Your cart is currently empty!
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT No
No RG 19/04602 – No Portalis DBVH-V-B7D-HSLJ
LR/EB
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE NIMES
04 novembre 2019 RG :F 16/00752
[W]
C/
S.A.R.L. CARRE JAZZ
Grosse délivrée
le
à
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 06 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de NIMES en date du 04 Novembre 2019, NoF 16/00752
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
M. Michel SORIANO, Conseiller
Madame Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 06 Décembre 2022.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [B] [W]
né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Aurélie SCHNEIDER de la SELARL AURELIE SCHNEIDER, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
SARL CARRE JAZZ
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Franck LENZI de la SELARL FRANCK LENZI ET ASSOCIES, avocat au barreau d’AVIGNON
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 08 Septembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 06 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [B] [W] a été engagé à compter du 23 septembre 2013 suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de serveur par la société Carré Jazz.
À compter du 21 mars 2016, le salarié était placé en arrêt de travail pour accident de travail lequel, était pris en charge par la caisse de sécurité sociale.
Par courrier du 21 mars 2016 reçu le 23 mars suivant, la société Carré Jazz adressait à M. [W] un avertissement au titre d’un non-respect du règlement intérieur.
Par avis du 4 juillet 2016, à l’issue d’une visite médicale de reprise, la médecine du travail déclarait le salarié inapte à son poste et à tout poste de l’entreprise.
Le 6 juillet 2016, l’employeur envoyait au salarié un courrier de proposition de reclassement sur un poste de plongeur. Ce dernier, par courrier du 18 juillet 2016, déclinait la proposition de reclassement au motif qu’elle était inadaptée à son état de santé et aux préconisations du médecin du travail.
Par courrier du 29 juillet 2016, le salarié était convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé au 8 août 2016.
Par courrier du 12 août 2016, M. [W] était licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre, le 13 octobre 2016, M. [W] saisissait le conseil de prud’hommes de Nîmes.
Par jugement de départage du 4 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :
– annulé l’avertissement en date du 21 mars 2016,
– dit que M. [B] [W] n’a pas été victime d’un harcèlement moral de la part de la SARL Carré Jazz,
– débouté M. [B] [W] de l’ensemble de ses demandes visant à déclarer son licenciement nul, abusif ou injustifié,
– condamné néanmoins la SARL Carré Jazz à lui payer la somme de 2 127,94 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,
– dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle a exposés,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par acte du 6 décembre 2019, M. [W] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 19 juillet 2022, M. [B] [W] demande à la cour de :
– réformer le jugement dont appel en ce qu’il a :
* dit qu’il n’a pas été victime d’un harcèlement moral de la part de la SARL Carré Jazz
* l’a débouté de l’ensemble de ses demandes visant à juger à titre principal son licenciement nul, subsidiairement abusif
* l’a débouté de ses demandes de réparation au titre du licenciement nul et subsidiairement abusif
* dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
* dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle a exposés
* rejeté le surplus de ses demandes, fins et prétentions
– le confirmer en ce qu’il a :
* annulé l’avertissement du 21 mars 2016
* condamné l’employeur à lui verser la somme de 2.127,94 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier
Statuant de nouveau, au besoin par substitution de motifs :
– annuler l’avertissement du 21 mars 2016
A titre principal
– juger qu’il a été victime d’un harcèlement moral
– juger nul le licenciement notifié le 12 août 2016,
En conséquence,
– condamner la société Carré Jazz à lui porter et payer les sommes suivantes :
* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
A titre subsidiaire
– juger que l’employeur est responsable de son inaptitude
– juger le licenciement sans cause réelle ni sérieuse
En conséquence
– condamner la société Carré Jazz à lui porter et payer les sommes suivantes:
* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct résultant de la responsabilité de l’employeur dans la dégradation de son état de santé et dans l’inaptitude
prononcée
* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
A titre infiniment subsidiaire
– juger que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement
– juger le licenciement sans cause réelle ni sérieuse
En conséquence
– condamner la société Carré Jazz à lui porter et payer les sommes suivantes:
* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
En tout état de cause
– condamner la société Carré Jazz à lui porter et payer les sommes suivantes :
* 2.127,94 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier
* 2.000 euros nets au titre des frais irrépétibles de première instance
* 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel
– condamner la société Carré Jazz aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’appelant soutient que :
– c’est à juste titre que le juge départiteur a retenu que le fondement de l’avertissement était irrégulier et a annulé celui-ci. En effet :
* l’employeur s’est fondé sur les dispositions du règlement intérieur, or celui-ci lui était inopposable compte tenu de l’irrespect des formalités nécessaires à son entrée en vigueur ;
* par ailleurs, l’interdiction prescrite dans ce règlement intérieur était irrégulière et illicite
* au demeurant, il a bien fumé durant une pause, mais à l’extérieur du restaurant devant une porte fermée et non dans l’entrebâillement de la porte de la cuisine du restaurant comme tente de le faire croire l’employeur
– contrairement à ce qu’a retenu le juge départiteur, son harcèlement moral est caractérisé :
* d’une part par un faisceau d’indices concordants :
o il a été agressé verbalement et insulté durant l’exécution de la relation de travail, au vu et au su de ses collègues et clients,
o il a fait l’objet d’un avertissement injustifié lié aux événements du 19 mars 2016, à savoir son agression par M. [E]
o l’employeur a eu un geste déplacé lors de l’entretien préalable
o l’employeur a été défaillant dans l’établissement et la transmission des attestations de salaire à la CPAM
o l’employeur lui a remis tardivement ses documents de fin de contrat et son solde tout compte,
* d’autre part par des témoignages circonstanciés sur le comportement inadapté de l’employeur à son égard.
– le harcèlement moral qu’il a subi, les manquements constatés et réitérés de l’employeur à ses obligations, sont responsables de son état de santé, de son inaptitude, et donc de sa perte d’emploi consécutive.
– son licenciement pour inaptitude est nul en ce qu’il résulte du harcèlement moral dont il a été victime de la part de l’employeur.
– subsidiairement, son licenciement est abusif en ce qu’il résulte directement du comportement fautif de l’employeur.
– l’employeur a manqué à son obligation de recherche d’un reclassement. Il expose que :
* il est de jurisprudence constante que l’employeur n’est pas exonéré de sa recherche loyale et sérieuse de reclassement y compris si le médecin du travail indique que le salarié est inapte à tout reclassement dans l’entreprise ;
* une seule offre de reclassement a été formalisée sur un poste de plongeur au sein du restaurant alors que le médecin du travail ne s’est pas prononcé sur ce poste ;
* la recherche de reclassement aurait dû s’étendre au second restaurant détenu par l’employeur,
* ce dernier ne démontre pas avoir réalisé une recherche loyale et sérieuse de reclassement à l’époque des faits.
– c’est à bon droit que le juge départiteur a retenu que la procédure de licenciement était irrégulière. L’employeur a annoncé sa décision de le licencier durant l’entretien préalable, tel que cela a été attesté par son conseiller. Il n’a donc pas respecté le délai de deux jours ouvrables qui devait séparer l’entretien de la notification du licenciement.
En l’état de ses dernières écritures en date du 4 juin 2020, contenant appel incident, la SARL Carré Jazz demande à la cour de :
Déclarant recevable et bien fondé son appel incident
– réformer celui-ci :
* en ce qu’il a annulé l’avertissement du 21 mars 2016.
* en ce qu’il l’a condamné à une somme de 2.127,94 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier.
Statuant à nouveau :
– valider l’avertissement du 21 mars 2016,
– débouter M. [B] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier.
Pour le surplus,
– confirmer le jugement de départition du 04 novembre 2019,
– débouter M. [B] [W] de l’intégralité de ses demandes d’appel,
En conséquence,
– rejeter l’ensemble des demandes de M. [B] [W]
– condamner M. [B] [W] à 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner M. [B] [W] aux entiers dépens de la procédure.
L’intimée fait valoir que :
– la procédure d’avertissement engagée à l’encontre de M. [W] est parfaitement justifiée en ce qu’il n’a pas respecté les dispositions du règlement intérieur de l’établissement qui exigent, soit de fumer à plus de 50 mètres du restaurant à l’extérieur, soit de fumer sur la terrasse intérieure dès lors qu’elle n’est pas commercialisée.
