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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 SEPTEMBRE 2022
N° RG 20/00378
N° Portalis DBV3-V-B7E-TXYP
AFFAIRE :
[A] [L]
C/
SAS DOTSCREEN
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Décembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de Nanterre
N° Section : Encadrement
N° RG : F 16/00927
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Mélina PEDROLETTI
Me Véronique LESNE BERNAT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, fixé au 16 Février 2022, prorogé au 30 mars 2022, puis au 11 mai 2022, puis au 08 juin 2022, puis au 06 juillet 2022, et au 14 septembre 2022 et différé au 15 septembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Madame [A] [L]
née le 07 Juillet 1978 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – Représentant : Me Anne-Sophie FEDIDE de la SCP CABINET CUSSAC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P45
APPELANTE
****************
SAS DOTSCREEN
N° SIRET : 531 065 936
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Véronique LESNE BERNAT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0528
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 décembre 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
EXPOSE DU LITIGE :
A compter du 2 novembre 2012, Madame [A] [L] a été engagée en qualité de chef de projet / designer interactif par la société par actions simplifiée Dotscreen, suivant contrat de travail durée indéterminée daté du 26 octobre précédent.
La relation de travail entre les parties était régie par la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite Syntec). La société emploie au moins onze salariés.
A compter du 3 décembre 2013, Madame [L] a été placée en arrêt de travail, lequel a fait l’objet de prolongations successives.
A compter du 29 mars 2014, elle s’est vu délivrer différents arrêts de travail successifs pour maladie professionnelle puis, à compter du 7 juillet 2014, pour accident du travail.
Le 29 avril 2014, elle a été déclarée inapte à son poste de travail à l’issue d’un examen unique, le médecin du travail se référant à un danger immédiat.
Par requête reçue au greffe le 10 juin 2014, Madame [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin notamment de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et ;obtenir le paiement de diverses sommes.
En parallèle, par courrier daté du 8 décembre 2014, elle a été convoquée à un entretien préalable de licenciement, lequel s’est déroulé le 18 décembre suivant.
Par courrier daté du 23 décembre 2014, elle s’est vu notifier son licenciement pour inaptitude à son poste de travail et impossibilité de reclassement.
Par jugement de départage du 20 décembre 2019, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre, section encadrement, a :
– dit n’y avoir lieu à prononcer la résiliation judiciaire aux torts de la société ;
– dit que le licenciement pour inaptitude de la salariée était fondé sur une cause réelle et sérieuse; – débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné la salariée à payer à la société une somme de 13.305,15 euros à titre de remboursement des indemnités journalières de sécurité sociale perçues du 16 janvier au 23 décembre 2014, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
– condamné la salariée à payer à la société la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration au greffe du 10 février 2020, Madame [L] a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 20 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, elle expose notamment que :
– Monsieur [Y], alors qu’il était dirigeant de la société, ne l’a pas protégée après qu’elle l’a informée de sa situation et des faits de harcèlement moral et sexuel commis par son supérieur hiérarchique, Monsieur [M], alors qu’elle était confrontée à une situation de stress insupportable ;
– la société n’a accompli aucun effort pour la reclasser avant de procéder à son licenciement ;
– antérieurement à la conclusion de son contrat de travail avec l’intimée, elle avait déjà travaillé sous les ordres de Monsieur [M] au sein des sociétés Visiware et Mediatvcom, ses fonctions pour le compte de cette dernière l’ayant amenée à travailler au sein de la société intimée ;
– elle était placée sous l’emprise psychologique de Monsieur [M], lequel lui a adressé différents courriers électroniques non professionnels dont elle n’a pas compris le sens, a formulé des allusions et remarques déplacées la concernant, lui a demandé de lui fournir des photographies d’elle et l’a photographiée à son insu (y compris dans la rue) avant de lui envoyer les photos par courrier électronique, l’a isolée professionnellement, outre son comportement à son égard à l’occasion de différents évènements ;
– en conséquence du refus de ses avances, Monsieurs [M] a organisé une dégradation de ses conditions de travail ;
– le comportement de Monsieur [M] a eu des répercussions sur sa santé, ainsi qu’elle en justifie par la production d’éléments médicaux ;
– les faits de harcèlement moral et sexuel dont elle a été victime caractérisent un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat et justifient la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de ce dernier.
