Contrefaçon de la marque “4810” : Risque de confusion et indemnisation

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Contrefaçon de la marque “4810” : Risque de confusion et indemnisation
Ce point juridique est utile ?

La contrefaçon d’une marque exclusivement composée d’un nombre (4810) peut être retenue.

En la cause, si le nombre 4807 se trouve effectivement intégré à un ensemble complexe, il n’en perd pas pour autant la qualité de marque, en ce qu’il a vocation à distinguer les produits de la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC.

Or, les nombres 4807 et 4810 comportent trois chiffres en commun, dont deux présentent un positionnement identique, ce qui vient accentuer les ressemblances tant sur le plan visuel que phonétique, les quatre premières syllabes des deux signes se prononçant à l’identique. Le caractère prédominant desdits signes pouvant amener le consommateur à désigner le produit litigieux par le seul nombre 4807 ou 4810, il existe ainsi un risque de confusion entre les marchandises commercialisées par les sociétés Alpes Marques.

Les nombres 4807 et 4810 renvoient indéniablement tous deux à l’altitude du Mont-Blanc, établie officiellement à 4807 mètres en 1863 avant d’être réévaluée à 4810 mètres en 2011.

A cet égard, il importe peu que le signe “4810″ protégé ne mentionne aucune référence explicite à l’altitude du Mont-Blanc, ladite référence étant de notoriété publique et, à ce titre, largement exploitée en matière commerciale pour promouvoir tout type de marchandises (pièces n°6 à 8 du demandeur).

Cette référence conceptuelle apparaît d’ailleurs confortée au sein du signe litigieux par la reproduction de montagnes et la mention “Mont-Blanc”, la présence d’éléments verbaux complémentaires, dont la mention du lieu de production (soit la distillerie Saint-Gervais Mont-Blanc) ne permettant pas de dissiper le risque de confusion.

Au reste, l’interdiction d’exploiter un nombre défini ne peut être assimilée à l’attribution d’un monopole sur l’intégralité des nombres débutant par les chiffres 4 et 8, puisque le nombre 4807 est utilisé dans un contexte spécifique pour désigner des produits identiques.

En considération de la place prédominante occupée par le nombre 4807, il peut être considéré que le signe litigieux imite la marque 4810. De par la similarité des signes et des produits, une confusion s’opérera nécessairement dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne.

La société ALPES MARQUES, titulaire de la marque verbale française “4810” pour des produits alcoolisés, a obtenu la condamnation de la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC pour contrefaçon (usage de la dénomination “4807” pour désigner du gin). Le Juge des référés a déjà condamné la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC à payer une somme provisionnelle et à cesser l’usage du signe litigieux. La société ALPES MARQUES demande maintenant au Tribunal de confirmer la contrefaçon, d’interdire l’usage de “4807”, de réclamer des dommages et intérêts, et de demander des frais de procédure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 août 2024
Tribunal judiciaire de Lyon
RG n°
21/03883
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 10 cab 10 H

N° RG 21/03883 – N° Portalis DB2H-W-B7F-V5X4

Jugement du 06 août 2024

Notifié le :

Grosse et copie à :

la SELARL NEXEN CONTENTIEUX – 2127
la SELARL STOULS ET ASSOCIES – 1141

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 06 août 2024 devant la Chambre 10 cab 10 H le jugement contradictoire suivant,

Après que l’instruction eut été clôturée le 04 septembre 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 13 février 2024 devant :

Cécile WOESSNER, Vice-Présidente,
Marlène DOUIBI, Juge,
François LE CLEC’H, Juge,
Siégeant en formation Collégiale,

Assistés de Patricia BRUNON, Greffier présent lors de l’audience de plaidoiries, et Jessica BOSCO BUFFART, Greffier présent lors du prononcé

Et après qu’il en eut été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :

DEMANDERESSE

S.A.S.U. ALPES MARQUES
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Maître Jean-Pierre STOULS de la SELARL STOULS ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

DEFENDERESSE

S.A.R.L. DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Frédéric JANIN de la SELARL NEXEN CONTENTIEUX, avocats au barreau de LYON

EXPOSE DES FAITS, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société ALPES MARQUES immatriculée depuis le 16 juillet 2001 au registre du commerce et des sociétés de CHAMBÉRY et dirigée par monsieur [K] [Z], est titulaire de la marque verbale française “4810″ déposée le 17 novembre 2016 sous le n°4315258 portant sur différents produits classes 32 et 33.