– M. [W] ne pouvait en rien ignorer l’existence du règlement intérieur, celui-ci étant affiché dans l’établissement et ayant fait l’objet d’une discussion lors d’une réunion du personnel comme l’attestent certains employés.
– c’est à juste titre que le juge départiteur a retenu l’absence de harcèlement moral, dans la mesure où :
* les propos qu’elle a tenus envers le salarié trouvent totale justification et légitimité dans l’attitude même de ce dernier,
* un avertissement annulé pour défaut de procédure seulement ne saurait constituer en soi un fait de harcèlement moral
* l’avertissement était parfaitement justifié par le comportement peu acceptable de M. [W] dans l’exercice de ses fonctions,
* ce que M. [W] a peut être pris pour un geste déplacé, n’était autre que la rigidité de la main imposée de M. [E] suite à une problématique médicale,
* elle a parfaitement rempli ses obligations déclaratives contrairement à ce qu’affirme M. [W]
* elle n’a en rien attendu avant de remettre les documents de fin de contrat de M. [W], c’est juste que celui-ci n’est jamais venu chercher les dits documents.
– le harcèlement moral n’étant aucunement démontré ni réel, le licenciement pour inaptitude de M. [W] ne peut être frappé de nullité.
– contrairement à ce que soutient le salarié, elle n’a eu aucun comportement fautif à son égard. Il est seul responsable de son inaptitude au travail et de la détérioration de ses conditions de travail en refusant de remplir correctement ses fonctions.
– les règles relatives au reclassement du salarié ont été parfaitement respectées, dans la mesure où :
* elle a bien reçu un avis préalable du médecin du travail concernant le poste de plongeur proposé
* elle a opéré une recherche de reclassement auprès d’établissements confrères mais également, contrairement à ce qu’affirme M. [W], au sein de l’établissement dont M. [E] est actionnaire.
– la procédure de licenciement est parfaitement régulière. Elle n’a en rien décidé du licenciement de M. [W] le jour de l’entretien. Elle a juste signifié que compte tenu de l’attitude et du refus de celui-ci, en toute logique, elle se verrait dans l’obligation de le licencier si après un délai il maintenait sa position.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 13 juin 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 08 septembre 2022. L’affaire a été fixée à l’audience du 22 septembre 2022.
MOTIFS
Sur l’avertissement
L’article L. 1331-1 du code du travail dispose que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
L’article L. 1333-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Cependant, dès lors qu’un règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur, ce règlement ne peut être opposé au salarié que si l’employeur a accompli les formalités prévues par l’article L. 1321-4 du code du travail, ainsi :
– avoir été soumis à l’avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ainsi que, pour les matières relevant de sa compétence, à l’avis du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail,
– être porté à la connaissance des personnes ayant accès aux lieux de travail ou aux locaux où se fait l’embauche,
– être déposé en parallèle au greffe du conseil de prud’hommes,
– être communiqué à l’inspection du travail.
Par courrier du 21 mars 2016, la SARL Carré Jazz a adressé à M. [B] [W] un avertissement pour « non respect du règlement intérieur » en ces termes :
« Vous occupez au sein de notre établissement le poste de serveur de salle, employé, Niveau II, échelon 1.
Dans le cadre de ces fonctions vous êtes tenu de respecter notre règlement intérieur lui-même reposant sur les normes HACCP obligatoires dans tous les établissements de restauration.
Notre règlement intérieur ainsi que les textes législatifs et réglementaires qui vous ont été rappelés à la dernière réunion du 5 janvier 2016, précise qu’il est interdit de fumer dans l’établissement et qu’il faut se laver les mains lors du retour en salle après avoir fumé.
Vous ne pouvez donc pas ignorer cette disposition et ce d’autant plus qu’elle vous a été rappelée. Ainsi, il était convenu que, pour pouvoir fumer lors de vos pauses :
– vous pouviez avoir accès à la terrasse intérieure, tant qu’elle n’était pas commercialisée pour nos clients, ou sinon,
– vous deviez vous déplacer à au moins 50 m du restaurant.