Elle demande donc à la cour de :
– infirmer le jugement ;
– fixer sa dernière rémunération brute mensuelle à 3.750 euros ;
– rectifier le solde de tout compte et intégrer l’ancienneté au 19 mai 2010 et le bulletin de paie du 27 décembre 2014, sous astreinte ;
– “prononcer l’existence de manquements graves” (sic) de l’employeur dans l’exécution de la relation contractuelle “et l’absence” (sic) ;
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail ;
– à défaut, constater l’irrégularité du licenciement, sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
– condamner la société à payer les sommes suivantes :
– 3.750 euros bruts à titre de rappel de salaire pour le mois de mai 2014 ;
– 375 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
– 11.250 euros nets à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 1.125 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
– 45.000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 22.500 euros nets à titre d’indemnité pour harcèlement moral ;
– 22.500 euros nets à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel ;
– 10.000 euros bruts pour dommages et intérêts pour manquements aux obligations de l’article L. 4121-1 du code du travail ;
En tout état de cause,
– condamner la société à payer la somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– assortir ces condamnations de l’intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil ;
– condamner la société aux dépens.
En réplique, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 24 juillet 2020 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Dotscreen, intimée, soutient en substance que :
– les sociétés Visiware, Mediatvcom et Dotscreen ne constituent pas une entité juridique et économique commune, de sorte que l’appelante ne saurait, d’une part, se prévaloir d’une reprise d’ancienneté au titre de ses expériences au sein de chacune de ces sociétés et, d’autre part, soutenir que des solutions de reclassement devaient être recherchées au sein de ces trois sociétés;
– la salariée procède à un exposé partial des faits, ses allégations n’étant que rarement corroborées par des pièces versées aux débats, les pièces produites ne correspondant par à la situation décrite;
– les éléments de preuve produits par l’appelante sont inopérants ou dépourvus de pertinence ;
– dans la mesure où les faits de harcèlements moral et sexuel allégués par la salariée ne sont pas établis, la résiliation judiciaire de son contrat de travail ne saurait être prononcée ;
– à titre subsidiaire, elle a tenté de procéder au reclassement de la salariée en prenant attache avec la médecine du travail après sa déclaration d’inaptitude à son poste de travail ;
– les accusations calomnieuses proférées par l’appelante lui portent atteinte et caractérisent un comportement malicieux, constitutif d’un abus du droit d’agir ;
– l’appelante a perçu cumulativement son salaire maintenu et les indemnités journalières de la sécurité sociale entre le 16 janvier et le 23 décembre 2014, celle-ci s’étant abstenue de lui transmettre son attestation de paiement remise par la caisse primaire d’assurance maladie, en dépit de sa demande.
Par conséquent, elle demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il rejette la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ;
– débouter l’appelante de sa demande formulée au titre des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail à titre de dommages et intérêts pour non-prévention des actes de harcèlement sexuel et moral ;
– débouter l’appelante de ses demandes d’indemnité pour harcèlement moral et harcèlement sexuel ;
– débouter l’appelante de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– débouter l’appelante de sa demande d’indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis ;
A titre subsidiaire,
– dire que le licenciement de la salariée pour inaptitude et impossibilité de reclassement est régulier dans la forme et dans le fond ;
En conséquence,
– débouter l’appelante de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En toute hypothèse,
– débouter la salariée de sa demande de rappel de salaire du mois de mars et des congés payés y afférents à hauteur de 3.750 euros et 375 euros ;
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il n’a pas fait droit à ses demandes reconventionnelles;
Y ajoutant et reconventionnellement,
– condamner l’appelante à lui payer :
– 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son honorabilité et à sa réputation ;
– 3.000 euros à titre d’amende civile sur le fondement des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
– 13.303,15 euros au titre du remboursement des indemnités journalières de sécurité sociale perçues nettes de CSG et de CRDS du 16 janvier au 23 décembre 2014 ;
– 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 17 novembre 2021.
MOTIFS :
Sur le remboursement des indemnités journalières de sécurité sociale :
Aux termes de l’article 1235, alinéa 1er du code civil en sa rédaction en vigueur jusqu’au 1er octobre 2016, tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition.
