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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
3ème chambre
2ème section
N° RG 21/00807
N° Portalis 352J-W-B7F-CTT2V
N° MINUTE :
Assignation du :
11 Janvier 2021
JUGEMENT
rendu le 15 Décembre 2023
DEMANDERESSE
S.A.R.L. GROUPE [G] [U]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Roland PEREZ de la SELEURL GOZLAN PEREZ ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0310
DÉFENDERESSES
S.A. PROMECO
[Adresse 7],
[Localité 4] (BELGIQUE)
S.A.S. CAFOM DISTRIBUTION
[Adresse 5]
[Localité 6]
représentées par Maître Claire POIRSON de la SELARLU FIRSH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2137
Copies délivrées le :
– Maître PEREZ #P310 (exécutoire)
– Maître POIRSON #C2137 (ccc)
Décision du 15 Décembre 2023
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/00807 – N° Portalis 352J-W-B7F-CTT2V
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Anne BOUTRON, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier
DEBATS
A l’audience du 15 Septembre 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l’audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2023 puis prorogé en dernier lieu au 15 Décembre 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La SARL Groupe [G] [U], dont l’activité est le conseil et la communication dans le domaine culinaire et dont le gérant, M. [U], est un chef cuisinier réputé, est titulaire de la marque verbale française [G] [U], déposée à l’INPI le 4 juin 2004 sous le numéro 04 3 295 699, régulièrement renouvelée depuis, pour des produits et services des classes 7, 8, 9, 11, 16, 20, 21, 24, 29, 30, 32, 33, 35, 38, 41 et 43.
La société Promeco est une société de droit belge spécialisée dans l’organisation d’opérations de promotion commerciale et de distribution de produits, notamment dans des chaînes de supermarchés.
La SAS Cafom distribution a pour activité la vente au détail d’articles ménagers et d’équipement de la maison.
Les 20 mars 2015, 4 février 2016 et 15 mars 2017, la société Groupe [G] [U] et la société Promeco ont conclu plusieurs contrats de licence de la marque [G] [U], de prestation de services et de cession des droits de la personnalité de M. [U] pour la fabrication et la distribution d’ustensiles de cuisine et de cuisson portant la marque [G] [U] au sein du réseau de distribution Carrefour et sur le site internet .Le contrat de licence de la marque du 20 mars 2015 prévoyait une faculté de revente des invendus dans certaines conditions et jusqu’au 15 juillet 2016 ; le contrat du 4 février 2016 fixait la limite au 31 décembre 2017.
Le 23 juillet 2018, les parties ont conclu un protocole transactionnel pour mettre fin aux litiges nés de l’exécution des contrats précités. Aux termes de cette transaction, la société Groupe [G] [U] a autorisé la société Promeco à vendre les produits marqués [G] [U] invendus avant le 30 juin 2020 et dans certaines conditions, et la société Promeco s’est engagée à payer à la société Groupe [G] [U] la somme de 265.000 euros.
Ayant constaté que des produits étaient commercialisés sous sa marque au-delà de cette date par un distributeur non autorisé (la société Cafom Distribution), la société Groupe [G] [U] a fait réaliser deux saisies contrefaçons le 18 décembre 2020 au siège de la société Cafom Distribution et dans l’un de ses points de vente à [Localité 8].
Par acte du 11 janvier 2021, la société Groupe [G] [U] a fait assigner les sociétés Promeco et Cafom Distribution en contrefaçon de marque et réparation des dommages causés.
Par ordonnance du juge de la mise en état du 9 avril 2021, un médiateur a été désigné mais aucun accord n’est intervenu.
Dans ses dernières conclusions du 12 octobre 2022, la société Groupe [G] [U] demande au tribunal de : À titre principal,
– condamner solidairement les sociétés défenderesses à lui payer la somme de 380.267,40 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 250.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de la contrefaçon de la marque [G] [U] ;
– condamner solidairement les sociétés défenderesses à lui payer la somme de 150.000 euros en réparation des préjudices résultant des actes distincts de parasitisme ;
– ordonner la confiscation et la restitution de la totalité des stocks, sous astreinte ;
À titre subsidiaire,
– condamner la société Promeco à lui payer la somme de 102.000 euros en réparation de son préjudice résultant des manquements à l’exécution du contrat du 23 juillet 2018 ;
– condamner la société Cafom distribution à lui payer la somme de 150.000 euros en réparation des préjudices résultant des actes distincts de parasitisme ;
En tout état de cause,
– condamner solidairement les sociétés défenderesses aux dépens et à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les frais de constats d’huissier et de saisie-contrefaçon.
Dans leurs dernières conclusions du 4 janvier 2023, les sociétés Promeco et Cafom distribution demandent au tribunal de :- rejeter l’ensemble des demandes de la société Groupe [G] [U],
– prononcer l’épuisement des droits de la société Groupe [G] [U] sur la marque [G] [U] pour les produits litigieux,
– condamner la société Groupe [G] [U] à leur payer la somme de 50.000 euros à chacune à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, aux dépens et à leur payer la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 janvier 2023.
