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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller F…, les observations de Me Y… et de la société civile professionnelle RYZIGER et BOUZIDI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de Z… ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Gaston,
– G… Marcel,
– LEVY Nelson, contre l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de PARIS, du 25 novembre 1996, qui a renvoyé devant le tribunal correctionnel de PARIS :
– Gaston X… pour complicité du délit de tenue illicite d’une maison de jeux de hasard et corruption passive,
– Marcel G… et Nelson LEVY pour recel de sommes provenant de l’exploitation illicite d’une maison de jeux de hasard et complicité de corruption passive ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les arrêts de la Chambre criminelle des 17 juillet 1991 et 2 février 1994 portant désignation de juridiction ;
Vu l’article 574 du Code de procédure pénale ;
Vu les mémoires produits ;
Attendu que, le 26 septembre 1990, la gendarmerie de Papeete a constaté que Julien E…
D… exploitait une maison de jeux de hasard sur un terrain communal loué par son gendre à Nelson Lévy, qui l’avait loué à la commune de Pirae;
que le 30 octobre 1990, le parquet a requis l’ouverture d’une information contre Julien E…
D… et autres personnes dénommées, pour tenue illicite de maisons de jeux de hasard et complicité de ce délit ;
Attendu qu’à la suite de faits de même nature, découverts courant 1992 et 1993, le procureur de la République de Papeete, a ordonné plusieurs enquêtes préliminaires ;
Qu’au cours de l’une d’elles, Julien E…
D… a révélé avoir versé, de manière occulte, des sommes destinées à l’activité et au parti politique de Gaston X…, maire de Pirae ;
Qu’à l’issue de ces enquêtes, le parquet a présenté requête en désignation de juridiction à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, qui, par arrêt du 2 février 1994, a désigné la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, en application de l’article 681 du Code de procédure pénale ;
Attendu, par ailleurs, que le procureur de la République, informé de ce que Julien E…
D… avait versé des sommes en espèces à Jean A…, maire de Papeete, a présenté requête à la Chambre criminelle, qui, par arrêt du 17 juillet 1991, a désigné pour être chargée de l’instruction de cette affaire, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris qui a ordonné le 9 mai 1994 la jonction des deux procédures ;
Attendu que, par l’arrêt attaqué, la chambre d’accusation a rejeté les requêtes en annulation d’actes de la procédure des demandeurs et ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel, notamment de Gaston X…, Marcel G… et Nelson Lévy ;
En cet état :
Sur le deuxième moyen de cassation proposé par Me Y…, pour Gaston X…, pris de la violation de l’article 230 de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, des articles 679 et suivants, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a renvoyé Gaston X… devant le tribunal correctionnel de Paris du chef de complicité du délit de tenue illicite d’une maison de jeux de hasard et d’argent, commis par Julien E…
D…, et du chef de délit de corruption passive, après avoir rejeté la requête en annulation de la procédure RI 1-94 ;
“aux motifs que la requête présentée par le procureur de la République de Papeete le 13 décembre 1993 à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation serait tardive au motif que Gaston X… aurait été mis en cause dès le début des enquêtes préliminaires le concernant, et qu’en conséquence, le procureur de la République aurait dû faire cesser l’enquête et présenter une requête sans délai;
qu’il convient de rappeler que les actes contestés ont été accomplis en enquêtes préliminaires successives qui ont été ordonnées par le procureur de la République de Papeete et qui se sont déroulées du 1er septembre 1992 au 11 décembre 1993;
qu’au vu des derniers développements de l’enquête, ce magistrat, ayant considéré que des éléments étaient réunis et justifiaient l’ouverture d’une information mettant en cause Gaston X…, a présenté, dans ce but, le 13 décembre 1993, requête à la Chambre criminelle pour désignation de la juridiction d’instruction;
que les dispositions de l’article 681 du Code de procédure pénale ont été respectées, puisqu’elles ne sont pas applicables à l’enquête préliminaire, destinée à permettre au procureur de la République d’apprécier l’opportunité d’engager des poursuites ;
qu’ainsi, la requête du 13 décembre 1993, préalable à toute ouverture d’information, ne saurait être considérée comme tardive (arrêt p. 21 et 22);
qu’en outre, Gaston X… considère que la procédure le concernant étant constituée d’enquêtes préalables successives est irrégulière;
mais que le procureur de la République dirige l’enquête de police judiciaire et qu’il lui appartient d’ordonner toutes les investigations qu’il juge nécessaire avant de décider si les éléments recueillis justifient ou non l’ouverture d’une information ;
qu’en l’espèce une enquête de flagrant délit a été menée par la brigade de gendarmerie de Papeete à compter du 1er septembre 1992 (CA 1 0 CA 21);