Or, samedi 19 mars 2016 à 22 heures en plein service, vous avez été surpris en train de fumer dans l’entrebâillement de la porte de la cuisine du restaurant carré jazz dans l’irrespect total de la réglementation et des dispositions prises.
Alors qu’il vous était rappelé une nouvelle fois que fumer est interdit dans l’établissement, votre seule réponse a été «je fume et alors !! ». De plus vous avez repris votre service en salle immédiatement sans vous laver les mains.
Un tel comportement irresponsable dans le mépris des règles posées ne peut être toléré.
La SARL Carré Jazz reconnaît que le règlement intérieur du 1er janvier 2016 sur lequel est fondé l’avertissement n’a été déposé ni à l’inspection du travail ni au conseil de prud’hommes.
Dans ces conditions, le règlement intérieur est inopposable au salarié.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré, qui par de justes motifs, écartant les autres arguments développés par l’employeur, a annulé l’avertissement.
Sur le harcèlement moral
Selon l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il sera rappelé qu’une situation de harcèlement se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs, d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.
En cas de litige, l’article L.1154-1 du même code prévoit que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [B] [W] fait valoir que :
– il a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur, pris en la personne de M. [N] [E], gérant de l’entreprise, dès son arrivée à la direction du restaurant le 4 janvier 2016 jusqu’à l’arrêt de travail du 21 mars 2016 soit durant deux mois et demi
– il a subi des agressions verbales et des insultes durant l’exécution de la relation de travail, au vu et au su des collègues et des clients, son employeur n’hésitant pas à dire qu’il était « un gros con » et qu’il « allait le virer »
– il a déposé plainte contre son employeur lequel l’a saisi par l’épaule gauche fermement et lui a dit « quand je te parle tu me réponds et moi tu m’obéis au doigt et à l’oeil» et aux clients choqués qui l’ont interpellé, il a répondu qu’il était chez lui et qu’il faisait ce qu’il voulait; un autre jour alors qu’il était en train de débarrasser des verres durant une conférence, son employeur était arrivé en furie et lui avait dit « tu entends ce que je te dis, quand je te parle tu m’écoutes, tu obéis »
– le 19 mars 2016, de nouvelles insultes ont été proférées : « tu me prends pour un con, je t’ai envoyé un courrier, je vais te virer gros con »
– les faits ont tous été confirmés par l’employeur dans son propre dépôt de plainte,
– plusieurs témoins ont assisté à la scène du 19 mars 2016 et attestent de l’agression verbale.
– d’autres agissements sont matérialisés et caractéristiques du harcèlement moral : avertissement injustifié, geste déplacé lors de l’entretien préalable, retards dans l’établissement des attestations de salaire, retard dans la remise des documents de fin de contrat,
– les documents médicaux attestent de la situation de harcèlement moral subi.
Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.
Face à ces éléments, la SARL Carré Jazz fait valoir :
– en raison du comportement désinvolte et provocateur de son salarié, reconnu par l’ensemble des salariés présents et des clients, il ne nie en rien son énervement et sa colère mais ses propos trouvent une justification et une légitimité dans l’attitude même de celui-ci
– la plainte déposée a été classée sans suite,
– l’appelant appuie essentiellement ses accusations sur l’attestation d’une cliente alcoolisée qui était son amie alors que l’établissement était complet et sur une fausse attestation de M. [S]
– un autre salarié qui ne fait plus partie du personnel atteste également du comportement de M. [B] [W], un client précise qu’il n’a été témoin d’aucune agression de la part du gérant, un autre client témoigne du comportement irrespectueux et provocateur du serveur lors d’une manifestation organisée
– un avertissement annulé pour défaut de procédure seulement ne saurait constituer en soi un fait de harcèlement moral
– sur le geste déplacé lors de l’entretien préalable, le conseiller du salarié ne fait que reporter sur son rapport les propos de celui-ci et M. [E] présente une rigidité de la main suite à une problématique médicale
– les retards dans l’établissement des attestations de salaire sont dus à la négligence du salarié
–M. [B] [W] n’est jamais venu chercher les documents de fin de contrat chez son employeur.
Il convient donc d’examiner ces différents éléments.
