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L’appréciation de l’originalité d’une œuvre (contestée) ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens du code de procédure civile, relevant de la compétence du juge de la mise en état, mais doit être débattue par les juges du fond.
Aux termes de l’article 112 dudit code, constitue une fin de non- recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit à agir, tel que le défaut de qualité, défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. Conformément à l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Selon l’article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Il est constant que l’originalité d’une œuvre de l’esprit est traditionnellement entendue comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Il en résulte qu’elle est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droits d’auteur et non la condition de sa recevabilité (Com., 29 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.35) et constitue un moyen de défense au fond. |
→ Résumé de l’affaireM. [I] [S], compositeur de musique électronique, reproche à M. [E] [D], son ancien associé, de s’approprier les revenus de leurs créations musicales sans contrat d’édition. Il met en demeure la société Fake Music, dirigée par M. [D], de lui verser des sommes dues au titre de violation de ses droits d’auteur. M. [S] assigne ensuite M. [D] et Fake Music devant le tribunal judiciaire de Paris. Une procédure d’incident est engagée, avec des demandes d’irrecevabilité et d’indemnités de procédure de part et d’autre. La décision finale est attendue après plaidoirie le 6 février 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
[1] Le :
Copie certifiée conforme délivrée à : Me LAUTIER #B925, Me TOLEDANO #A859
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3ème chambre
1ère section
N° RG 22/10492
N° Portalis 352J-W-B7G-CXYIA
N° MINUTE :
Assignation du :
01 septembre 2022
INCIDENT
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 27 juin 2024
DEMANDEUR – DEFENDEUR A L’INCIDENT
Monsieur [I] [S]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Pierre LAUTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0925
DEFENDEURS – DEMANDEURS A L’INCIDENT
Monsieur [E] [D]
[Adresse 2]
[Localité 4]
S.A.R.L. FAKE MUSIC
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentées par Me Vincent TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0859
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
assistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière
DEBATS
A l’audience du 19 mars 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 16 mai 2024.
Le délibéré a été prorogé au 27 juin 2024.
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
M. [I] [S], connu sous le pseudonyme « Monomotion », est un compositeur de musique électronique. Il se présente comme l’auteur de dix-sept titres et le coauteur de douze titres exploités par la société Fake Music.
M. [E] [D], connu sous les pseudonymes « [E] [M] » ou « [M] », se présente comme un compositeur et producteur de musique électronique. Il est coauteur avec Monsieur [I] [S] de plusieurs titres.
La société Fake Music, constituée par MM. [S] et [D], a pour objet la diffusion et l’édition musicale. Par trois actes, enregistrés le 23 février 2015, M. [I] [S] a cédé ses parts sociales à M. [E] [D], depuis seul gérant de la société.
Reprochant à M. [D] de faire usage de son statut de gérant pour s’approprier inopportunément les revenus générés par les créations musicales en l’absence d’un contrat d’édition, M. [S] a mis en demeure, par courrier du 10 mai 2022, la société Fake Music et son gérant [E] [D], de lui verser différentes sommes au titre de la violation de ses droits d’auteur. Il réclame également la conclusion d’un contrat d’édition musicale pour le futur, la communication des redditions de compte des cinq dernières années et la cessation de toute exploitation des œuvres litigieuses.
Le 16 mai 2022, M. [D] répond à cette mise en demeure par une protestation.
Par acte de commissaire de justice du 1er septembre 2022, M. [I] [S] a fait assigner M. [D] et la société Fake Music devant le tribunal judiciaire de Paris
Par conclusions du 10 novembre 2023, M. [D] a saisi le juge de la mise en état d’un incident.
L’incident à été fixé au 6 février 2024 pour être plaidé.
Par conclusions d’incident notifiées par RPVA le 10 novembre 2023, Monsieur [E] [D] et la société Fake Music ont saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris aux fins de :
Juger [I] [S] irrecevable en toutes ses demandes ;Condamner [I] [S] à verser à [E] [D] et à la société Fake Music une indemnité de procédure de 3 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner [I] [S] aux entiers dépens ; Rappeler l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par conclusions d’incident notifiées par RPVA le 15 janvier 2024, Monsieur [I] [S] demande au juge de la mise en état, aux visas des articles 54, 56, 122, 700 et 789 du code de procédure civile, 1358 et 2219 du code civil, L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, de la jurisprudence produite, de :
Débouter Monsieur [E] [D] et la société Fake Music de l’ensemble de leurs demandes ;En conséquence :
Déclarer Monsieur [I] [S] recevable de son action ;En toutes hypothèses :
Condamner Monsieur [E] [D] et la société Fake Music solidairement à verser chacun à Monsieur ErolEngintalay la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ; Condamner Monsieur [E] [D] et la société Fake Music solidairement aux entiers dépens.
