11 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/04216
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRET DU 11 MAI 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04216 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCAUC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mars 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 18/03409
APPELANTE
Société ADJUVOO ( RCS Bobigny sous le numéro 898 001 029) venant aux droits et obligations de la Société KLB GROUP
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Marianne JACOB, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Madame [M] [J]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Chaouki GADDADA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0739
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre, chargée du rapport et Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.
ARRET :
– CONTRADICTOIRE,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société KLB Group a une activité de Conseil Opérationnel en Achat, Fonctions Support et Supply Chain à destination des entreprises. Elle emploie plus de 250 salariés en France et est implantée dans plus de 11 pays. Elle assiste ses clients afin d’optimiser leurs coûts d’achats, de fonctions support et de stocks et déploie de nombreux collaborateurs auprès de ses clients.
La société KLB GROUP relève de la convention collective nationale des Bureaux d’Etudes Techniques, Cabinets d’Ingénieurs Conseils (SYNTEC).
Mme [M] [J] a été embauchée par la société KLB, par contrat à durée indéterminée du 16 décembre 2013, en qualité de consultante, statut cadre, position 1.2, coefficient 100 pour une rémunération mensuelle brute de 2.333,33 euros.
Par avenant du 1er mars 2015, elle exerçait les mêmes fonctions sous le statut cadre, position 2.1 au coefficient 115, pour une rémunération mensuelle brute de 2.750 euros.
De décembre 2013 à avril 2016, Mme [J] a effectué une mission à temps plein au sein de la société Tchnip France, cliente de la société KLB Group.
Des avertissements ont été notifiés à la salariée les 18 janvier 2016, 14 avril 2016 et 31 janvier 2017 et un rappel à l’ordre le 18 août 2016, ultérieurement annulé.
En juin 2016, Mme [J] a commencé une nouvelle mission chez le client Areva.
En décembre 2016, elle a sollicité une augmentation de salaire qui lui a été refusée.
Le 26 septembre 2017, à sa demande, Mme [J] a été reçue par M. [L], responsable des ressources humaines, accompagnée d’un délégué du personnel, entretien au cours duquel sa demande de rupture conventionnelle a été refusée.
Le 23 octobre 2017, elle a été placée en arrêt maladie.
Par courrier recommandé du 9 avril 2018, Mme [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant une forte pression psychologique pour la pousser à démissionner (consistant en la multiplication de sanctions infondées), un manquement à l’obligation de résultat ainsi que la dégradation de son état de santé du fait de ce contexte de travail.
Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny, le 20 novembre 2018.
Par jugement contradictoire du 12 mars 2020, le conseil de prud’hommes a :
– dit que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société KLB GROUP à verser à Mme [J] les sommes suivantes :
13.588 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
8.152,89 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
815,28 euros à titre de congés payés afférents ;
3.849,96 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rappelé que les créances salariales porteront intérêt de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 5 décembre 2018, et les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent jugement ;
– débouté Mme [J] du surplus de ses demandes ;
– débouté la société KLB Group de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société KLB Group aux éventuels dépens.
Par déclaration notifiée par le RVPA le 09 juillet 2020, la société KLB Group a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 6 octobre 2020, la société KLB Group demande à la cour :
– d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a considéré que la prise d’acte de Mme [J] est justifiée par l’usage déloyal répété de son pouvoir disciplinaire par la société KLB Group et que de ce fait elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
– de constater l’absence de tout manquement grave imputable à la société KLB Group ;
– de juger que la prise d’acte de Mme [J] s’analyse en une démission avec les conséquences qui y sont attachées ;
en conséquence :
– de débouter Mme [J] de l’ensemble de ses demandes ;
– de condamner Mme [J] à lui verser la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 14 décembre 2020, Mme [J] demande à la cour de :
– à titre principal : infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de juger que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul du fait de harcèlement moral ;
en conséquence, statuant à nouveau,
– condamner la société KLB Group à lui payer :
16.305,78 euros d’indemnité pour licenciement nul,
3.849,96 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,
8.152,89 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 815,28 euros à titre de congés payés afférents,
à titre subsidiaire :
– confirmer le jugement ce qu’il a jugé que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait de l’exercice abusif par l’employeur de son pouvoir disciplinaire,
– l’infirmer sur le quantum et statuant à nouveau, condamner la société KLB Group à lui payer:
13.588,15 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (5 mois),
3.849,96 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,
8.152,89 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 815,28 euros à titre de congés payés afférents,
en toute hypothèse :
– ordonner la remise d’une attestation pôle emploi conforme à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour à compter du 15 ème jour suivant la notification de l’arrêt,
– débouter la société KLB Group de l’intégralité de ses demandes,
– condamner la société KLB Group à lui payer 1.800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, aux entiers dépens et frais éventuels d’exécution.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 7 décembre 2022.