L’exploitation de la marque précitée a été confiée à la société BRASSERIE DISTILLERIE DU MONT-BLANC, pareillement dirigée par monsieur [Z], laquelle exploite une activité de fabrication et de commercialisation de boissons alcoolisées depuis le 31 décembre 1998.

La société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC est spécialisée dans la production de boissons fermentées non distillées, en ce compris du gin.

Estimant que l’exploitation par la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC de la dénomination “4807″ était problématique, la société ALPES MARQUES a fait procéder à un procès-verbal de constat par huissier de justice le 21 janvier 2021. Par suite, elle a fait assigner la société susdite devant le Juge des référés près le Tribunal judiciaire de LYON par acte d’huissier de justice signifié le 5 février 2021 en vue, notamment, de faire constater la commission d’actes de contrefaçon de la marque antérieure “4810″ par l’usage de la dénomination “4807″ et d’obtenir le paiement d’une somme provisionnelle.

Par ordonnance rendue le 11 mai 2021, le Juge des référés près le Tribunal judiciaire de LYON a condamné la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC à payer à la société ALPES MARQUES une somme prévisionnelle de 3.000,00 euros à valoir sur l’indemnisation du préjudice allégué et a interdit à la première l’usage du signe semi-figuratif litigieux composé du nombre 4807.

C’est dans ce contexte que par acte d’huissier de justice signifié le 4 juin 2021, la société ALPES MARQUES a fait assigner la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC devant la présente juridiction aux fins de demander au Tribunal qu’il :
déclare ses demandes recevables et bien fondées,dise et juge que la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC, en faisant usage de la dénomination “4810” pour désigner du gin, a commis des actes de contrefaçon de la marque antérieure “4810” n°4315258 du 17 novembre 2016, laquelle désigne également du gin en classe 33,fasse défense à la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC d’utiliser et de faire usage de la marque “4807” sur quelque support que ce soit et pour tous produits identiques, similaires et/ou complémentaires au gin, sous un délai de cinq jours à compter de la signification du jugement à intervenir, à peine d’une astreinte définitive de 500,00 euros par infraction constatée, l’infraction s’entendant de tout usage quelconque de la marque précitée,condamne la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC à lui payer la somme de 30.000,00 euros en réparation du préjudice consécutif à la contrefaçon,condamne la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC à lui payer la somme de 20.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens comprenant les frais de constat.
Se fondant sur les articles L. 713-2, L. 716-6, R. 716-1 du code de la propriété intellectuelle et sur la jurisprudence afférente, la société ALPES MARQUES rappelle qu’elle est titulaire de la marque française “4810″, désignant les “boissons alcooliques (à l’exception des bières), liqueurs, spiritueux, vodka, whisky, vins, gins, eaux-de-vie” de classe 33. Elle dénonce, à ce titre, un risque de confusion évident tenant à l’utilisation sans autorisation du signe “4807″ par la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC pour désigner des produits strictement identiques à ceux qu’elle commercialise sous la marque précitée, soit du gin. Elle précise que les ressemblances des signes prévalent sur les dissemblances, tant d’un point de vue phonétique que visuel ou conceptuel. Plus précisément, elle fait valoir que les signes sont constitués d’un nombre similaire de syllabes, dont quatre d’entre elles sont en outre identiques et situées en tête. Elle souligne également que les signes ont trois chiffres en commun sur les quatre les composant et que cela génère une impression visuelle trompeuse renforcée par la correspondance, la symétrie et la symbolique entre les chiffres “1″ et “7″. Elle évoque, de surcroît, une même référence intellectuelle des signes “4807″ et “4810″ à l’altitude du Mont-Blanc.

