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SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 novembre 2022
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1253 FS-D
Pourvoi n° P 20-23.207
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022
La société Glass Partners Transports, dont le siège est [Adresse 12], [Localité 5] (Belgique), a formé le pourvoi n° P 20-23.207 contre l’arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d’appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [I] [Z], domiciliée [Adresse 4], [Localité 8],
2°/ à la société [B] & associés – mandataires judiciaires, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 10], prise en la personne de M. [D] [B], en qualité de mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen et ayant un établissement [Adresse 2], [Localité 7],
3°/ à UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy, dont le siège est [Adresse 11], [Localité 6],
4°/ au Pôle emploi Grand Est, dont le siège est direction régionale, [Adresse 3], [Localité 9],
défendeurs à la cassation.
La société [B] & associés – mandataires judiciaires a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Glass Partners Transports, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société [B] & associés – mandataires judiciaires, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de Mme [Z], et l’avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l’audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, M. Le Corre, Mmes Prieur, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Metz, 15 septembre 2020), Mme [Z] a été engagée par la société Nijman Winnen à compter du 5 octobre 2001. En dernier lieu, elle occupait le poste de directrice de site.
2. Le 1er mars 2010, la société Glass Partners Transports a acquis les actions composant le capital de la société Nijman Winnen.
3. Après avoir été licenciée pour motif économique, Mme [Z] a, par lettre du 24 mai 2011, saisi la juridiction prud’homale de demandes dirigées à la fois contre la société Nijman Winnen et la société Glass Partners Transports, pour obtenir leur condamnation in solidum à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4. La société Nijman Winnen a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 9 juillet 2013, M. [B] étant désigné en qualité de liquidateur.
Recevabilité du pourvoi incident contestée par la défense
Vu l’article 609 du code de procédure civile :
5. Le pourvoi en cassation n’est recevable que si le demandeur a intérêt à agir.
6. La société [B] et associés, en sa qualité de liquidateur de la société Nijman Winnen, s’est pourvue en cassation contre un arrêt qui dit que la salariée a été victime de harcèlement moral et reconnaît une situation de coemploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports, qui condamne la société Glass Partners Transports à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, dit que la société Nijman Winnen a manqué à son obligation de reclassement et que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamne la société Glass Partners Transports à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonne le remboursement par la société Glass Partners Transports à Pôle emploi des indemnités de chômage, déclare irrecevables les demandes de condamnation solidaire formées par la salariée contre la sociéte Nijman Winnen, représentée par M. [B] en qualité de liquidateur, et condamne la société Glass Partners Transports au paiement d’une somme en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens tant de première instance que d’appel.
7. La société [B] et associés, ès qualités, est dès lors sans intérêt à la cassation de cette décision qui n’a prononcé aucune condamnation ni fixation de créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Nijman Winnen.
8. Son pourvoi n’est donc pas recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La société Glass Partners Transports fait grief à l’arrêt de reconnaître une situation de coemploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports et, en conséquence, de la condamner à payer à la salariée diverses sommes, alors « que hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ; qu’en l’espèce, pour retenir l’existence d’une situation de co-emploi entre la société Glass Partners Transports et sa filiale la société Nijman Winnen, la cour d’appel s’est bornée à relever, en premier lieu, que les deux sociétés avaient la même activité de transport du verre, que la filiale n’avait pas d’autre client que la société mère, que celle-ci détenait après le rachat du 28 février 2010 l’intégralité du capital social de la filiale, que suite à ce rachat M. [U] avait été nommé président de la filiale et membre du conseil de gestion, et qu’il existait un état de domination économique de la filiale ; qu’elle a indiqué ensuite, par motifs propres et adoptés, que les témoignages produits par Mme [Z] confirmaient ses déclarations selon lesquelles elle devait rendre compte aux dirigeants de la société mère et prendre ses consignes auprès d’eux, qu’à compter du 29 octobre 2010 elle devait systématiquement rapporter à M. [W] et une copie des actions qu’elle réalisait devait systématiquement être transmise à celui-ci, que M. [W] dirigeait les réunions des délégués du personnel et avait dirigé l’entretien préalable au licenciement, que les transports étaient directement ordonnés depuis la Belgique, que le protocole de fin de conflit avait été notamment signé par M. [U], que la gestion financière et comptable était assurée par la société mère, que le management des chauffeurs et l’établissement de leur planning étaient assurés par la société belge, que Mme [Z] était sous l’entière dépendance du responsable administratif de la société mère ou de la responsable du planning de la société mère pour l’organisation des transports, le recrutement de personnel ou le paiement des salaires, de sorte que Mme [Z] n’avait plus de pouvoir décisionnel, que la société mère s’était ainsi substituée à la filiale dans la gestion du personnel roulant ou non de celle-ci qui n’avait plus aucune autonomie pour l’embauche de son personnel, l’organisation des tournées des chauffeurs et leurs plannings, les relations avec les clients et les paiements bancaires et qu’il y avait non seulement confusion d’activités entre la filiale et la société mère mais aussi une immixtion, soit une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans l’organisation de l’activité et la gestion économique et sociale de la filiale allant au-delà de la nécessaire collaboration entre société d’un même groupe ou de la dépendance d’une filiale à sa société mère et qui s’était traduite par l’éviction des organes de direction de la filiale au profit de salariés de la société mère ; qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel, qui n’a pas retenu l’existence d’un lien de subordination, n’a pas davantage caractérisé une immixtion permanente de la société Glass Partners Transports dans la gestion économique et sociale de la société employeur conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail ».