1- Sur l’irrecevabilité des demandes pour absence de preuve de l’originalité
Moyens des parties
M. [D] et la société Fake Music font valoir que M. [S] est irrecevable à agir sur le fondement du droit d’auteur dans la présente procédure aux motifs qu’il ne démontre pas en quoi les œuvres qu’il revendique sont originales.
M. [S] soutient que l’appréciation de l’originalité d’une œuvre n’est pas une fin de non-recevoir mais une condition de fond et, qu’à ce titre, il est recevable à agir sur le fondement du droit d’auteur. Le tribunal judiciaire de Paris bénéficie ainsi d’une compétence exclusive selon lui.
Réponse du juge de la mise en état
Aux termes de l’article 112 dudit code, constitue une fin de non- recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit à agir, tel que le défaut de qualité, défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Conformément à l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.
Selon l’article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Il est constant que l’originalité d’une œuvre de l’esprit est traditionnellement entendue comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Il en résulte qu’elle est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droits d’auteur et non la condition de sa recevabilité (Com., 29 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.35) et constitue un moyen de défense au fond.
De ce fait, l’appréciation de l’originalité de l’œuvre, contestée par M. [D] et la société Fake Music ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens du code de procédure civile, relevant de la compétence du juge de la mise en état, mais doit être débattue par les juges du fond.
2- Sur l’irrecevabilité des demandes pour absence de preuve de la qualité d’auteur et de mise en cause des coauteurs
Moyens des parties
M. [D] et la société Fake Music font valoir que M. [S] est irrecevable à agir en tant qu’il est au mieux le coauteur des titres revendiqués et qu’il lui incombait ainsi de mettre en cause ses coauteurs. Ils ajoutent que M. [S] ne produit pas les œuvres qu’il revendique.
M. [S] souligne qu’il est le seul auteur des dix-sept titres qu’il revendique et qu’il est donc libre de s’affranchir de la mise en cause de M. [D]. Il ajoute également que, en tout état de cause, M. [D] est partie à l’instance ce qui lui permet d’être représenté et informé des demandes relatives aux titres. Il considère que les œuvres litigieuses sont suffisamment identifiables grâce à la liste des titres établie par renvoi aux pièces et souligne que la demande tenant à l’identification des titres est mal fondée en ce qu’elle constitue une exception de procédure et non une fin de non-recevoir.
Réponse du juge de la mise en état
Aux termes de l’article 112 dudit code, constitue une fin de non- recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit à agir, tel que le défaut de qualité, défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l’esprit est appréciée par référence aux articles L.113-1 à L.113-10 du code de la propriété intellectuelle. Cette appréciation dépend de la question de l’originalité de l’œuvre en litige, dont il est jugé, ainsi que cela a été précédemment rappelé, qu’il s’agit d’une condition dont dépend le bien-fondé de l’action en contrefaçon, et non sa recevabilité. Il ne peut qu’en être déduit que la “qualité” d’auteur d’une œuvre doit de la même manière être regardée comme une condition dont dépend le bien-fondé de l’action en contrefaçon de droit d’auteur, et non sa recevabilité. Partant, la question de savoir si, comme le soutiennent M. [D] et la société Fake Music, M. [S] a la qualité d’auteur ou de coauteur, ce qui suppose de déterminer si l’œuvre est une œuvre de collaboration, propriété commune des parties au litige ou de coauteurs à mettre dans la cause, est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droit d’auteur et non une condition de sa recevabilité.
Les moyens tirés de l’absence d’originalité et de mise en cause des coauteurs, invoqués par M. [D] et la société Fake Music, ne sont pas des fins de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile et relèvent de la compétence non du juge de la mise en état, mais de celle du tribunal statuant au fond devant lequel ils sont renvoyés.
Enfin, M. [D] et la société Fake Music prétendent que M. [S] n’identifie pas les œuvres dont il se revendique l’auteur alors que l’identification des titres n’est pas un moyen qui constitue une fin de non-recevoir mais une exception de procédure, qui aurait dû être soulevée in limine litis, en application de l‘article 56, 2° du code de procédure civile.
3- Sur les dispositions finales
Les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens de l’incident sont réservés.
LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT,
Ordonne le renvoi au tribunal, sur le fondement des dispositions de l’article 789 6° du code de procédure civile, de l’examen de la fin de non-recevoir tirée de la recevabilité de M. [S] en ses demandes ;
Ecarte les moyens tirés de l’absence d’originalité de l’œuvre, de la qualité d’auteur et de mise en cause des coauteurs en tant qu’ils sont qualifiés de fin de non-recevoir et invite les parties à conclure au fond ;
Ordonne le renvoi de l’affaire à l’audience de mise en état dématérialisée du 15 octobre 2024 à 10h00 aux fins de conclusions responsives en défense des défendeurs avant le 15 septembre 2024 et éventuelle clôture ;
Réserve les dépens de l’incident et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
Faite et rendue à Paris le 27 juin 2024
La Greffière La Juge de la mise en état