Elle note, dans un second temps, l’existence d’éléments secondaires qui lui paraissent entretenir le risque de confusion. Elle relève notamment que le signe “4810″ est placé en position centrale d’un cercle sur lequel le regard du consommateur tend naturellement à se porter, reléguant à l’arrière plan le dessin stylisé de montagnes. De plus, elle considère que le positionnement extérieur de la dénomination “DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC” en réduit la lisibilité et la rend ainsi impropre à retenir l’attention du consommateur. Elle estime par ailleurs, sur le plan phonétique, que le consommateur est incité à lire en premier le signe litigieux et non ladite dénomination. Elle évoque, en outre, la référence partagée à la montagne, caractéristique qui lui semble exacerbée par la reproduction stylisée de cet élément et par l’inscription “SAINT GERVAIS MONT BLANC”.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 24 mars 2023, la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC sollicite à titre principal du Tribunal qu’il :
juge qu’elle n’est pas l’auteur d’actes de contrefaçon portant sur la marque “4810″ n°4315258, juge qu’il n’existe aucune vraisemblance des actes de contrefaçon de la marque “4810″ n°4315258,déboute la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC de toutes ses prétentions, fins et conclusions.Subsidiairement, s’il devait être retenu à son encontre des actes de contrefaçon, elle demande au Tribunal de :
juger que la somme de 30.000,00 euros sollicitée par la société ALPES MARQUES n’est pas justifiée, débouter la société SASU ALPES MARQUES de sa demande d’indemnisation, condamner la société SASU ALPES MARQUES à lui rembourser la provision de 3.000,00 euros qu’elle a perçu en exécution de l’ordonnance du 11 mai 2021. En tout état de cause, elle requiert la condamnation de la société ALPES MARQUES à lui payer la somme de 1.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre la somme de 10.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

A titre principal, elle fait valoir, au visa de l’article L. 713-2 alinéa 2, qu’il existe une impression visuelle d’ensemble différente, dès lors que le signe personnellement exploité laisse apparaître un dessin central de montagnes surmonté du nombre 4807, autour duquel sont apposés les termes “DISTILLERIE SAINT GERVAIS” et “MONT BLANC”. Elle souligne que le nombre 4807 est ainsi noyé dans un tout complexe, au sein duquel il demeure secondaire. Elle précise, en outre, que l’attention du consommateur se porte premièrement sur la dénomination “DISTILLERIE SAINT GERVAIS”, puis sur le nombre 4807 inscrit à la suite. Elle soutient que la stylisation de son logo sous la forme d’un sceau ou d’un cachet crée nécessairement une impression visuelle distincte de celle dégagée par la marque “4810″, en ce que cette dernière ne fait l’objet d’aucune mise en forme particulière. Elle en conclut que seuls les chiffres 4 et 8 présentent une ressemblance, ce qui ne lui paraît pas à même de compenser les multiples dissemblances existant entre les deux signes. Elle note, à cet égard, qu’admettre une similarité entre le logo contesté et la marque “4810″ reviendrait à attribuer un monopole sur l’intégralité des nombres débutant par les chiffres 4 et 8. Elle précise que l’analogie entre les chiffres 1 et 7 demeure inopérante, dès lors qu’ils n’apparaissent pas dans un ordre identique dans les signes “4807″ et “4810″. Elle récuse pareillement toute similarité phonétique entre les deux signes, à défaut de phonème et de présence d’un élément verbal au sein de la marque détenue par la société ALPES MARQUES. Sur le plan conceptuel, elle estime que la marque “4810″ ne présente ni signification particulière ni référence à l’altitude du Mont Blanc, à défaut notamment de mention expresse au sein du signe. A l’inverse, elle soutient que le nombre 4807 renvoie à l’altitude du Mont Blanc, puisqu’il se trouve associé à la commune de SAINT GERVAIS MONT BLANC et à un logo de montagnes. Par suite, elle écarte toute similarité conceptuelle entre les signes “4807″ et “4810″. Rappelant les dispositions de l’article L. 713-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle et la jurisprudence afférente, elle soutient au reste qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les signes, en ce qu’ils lui paraissent non similaires et qu’ils se distinguent par la présence d’éléments verbaux associés au nombre 4807.
Dans un second temps, elle conteste toute exploitation du logo à titre de marque. Elle explique qu’elle utilise le nombre 4807 de manière anecdotique, celui-ci étant intégré à un logo complexe. Elle récuse toute atteinte à la garantie d’origine du produit, eu égard à la mention explicite du lieu de fabrication du produit sur le logo litigieux, soit la DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC. Elle en déduit qu’il ne peut lui être reproché de rallier la clientèle ou d’identifier sa production par l’usage du nombre 4807.
Citant les dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile et l’arrêt rendu le 8 juin 2017 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n°15-21.357), elle relève ensuite que les dommages et intérêts sollicités par la société ALPES MARQUES ne sont pas justifiés, l’interdiction provisoire d’exploiter le signe 4807 ordonnée par le juge des référés le 11 mai 2021 ayant été respectée. En réponse aux moyens adverses, elle précise, au visa de l’article L. 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle, que la société ALPES MARQUES ne démontre pas les conséquences économiques négatives de la contrefaçon alléguée, qu’il s’agisse d’un manque à gagner ou d’une perte subie. Elle observe que la marque 4810 ne dispose d’aucune notoriété et qu’il n’est ainsi pas possible de déterminer si elle en a bénéficié, ce d’autant plus que l’exploitation de la marque susdite a été concédée à la société BRASSERIE DISTILLERIE DU MONT BLANC par l’entreprise ALPES MARQUES. De ce fait, elle s’estime bien fondée à requérir la restitution de la provision de 3.000,00 euros perçue par la société ALPES MARQUES en exécution de l’ordonnance de référé du 11 mai 2021.
En parallèle, elle qualifie d’abusive la procédure engagée par la société ALPES MARQUES, à défaut de vraisemblance de la contrefaçon de marque, et considère que cette dernière a ainsi engagé sa responsabilité.