Le 1er février 2023, la société ADJUVOO est venue aux droits de la société KLB Group.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
Mme [J] soutient qu’elle a fait l’objet d’un harcèlement moral par la mise en ‘uvre abusive de procédures disciplinaires puisque durant la période de janvier 2016 à janvier 2017, elle a été rendue destinataire de 3 avertissements, d’un rappel à l’ordre, et de multiples pressions et remarques désobligeantes de la part de son employeur, qui a ignoré ses alertes sur l’impact de cette situation sur son état de santé.
La société conteste tout agissement de harcèlement moral. Elle soutient que le départ de Mme [J] est en réalité lié à son refus légitime de ne pas accéder à la demande d’évolution de poste et de rémunération sollicitée par la salariée.
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au soutien de son affirmation, la salariée produit :
– les lettres d’avertissement des 18 janvier 2016, 14 avril 2016 et 31 janvier 2017 et le rappel à l’ordre du 18 août 2016,
– ses lettres de contestation de ces sanctions,
– une attestation de M. [Y], collègue, en ces termes : «J’ai collaboré avec Madame [J] lors de deux missions en tant que consultant KLB Group, l’une chez le client Technip France et la seconde au sein d’Areva, où nous étions dans le même bureau. Lorsque j’ai connu [M], c’était une personne joviale et très souriante, toujours prête à venir en aide à ses collègues mais ce sourire s’est effacé tout au long de ses missions.
Nous échangions beaucoup et il lui arrivait souvent de pleurer lorsqu’elle me parlait du traitement que lui infligeait la société KLB.
Les multiples avertissements ainsi que les agressions verbales dont elle me faisait part provenaient tous de la hiérarchie. Cela affectait son moral puisqu’elle pleurait assez souvent en me racontant les faits.
Mais c’est surtout lors d’une visite au siège de KLB que j’ai compris pourquoi elle évoquait un acharnement, en plus des mails et des agissements constatés.
Lors d’un litige que j’avais eu avec la société, je me suis déplacé au siège afin de rencontrer le directeur de la Business Unit, Monsieur [H] [D], afin de lui faire part de mon mécontentement.
Celui-ci m’a rétorqué que [M] était à l’origine de tout ceci et me manipulait. Il m’a demandé de lui confirmer qu’elle était bien l’instigatrice de ce mécontentement alors que je me suis déplacé de mon plein gré au siège et sans concertation avec elle pour un différend qui me concernait.
J’ai vu [M] usée psychologiquement face à l’inaction et le manque d’écoute de KLB. Souvent en pleurs à la sortie d’entretiens suite aux reproches qu’on lui a fait et qui semblent infondés. Constamment stressée et anxieuse, tout ceci a visiblement impacté son travail» ;
– un courrier du 31 octobre 2017 dénonçant une dégradation de ses conditions de travail.
Enfin, elle produit diverses pièces sur son état de santé, tels que des arrêts maladie à compter d’octobre 2017 faisant état d’un « syndrome anxio-dépressif réactionnel », puis à compter de février 2018 d’un « épisode dépressif majeur » et le certificat établi par le Docteur [E] le 26 décembre 2017 faisant état d’un syndrome anxio-dépressif avec tremblements, tachycardie et pleurs.
La salariée présente ainsi des faits qui, pris dans leur ensemble avec les éléments médicaux, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et il appartient donc à l’employeur de justifier ses décisions par des éléments objectifs.
Sur l’avertissement du 18 janvier 2016
L’avertissement du 18 janvier 2016 a été notifié à la salariée pour avoir, d’une part, répondu à son manager en mettant en copie l’ensemble de l’équipe (pratique inacceptable pour un sujet qui lui est propre) et d’autre part avoir répondu avec véhémence au directeur des opérations qui lui demandait des explications, confirmant ainsi son impertinence et son non respect des règles.