Par ailleurs, selon l’article 2224 du code du civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En outre, il résulte des dispositions de l’article L. 1226-11 du code du travail, que si le salarié n’est pas reclassé dans l’entreprise à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail ou s’il n’est pas licencié, l’employeur est tenu de verser à l’intéressé, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension de son contrat de travail ; dans l’hypothèse où le salarié perçoit des indemnités journalières de sécurité sociale, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l’employeur doit verser au salarié, la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par un organisme de sécurité sociale en raison de l’état de santé du salarié relevant des seuls rapports entre ces derniers.
Enfin, la charge de la preuve du paiement du salaire et de ses accessoires incombe à l’employeur qui se prétend libéré.
En l’espèce, il résulte de l’attestation de paiement des indemnités journalières pour la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2014 que :
– du 1er au 15 janvier 2014, elle a été indemnisé au titre de la maladie, ce paiement ayant été effectué à son employeur dans le cadre de la subrogation ;
– du 16 janvier au 25 avril 2014, elle a perçu une somme de 3.948 euros (après déduction de la CSG et de la CRDS) à titre d’indemnités pour maladie ;
– du 2 mai au 31 décembre 2014, elle a perçu une somme de 9.633,12 euros (après déduction de la CSG et de la CRDS) à titre d’indemnités pour maladie.
S’agissant de la période antérieure à sa déclaration d’inaptitude à son poste de travail et comprise entre le 16 janvier et le 29 avril 2014, la salariée conteste avoir perçu le versement d’une rémunération par son employeur, en complément des indemnités journalières qui lui ont été versées par la caisse primaire d’assurance maladie.
Bien que l’employeur soutienne qu’il a effectivement versé la rémunération de la salariée au cours de cette période, il ne produit aucun élément probant au soutien de ses affirmations (le tableau récapitulatif qu’il a établi de façon unilatéralement étant dépourvu de force probante).
L’intimée n’est donc pas fondée à solliciter le remboursement des sommes qu’elle prétend avoir versées à la salariée pour cette période.
S’agissant de la période postérieure à la déclaration d’inaptitude de la salariée le 29 avril 2014, il convient de préciser que l’employeur était tenu de reprendre le versement du salaire au bénéfice de l’appelante à compter du 28 mai 2014, à défaut de l’avoir reclassée ou licenciée dans le délai d’un mois à compter de la constatation de son inaptitude au travail. La cour précise en particulier que la précision de son avis apportée par le médecin du travail et la procédure engagée par la société auprès de la caisse primaire d’assurance maladie ne sont pas de nature à entraîner un report du délai de d’un mois prévu par l’article L. 1226-11 du code du travail.
Ainsi, indifféremmment des circonstances propres à la présente espèce avancées par l’employeur, ce dernier n’est pas fondé à réclamer le remboursement des salaires versés à la salariée pour la période postérieure au 28 mai 2014.
S’agissant de la période comprise entre le 29 avril et le 28 mai 2014 (pour laquelle aucun versement de rémunération n’était dû à la salariée), l’employeur ne démontre pas qu’il a versé son salaire à l’appelante.
Il n’y a donc pas lieu d’ordonner à cette dernière de rembourser les sommes demandées par l’intimée.
Enfin, alors que la salariée conteste avoir perçu sa rémunération pour le mois de mai 2014, l’employeur ne justifie pas lui avoir versé de rémunération pour cette période.
Il y a donc lieu de condamner la société à lui verser une somme de 340,91 euros à titre de rappel de salaire, pour la période comprise entre le 28 et le 31 mai 2014, outre une somme de 34,10 euros au titre des congés payés y afférents.
Le jugement déféré sera donc infirmé, d’une part, en ce qu’il condamne l’appelante à payer à la société une somme de 13.305,15 euros à titre de remboursement des indemnités journalières de sécurité sociale perçues du 16 janvier au 23 décembre 2014, avec intérêts au taux légal à compter du jugement et, d’autre part, en ce qu’il déboute la salariée de sa demande de rappel de salaire pour le mois de mai 2014.