La clôture de l’instruction est intervenue par ordonnance du 6 septembre 2021, laquelle a été révoquée par ordonnance du 27 janvier 2023. La clôture définitive de la procédure a été ordonnée le 4 septembre 2023. L’affaire a été plaidée à l’audience en formation collégiale du 13 février 2024, à l’issue de laquelle la décision a été mise en délibéré au 6 août 2024.

MOTIVATION

A titre liminaire, il est rappelé qu’en application des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. De plus, en vertu de l’article 768 dudit code, le tribunal statue sur les seules prétentions énoncées au dispositif et examine uniquement les moyens invoqués dans la discussion. Les demandes de “déclarer”, “dire et juger”, “constater”, “prendre acte” ou de “préserver des droits” ne constituant pas, sauf exceptions liées à une rédaction erronée de la demande, des revendications au sens du code de procédure civile, le juge ne se trouve pas tenu d’y répondre.

En parallèle, si la société ALPES MARQUES demande au Tribunal, aux termes du dispositif de l’assignation, de “dire et juger que la SARL DISTILLERIE SAINT-GERVAIS MONT-BLANC, en faisant usage de la dénomination “4810″[1] pour désigner du gin, a commis des actes de contrefaçon de la marque antérieure “4810″ n°4315258 du 17 novembre 2016″, il est manifeste qu’elle vise en réalité l’usage de la dénomination “4807″. Il en va de même de la société DISTILLERIE SAINT-GERVAIS MONT-BLANC lorsqu’elle demande au Tribunal de “Débouter la société SARL DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC[2] de toutes ses

[1] Mention soulignée par le Tribunal
[2] Mention également soulignée par le Tribunal

prétentions, fins et conclusions” en lieu et place de la “SASU ALPES MARQUES”

Sur la demande en contrefaçon de la marque verbale “4810″
Sur la matérialité des actes de contrefaçon
En application de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, pris dans la version en vigueur à compter du 15 décembre 2019, “est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque.”

S’agissant de la comparaison des produits et services

Il est constant et non contesté que le signe “4807” a été apposé sur un produit identique à celui pour lequel la marque “4810″ n°4315258 a été déposée par la société ALPES MARQUES le 17 novembre 2016, soit du gin en classe 33 (pièce n°3 du demandeur). Cet élément a également été constaté par Maître [S] [N], huissier de justice, le 21 janvier 2021 (pièce n°15 du défendeur).