Il ressort des pièces produites l’échange suivant :
– le 7 décembre 2015, Mme [A] [O], responsable des opérations a adressé à l’ensemble de l’équipe dont faisait partie Mme [J] un courrier électronique rappelant que la société KLB Group restait l’employeur pour toute question relative aux congés et RTT et demandant aux salariés de poser leurs RTT pendant la période de fermeture du client Technip du 23/12 au 31/12 inclus, les collaborateurs ayant un surplus devant lui envoyer un mail avec le nombre de RTT restant ;
– le jour même, Mme [J] a répondu en indiquant : « [A], il me restera 3.5 RTT à poser en 2015 après avoir posé les 6 jours relatifs à la fermeture de Technip du 23/12/2015 au 31/12/2015 (soit 9.5 au total) » ;
– Mme [S], Directrice des opérations lui a alors reproché d’avoir mis en copie ‘tout le monde alors que le sujet ne concerne que toi et [A]’ et également de ne pas donner l’exemple avec son ancienneté en ayant posé ’15 jours de CP en août et seulement 0,5 jours en RTT’ alors qu’elle aurait dû poser à ce moment-là 6,5 RTT, ajoutant que ‘ta négligence génère du surcroît de travail pour les fonctions en interne. Je souhaite que tu en sois consciente pour que désormais cela ne se reproduise plus’ ;
– Mme [J] a alors répondu le 7 décembre 2015 en indiquant que le ‘reply to all’ est une habitude acquise chez le client Technip, qu’elle ne considérait pas avoir été déplacée ou incorrecte dans son mail, que la question des congés a déjà été abordée avec [A] lorsqu’elle s’est présentée chez Technip et que si elle aurait dû en effet poser davantage de RTT pour ses congés, elle ne souhaitait pas perdre ces RTT 2015 qui sont un droit ; qu’elle ne comprenait pas de quel surcroît de travail il était question, que le mot négligence lui semblait démesuré voire incorrect et qu’elle considérait au contraire ne pas manquer de conscience en évoquant ses rares absences même lorsqu’elle était malade.
Le fait de ‘répondre à tous’ à la suite d’un mail adressé à une pluralité de destinataires ne peut être considéré comme fautif et le ton employé par la salariée dans sa réponse à son supérieur ne recèle pas de termes déplacés.
L’avertissement notifié est donc injustifié.
Sur l’avertissement du 14 avril 2016
Il est reproché à la salariée de s’être présentée à son poste de travail chez le client Technip le 8 avril 2016 après 9h40 au lieu de 9 heures, sans justificatif ni excuse, ce qui a créé une forte insatisfaction chez le client.
La société fait valoir que, contrairement à un cadre au forfait jour, Mme [J] était soumise à un forfait heures et devait donc respecter les horaires imposés par sa hiérarchie.
Or, comme le fait remarquer la salariée, outre le fait qu’aucune preuve n’est apportée quant à l’insatisfaction du client, l’article 2 du règlement intérieur de la société KLB Group prévoit que ‘Les horaires d’arrivée et de départ son compris dans la plage horaire suivante : 7h30 à 20h avec une pause d’une heure pour déjeuner et deux pauses et que sur la plage suivante la présence des salariés est obligatoire : 10h-12h et 14h-16h’.
A défaut d’avoir notifié à la salariée des horaires différents, il ne peut lui être reproché d’être arrivée après 9 heures au sein de la société cliente, l’employeur ne justifiant pas que la plage horaire commençant à 10 heures n’aurait pas été respectée.
Cette sanction est donc injustifiée.
Sur le rappel à l’ordre du 18 août 2016
Le rappel à l’ordre du 18 août 2016 reproche à la salariée son absence pour les journées des 1er, 4 et 5 juillet 2016 et l’absence de transmission de justificatifs d’arrêt de travail.
Si comme le soutient l’employeur, ce rappel à l’ordre a été annulé après que le service des ressources humaines se soit aperçu de son erreur, ce dont la salariée a été informée par mail du 25 août 2016, il n’en demeure pas moins que ce courrier lui a été adressé avant même qu’elle ne soit interrogée sur les manquements reprochés.