– Sur l’avertissement annulé, les agressions verbales et les insultes
L’avertissement a été annulé pour défaut de respect de la procédure de publicité du règlement intérieur, de sorte qu’il ne peut en lui-même constituer un fait de harcèlement moral.
Par ailleurs et sans même avoir besoin de se référer aux attestations contradictoires produites par les parties, la cour relève que M. [N] [E], dans sa plainte déposée le 4 novembre 2016, déclarait lui-même :
« En date du 19/03/2016 vers 22h50, j’ai surpris cet employé qui est serveur fumer une cigarette alors qu’il se trouvait à l’intérieur du local cuisine avec la porte fenêtre entrouverte. Je lui ai fait la remontrance en lui disant : « tu vois ce que tu fais là ». Il m’a répondu que « je fume ». Je lui ai dit qu’il allait prendre un avertissement. Il m’a répondu d’un ton très provocateur avec dédain « et alors ». Je lui ai répondu sous le ton de la colère : «je vais te virer. Gros con ». Par la suite ce salarié est retourné en salle en éteignant auparavant sa cigarette et sans se laver les mains car le lavabo d’en bas était hors fonction. Il a continué à servir et je me trouvais en caisse. Il y a eu encore une altercation car je lui avais posé la question sur un no de table aux fins d’encaisser les clients qui étaient devant moi. Il s’est retourné sans me répondre et s’est dirigé vers une table d’amis à lui. J’ai été le voir et je lui ai maintenu l’épaule en lui disant que lorsque je lui posais une question de bien vouloir me répondre. »
Or, quel que soit le comportement provocateur du salarié, lequel ressort effectivement des attestations de MM. [O] et [S] salariés présents, l’attitude en réponse de M. [N] [E] était inappropriée et en rien justifiée par l’exercice normal d’un pouvoir d’autorité ou de direction, qu’il s’agisse des propos injurieux tenus mais surtout de ce geste physique de maintien de l’épaule de son salarié.
-Sur les éléments complémentaires invoqués
M. [B] [W] ne fait plus état en appel de l’affectation à des tâches non comprises dans son contrat de travail comme des travaux de peinture, ce qui au demeurant, ne ressort d’aucun élément au dossier.
S’agissant du « doigt d’honneur » qu’aurait fait l’employeur lors de l’entretien préalable de licenciement, il ressort du compte rendu du conseiller du salarié que ce dernier n’a pas vu le geste mais seulement entendu les propos tenus par le salarié. Ce fait n’est donc pas établi.
En ce qui concerne le retard dans l’établissement des attestations de salaire, il ressort du courrier adressé par l’employeur le 25 juillet 2016 que ce dernier a adressé à l’assurance maladie une déclaration sociale nominative (DSN), ce qui signifie qu’il a également transmis l’attestation de salaire. Ce fait n’est donc pas établi non plus.
Enfin, s’agissant de la remise des documents de fin de contrat, le simple retard ne saurait être considéré comme un fait de harcèlement moral, dès lors que le salarié ne démontre ni même n’allègue les avoir réclamés et qu’il n’est pas contesté qu’ils ont été remis par l’expert comptable de l’employeur.
-Sur les faits pouvant constituer un harcèlement moral
Au vu de ce qui précède, seul peut être reproché à l’employeur son comportement dans la soirée du 19 mars 2016. Aucun fait antérieur n’est démontré et notamment sur ce qui se serait produit, un mois plus tôt, lors d’une conférence, au sujet de verres qui s’entrechoquaient.
Cependant, le seul comportement inapproprié de l’employeur au cours d’une même soirée constitue un fait unique et ne peut donc caractériser un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.
Il convient donc, par ces motifs partiellement substitués, de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que M. [B] [W] n’avait pas été victime d’un harcèlement moral et l’a débouté de ses demandes à ce titre.
Sur la demande subsidiaire au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le licenciement pour inaptitude physique est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.
Il a été vu précédemment que le comportement de l’employeur, le 19 mars 2016, était fautif.
Le certificat médical initial a été établi, le 21 mars 2016, pour un accident de travail, mentionnant « agression physique et verbale sur les lieux de travail. Réaction anxieuse secondaire avec troubles du sommeil. ».