S’agissant du risque de confusion

Il ressort de la pièce numérotée trois produite par la société défenderesse que la marque verbale n°4315258 déposée le 17 novembre 2016 par la société ALPES MARQUES est exclusivement composée du nombre 4810

En parallèle, le signe exploité par la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC prend la forme d’un cachet de forme ronde au centre duquel se trouve le nombre 4807 surplombant un dessin stylisé de montagnes, la dénomination “Distillerie Saint-Gervais Mont Blanc encerclant le tout.

Le regard d’un consommateur d’attention moyenne est naturellement attiré par le nombre 4807, eu égard à sa position centrale et aux pics montagneux pointant vers celui-ci, si bien qu’il n’apparaît aucunement “noyé” dans l’ensemble composé secondairement d’un dessin et de la dénomination de la société. Le caractère secondaire des mentions “DISTILLERIE SAINT GERVAIS” et “MONT BLANC” est également renforcé par leur positionnement sous forme circulaire et à l’extérieur du cercle, qui altère sensiblement leur lisibilité.

De plus, si le nombre 4807 se trouve effectivement intégré à un ensemble complexe, il n’en perd pas pour autant la qualité de marque, en ce qu’il a vocation à distinguer les produits de la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC.

Or, les nombres 4807 et 4810 comportent trois chiffres en commun, dont deux présentent un positionnement identique, ce qui vient accentuer les ressemblances tant sur le plan visuel que phonétique, les quatre premières syllabes des deux signes se prononçant à l’identique. Le caractère prédominant desdits signes pouvant amener le consommateur à désigner le produit litigieux par le seul nombre 4807 ou 4810, il existe ainsi un risque de confusion entre les marchandises commercialisées par les sociétés ALPES MARQUES et DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC .

En outre, les nombres 4807 et 4810 renvoient indéniablement tous deux à l’altitude du MONT-BLANC, établie officiellement à 4807 mètres en 1863 avant d’être réévaluée à 4810 mètres en 2011 (pièce n°11 du défendeur). A cet égard, il importe peu que le signe “4810″ protégé ne mentionne aucune référence explicite à l’altitude du Mont-Blanc, ladite référence étant de notoriété publique et, à ce titre, largement exploitée en matière commerciale pour promouvoir tout type de marchandises (pièces n°6 à 8 du demandeur). Cette référence conceptuelle apparaît d’ailleurs confortée au sein du signe litigieux par la reproduction de montagnes et la mention “Mont-Blanc”, la présence d’éléments verbaux complémentaires, dont la mention du lieu de production (soit la distillerie Saint-Gervais Mont-Blanc) ne permettant pas de dissiper le risque de confusion.

Au reste, l’interdiction d’exploiter un nombre défini ne peut être assimilée à l’attribution d’un monopole sur l’intégralité des nombres débutant par les chiffres 4 et 8, puisque le nombre 4807 est utilisé dans un contexte spécifique pour désigner des produits identiques.

En considération de la place prédominante occupée par le nombre 4807, il peut être considéré que le signe litigieux imite la marque 4810. De par la similarité des signes et des produits, une confusion s’opérera nécessairement dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne.

Ainsi, la contrefaçon est établie.

Sur la demande d’indemnisation
L’article L. 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle, pris dans la rédaction applicable à compter du 11 décembre 2019, dispose :

” Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.”

En l’occurrence, il n’est opéré aucune distinction entre les trois postes de préjudices visés à l’article L. 716-4-10, de sorte qu’il convient d’analyser la prétention de la société ALPES MARQUES en tant que demande d’indemnisation forfaitaire.

Si ladite demande ne repose sur aucune pièce justificative, il apparaît que l’acte contrefaisant a nécessairement été préjudiciable, en ce qu’il a été porté atteinte à l’exclusivité de la marque “4810″ n°4315258 par l’usage du signe “4807″.