C’est donc à tort qu’un rappel à l’ordre lui a été adressé.
Sur l’avertissement du 31 janvier 2017
Dans le troisième avertissement délivré à Mme [J], il lui est reproché :
– le ton employé dans les échanges du 1er décembre 2016,
– le non-respect des règles relatives aux feuilles de temps, entraînant une désorganisation de l’entreprise,
– un défaut de transmission des justificatifs d’absences dans les délais légaux pour les journées des 22 et 23 janvier 2017.
S’agissant des deux derniers faits reprochés, la salariée reconnaît une simple erreur de pointage sur l’intranet pour la journée du 2 janvier 2017 qui ne saurait justifier une sanction et le 22 janvier 2017 étant un dimanche, la transmission de l’arrêt maladie le 25 janvier 2017 a bien eu lieu dans les 48 heures de l’absence du lundi 23.
S’agissant des messages du mois de décembre 2016, il ressort des pièces produites qu’à compter de juin 2016, Mme [J] a quitté sa mission chez Technip pour intégrer la société cliente Areva et qu’estimant avoir dès lors occupé les fonctions de consultante ‘comptabilité business et analytique’, très éloignées des fonctions de comptabilité ‘fournisseurs’ occupées jusqu’alors et qui selon elle impliquaient des tâches et responsabilités supplémentaires, elle a sollicité une revalorisation de son salaire, laquelle lui a été refusée.
Les parties ont échangé sur cette demande dans les termes suivants :
– par courriel du 1er décembre 2016, Mme [Z] indiquait à Mme [J] avoir transmis sa demande à sa hiérarchie mais lui précisait que les revalorisations salariales au sein de KLB auraient lieu en 02-2017 et qu’il serait rediscuté de sa demande à ce moment-là ;
– Mme [J] répondait à son manager le jour même dans les termes suivants :
‘Je regrette, nous sommes aujourd’hui dans une impasse. Je t’ai fait part d’une demande de revalorisation lié à un changement de poste (je ne suis plus en compta four) avec rétroactivité à juin 2016 et tu me parles de février 2017 »’ Dans quel monde une personne qui change de poste renégocie son salaire 8 mois après ‘ Tu me demandes de faire du 9h-20h 1 semaine par mois, de ne jamais partir en vacances à chaque début de mois’pour 33 K € »’
Lorsque KLB fera preuve de professionnalisme, j’en ferai également.
Je reste bien évidemment ouverte à la négociation. En attendant, je travaillerai à la hauteur de mon salaire’ ;
– M. [L], responsable des ressources humaines, reprochait alors le ton inacceptable selon lui employé dans ce mail, rappelant à la salariée qu’une nouvelle mission chez un client n’était pas un changement de poste ;
– Mme [J] lui répondait alors en ces termes le 2 décembre 2016 : ‘(‘) il semblerait que tu n’aies pas pris connaissance de la différence entre une fiche de poste «consultant comptabilité fournisseur» et «consultant comptabilité business et analytique» ce qui semble très surprenant pour une position de RRH (‘)’, avec copie du mail à l’ensemble de ses supérieurs hiérarchiques.
Le ton employé dans ces échanges par la salariée ne révèle pas seulement son agacement, comme elle le soutient, mais manifeste également un irrespect envers son supérieur.
En outre, si la salariée soutient que son poste chez Areva était ‘complètement différent’ de celui occupé chez Technip, elle ne produit pas de pièces en ce sens et se borne à mentionner deux fiches de postes avec des intitulés différents sans les produire aux débats.
Enfin, la société fait valoir à juste titre que la salariée a été engagée en qualité de consultante, son contrat de travail prévoyant qu’elle aurait notamment les responsabilités suivantes : formaliser des livrables de qualité aux clients et des reportings à son manager, assurer le traitement et la mise en ‘uvre des méthodologies des missions de gestion administrative et financière confiées, comprendre les enjeux contractuels entre KLB Group et son client et que le lieu d’exécution de sa mission pouvait être modifié, sans que cela constitue une modification du contrat de travail.
C’est ainsi conformément à son contrat de travail qu’elle a été déployée en mission au sein de la société Technip France puis de la société Areva afin d’y exercer ses fonctions de consultante.
