux des maladies professionnelles ont un caractère réglementaire. Leur application est d’ordre public.
Lorsque la demande de la victime réunit les trois conditions, affection désignée dans le tableau, délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l’exposition du salarié au risque identifié pour être pris en charge et travaux susceptibles de provoquer la maladie, la maladie est présumée d’origine professionnelle, sans que la victime ait à prouver le lien de causalité entre son affection et son travail.
La maladie telle qu’elle est désignée dans les tableaux de maladies professionnelles est celle définie par les éléments de description et les critères d’appréciation fixés par chacun des tableaux.
S’il n’y a pas lieu à procéder à une analyse littérale du certificat médical initial, par contre, la maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs et doit être constatée conformément aux éléments de diagnostic éventuellement prévus, et la charge de la preuve de la réunion des conditions exigées par l’article L. 461-1 susvisé, pèse sur l’organisme social, lorsque ce dernier a décidé d’une prise en charge contestée par l’employeur.
Il entre dans les compétences du médecin conseil de la caisse, en application de l’article L.315-1 du code de la sécurité sociale, de vérifier si la pathologie mentionnée au certificat médical initial correspond à une maladie mentionnée dans un tableau de maladies professionnelles.
Le tableau n° 4 du tableau des maladies professionnelles relatif aux hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant :
– désigne la maladie suivant : leucémies aiguës myéloblastique et lymphoblastique à l’exclusion des leucémies aiguës avec des antécédents d’hémopathie,
– fixe un délai de prise en charge de 3 ans sous réserve d’une durée d’exposition de 6 mois,
– liste les travaux à l’origine de cette maladie : Opérations de production, transport et utilisation du benzène et autres produits renfermant du benzène, notamment ; production, extraction, rectification du benzène et des produits en renfermant ; emploi du benzène et des produits en renfermant pour la production de leurs dérivés, notamment en organosynthèse ; préparation des carburants renfermant du benzène, transvasement, manipulation de ces carburants, travaux en citerne ; emplois divers du benzène comme dissolvant des résines naturelles ou synthétiques ; production et emploi de vernis, peintures, émaux, mastics, encre, colles, produits d’entretien renfermant du benzène ; fabrication de simili-cuir ; production, manipulation et emploi des dissolutions de caoutchouc naturel ou synthétique, ou des solvants d’avivage contenant du benzène ; autres emplois du benzène ou des produits en renfermant comme agent d’extraction, d’élution, d’imprégnation, d’agglomération ou de nettoyage et comme décapant, dissolvant ou diluant ; opérations de séchage de tous les produits, articles, préparations, substances où le benzène (ou les produits en renfermant) est intervenu comme agent d’extraction, d’élution, de séparation, d’imprégnation, d’agglomération, de nettoyage, de concentration, et comme décapant, dissolvant ou diluant ; emploi du benzène comme déshydratant des alcools et autres substances liquides ou solides ; emploi du benzène comme dénaturant ou réactif de laboratoire ; poste de nettoyage, curage, pompage des boues de fosses de relevage dans le traitement des eaux usées de raffinerie.
En l’espèce, si les parties s’accordent sur le fait que les deux conditions relatives à la désignation de la maladie et au délai de prise en charge sont réunies, la société [9] conteste cependant le fait que M. [P] ait effectué, à l’occasion de son travail, des taches susceptibles de provoquer la maladie qu’il a déclarée dans les conditions posées par le tableau n°4 des maladies professionnelles. Elle indique en effet que M. [P] n’a pas été exposé au benzène au cours de l’exécution de son contrat de travail.
Force est cependant de constater, qu’aux termes de ses dernières écritures, la société [9] admet que le M. [P] a bien été exposé à des gaz d’échappement pouvant contenir un pourcentage faible de benzène dont elle estime le taux « au maximum 1% dans certaines essences ». Ce faisant, le tableau n°4 des maladies professionnelles ne prévoyant aucun seuil minimum à l’exposition au benzène, il y a lieu de considérer que M. [P] a été exposé à cette substance au cours de l’exécution de son contrat de travail au sein de la société [9].
Il est en outre établi, suivant les déclarations concordantes des parties sur ce point, que l’une des tâches confiée à M. [P] consistait à l’extraction de carburant contenu dans les voitures qu’il préparait et ce à destination d’une cuve de la société. Ainsi, à la lecture de la liste des travaux susceptibles de provoquer la maladie déclarée par M. [P] mentionnés au tableau n°4 des maladies professionnelles et notamment ceux relatifs à la « préparation des carburants renfermant du benzène, transvasement, manipulation de ces carburants, travaux en citerne », il y a lieu de constater que cette tâche d’extraction du carburant confiée à M. [P] correspond à l’un des travaux mentionnés au tableau n°4 des maladies professionnelles.
Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il apparaît donc que la CPAM du Gard rapporte la preuve qui lui incombe que M. [P] remplissait la condition relative aux travaux concernant le tableau n°4 des maladies professionnelles pour bénéficier de la présomption d’imputabilité au travail.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté la société [9] de l’ensemble de ses prétentions et ont considéré que la maladie déclarée par M. [P] a été contractée dans les conditions mentionnées au tableau n°4 des maladies professionnelles.
Le jugement entrepris sera donc confirmé s’agissant de ce chef.
Sur la demande de faute inexcusable de la société [9] dans la maladie professionnelle déclarée par M. [P] :
Aux termes de l’article L.4121-1 du code du travail, ‘ l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes’.
L’article L. 4121-1 du code du travail, dispose que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».
Aux termes de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, ‘lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants’.
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il résulte de l’application combinée des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur et le fait qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, sont constitutifs d’une faute inexcusable.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie l’affectant; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu’elle ne revêt pas le caractère d’une faute intentionnelle, n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable.
Il incombe, néanmoins, au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l’employeur dont il se prévaut ; il lui appartient en conséquence de prouver, d’une part, que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d’autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l’employeur est une cause certaine et non simplement possible de la maladie.
En l’espèce, au soutien de ses demandes, la société [9] fait valoir que M. [P] n’apporte aucun élément de nature à démontrer qu’elle avait conscience du danger encouru par son salarié.
Il ressort cependant des pièces versées aux débats, et notamment du procès-verbal d’audition de Mme [V], chef d’agence, que la société [9] a :
– organisé par roulement le temps de travail des salariés en contact avec des hydrocarbures,
– mis à disposition des masques de protection des voies respiratoires ainsi que des gants spécifiques au maniement des hydrocarbures,
– recommandé un usage occasionnel de « l’adiblue »,
– suivi l’avis CHSCT qui préconisait, en 2014, que les salariés en contact avec des hydrocarbures ne puissent plus travailler plus de 2 heures consécutives dans ces conditions de travail, savoir dans un lieu clos en sous-sol d’un parking,
– émis une note d’information sur les risques liés à l’utilisation des produits chimiques en agence et qui indique « le port des gants et des lunettes de sécurité est obligatoire pour toute opération de transvasement de produits chimiques ».
Il résulte donc de l’ensemble de ces constations que la société [9] avait connaissance du danger encouru par ses salariés et qu’elle ne peut utilement soutenir l’inverse.
Par ailleurs, si elle considère que les aménagements décrits ci-dessus sont de nature à démontrer qu’elle a pris les mesures nécessaires concernant le risque lié à la manipulation de carburant, force est cependant de constater qu’elle ne justifie pas avoir évalué ou contrôlé la mise en ‘uvre de ses mesures compte tenu des risques encourus par les salariés ainsi que de son obligation de sécurité dont elle est débitrice en vers eux.
La société [9] produit également un premier dossier de formation relative à « la station- service privative » réalisée en 2015, ainsi qu’un second dossier spécifique au site Avis de [Localité 13] et dont la formation se serait déroulée au sein d’une station-service privatisée le 3 août 2015.
La lecture de ces documents permet cependant de constater que ces formations ne correspondent pas aux taches réalisées par M. [P] dans la mesure où elles ne concernent que les règles de sécurités spécifiques applicables au sein d’une station-service et, qu’en tout état de cause, elles ne correspondent ni au type d’emploi exercé par M. [P], ni même à ses conditions de travail (milieu clos et artificiellement ventilé). De surcroit, la société [9] n’apporte aucun élément, tel qu’une liste d’émargement, de nature à démontrer que M. [P] ait participé à ces formations et ce nonobstant leurs caractères inadaptées.
Il résulte donc de l’ensemble de ces constatations que la société [9] avait conscience du danger auquel était soumis M. [P] et qu’elle a commis un manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle elle est tenue à l’égard de ses salariés.
Il convient, en conséquence, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur relativement à sa maladie professionnelle objectivée par le certificat du 10 mai 2017.
Sur la demande d’expertise :
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de faire droit à la demande d’expertise formulée par M. [P] afin de déterminer les préjudicie expressément énumérés par l’article l. 452-3 du code de la sécurité sociale et ceux non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Sur la demande de provision :
Aux termes de ses dernières écritures, M. [P] demande à ce que la société [9] soit condamnée à lui verser une provision de 5 000 euros de dommages et intérêts à valoir sur la réparation définitive de son préjudice.
En l’espèce, si M. [P] démontre le caractère professionnel de sa maladie et la faute inexcusable commise par son employeur, de sorte que l’obligation de la société [9] à son égard n’est pas sérieusement contestable, force est cependant de constater que M. [P] ne produit aucun élément permettant de connaitre ni l’étendue des préjudices invoqués, ni même leurs natures.