Sur le harcèlement moral :
Selon l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du code du travail en sa rédaction en vigueur du 1er mai 2008 au 10 août 2016 mentionne que, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, la cour relève qu’un certain nombre de faits rapportés par la salariée (remarques déplacées formulées par oral, contacts physiques, “comportements bizarres”, suggestion d’expatriation…) ne sont confortés par aucun élément extérieur (ou s’appuient sur des pièces librement interprétées par la salariée, tel qu’il résulte notamment des mentions manuscrites qu’elle a portées sur un certain nombre de courriers électroniques qu’elle verse aux débats), de sorte que leur matérialité n’est pas établie.
En revanche, les pièces produites par la salariée démontrent que :
– Monsieur [M] lui a, à plusieurs reprises, adressé des photographies d’elle, prises manifestement à son insu sur son lieu de travail ou dans un lieu public (le 5 décembre 2012, le 15 janvier 2013, le 18 janvier 2013, le 1er février 2013, le 13 février 2013) et lui a demandé des photographies lorsqu’elle lui a indiqué qu’elle assisterait à un mariage (le 2 juin 2013) ;
– Monsieur [M] lui a adressé différents courriers électroniques équivoques (le 10 décembre 2012, un extrait de programme de télévision mentionnant une émission intitulée “Sexe, salafistes et printemps arabes” ; le 22 décembre 2012, un courrier électronique indiquant “je ne sais pas si tu as la sensation…”, le 18 janvier 2013, un courrier électronique visant à expliquer pourquoi il ne faut pas montrer du doigt ; le 26 avril 2013, un courrier électronique présentant l’émission “Les secrets du Sahara” ; le 19 juin 2013, un courrier électronique par lequel M. [M] fournit une définition de poste à la salariée en lui indiquant que “la mise à disposition d’une café (…) et le port de l’uniforme ne font pas partie des demandes”, le 12 juillet 2011, un courrier électronique par lequel Monsieur [M] lui écrit “merci tu es une perle !”…) ;
– Monsieur [M] lui a adressé par courrier électronique différentes invitations à déjeuner ou prendre un petit-déjeuner (le 17 mars 2013, le 16 avril 2013, le 21 mai 2013, le 28 mai 2013…);
– Monsieur [M] lui a adressé le 31 décembre 2012 un courrier électronique intitulé “Bonne Année !!!” par lequel il lui souhait notamment de “porter de vraies ceintures”, d’ “avoir des cheveux encore plus lisses qu’en 2012”, d’ “avoir des talons encore plus hauts qu’en 2012” ;
– Monsieur [M] lui a adressé un courrier électronique le 21 septembre 2012 une photographie de Madame [R], dirigeante de la société Yahoo, en indiquant “la photo dont nous parlions”;
– Monsieur [M] lui a fait suivre le 7 novembre 2012 un courrier électronique par lequel un salarié de la société formulait une remarque à connotation misogyne (“Ah oui je suis sur que c’est une nana ! Loin de moi l’idée d’y voir un lien de cause à effet (mince, [A] n’a pas entendu…. 😉 )” ;
– Monsieur [M] lui a adressé un courrier électronique le 27 mars 2014 en l’informant notamment de la cessation de prise en charge de son arrêt de travail ;
– Monsieur [M] lui a fait suivre le 26 février 2013 un message par lequel une personne lui adressait sa candidature pour un poste au sein de la société ;
– dans le cadre d’un échange de courriers électroniques entre le 30 août et le 2 septembre 2013, elle a correspondu directement avec Monsieur [K], directeur des opérations de la société, Monsieur [M] n’étant intervenu que tardivement dans ces échanges ;
– elle a eu connaissance de ce que la société avait adressé un courrier à son médecin, en reprochant à ce dernier de considérer que son affection résultait d’une origine professionnelle ;
– elle a indiqué à Monsieur [M], par courrier du 16 octobre 2013, qu’elle “n’a[vait] pas à subir dans un cadre professionnel des gestes, comportements, paroles et attitudes déplacés” ;
Par ailleurs, la salariée produit différentes attestations, par lesquelles :
– Madame [J] [X] reproche à Monsieur [M] d’avoir exercé “des comportements coercitifs et manipulateurs” lorsqu’elle travaillait pour la société au cours de l’année 2011, d’avoir commenté régulièrement ses tenues vestimentaires, d’avoir évoqué en termes négatifs ses capacités professionnelles et de lui avoir demandé de lui envoyer une photo d’elle lorsqu’elle était à Singapour ;
– Monsieur [U] [S], qui indique avoir travaillé pour la société entre les mois de mars 2011 et juin 2013, qualifie Monsieur [M] de “menteur, (…) manipulateur et (…) pervers qui profite de la faiblesse des gens”, mentionne avoir “été choqué des propos qu’il tenait contre des collègues féminines notamment Melle [X] et Melle [L]” et que cette dernière lui avait fait part, au mois de juin 2013, de ce qu’elle “était très perturbée du comportement amoral de M. [M] et de la pression qu’il lui faisait subir” ;
– Monsieur [O] [W] qui indique en pas avoir “en mémoire de faits précis” concernant sa relation de travail avec Monsieur [M] (de 2001 à 2006 et de 2010 à 2012) mais indique que ce dernier avait la réputation “de systématiquement dénigrer ses subordonnés auprès des autres, et dans leur estime personnelle”, d’être un “menteur pathologique” et d’”insult[er] parfois ses collaborateurs : salope, gros nul, pisseur de code”, en veillant à ne pas laisser de trace écrite.