En conséquence, ce changement de mission ne caractérisait pas une modification du contrat de travail et ne justifiait pas dès lors la nécessité de signer un avenant, étant précisé qu’aucun élément contractuel ne prévoyait non plus de modification systématique de la rémunération perçue.
L’avertissement notifié n’apparaît pas disproportionné aux faits reprochés.
Enfin, Mme [J] fait état d’un 4ème avertissement du mois de septembre 2017, en précisant qu’elle ne l’a jamais reçu, lequel n’est pas produit aux débats.
En synthèse, la société ne justifie pas par une raison objective les deux premiers avertissements et le rappel à l’ordre adressés à la salariée, ce qui caractérise un harcèlement moral.
Sur la rupture du contrat
La société fait valoir que la rupture du contrat de travail doit s’analyser en une démission, contestant avoir commis des manquements graves contemporains qui seraient de nature à lui en imputer la responsabilité. Elle estime que la rupture du contrat est en réalité liée à son refus légitime d’accéder à la demande d’évolution de poste et de rémunération de la salariée.
La salariée fait valoir que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, celle-ci étant justifiée par les pressions et le harcèlement moral exercés sur elle par son employeur, se traduisant par la mise en ‘uvre abusive de procédures disciplinaires.
Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l’employeur qui empêchent la poursuite du contrat.
Il appartient au salarié d’établir les manquements reprochés et leur caractère suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Par ailleurs, la prise d’acte doit être contemporaine aux manquements imputés par le salarié à l’employeur et des manquements anciens, n’ayant pas fait obstacle à la poursuite du contrat de travail, ne justifient pas une prise d’acte, laquelle produit alors les effets d’une démission.
Comme précédemment développé, les deux avertissements injustifiés dataient de janvier et avril 2016 et le rappel à l’ordre annulé par l’employeur du mois d’août de la même année.
Or, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail en avril 2018, soit 20 mois après la dernière sanction injustifiée.
Par ailleurs, si dans sa lettre de prise d’acte, la salariée faisait état également de comportements agressifs de ses supérieurs lors d’entretiens, dont l’un en présence d’un délégué du personnel, M. [I], aucun compte rendu ou attestation n’est produit en ce sens. En outre, M. [Y] précité rapporte principalement les propos de la salariée et aucune précision n’est donnée sur la date à laquelle il a été reçu par la direction en entretien, au cours duquel le comportement de Mme [J] avait été évoqué.
Il ressort en outre des échanges de mails produits sur les années 2017 et 2018 que Mme [J] n’était pas satisfaite de son évolution professionnelle au sein de la société et avait sollicité à plusieurs reprises une rupture conventionnelle qui lui a été refusée.
Par courrier du 19 janvier 2018, la société KLB Group lui rappelait qu’elle avait été reçue en entretien RH le mardi 26 septembre au cours duquel il avait été répondu à sa demande de rupture conventionnelle et elle lui proposait de la recevoir à son retour d’arrêt maladie dès le 29 janvier 2018 à 9h00 pour évoquer sa situation, avec également la prévision d’une visite médicale dès son retour, ainsi qu’une enquête auprès du CHSCT sur ses conditions de travail.
Aucune suite n’a été donnée à ce courrier par Mme [J] qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 9 avril 2018, sans avoir repris son poste, son arrêt de travail ayant été prolongé.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que si la cour a retenu l’existence d’un harcèlement moral, le dernier manquement de l’employeur à ce titre est antérieur de plus d’un an à la prise d’acte (20 mois), ce dont il se déduit qu’il n’a pas empêché la poursuite du contrat de travail. En revanche, la prise d’acte s’inscrit dans un contexte de demandes de la salariée, d’abord d’évolution professionnelle puis de rupture conventionnelle, auxquelles la société n’a pas donné suite.
Ainsi, l’ancienneté des faits établis à l’encontre de la société ne peut justifier une rupture du contrats à ses torts en avril 2018, laquelle doit donc s’analyser en une démission.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les demandes accessoires
Mme [J] supportera les dépens.
En revanche, il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que la prise d’acte produit les effets d’une démission ;
REJETTE les demandes de Mme [J] ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [J] aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière, La présidente.