Le médecin généraliste a ensuite renvoyé le salarié vers un psychiatre qui, par courrier du 12 mai 2016, évoque un arrêt de travail depuis mars 2016 suite à un état de stress réactionnel justifiant une inaptitude dans l’entreprise.
Le 27 mai 2016, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de l’accident.
Force est de constater que l’employeur n’a jamais contesté l’origine professionnelle de l’arrêt de travail.
La fiche d’inaptitude mentionne « Procédure d’urgence pour danger immédiat. Inapte à tous les postes dans l’entreprise à effet immédiat. Une seule visite. Son état de santé ne permet pas de proposer un autre poste dans l’entreprise ».
Si le médecin du travail ne mentionne pas dans sa fiche de lien avec un accident du travail, il convient de relever que le dossier médical de M. [B] [W] établi par la médecine du travail ne relève aucun antécédent susceptible de rattacher l’inaptitude à un événement extérieur au travail.
Il convient en outre de constater que depuis le 21 mars 2016, soit au surlendemain des faits du 19 mars 2016, M. [B] [W] n’a plus jamais repris le travail.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a bien un lien entre le comportement fautif de l’employeur et l’inaptitude qui est d’origine professionnelle.
Dès lors, le licenciement de M. [B] [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.
Sur les conséquences indemnitaires du licenciement sans cause réelle et sérieuse
M. [B] [W] réclame la somme de 15 000 euros au titre du préjudice distinct résultant de la responsabilité de l’employeur dans la dégradation de son état de santé et dans l’inaptitude prononcée ainsi que 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La rémunération mensuelle brute moyenne de M. [B] [W] s’élevait à 2127,94 euros.
Agé de 31 ans au moment du licenciement, il avait une ancienneté de 2 ans et 10 mois.
Il a deux enfants à charge.
Après avoir été allocataire de pôle emploi, il a retrouvé un emploi de réceptionniste en mai 2018 puis s’est trouvé à nouveau en recherche d’emploi. Il a suivi des stages en vue d’une reconversion. Il a travaillé temporairement comme peintre. Il bénéficie actuellement d’un contrat de travail à durée indéterminée de cuisinier depuis le 20 septembre 2021.
Compte tenu de ces éléments et des circonstances de la rupture, il convient de lui octroyer la somme de 13 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable.
M. [B] [W] justifie d’un préjudice spécifique, distinct de celui résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi, résultant d’un comportement fautif de l’employeur. En effet, les éléments médicaux démontrent le lien entre l’altération de l’état de santé conduisant à l’inaptitude et le comportement de l’employeur. Il convient d’accorder à ce titre la somme de 3000 euros.
Sur le licenciement irrégulier
L’indemnité prévue à l’article L.1235-2 du code du travail tenant à l’irrégularité de la procédure de licenciement n’est due que lorsque le licenciement survient pour une cause réelle et sérieuse.
Dès lors, le licenciement ayant été en l’espèce considéré comme sans cause réelle et sérieuse, M. [B] [W] ne peut réclamer l’indemnité pour licenciement irrégulier.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d’appel seront supportés par la SARL Carré Jazz.
L’équité justifie d’accorder à M. [B] [W] la somme réclamée de 4000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
-Confirme le jugement rendu le 4 novembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Nîmes en ce qu’il a :
-Annulé l’avertissement du 21 mars 2016
-Dit que M. [B] [W] n’a pas été victime d’un harcèlement moral de la part de la SARL Carré Jazz et l’a débouté de ses demandes à ce titre
-L’infirme pour le surplus,
-Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
-Dit que le licenciement de M. [B] [W] est sans cause réelle et sérieuse,
-Condamne la SARL Carré Jazz à payer à M. [B] [W] la somme de 13 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-Condamne la SARL Carré Jazz à payer à M. [B] [W] la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct
-Rejette la demande d’indemnité au titre du licenciement irrégulier,
– Ordonne le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail,
– Condamne la SARL Carré Jazz à payer à M. [B] [W] la somme de 4000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Rejette le surplus des demandes,
– Condamne la SARL Carré Jazz aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,