Par ailleurs, l’appelante verse aux débats plusieurs certificats médicaux qui indiquent qu’elle souffre d’une affectation d’origine professionnelle et font état d’un “stress post traumatique” (certificat du 25 mai 2014), d’un comportement abusif subi et de “stress post-traumatique” (certificats des 28 mars 2014 du 2 mai 2014).
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence du harcèlement moral allégué par la salariée.
En réplique, la société fait valoir :
– que l’attestation établie par Madame [X] procède d’un témoignage mensonger, au vu du message de remerciement qu’elle a adressé le 21 mai 2012 à Monsieur [M] (après que celui-ci lui a adressé une lettre de recommandation) et dans la mesure où elle a elle-même pris l’initiative d’envoyer des photographies à ce dernier, outre le fait qu’elle ne peut avoir été témoin des faits rapportés par l’appelante, en ce qu’elle n’a travaillé avec la société qu’entre les mois de mars et août 2011 ;
– que les attestations établies par Monsieur [S] et Monsieur [W] ne font état d’aucun fait précis dont leurs auteurs auraient été témoins, s’agissant des faits allégués par la salariée ;
– l’envoi d’extraits de programmes de télévision visait à exposer le travail réalisé par la société concurrence Télé Loisirs ou par le magazine Télé Star, édité par la société et ne comportaient aucune connotation raciste ;
– le courrier électronique par lequel Monsieur [M] demandait à la salarié “je ne sais pas si tu as la sensation…” faisait référence au décodeur “Sensation” de la société Bouygues Télécom ;
– Monsieur [M] a lui-même transmis à Madame [L] les photographies qu’il a prises d’elle, lesquelles sont d’une grande banalité et n’ont pas été prises à son insu, la salariée lui ayant également envoyé des photographies ;
– les cinq invitations à prendre un petit-déjeuner adressées par Monsieur [M] à l’appelante visaient à organiser des réunions de travail ;
– l’échange de courriers électroniques entre le 30 août et le 2 septembre 2013 par lequel la salarié communiquait directement avec Monsieur [K], dirigeant de la société, ne révèle aucune situation anormale et ne saurait suffire à caractériser une “placardisation” ;
– à l’occasion des échanges de courriers électroniques du 16 octobre 2013, Monsieur [M] a répondu de manière courtoise à la salariée qui faisait preuve d’agressivité dans ses écrits, en lui indiquant qu’il était à sa disposition pour échanger sur les comportements déplacés dont elle faisait état ;
– par courrier du 27 mars 2014, Monsieur [M] a invité la salariée à contacter le dirigeant de la société, la personne en charge de la société ou lui-même pour évoquer la question de la cessation de son maintien de salaire, au vu des règles applicables ;
– elle était fondée à écrire au médecin traitant de la salariée pour lui indiquer qu’il utilisait de manière erronée un formulaire propre aux maladies d’origine professionnelle.
Au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties, l’employeur justifie que l’envoi d’un certain nombre de messages à la salariée était justifié par l’exercice de ses missions ou sa situation professionnelle (échange de courriers électroniques des 30 août au 2 septembre 2013, échanges relatifs à la gestion de son arrêt de travail., échanges avec le médecin de la salariée concernant l’origine professionnelle ou non de l’affectation de la salariée..).