Réponse de la Cour
10. Il résulte de l’article L. 1221-1 du code du travail que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.
11. La cour d’appel a d’abord constaté, par motifs propres, qu’à la suite du rachat par la société Glass Partners Transports de la société Nijman Winnen en février 2010, celle-ci, qui n’avait plus de client propre, s’était retrouvée sous la totale dépendance économique de la société belge qui lui sous-traitait des transports et les organisait au travers des ordres de transport, la salariée, qui était directrice de site, étant ainsi sous la dépendance du responsable administratif ou de la responsable du planning de la société Glass Partners Transports, pour l’organisation des transports, le recrutement de personnel ou le paiement des salaires, de sorte que la directrice de site n’avait plus de pouvoir décisionnel.
12. Elle a également relevé que la société Glass Partners Transports s’était substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives, celle-ci n’ayant plus aucune autonomie pour l’embauche de son personnel, l’organisation des tournées des chauffeurs et leurs plannings, les relations avec les clients et même les paiements bancaires.
13. Elle a enfin retenu, par motifs adoptés, que la gestion financière et comptable de la filiale était assurée par la société Glass Partners Transports.
14. Elle en a conclu qu’était ainsi démontrée une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans la gestion économique et sociale de la filiale, allant au-delà de la nécessaire collaboration entre sociétés d’un même groupe, qui s’était traduite par l’éviction des organes de direction de la société Nijman Winnen dont faisait partie l’intéressée au profit de salariés de la société Glass Partners Transports.
15. En l’état de ces constatations, la cour d’appel a ainsi caractérisé une immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, ce dont elle a exactement déduit l’existence d’une situation de coemploi.
16. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. La société Glass Partners Transports fait grief à l’arrêt de dire que la salariée avait été victime de harcèlement moral et de la condamner à lui payer des dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors :
« 1°/ qu’il incombe au salarié d’établir, et au juge de constater, la matérialité d’éléments de fait précis, répétés et concordants pouvant laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral, à charge ensuite seulement pour l’employeur de prouver que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a affirmé que Mme [Z] établissait l’existence matérielle de faits précis et concordants, et notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directrice de site pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, faits qui pris dans leur ensemble permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre ; qu’en statuant de la sorte, sans identifier quels étaient, en dehors du retrait injustifié de ses fonctions, les faits précis établis concernant la salariée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 1152-1 du code du travail ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu’en l’espèce, dans ses conclusions d’appel, la société Glass Partners Transports n’invoquait pas une incompétence de Mme [Z] ni ne tentait de justifier une mise à l’écart de cette dernière par ses erreurs ou défauts mais contestait toute mise à l’écart décidée par elle au profit de ses salariés, soutenant que la situation dénoncée par Mme [Z] avait pour origine son désinvestissement volontaire ; qu’en affirmant à l’appui de sa décision que les reproches d’incompétence n’étaient pas fondés et que les erreurs ou défauts à les supposer telles que décrits dans les attestations produites par la société Glass Partners Transports ne pouvaient justifier une mise à l’écart de Mme [Z] de son poste de directeur de site et la dévolution de ses fonctions à deux salariés de la société Glass Partners Transports, la cour d’appel a modifié les termes du litige, en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt que la société Glass Partners Transports avait produit des attestations de plusieurs de ses salariés mentionnant le manque de volonté de Mme [Z] de collaborer avec eux, son désinvestissement et une sollicitation continuelle par celle-ci des salariés de la société mère pour effectuer son travail ; qu’en énonçant cependant que Mme [Z] ayant démontré qu’elle se trouvait sous la dépendance des salariés ayant rédigé les attestations, les reproches d’incompétence n’étaient pas fondés en l’état, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à exclure la réalité du désinvestissement volontaire, du refus de collaborer et du manque total d’initiative de Mme [Z], tels qu’ils résultaient des attestations produites par la société Glass Partners Transports, et a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
4°/ en outre que la preuve est libre en matière prud’homale ; qu’en retenant
à l’appui de sa décision que les attestations produites par la société Glass Partners Transports émanaient toutes de ses salariés et que si ceux-ci parlaient d’erreurs commises par Mme [Z] ou M. [X], il n’était rapporté aucune preuve matérielle de ces erreurs, la cour d’appel, qui a exigé une preuve matérielle en plus des attestations, a violé le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