que la notion de flagrance ayant cessé, l’enquête a été poursuivie sous forme préliminaire à compter du 8 septembre 1992 (CA 22 à CA 42);
qu’elle a été transmise le 29 octobre 1992 au procureur de la République et a été suivie de deux procédures d’enquête préliminaire respectivement conduites du 16 au 28 octobre 1992 et du 4 mai au 16 août 1993;
qu’à la suite de la parution d’un article dans la presse le 5 août 1993, le procureur de la République a requis d’autres mesures de poursuite, qui lui ont été retournées après exécution le 11 décembre 1993;
que le procureur de la République a considéré alors que l’ensemble de ces procédures était de nature à justifier l’ouverture d’une information et présentait, dans ce but, la requête prévue à l’article 681 du Code de procédure pénale le 13 décembre 1993 (arrêt p. 23 et 24) ;
“alors que, premièrement, l’application de la procédure prévue à l’article 681 du Code de procédure pénale dépend de la qualité de la personne concernée et du fait qu’elle est susceptible d’être inculpée d’un crime ou d’un délit commis dans l’exercice de ses fonctions;
que le 1er septembre 1992, une enquête en flagrance a révélé que Julien E…
D… exploitait une maison de jeux de hasard sur un terrain loué à la commune de Pirae, qui percevait un important loyer à raison de cette activité;
que dès le 8 septembre 1992, les investigations ont été poursuivies sous forme d’enquêtes préliminaires;
que dès lors la responsabilité de Gaston X…, maire de cette ville, était susceptible d’être engagée;
qu’en décidant que le procureur de la République n’était pas tenu de présenter une requête en désignation de juridiction, la chambre d’accusation a violé les textes susvisés ;
“alors que, deuxièmement, l’ouverture de l’information n’appartient qu’au procureur général près la cour d’appel désignée ;
qu’en décidant que le procureur de la République est seul maître de l’opportunité des poursuites, même s’il était incompétent du seul fait que Gaston X… pris en sa qualité, était susceptible d’une inculpation, la chambre d’accusation a violé l’article 681, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
“alors que, troisièmement, et en toute hypothèse, le procureur de la République n’est compétent que pour l’accomplissement d’actes de poursuites urgents;
qu’en décidant qu’il pouvait néanmoins requérir trois enquêtes préliminaires après une enquête en flagrance, la chambre d’accusation a encore violé les textes susvisés ;
“alors que, quatrièmement et en tout cas, dès que la chambre d’accusation désignée est informée de ce qu’une personne ayant les qualités visées à l’article 681 du Code de procédure pénale est susceptible d’être inculpée sur le fondement de la complicité de l’auteur de l’infraction poursuivie ou au titre d’une infraction connexe, le procureur de la République doit saisir la Chambre criminelle d’une nouvelle requête;
qu’à l’audition des 23 et 27 septembre 1993 Li D… a informé Mme Anzani président de la chambre d’accusation désigné afin d’informer dans la procédure numéro RI 21-91, que Gaston X… était susceptible d’être inculpé de diverses infractions ou pour complicité aux infractions pour lesquelles il était lui-même poursuivi ;
que la Chambre criminelle n’ayant pas été saisie sans délai, l’arrêt a été rendu par une juridiction incompétente” ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Ryziger et Bouzidi, pour Marcel G… et Nelson Lévy, pris de la violation de l’article 681 du Code de procédure pénale, des articles 485, 593 du même Code ;
“en ce que la décision attaquée a refusé d’annuler la procédure poursuivie pour des faits commis en 1992 et certains faits commis de 1990 à 1994;
en raison de la qualité tant de Gaston X… maire de Pirae et président du territoire de la Polynésie Française ;
“aux motifs en substance que Gaston X… soutient que la requête présentée par le procureur de la République de Papeete le 13 décembre 1993 à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation serait tardive au motif que Gaston X… aurait été mis en cause dès le début des enquêtes préliminaires et qu’en conséquence le procureur de la République aurait dû faire cesser l’enquête et présenter requête sans délai;
que Gaston X… ne pouvait qu’être impliqué dans le déroulement de l’infraction dès le 1er septembre 1992;
qu’il convient de rappeler que les actes contestés ont été accomplis en enquêtes préliminaires successives qui ont été ordonnées par le procureur de la République de Papeete et qui se sont déroulées du 1er septembre 1992 au 11 décembre 1993;
qu’au cours des derniers développements de l’enquête ce magistrat, ayant considéré que des éléments étaient réunis et justifiaient l’ouverture d’une information mettant en cause Gaston X…, a présenté dans ce but, le 13 décembre 1993, requête à la Chambre criminelle pour la désignation de la juridiction d’instruction;
que les dispositions de l’article 679 du Code de procédure pénale ont été respectées dans la mesure où elles ne sont pas applicables à l’enquête préliminaire;
que l’obligation faite au procureur de la République de présenter sans délai une requête à la Chambre criminelle ne s’impose pas à ce magistrat lors de l’enquête à laquelle il fait procéder préalablement à la mise en mouvement de l’action publique ;