Un certain nombre de faits allégués par la salariée apparaissent par ailleurs compatibles avec une ambiance de travail peu formelle (courrier électronique tournant en dérision le pointage du doigt, invitation à prendre un petit-déjeuner dans le cadre professionnel, courrier électronique par lequel Monsieur [M] lui indique que “la mise à disposition d’une café (…) et le port de l’uniforme ne font pas partie des demandes” inhérentes à ses fonctions…).
Cela étant, différents messages matériellement établis n’apparaissent pas conventionnels, indifféremment du degré de familiarité entre Monsieur [M], tel qu’il est avancé par la société. Ainsi, l’employeur n’apporte pas d’éléments permettant de démontrer en quoi un certain nombre d’agissement commis par Monsieur [M] étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement :
– la société ne fournit aucun argument crédible pour justifier la signification du message “je ne sais pas si tu as la sensation…” envoyé le 22 décembre 2012 par Monsieur [M] à la salariée ;
– la société ne fournit aucune explication à la transmission par Monsieur [M] à la salariée le 7 novembre 2012 d’un courrier électronique contenant une remarque à connotation misogyne formulée par un autre salarié (“Ah oui je suis sur que c’est une nana ! Loin de moi l’idée d’y voir un lien de cause à effet (mince, [A] n’a pas entendu…. 😉 )” ;
– il n’est pas établi que la salarié avait consenti à être photographiée par son responsable hiérarchique sur son lieu de travail et dans la rue, cette pratique apparaissant par ailleurs dans un contexte où ce dernier lui demandait régulièrement de lui remettre des photographies.
Par ailleurs, s’il y a lieu de douter de la crédibilité de l’attestation établie par Madame [X] au vu des éléments dont fait état la société et alors que l’attestation produite par Monsieur [W] ne fait pas état de faits auxquels il a personnellement assisté, l’attestation de Monsieur [S] laisse apparaître, d’une part, que l’appelante s’était plainte de sa situation au mois de juin 2013 auprès de lui et, d’autre part, que Monsieur [M] pouvait se comporter de manière anxiogène.
Par leur caractère répété, les faits précités ont été de nature à créer un climat de travail oppressant, qui ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail de la salariée et ont porté atteinte à ses droits et à sa dignité et altérer sa santé physique ou mentale (au vu des éléments médicaux versés aux débats).
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il est établi que la salariée a été victime de faits de harcèlement moral.
Au vu du préjudice subi par la salariée, elle sera justement indemnisée par le versement d’une somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Le jugement sera donc infirmé sur ces deux points.
Sur le harcèlement sexuel :
La cour relève que la salariée ne distingue, dans les faits dont elle fait état, entre les agissements relevant du harcèlement sexuel et ceux relevant du harcèlement moral, lequel justifie par ailleurs la condamnation de l’employeur au versement de dommages et intérêts.
De même, la salariée ne démontre aucunement des préjudices qui auraient été distinctement causés par les faits de harcèlement moral et sexuel.
En tout état de cause, il y a lieu de relever que ses allégations concernant les comportements à connotation spécifiquement sexuelle de son responsable hiérarchique ne sont étayés par aucun élément permettant d’en établir la matérialité.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il déboute la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel.
Sur les dommages et intérêts pour manquements aux obligations de l’article L. 4121-1 du code du travail :
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
En l’espèce, il est établi que la salariée a été victimes de faits de harcèlement moral.
En tout état de cause, alors que l’appelante justifie avoir adressé différentes plaintes à son employeur (par un courrier électronique du 16 octobre 2013 faisant notamment état de comportements déplacés adressé à Monsieur [M] ainsi que par deux courriers adressés à la société les 18 avril et 4 juillet 2014 ), la société ne justifie pas avoir pris de mesure visant à assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale.
Ce manquement de l’employeur à son obligation de prévention et de sécurité a été de nature à causer un préjudice à la salariée, compte tenu de la dégradation de son état de santé du fait des agissements qu’elle a subis.
La société sera donc condamnée à lui verser une somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par ses manquements aux obligations de l’article L. 4121-1 du code du travail.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il déboute la salariée de ce chef.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service et que ce dernier le licencie, le juge doit rechercher si la demande était justifiée ; si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement.