18. Pour condamner l’employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral, la cour d’appel a d’abord retenu que la salariée, par la production de l’organigramme, de plusieurs témoignages, d’un procès-verbal établi par les contrôleurs du travail en décembre 2010 et signé le 17 juin 2011, établissait l’existence de faits, notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directrice de site pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
19. Elle a ensuite constaté que les erreurs ou défauts reprochés à la salariée, à les supposer établis, ne pouvaient justifier sa mise à l’écart de son poste de directrice de site et la dévolution de ses fonctions aux salariés de la société Glass Partners Transports.
20. Il apparaît ainsi que sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à contester l’appréciation souveraine par la cour d’appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve ni les termes du litige et exerçant les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1154-1 du code du travail, déduit tant l’existence de faits précis permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral que l’absence de justification, par l’employeur, d’éléments étrangers à tout harcèlement.
21. Le moyen n’est donc pas fondé.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
22. La société Glass Partners Transports fait grief à l’arrêt de dire que la société Nijman Winnen a manqué à son obligation de reclassement et que le licenciement de la salariée est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de condamner la société Glass Partners Transports à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’ordonner le remboursement par la société Glass Partners Transports des indemnités de chômage payées à la salariée à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois, alors :
« 1°/ que le juge ne peut modifier les termes du litige ; qu’en l’espèce, le mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen soulignait que les sociétés du groupe, autre que la société Glass Partners Transports, avaient répondu négativement à la recherche de reclassement, produisant à cet égard notamment les lettres des trois autres sociétés du groupe (TNJ, GPTS et Glass Partners Transports Luxembourg) indiquant ne pas disposer de poste disponible ; qu’en appréciant le respect de l’obligation de reclassement de la société Nijman Winnen au regard de la seule réponse de la société Glass Partners Transports, la cour d’appel a modifié les termes du litige, en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
2°/ en tout état de cause, que l’employeur est libéré de l’obligation de faire
des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l’entreprise et, le cas échéant, le groupe de reclassement ne comporte pas d’emploi disponible en rapport avec ses compétences ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt que la société Nijman Winnen avait consulté le gérant de la société Glass Partners Transports sur les possibilités de reclassement existant « au sein du groupe » et que seuls avaient été identifiés par ce dernier deux postes au sein de la société Glass Partners Transports, ces postes ayant été proposés à la salariée qui les avait refusés ; qu’en énonçant, pour conclure à la violation de l’obligation de reclassement, que les deux offres de reclassement proposées, qui émanaient et étaient adressées à la même personne, [Y] [W], agissant à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, n’avaient ni un caractère loyal ni un caractère sérieux s’agissant d’une recherche de reclassement qui aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners employant 210 collaborateurs sur quatre sites, un au grand-duché de Luxembourg, un à Bratislava, deux en Belgique (un à Jemeppe et un à Franière pour 170 véhicules et 7000 m² d’entrepôt), quand il ressortait de ses constatations que le reclassement avait bien été recherché dans le groupe et que seuls les deux postes refusés par la salariée y étaient disponibles, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
3°/ que ne constitue pas une violation de l’obligation de reclassement le fait de proposer au salarié un poste de reclassement situé à l’étranger sans lui avoir au préalable demandé s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national ; qu’en retenant, pour conclure à la violation de l’obligation de reclassement, que la société Nijman Winnen n’avait pas demandé à Mme [Z] préalablement au licenciement si elle acceptait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et lui avait proposé d’emblée un poste situé en Belgique, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010
4°/ que l’employeur est tenu, dans le cadre de son obligation de reclassement, de proposer au salarié les postes de catégorie inférieure, ce dernier pouvant ensuite, au vu de la proposition, donner ou non son accord exprès à une telle proposition ; qu’en retenant, pour conclure à la violation de l’obligation de reclassement, que le reclassement du salarié doit s’effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente et que les deux postes proposés à la salariée n’étaient que des postes administratifs en deçà de sa qualification de la salariée sans qu’elle ait donné son accord exprès pour un reclassement sur un emploi de catégorie inférieure, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010. »
Réponse de la Cour
23. D’une part, une partie ne pouvant se prévaloir des conclusions d’une autre partie au soutien de son grief, la société Glass Partners Transports n’est pas recevable à reprocher à la cour d’appel d’avoir modifié l’objet du litige tel qu’il aurait été déterminé par les conclusions du liquidateur de la société Nijman Winnen.
