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Texte intégral
Le Conseil constitutionnel,
Vu l’article 59 de la Constitution;
Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel;
Vu le code électoral ;
Vu 1° la requête présentée par M. Fernand Germain, demeurant route de Balata, à Fort-de-France (Martinique), ladite requête enregistrée le 15 mars 1973 au secrétariat général du Conseil constitutionnel, et tendant à ce qu’il plaise au Conseil statuer sur les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 4 mars 1973 dans la deuxième circonscription de la Martinique Pour la désignation d’un député à l’Assemblée nationale ;
Vu 2° la requête présentée par M. Edmond Valcin, demeurant route de Didier, à Fort-de-France (Martinique), ladite requête enregistrée le 15 mars 1973 à la préfecture de la Martinique, et tendant à ce qu’il plaise au Conseil constitutionnel statuer sur les mêmes opérations électorales ;
Vu les observations en défense présentées par M. Aimé Césaire, député, lesdites observations enregistrées le 6 avril 1973 au secrétariat général du Conseil constitutionnel ;
Vu les observations en réplique présentées par M. Valcin, lesdites observations enregistrées comme ci-dessus le 5 mai 1973 ;
Vu les observations en réplique présentées par M. Germain, lesdites observations enregistrées comme ci-dessus les 14 et 28 mai 1973 ;
Vu les observations en duplique présentées par M. Aimé Césaire, député, lesdites observations enregistrées comme ci-dessus les 15 et 21 mai 1973 ;
Vu les observations présentées par le Ministre des Départements et Territoires d’outre-mer, enregistrées le 12 juin 1973 au secrétariat général du Conseil constitutionnel ;
Vu les observations présentées par M. Aimé Césaire, enregistrée comme ci-dessus les 18 et 19 juin 1973 ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;
1. Considérant que les requêtes susvisées sont relatives aux mêmes opérations électorales ; qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Sur le grief relatif à la confection de la liste électorale :
2. Considérant que les requérants soutiennent que la municipalité de Fort-de-France a refusé d’avoir recours à un ordinateur pour la confection de la liste électorale, et que ce refus lui aurait permis des possibilités de fraude ; que M. Valcin se borne à citer, à l’appui de cette affirmation, le cas de deux électeurs décédés qui auraient été maintenus sur ladite liste ; qu’il résulte du dossier que le procès-verbal de clôture des opérations de révision de la liste électorale a été établi le 22 février 1973 et qu’il n’est allégué ni que ces opérations n’aient pas été entourées de la publicité requise par la loi, ni que les électeurs intéressés n’aient pas été en mesure d’exercer un recours contre elles dans les délais prescrits ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la confection de la liste soit entachée d’erreurs ou d’irrégularités résultant de manoeuvres de nature à fausser la sincérité du scrutin ;
Sur le grief relatif à la distribution des cartes électorales :
3. Considérant qu’il résulte du dossier qu’un mouvement de grève des services postaux a empêché l’envoi de ces cartes en temps utile par la voie postale ; qu’il n’est nullement établi que ce mouvement ait été suscité, comme le prétendent les requérants, par les partisans de M. Césaire en vue de leur permettre des manoeuvres dans la distribution des cartes ; qu’il n’est pas davantage établi que les employés municipaux aient procédé à cette distribution en faveur des seuls électeurs présumés favorables à M. Césaire ; que l’interruption de cette distribution trois jours avant le scrutin et la mise des cartes non distribuées à la disposition des électeurs intéressés à la mairie sont conformes aux prescriptions de l’article R. 25 du code électoral ; qu’il n’est pas contesté que des communiqués ont été largement diffusés par la presse, la radiodiffusion et la télévision pour aviser les électeurs de ce dépôt ; qu’il n’est fait état d’aucun électeur nommément désigné qui ait été empêché de voter faute de savoir dans quel bureau il était inscrit ; qu’au surplus la participation au scrutin a été normale ;
Sur les griefs relatifs à la campagne électorale :
4. Considérant, d’une part, qu’il est constant que des affiches en faveur de M. Césaire ont été abondamment apposées en dehors des emplacements réservés à l’affichage électoral ou même sur les emplacements réservés à d’autres candidats ; mais qu’il résulte de l’instruction que des infractions semblables ont été commises en faveur du principal adversaire de l’intéressé ;
5. Considérant, d’autre part, que les allégations relatives à la distribution d’un tract mensonger ou à l’utilisation de haut-parleurs installés sur des véhicules ne sont corroborées par aucun commencement de preuve ;
6. Considérant, enfin, que si des partisans de M. Césaire ont perturbé une réunion électorale de M. Valcin, il ne résulte pas de l’instruction que ces faits, pour regrettables qu’ils soient, aient été de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Sur les griefs relatifs au déroulement dit scrutin :
7. Considérant, en premier lieu, que si, dans trois bureaux de vote, les listes électorales ont été émargées par l’apposition d’un simple trait ou d’une lettre majuscule et non par ]à signature ou le paraphe prescrits par l’article R. 61 du code électoral, cette irrégularité est sans importance dès lors qu’aucune ambiguïté n’en résulte quant au nombre réel des votants ; qu’il ne résulte pas du dossier que les émargements n’aient pas été apposés par des membres du bureau ; qu’au surplus aucun des procès-verbaux ne mentionne d’observation relative aux émargements ;
8. Considérant, en second lieu, que si, dans quelques bureaux de vote, des électeurs ont été admis à voter sans justifier de leur identité par la présentation d’un document réglementaire et si le président du 5e bureau de Fort-de-France s’est opposé à ce que les assesseurs de ce bureau participent au contrôle des pièces d’identité, il ne résulte pas de l’instruction que ces irrégularités condamnables aient été, dans les circonstances de l’affaire, de nature à modifier le résultat du scrutin ;
9. Considérant, en troisième lieu, que deux personnes ont été admises à voter au 31e bureau de Fort-de-France et une personne au 53e bureau, alors qu’elles n’étaient pas inscrites sur la liste électorale ; qu’il y a lieu de retrancher deux suffrages au total des voix de M. Césaire, qui a obtenu la majorité dans le 31e bureau, et un suffrage au total des voix de M. Valcin, qui a obtenu la majorité dans le 53e bureau, et de rectifier en conséquence le calcul de la majorité absolue ; mais que ces opérations ne modifient pas les résultats de l’élection ;
10. Considérant, en quatrième lieu, que M. Valcin n’apporte aucune justification à l’appui de son affirmation selon laquelle un des assesseurs désignés par lui n’aurait pas été admis à siéger dans un bureau de vote, sans raison valable ; qu’il en est de même de l’allégation selon laquelle des électeurs auraient voté sans passer par l’isoloir ;
11. Considérant, enfin, que la circonstance que certains assesseurs désignés par M. Césaire aient porté des vêtements dont la couleur était celle des bulletins de ce candidat ou qui comportaient des inscriptions en sa faveur ne saurait être assimilée, dans les circonstances de l’espèce, à une pression de nature à influencer le corps électoral ;
Sur le grief relatif à la couleur attribuée aux bulletins de M. Germain :
12. Considérant qu’il ne résulte pas des spécimens versés au dossier que la couleur des bulletins établis au nom de M, Germain ait permis de les confondre avec ceux d’un autre candidat ; qu’il n’est pas allégué, au surplus, que les formalités prévues par l’article L.332 du code électoral quant à l’établissement par le préfet de la liste des couleurs et à leur attribution par tirage au sort n’ont pas été respectées ;
Sur les griefs relatifs au dépouillement et à l’établissement des procès-verbaux et documents annexes :
13. Considérant, d’une part, que si les portes des locaux des 32e et 48e bureaux de vote de Fort-de-France ont été fermées pendant le dépouillement du scrutin, il ne résulte pas de l’instruction que cette irrégularité ait permis des fraudes ; que les procès-verbaux de ces bureaux ne comportent aucune observation et sont revêtus de la signature des assesseurs et des délégués des candidats, dont il n’est pas allégué qu’ils n’aient pas assisté au dépouillement ;
14. Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’examen des feuilles de pointage que, dans la très grande majorité des bureaux, celles-ci n’ont pas été remplies par les scrutateurs de chaque table au fur et à mesure du dépouillement, conformément à l’article L. 65 du code électoral, mais après coup, pour l’ensemble du bureau, de manière d’ailleurs souvent défectueuse ou incomplète ; que, toutefois, ces feuilles ont été dans la plupart des cas signées par les scrutateurs, et qu’aucune observation n’a été formulée à l’encontre des chiffres portés par les procès-verbaux eux-mêmes, lesquels sont revêtus de la signature de l’ensemble des assesseurs et délégués des candidats, à quelques exceptions près ; qu’en particulier, si la feuille de pointage du 12e bureau de Fort-de-France paraît faire état, dans ses pages intérieures, d’ailleurs remplies de manière peu claire, de 238 voix seulement en faveur de M. Césaire, la récapitulation figurant en première page de cette feuille et les indications portées en lettres et en chiffres sur le procès-verbal proprement dit mentionnent en faveur de ce candidat 738 voix ; qu’il échet de retenir ce dernier nombre, seul cohérent avec les autres indications chiffrées d’un procès-verbal qui ne comporte aucune observation ;
15. Considérant, enfin, qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prescrit l’annexion au procès-verbal des enveloppes trouvées vides dans l’urne ; que si une soixantaine de bulletins nuls n’ont pas été annexés aux procès-verbaux et si quatre cents environ y ont été annexés sans être contresignés par les membres des bureaux, il n’est pas établi que ces irrégularités aient eu pour but et pour conséquence de porter atteinte à la sincérité du scrutin ; qu’au demeurant les bulletins et enveloppes annexés, mais non contresignés, correspondent dans l’ensemble à la description qui en est faite par les procès-verbaux ; que les requérants ne font état d’aucun cas précis où un bulletin aurait été déclaré nul à tort, et qu’aucune observation en ce sens ne figure à aucun procès-verbal ; que, dès lors, conformément au dernier alinéa de l’article L. 66 du code électoral, il y a lieu de rejeter le grief ;
Sur le grief tiré des conditions du recensement général des votes dans la commune de -Fort-de-France :
16. Considérant qu’il résulte des rapports établis par les deux commissions de contrôle des opérations de vote instituées à Fort-de-France que les opérations de récapitulation confiées par l’article R. 69 du code électoral au 1e bureau constitué en bureau centralisateur ont eu lieu dans une pièce fermée, en dehors de la présence du public et que leur durée a été particulièrement longue ; que, si les présidents des cinquante-six bureaux de vote de la commune ont signé le procès-verbal de recensement, la plupart étaient absents pendant les opérations et n’ont été rappelés qu’à la demande des commissions de contrôle ;
17. Mais considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que cette irrégularité, au demeurant fort regrettable, ait été à l’origine de fraudes ; qu’il n’est pas établi que les assesseurs du 1e bureau, et notamment ceux désignés par les requérants, n’aient pas été en mesure d’assister aux opérations ; qu’ils ont signé le procès-verbal de recensement ; que ce procès-verbal reproduit exactement, conformément à l’article R.69 précité, les chiffres portés sur chacun des cinquante-six procès-verbaux de bureaux, dont il n’est pas allégué qu’ils aient été falsifiés ; que le procès-verbal récapitulatif et les procès-verbaux des bureaux ont été soigneusement examinés par la commission de recensement qui a opéré quelques rectifications de détail ; que, dans ces conditions, le grief ne saurait être retenu,
Décide :
Article premier :
Les requêtes susvisées de M. Germain et de M. Valcin sont rejetées.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée à l’Assemblée nationale et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 juillet 1973, où siégeaient : MM. Gaston PALEWSKI, président, MONNET, REY, SAINTENY, GOGUEL, DUBOIS, COSTE-FLORET, CHATENET, LUCHAIRE.
ECLI:FR:CC:1973:73.596.AN