L’argument selon lequel la société ALPES MARQUES ne supporterait pas personnellement les investissements et conséquences négatives de la contrefaçon est inopérant, nul élément probant n’étant produit à l’appui.

Par suite, il convient de condamner la SARL DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC à verser à la SASU ALPES MARQUES la somme de 3.000,00 euros en réparation du préjudice de contrefaçon de la marque “4810″ n°4315258.

Sur la demande d’interdiction
En vertu de l’article L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au présent litige, la juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon.

Eu égard à l’atteinte présentement retenue, il y a lieu de faire interdiction à la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC de faire usage du signe “4807″ sur quelque support que ce soit et pour tous produits identiques, similaires ou complémentaires au gin, et ce sous un délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 500,00 euros par infraction constatée, l’infraction s’entendant de tout usage quelconque du signe “4807″.

Sur les demandes reconventionnelles présentées par la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC
Sur la demande de restitution de la provision
Le préjudice de la société ALPES MARQUES étant évalué à la somme de 3.000,00 euros dans le cadre de la présente instance au fond, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de remboursement formée par la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC.

Sur la demande d’indemnisation formée pour procédure abusive
Aux termes de l’article 1240 du code civil, pris dans la rédaction postérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

A cet égard, ester en justice est un droit fondamental reconnu à toute personne titulaire de la capacité à agir qui ne saurait être constitutif d’un préjudice indemnisable pour le défendeur attrait en justice, sauf à rapporter la preuve d’un abus de droit caractérisé par un exercice dilatoire ou abusif du droit d’agir imputable au demandeur et se manifestant notamment par une intention nocive, la malveillance, la faute grossière équipollente au dol ou encore l’action téméraire.

En l’occurrence, aucun élément ne tend à démontrer que l’exercice par la société ALPES MARQUES de son droit fondamental d’agir en justice a dégénéré en abus.

En conséquence, la demande en dommages et intérêts formulée par la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC pour procédure abusive sera rejetée.

Sur les frais du procès
Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.”

En outre, l’article 699 dudit code dispose que les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision. La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.

Succombant à l’instance, la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC sera condamnée aux entiers dépens, étant précisé que le constat d’huissier de justice du 21 janvier 2021 ne saurait en faire partie, dès lors qu’il n’a pas été ordonné judiciairement.

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Condamnée aux dépens, la société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC sera également condamnée à payer à la société ALPES MARQUES la somme de 4.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC sera elle-même déboutée de sa demande formée sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant publiquement en formation collégiale après débats publics par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

Dit qu’en utilisant le signe “4807” pour distinguer des bouteilles de gin, la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT BLANC a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque “4810” n°4315258 pour les produits de type gin ;

Condamne la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC à verser à la société par actions simplifiée unipersonnelle ALPES MARQUES la somme de 3.000,00 euros en réparation du préjudice de contrefaçon de la marque “4810″ n°4315258, sous déduction de la provision de 3.000,00 euros déjà perçue en exécution de l’ordonnance de référé du 11 mai 2021 ;

Fait interdiction à la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC de faire usage du signe “4807″ sur quelque support que ce soit et pour tous produits identiques, similaires ou complémentaires au gin, et ce sous un délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 500,00 euros par infraction constatée, l’infraction s’entendant de tout usage quelconque du signe “4807″ ;

Déboute la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC de sa demande tendant au remboursement de la provision de 3.000,00 euros prononcée par ordonnance de référé en date du 11 mai 2021 ;

Déboute la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC de sa demande tendant au paiement d’une indemnité de 1.000,00 euros pour procédure abusive ;

Condamne la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC aux entiers dépens ;

Condamne la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC à payer à la société par actions simplifiée unipersonnelle ALPES MARQUES la somme de 4.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Déboute la société à responsabilité limitée DISTILLERIE SAINT GERVAIS MONT-BLANC de sa demande formée au titre des frais irrépétibles ;

Rejette toutes les demandes plus amples ou contraires ;

En foi de quoi, la présente décision a été signée par la Présidente, Cécile WOESSNER, et la Greffière, Jessica BOSCO BUFFART.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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