24. D’autre part, la cour d’appel ayant relevé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que les offres proposées émanaient et étaient adressées à la même personne, soit M. [W], qui agissait à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, et que la recherche de reclassement aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners qui emploie 210 personnes, caractérisant ainsi l’absence de recherche effective et sérieuse de reclassement, a pu déduire de ce seul motif, abstraction faite des motifs critiqués par les troisième et quatrième branches, qui sont surabondants, que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement.
25. Il en résulte que le moyen n’est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DECLARE irrecevable le pourvoi incident formé par la société [B] et associés, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Nijman Winnen ;
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne la société Glass Partners Transports aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Glass Partners Transports, la condamne à payer à Mme [Z] la somme de 3 000 euros et rejette la demande de Mme [Z] à l’égard de la société [B] et associés, ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Glass Partners Transports, demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Glass Partners Transports FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR reconnu une situation de co-emploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports et, en conséquence, d’AVOIR condamné la société Glass Partners Transports à payer à Mme [Z] des dommages et intérêts pour harcèlement moral et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’AVOIR ordonné le remboursement par la société Glass Partners Transports des indemnités de chômage payées à Mme [Z] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois,
ALORS QUE hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ; qu’en l’espèce, pour retenir l’existence d’une situation de co-emploi entre la société Glass Partners Transports et sa filiale la société Nijman Winnen, la cour d’appel s’est bornée à relever, en premier lieu, que les deux sociétés avaient la même activité de transport du verre, que la filiale n’avait pas d’autre client que la société mère, que celle-ci détenait après le rachat du 28 février 2010 l’intégralité du capital social de la filiale, que suite à ce rachat M. [M] [U] avait été nommé président de la filiale et membre du conseil de gestion, et qu’il existait un état de domination économique de la filiale ; qu’elle a indiqué ensuite, par motifs propres et adoptés, que les témoignages produits par Mme [Z] confirmaient ses déclarations selon lesquelles elle devait rendre compte aux dirigeants de la société mère et prendre ses consignes auprès d’eux, qu’à compter du 29 octobre 2010 elle devait systématiquement rapporter à M. [W] et une copie des actions qu’elle réalisait devait systématiquement être transmise à celui-ci, que M. [W] dirigeait les réunions des délégués du personnel et avait dirigé l’entretien préalable au licenciement, que les transports étaient directement ordonnés depuis la Belgique, que le protocole de fin de conflit avait été notamment signé par M. [U], que la gestion financière et comptable était assurée par la société mère, que le management des chauffeurs et l’établissement de leur planning étaient assurés par la société belge, que Mme [Z] était sous l’entière dépendance du responsable administratif de la société mère ou de la responsable du planning de la société mère pour l’organisation des transports, le recrutement de personnel ou le paiement des salaires, de sorte que Mme [Z] n’avait plus de pouvoir décisionnel, que la société mère s’était ainsi substituée à la filiale dans la gestion du personnel roulant ou non de celle-ci qui n’avait plus aucune autonomie pour l’embauche de son personnel, l’organisation des tournées des chauffeurs et leurs plannings, les relations avec les clients et les paiements bancaires et qu’il y avait non seulement confusion d’activités entre la filiale et la société mère mais aussi une immixtion, soit une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans l’organisation de l’activité et la gestion économique et sociale de la filiale allant au-delà de la nécessaire collaboration entre société d’un même groupe ou de la dépendance d’une filiale à sa société mère et qui s’était traduite par l’éviction des organes de direction de la filiale au profit de salariés de la société mère ; qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel, qui n’a pas retenu l’existence d’un lien de subordination, n’a pas davantage caractérisé une immixtion permanente de la société Glass Partners Transports dans la gestion économique et sociale de la société employeur conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Glass Partners Transports FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que Mme [Z] avait été victime de harcèlement moral et condamné la société Glass Partners Transports à payer à Mme [Z] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