“alors que si l’obligation de présenter requête en vertu de l’article 681 du Code de procédure pénale alors en vigueur ne s’appliquait pas au cours de l’enquête préliminaire, il en était autrement lorsque l’enquête préliminaire avait été prolongée pour éviter de procéder à l’ouverture d’une information et qu’il y avait eu ainsi un détournement de procédure;
qu’en l’espèce actuelle, les juges du fond devaient impérativement rechercher si l’ouverture d’une série de procédures d’enquête préliminaire n’a pas eu précisément pour but d’éviter l’ouverture d’une information qui aurait obligé le ministère public à présenter une requête à la Cour de Cassation en vue de désigner la juridiction compétente;
qu’il en est d’autant plus ainsi qu’en l’espèce actuelle il résulte de l’arrêt (cf. arrêt p. 8) qu’une procédure de flagrant délit avait eu lieu qui avait établi des faits susceptibles d’être qualifiés de tenue illicite d’une maison de jeux de hasard – à supposer que le délit soit susceptible d’être réprimé – qu’il résultait de cette procédure, l’intervention de la mairie de Pirae et de Marcel G… adjoint au maire de Pirae, donc élu municipal au sens de l’article 681 du Code de procédure pénale” ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Ryziger et Bouzidi, pour Marcel G… et Nelson Lévy, pris de la violation de l’article 681 du Code de procédure pénale, des articles 485, 593 du même Code ;
“en ce que la décision attaquée a refusé d’annuler la procédure en raison du caractère tardif de la saisine de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, laquelle, ainsi que cela résulte de l’arrêt attaqué, a été saisie le 13 décembre 1993 seulement une requête visant notamment Gaston X… et Marcel G… ;
“aux motifs, en substance que Gaston X… soutient que la requête présentée par le procureur de la République de Papeete le 13 décembre 1993 à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation serait tardive au motif que Gaston X… aurait été mis en cause dès le début des enquêtes préliminaires, et qu’en conséquence le procureur de la République aurait dû faire cesser l’enquête et présenter requête sans délai;
qu’il ne pouvait qu’être impliqué dans le déroulement de l’infraction dès le 1er septembre 1992;
qu’il convient de rappeler que les actes contestés ont été accomplis en enquêtes préliminaires successives qui ont été ordonnées par le procureur de la République de Papeete et qui se sont déroulées du 1er septembre 1992 au 11 décembre 1993;
qu’au vu des derniers développements de l’enquête, ce magistrat, ayant considéré que des éléments étaient réunis et justifiaient l’ouverture d’une information mettant en cause Gaston X…, a présenté dans ce but, le 13 décembre 1993, requête à la Chambre criminelle, pour la désignation de la juridiction d’instruction;
que les dispositions de l’article 679 du Code de procédure pénale ont été respectées dans la mesure où elles ne sont pas applicables à l’enquête préliminaire;
que l’obligation faite au procureur de la République de présenter sans délai une requête à la Chambre criminelle ne s’impose pas à ce magistrat lors de l’enquête à laquelle il fait procéder préalablement à la mise en mouvement de l’action publique ;
“alors qu’il résulte de la décision attaquée qu’une information avait été ouverte le 30 octobre 1990 par le procureur de la République de Papeete contre les organisateurs et complices y compris Nelson Lévy du chef de tenue d’une salle de jeux de hasard dans un lieu ouvert au public;
qu’il résulte de l’arrêt que la location avait été consentie par la commune de Pirae dont le maire était Gaston X… avec faculté de sous-location;
que la décision attaquée devait donc rechercher si dès cette époque, et dans le cadre de l’information, Gaston X… n’était pas susceptible d’être inculpé d’un délit” ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure, que Julien E…
D…, entendu les 23 et 27 septembre 1993 dans le cadre d’une enquête préliminaire, a révélé avoir versé, de manière occulte, entre 1990 et 1992, de nombreuses sommes destinées à Gaston X…, maire de la commune de Pirae, afin de conserver le monopole des jeux dans cette ville ;
Qu’à l’issue des investigations, ce magistrat a présenté requête en désignation de juge d’instruction à la Chambre criminelle, qui, par arrêt du 2 février 1994, a désigné la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, en application de l’article 681 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, pour rejeter la requête en annulation d’actes de la procédure fondée sur la saisine tardive de la Chambre criminelle, la chambre d’accusation se prononce par les motifs repris aux moyens ;
Attendu qu’en statuant ainsi et dès lors que les faits reprochés à Gaston X… ne sont apparus qu’en septembre 1993, les juges ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu’en effet, l’obligation de saisir la Chambre criminelle d’une requête en désignation d’une juridiction d’instruction ou de jugement, n’est pas applicable lors de l’enquête préalable à la mise en mouvement de l’action publique ;
D’où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;