En l’espèce, il est établi que la salariée a été victime de faits de harcèlement moral dans le cadre de son activité au service de l’intimée.
Les différents agissements rapportés par la salariée et dont la matérialité est caractérisée démontrent le caractère continu des manquements de la société à son obligation de sécurité, laquelle a conduit à son placement en arrêt de travail et à sa déclaration d’inaptitude.
La gravité des faits ainsi commis par l’employeur résulte tant des faits commis par le responsable hiérarchique de la salarié que de l’abstention de la société pour prévenir leur commission. La cour relève notamment que la société ne fournit aucune réponse aux courriers datés des 18 avril et 4 juillet 2014 par lequel l’appelante mettait explicitement en cause Monsieur [M].
Les faits ainsi établis étant d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, il convient donc de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de l’appelante au 27 décembre 2014, date à laquelle son contrat de travail a été rompu.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il déboute la salariée de ce chef.
Sur les effets de la résiliation judiciaire :
La résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée en raison des faits de harcèlement moral qu’elle a subis produisant les effets d’un licenciement nul, celle-ci est fondée à percevoir le versement de différentes sommes.
S’agissant de l’ancienneté de la salarié, il convient de relever que les sociétés Visiware et Mediatvcom constituent des entités distinctes de la société intimée, de sorte qu’elle ne saurait prétendre à une reprise d’ancienneté au titre de ses expériences au sein de ces dernières.
En ce qui concerne la rémunération moyenne mensuelle brute, il convient de constater que celle-ci s’élève à 3.750 euros, au vu de la rémunération mensuelle de 3.750 euros contractuellement convenue entre les parties le 26 octobre 2012 et en l’absence de contestation de l’employeur sur ce point.
Dans la mesure où elle n’a pu accomplir son préavis d’une durée de trois mois prévu par l’article 15 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, la salariée sera justement indemnisée par le versement d’une somme de 11.250 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre une somme de 1.125 euros au titre des congés payés y afférents.
Compte tenu des circonstances de la rupture et de son ancienneté de deux ans et un mois au moment de celle-ci, la salariée sera justement indemnisée par le versement d’une somme de 22.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il déboute la salariée de ces chefs.
Sur les demandes de dommages et intérêts pour atteinte à l’honorabilité et à la réputation de la société et d’amende civile :
Il convient de débouter la société de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son honorabilité et à sa réputation, l’action exercée par la salariée étant fondée par les faits matériellement constatés.
Pour la même raison, il n’y a pas lieu de prononcer d’amende civile à l’encontre de l’appelante.
Sur les autres demandes :
Dans la mesure où elle n’est pas fondée à se prévaloir d’une reprise de l’ancienneté acquise auprès de ses précédents employeurs, la salariée sera déboutée de ses demandes de rectification du solde de tout compte et du bulletin de paie sur ce point.
Les intérêts au taux légal avec capitalisation sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil sur les sommes susvisées seront dus dans les conditions précisées au dispositif.
Il y a lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et d’allouer à ce titre une somme de 4.000 euros à la salariée.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire :
Infirme le jugement rendu le 8 avril 2019 par le conseil de prud’hommes de Nanterre, sauf en ce qu’il déboute Madame [A] [L] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [A] [L] au 27 décembre 2014 ;
Fixe la rémunération mensuelle brute moyenne de Madame [A] [L] à une somme de 3.750 euros ;
Condamne la société par actions simplifiée Dotscreen à verser à Madame [A] [L] les sommes suivantes :
– 340,91 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période comprise entre le 28 et le 31 mai 2014 ;
– 34,10 euros bruts au titre des congés payés afférents au rappel de salaire ;
– 8.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– 11.250 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 1.125 euros bruts au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis ;
– 22.500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
– 4.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par ses manquements aux obligations de l’article L. 4121-1 du code du travail ;
– 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les intérêts au taux légal avec capitalisation en application de l’article 1343-2 du code civil sont dus sur la créance salariale (indemnité de préavis et congés payés) à compter du 16 juin 2014, date de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et à compter du présent arrêt pour les autres sommes ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société par actions simplifiée Dotscreen aux dépens de première instance et d’appel
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,