Il est en outre constant qu’une expertise a été ordonnée de sorte que ces questions indemnitaires seront tranchées lors d’une nouvelle audience.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, il convient par conséquent de rejeter la demande de provision formulée par M. [P].
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort;
Confirme le jugement rendu le 19 juillet 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes en ce qu’il a dit que la maladie dont est atteint M. [X] [P] est d’origine professionnelle,
Infirme toutes les autres dispositions du jugement rendu le 19 juillet 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes,
Et statuant à nouveau,
Juge que la société [9] a commis une faute inexcusable dans la maladie professionnelle déclarée par M. [X] [P],
Avant dire droit sur la réparation des préjudices de M. [X] [P] non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et résultant de la faute inexcusable de son employeur,
Ordonne, avant dire droit, une expertise médicale confiée au docteur
[Adresse 10]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Tél : [XXXXXXXX01] – Port. : 06.99.80.26.71 Mèl : [Courriel 11]
avec pour mission de:
– examiner M. [X] [P] demeurant [Adresse 7], [Localité 4],
– recueillir tous les documents médicaux ainsi que les renseignements nécessaires sur la situation de M. [X] [P], les conditions de son activité professionnelle, son statut et/ou sa formation, son mode de vie antérieur à l’accident et sa situation actuelle,
– décrire les lésions initiales subies en lien direct avec la maladie professionnelle déclarée le 10 mai 2017, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d’hospitalisation et la nature des soins,
– préciser les éléments des préjudices limitativement listés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale:
* les souffrances endurées temporaires et/ou définitives en décrivant les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies par M. [X] [P], en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif, et en évaluant distinctement les préjudices temporaires et définitifs sur une échelle de 1 à 7,
* le préjudice esthétique temporaire et/ou définitif, en donnant un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique, en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif, et en évaluant distinctement les préjudices temporaires et définitifs sur une échelle de 1 à 7,
* le préjudice d’agrément, en indiquant, notamment à la vue des justificatifs produits, si M. [X] [P] est empêché en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir,
* la perte de chance de promotion professionnelle, en indiquant s’il existait des chances de promotion professionnelle qui ont été perdues du fait des séquelles fonctionnelles,
– préciser les éléments des préjudices suivants, non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale :
* le déficit fonctionnel temporaire, en indiquant les périodes pendant lesquelles la victime a été, pour la période antérieure à la date de consolidation, affectée d’une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, ainsi que le temps de l’hospitalisation,
* l’assistance par tierce personne avant consolidation, en indiquant le cas échéant si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire, avant consolidation, pour effectuer des démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne, en précisant la nature de l’aide prodiguée et sa durée quotidienne,
* les préjudices permanents exceptionnels et le préjudice d’établissement, en recherchant si la victime a subi, de manière distincte du déficit fonctionnel permanent, des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents et un préjudice d’établissement,
– établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission,
Dit que l’expert pourra s’adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d’en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l’avis du sapiteur à son rapport, et que si le sapiteur n’a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l’expert,
Dit que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions de l’article 232 et 248 et 263 à 284 du code de procédure civile, qu’il pourra en particulier recueillir les déclarations de toutes personnes informées, en présence des parties ou elles dûment convoquées, en leurs observations et explications et y répondre,
Dit que l’expert se fera remettre tous documents, recueillera toutes informations et procédera à toutes constatations de nature à éclairer les questions à examiner,
Ordonne la consignation par la caisse primaire d’assurance maladie du Gard auprès du régisseur de la Cour :
RIB : 10071 30000 00001002659 34 TPNIMES
IBAN : FR76 1007 1300 0000 0010 0265 934 TRPUFRP1
dans les deux mois de la notification du présent arrêt de la somme de 600 euros à valoir sur la rémunération de l’expert,
Dit que l’expert déposera son rapport dans les quatre mois de sa saisine au greffe de la Cour d’appel de Nîmes et au plus tard le 1er avril 2023 et en transmettra copie à chacune des parties,
Désigne M. [T] président ou son délégataire en qualité de magistrat chargé du contrôle de l’expertise,
Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Gard avancera les sommes allouées au titre de la majoration de la rente, de l’indemnité provisionnelle et de l’indemnisation de ses préjudices ainsi que des frais d’expertise,
Renvoie l’affaire à l’audience du 09 Mai 2023 à 14h00,
Dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation des parties à cette audience,
Déboute pour le surplus,
Déclare le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d’assurance maladie du Gard,
Sursoit à statuer sur les demandes formées au titre de l’article au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens.
Arrêt signé par Monsieur ROUQUETTE-DUGARET, Président et par Madame DELOR, Greffière.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT