Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 novembre 2022, 21-13.121, Inédit

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Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 novembre 2022, 21-13.121, Inédit
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Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

AF1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 novembre 2022

Cassation

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1172 F-D

Pourvoi n° W 21-13.121

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 NOVEMBRE 2022

La société Mil’s, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 21-13.121 contre l’arrêt rendu le 10 février 2021 par la cour d’appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [F] [R], domicilié [Adresse 2],

2°/ au Pôle emploi Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Mil’s, de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de M. [R], après débats en l’audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 10 février 2021), M. [R], engagé par la société Mil’s (la société) à compter du 9 décembre 1991, en qualité de technicien de bureau d’études-projeteur a été convoqué le 1er juillet 2015 à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique fixé au 15 juillet 2015, au cours duquel il lui a été proposé un contrat de sécurisation professionnelle.

2. Par lettre du 27 juillet 2015, la société lui a notifié les motifs économiques de la rupture en lui précisant qu’en cas de refus du contrat de sécurisation professionnelle, cette lettre constituerait la notification de son licenciement.

3. Après avoir accepté le contrat de sécurisation professionnelle, il a saisi la juridiction prud’homale pour contester la rupture de son contrat de travail et obtenir paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l’arrêt de dire qu’elle n’a pas satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence, de la condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi des indemnités de chômage versées du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation, sous déduction de la contribution prévue à l’article L. 1233-69 du code du travail, alors « qu’il n’y a pas de manquement à l’obligation de reclassement en l’absence de poste disponible dans l’entreprise à l’époque du licenciement ; que, sauf fraude, les possibilités de reclassement s’apprécient à compter du moment où le licenciement est envisagé et jusqu’à la date de sa notification ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt que le licenciement de M. [R] lui avait été notifié par lettre du 27 juillet 2015 ; que pour juger qu’elle avait manqué à son obligation de reclassement, la cour d’appel a retenu qu’elle n’avait pas proposé à M. [R], d’une part le poste de technicien SAV disponible à l’issue du premier contrat à durée déterminée conclu avec M. [M] du 1er avril au 30 septembre 2015, d’autre part le poste de dessinateur au sein du bureau d’études, confié à M. [H] par contrat à durée déterminée du 29 septembre 2014 au 29 septembre 2015, disponible à cette dernière date ; qu’en statuant de la sorte, quand il ressortait de ses constatations que les deux postes litigieux n’étaient devenus disponibles que deux mois après le licenciement, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Le mémoire en défense fait valoir que le moyen est irrecevable, comme étant contraire aux conclusions d’appel de l’employeur et comme étant nouveau, mélangé de fait et de droit.

6. Cependant, d’une part, le moyen qui soutient qu’il n’y a pas de manquement à l’obligation de reclassement en l’absence de poste disponible dans l’entreprise à l’époque du licenciement n’est pas incompatible avec l’argumentation développée devant le juge du fond par la société qui faisait valoir qu’aucun poste correspondant aux qualifications du salarié n’était à pourvoir au sein de la société. D’autre part, le moyen est né de la décision attaquée qui a retenu l’existence de postes disponibles en raison du recours à des contrats à durée déterminée avant et immédiatement après le licenciement du salarié.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu les articles L. 1233-4 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, L. 1233-67 du code du travail, et l’article 5 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 19 juillet 2011 agréée par arrêté du 6 octobre 2011 :

8. Il résulte de la combinaison de ces textes qu’au titre de son obligation de reclassement l’employeur doit proposer au salarié les emplois disponibles au moment où il manifeste sa volonté de mettre fin au contrat de travail en notifiant la lettre de licenciement, quand bien même le licenciement serait subordonné au refus par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle qui lui a été proposé.

9. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que la société n’a pas proposé au salarié, d’une part, le poste de technicien SAV disponible à l’issue du premier contrat à durée déterminée conclu avec M. [M] du 1er avril au 30 septembre 2015, d’autre part, le poste de dessinateur au sein du bureau d’études, confié à M. [H] par contrat à durée déterminée du 29 septembre 2014 au 29 septembre 2015, disponible à cette dernière date. Il conclut que les conditions dans lesquelles l’employeur a engagé M. [M] et M. [H] en ayant recours à des contrats à durée déterminée avant et immédiatement après le licenciement de l’intéressé sur des emplois compatibles avec sa qualification, caractérisent l’existence d’emplois disponibles non proposés au salarié licencié, de sorte que le manquement de la société à son obligation de reclassement est avéré.

10. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que la lettre de licenciement avait été envoyée le 27 juillet 2015 et que les postes de technicien SAV et de dessinateur ne s’étaient révélés disponibles que les 29 et 30 septembre 2015, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 février 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux et par Mme Piquot, greffier de chambre, en remplacement du greffier empêché.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Mil’s,

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Mil’s FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit qu’elle n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement notifié à M. [R] le 27 juillet 2015 était sans cause réelle et sérieuse, et en conséquence, de l’AVOIR condamnée à payer à M. [R] la somme de 40 000 € à titre de dommages-et-intérêts en réparation de son préjudice et lui AVOIR ordonné de rembourser à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [R], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation, sous déduction de la contribution prévue à l’article L. 1233-69 du code du travail,

1. ALORS QU’il n’y a pas de manquement à l’obligation de reclassement en l’absence de poste disponible dans l’entreprise à l’époque du licenciement ; que sauf fraude, les possibilités de reclassement s’apprécient à compter du moment où le licenciement est envisagé et jusqu’à la date de sa notification ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt que le licenciement de M. [R] lui avait été notifié par lettre du 27 juillet 2015 ; que pour juger que l’employeur avait manqué à son obligation de reclassement, la cour d’appel a retenu qu’il n’avait pas proposé à M. [R], d’une part le poste de technicien SAV disponible à l’issue du premier contrat à durée déterminée conclu avec M. [M] du 1er avril au 30 septembre 2015, d’autre part le poste de dessinateur au sein du bureau d’études, confié à M. [H] par contrat à durée déterminée du 29 septembre 2014 au 29 septembre 2015, disponible à cette dernière date ; qu’en statuant de la sorte, quand il ressortait de ses constatations que les deux postes litigieux n’étaient devenus disponibles que deux mois après le licenciement, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;

2. ALORS en outre QUE l’employeur est libéré de l’obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement lorsqu’il n’existe dans le périmètre de reclassement aucun emploi disponible en rapport avec sa qualification et ses compétences professionnelles, au besoin en le faisant bénéficier d’une formation d’adaptation ; qu’en l’espèce, l’employeur soulignait que M. [R], projeteur, ayant pour mission de concevoir des pompes à vide par application de règles de calcul (vitesses de rotation, vitesses d’air expiré, vérification des normes de calcul, etc.), n’était jamais intervenu sur la réparation des pompes et centrales d’air et n’avait pas les qualifications pour les réparer, et que les tâches techniques de montage et de démontage de pompes, incombant au technicien SAV au service réparation, n’avaient rien à voir avec le métier de bureau de projeteur (conclusions d’appel, p. 10 et 12 ; prod. 11 à 13) ; qu’en se bornant à affirmer qu’aucun élément n’était produit aux débats permettant de conclure que compte tenu de ses capacités et de ses compétences, M. [R] ne pouvait pas, y compris par le recours à une formation préalable, occuper le poste de technicien SAV, sans à aucun moment examiner les fiches de poste produites par l’employeur pour comparer les compétences et qualifications du salarié avec celles requises pour occuper le poste litigieux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

La société Mil’s FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué de l’AVOIR condamnée à payer à M. [R] la somme de 40 000 € à titre de dommages-et-intérêts en réparation de son préjudice résultant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,

ALORS QUE les dommages-intérêts doivent réparer le préjudice subi par la victime sans qu’il en résulte ni perte ni profit ; qu’en l’espèce, la société Mil’s faisait valoir que M. [R] avait reconnu, lors de l’audience devant le juge départiteur, avoir retrouvé un emploi 3 mois après son licenciement et pour un salaire supérieur à celui qu’il percevait antérieurement (conclusions d’appel, p. 16) ; qu’en accordant au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse représentant plus de 14 mois de salaire, sans tenir compte de ces éléments, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.ECLI:FR:CCASS:2022:SO01172


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