1. ALORS QU’il incombe au salarié d’établir, et au juge de constater, la matérialité d’éléments de fait précis, répétés et concordants pouvant laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral, à charge ensuite seulement pour l’employeur de prouver que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a affirmé que Mme [Z] établissait l’existence matérielle de faits précis et concordants, et notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directrice de site pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, faits qui pris dans leur ensemble permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre ; qu’en statuant de la sorte, sans identifier quels étaient, en dehors du retrait injustifié de ses fonctions, les faits précis établis concernant la salariée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 1152-1 du code du travail ;
2. ALORS subsidiairement QUE les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu’en l’espèce, dans ses conclusions d’appel (p. 26-27), la société Glass Partners Transports n’invoquait pas une incompétence de Mme [Z] ni ne tentait de justifier une mise à l’écart de cette dernière par ses erreurs ou défauts mais contestait toute mise à l’écart décidée par elle au profit de ses salariés, soutenant que la situation dénoncée par Mme [Z] avait pour origine son désinvestissement volontaire ; qu’en affirmant à l’appui de sa décision que les reproches d’incompétence n’étaient pas fondés et que les erreurs ou défauts à les supposer telles que décrits dans les attestations produites par la société Glass Partners Transports ne pouvaient justifier une mise à l’écart de Mme [Z] de son poste de directeur de site et la dévolution de ses fonctions à deux salariés de la société Glass Partners Transports, la cour d’appel a modifié les termes du litige, en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
3. ALORS en outre QUE les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt (p. 13, dernier § à p. 15) que la société Glass Partners Transports avait produit des attestations de plusieurs de ses salariés mentionnant le manque de volonté de Mme [Z] de collaborer avec eux, son désinvestissement et une sollicitation continuelle par celle-ci des salariés de la société mère pour effectuer son travail ; qu’en énonçant cependant que Mme [Z] ayant démontré qu’elle se trouvait sous la dépendance des salariés ayant rédigé les attestations, les reproches d’incompétence n’étaient pas fondés en l’état, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à exclure la réalité du désinvestissement volontaire, du refus de collaborer et du manque total d’initiative de Mme [Z], tels qu’ils résultaient des attestations produites par la société Glass Partners Transports, et a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
4. ALORS en outre QUE la preuve est libre en matière prud’homale ; qu’en retenant à l’appui de sa décision que les attestations produites par la société Glass Partners Transports émanaient toutes de ses salariés et que si ceux-ci parlaient d’erreurs commises par Mme [Z] ou M. [X], il n’était rapporté aucune preuve matérielle de ces erreurs, la cour d’appel, qui a exigé une preuve matérielle en plus des attestations, a violé le principe susvisé.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (ÉGALEMENT SUBSIDIAIRE)
La société Glass Partners Transports FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR dit que la société Nijman Winnen avait manqué à son obligation de reclassement et que le licenciement de Mme [Z] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, d’AVOIR condamné la société Glass Partners Transports à payer à Mme [Z] la somme de 44 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’AVOIR ordonné le remboursement par la société Glass Partners Transports des indemnités de chômage payées à Mme [Z] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois,
1. ALORS QUE le juge ne peut modifier les termes du litige ; qu’en l’espèce, le mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen soulignait que les sociétés du groupe, autre que la société Glass Partners Transports, avaient répondu négativement à la recherche de reclassement, produisant à cet égard notamment les lettres des trois autres sociétés du groupe (TNJ, GPTS et Glass Partners Transports Luxembourg) indiquant ne pas disposer de poste disponible (conclusions d’appel de la société [B] et associés – mandataires judiciaires, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen, p. 8 et bordereau ; prod. 11 et 12 du MA) ; qu’en appréciant le respect de l’obligation de reclassement de la société Nijman Winnen au regard de la seule réponse de la société Glass Partners Transports, la cour d’appel a modifié les termes du litige, en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
2. ALORS en tout état de cause QUE l’employeur est libéré de l’obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l’entreprise et, le cas échéant, le groupe de reclassement ne comporte pas d’emploi disponible en rapport avec ses compétences ; qu’en l’espèce, il résulte de l’arrêt que la société Nijman Winnen avait consulté le gérant de la société Glass Partners Transports sur les possibilités de reclassement existant « au sein du groupe » et que seuls avaient été identifiés par ce dernier deux postes au sein de la société Glass Partners Transports (arrêt, p. 18-19), ces postes ayant été proposés à la salariée qui les avait refusés ; qu’en énonçant, pour conclure à la violation de l’obligation de reclassement, que les deux offres de reclassement proposées, qui émanaient et étaient adressées à la même personne, [Y] [W], agissant à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, n’avaient ni un caractère loyal ni un caractère sérieux s’agissant d’une recherche de reclassement qui aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners employant 210 collaborateurs sur quatre sites, un au grand-duché de Luxembourg, un à Bratislava, deux en Belgique (un à Jemeppe et un à Franière pour 170 véhicules et 7000 m² d’entrepôt), quand il ressortait de ses constatations que le reclassement avait bien été recherché dans le groupe et que seuls les deux postes refusés par la salariée y étaient disponibles, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
3. ALORS en outre QUE ne constitue pas une violation de l’obligation de reclassement le fait de proposer au salarié un poste de reclassement situé à l’étranger sans lui avoir au préalable demandé s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national ; qu’en retenant, pour conclure à la violation de l’obligation de reclassement, que la société Nijman Winnen n’avait pas demandé à Mme [Z] préalablement au licenciement si elle acceptait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et lui avait proposé d’emblée un poste situé en Belgique, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
4. ALORS enfin QUE l’employeur est tenu, dans le cadre de son obligation de reclassement, de proposer au salarié les postes de catégorie inférieure, ce dernier pouvant ensuite, au vu de la proposition, donner ou non son accord exprès à une telle proposition ; qu’en retenant, pour conclure à la violation de l’obligation de reclassement, que le reclassement du salarié doit s’effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente et que les deux postes proposés à la salariée n’étaient que des postes administratifs en deçà de sa qualification de la salariée sans qu’elle ait donné son accord exprès pour un reclassement sur un emploi de catégorie inférieure, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010.
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour la société [B] & associés – mandataires judiciaires, demanderesse au pourvoi incident
La société [B] et associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir dit que la société Nijman Winnen avait manqué à son obligation de reclassement et que le licenciement de Mme [Z] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
1°) ALORS QUE dans ses conclusions d’appel (p. 8), Me [B], ès qualités, faisait valoir qu’à l’exception de la société Glass Partners Transports, toutes les sociétés du groupe avaient répondu négativement à sa recherche de reclassement ; qu’il produisait (pièce n° 13 en appel) les lettres des trois sociétés du groupe (TNJ, GPTS et GPT Luxembourg) indiquant ne pas disposer de poste ; qu’en se bornant à examiner la réponse de la société Glass Partners Transports pour dire la recherche de reclassement insuffisante, sans répondre à ces conclusions, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU’en décidant que la société Nijman Winnen avait manqué à son obligation de reclassement quand il résultait de ses constatations que les deux seuls postes disponibles au sein de la société Glass Partners Transports avaient été proposés à Mme [Z] qui les avait refusés, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail ;
3°) ALORS QUE ne constitue pas un manquement à l’obligation de reclassement le fait de proposer au salarié un poste à l’étranger sans avoir reçu son accord préalable pour un reclassement à l’étranger ; qu’en déclarant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse faute pour la société Nijman Winnen d’avoir recueilli l’accord de principe de la salariée avant de lui proposer un poste de reclassement en Belgique, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4-1 du code du travail ;
4°) ALORS QU’à défaut de poste disponible de même catégorie, l’employeur est tenu de proposer au salarié un poste de reclassement de catégorie inférieure ; qu’en retenant, pour dire que la société Nijman Winnen avait manqué à son obligation de reclassement, qu’elle avait proposé à Mme [Z] deux postes ne correspondant pas sa qualification de directeur de site, s’agissant de postes administratifs et que la salariée n’avait pas donné son accord exprès pour que le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure, la cour d’appel a derechef violé l’article L. 1233-4 du code du travail.