MOTIVATION
I . Sur la contrefaçon de la marque [G] [U]
La société Groupe [G] [U] soutient à titre principal que :- le protocole du 23 juillet 2018 est un contrat de licence de marque, en ce qu’il donne l’autorisation à la société Promeco d’exploiter la marque [G] [U], dont un extrait du registre INPI est annexé, et de l’apposer sur une gamme de produits commercialisés moyennant redevance, dans un temps limité, et qui s’inscrit dans la continuité du contrat de licence du 4 février 2016 ;
– il incombe à la société Promeco de démontrer qu’elle a vendu le stock à la société Cafom distribution avant le 30 juin 2020, date d’expiration de la licence, ce qu’elle ne fait pas, la valeur probatoire du courriel envoyé par Iphone le 28 octobre 2019 étant douteuse et ne suffisant pas à prouver l’accord de société Cafom distribution sur la chose et le prix à cette date ;
– le non respect de la durée du contrat de licence par la société Promeco fait obstacle à l’épuisement des droits du titulaire de la marque (CJUE, 23 avril 2009, C-59/08, Copad) ;
– ses droits sur la marque n’étant pas épuisés, elle est bien fondée à agir contre les deux défenderesses en contrefaçon pour avoir vendu les produits marqués après la date de fin du contrat sans autorisation ;
– la société Promeco a vendu, après le 30 juin 2020, à la seule société Cafom Distribution 77921 produits pour un montant de 380.267,40 euros, ce qui constitue au minimum le montant de son préjudice financier car elle n’a rien perçu “des sommes auxquelles elle était pourtant légitime de prétendre” à ce titre ;
– elle a subi un préjudice moral du fait de l’atteinte à l’image de sa marque du fait des conditions de revente des produits ayant conduit à leur avilissement.
– au 6 octobre 2020, la société Promeco disposait encore de 61800 produits de la marque, tout ustensile de cuisine confondus qui doivent être confisqués et lui être remis.
Les sociétés Promeco et Cafom distribution font valoir que :- la société Promeco a rempli ses obligations au titre du protocole transactionnel dans les délais, ayant vendu le stock résiduel à la société Cafom distribution le 28 octobre 2019, payé la somme de 265.000 euros à la société Groupe [G] [U] et transmis les état de stock annuels ;
– les droits de la société Groupe [G] [U] sur la marque litigieuse ont été épuisés (ce que la société Groupe [G] [U] admettait dans son assignation puisqu’elle se bornait à opposer un motif légitime à la commercialisation dans des conditions susceptibles de nuire à sa réputation) pour ces produits à partir du moment où elle a expressément autorisé la société Promeco à vendre, sur le marché de l’Union européenne dès 2015, tous les produits listés dans l’inventaire annexé au protocole, qui sont ceux apparaissant dans les procès-verbaux de saisie-contrefaçon, et où elle a réalisé la valeur économique de la marque puisque les redevances ont été payées ;
– il n’existe pas de tel motif légitime en ce que la marque [G] [U] n’est pas une marque de luxe et que les conditions de vente des produits par la société Cafom distribution n’ont pas altéré les produits et ne sont pas vendus dans des conditions plus avilissantes ou à plus faible prix que sur les sites (autorisés) er ou dans le cadre de la campagne promotionnelle faite dans les magasins Carrefour entre le 19 janvier et le 4 avril 2021 ;
– aucun produit n’a été fabriqué postérieurement ;
– la réputation et la valorisation de la marque [G] [U] pour des ustensiles de cuisine ne s’est faite que sur la base du travail de la société Promeco qui les a fabriqués et commercialisés pour la première fois ;
– le protocole du 23 juillet 2018 n’est pas assimilable à une licence, puisqu’il s’agit d’une transaction, qu’il ne fait pas référence à la marque verbale européenne [G] [U] n°14984488 et qu’il ne comporte pas de certificat d’enregistrement de la marque mais seulement un extrait de la base de données de l’INPI ;
– la société Cafom distribution n’a pas commis de contrefaçon puisqu’elle a revendu des produits marqués licitement ;
– il n’existe aucun préjudice puisque le protocole du 28 juillet 2018 ne prévoyait aucune rémunération de la société Groupe [G] [U] pour les produits revendus, excédant le forfait de 265.000 euros payés et venant s’ajouter à 2.600.000 euros antérieurement versés ;
– le préjudice allégué est exorbitant et l’assiette de calcul ne saurait excéder la valeur des produits mis en vente dans les magasins du 15ème arrondissement de [Localité 8], non agréés, soit 11.671,69 euros ;
– en l’absence de renommée de la marque [G] [U], le préjudice moral d’atteinte à la marque est infondé et le montant demandé n’est aucunement justifié.
1 . Sur les faits argués de contrefaçon
L’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que : “Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services : 1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée”.
L’article L.713-4 du code de la propriété intellectuelle, équivalent à l’article 15 de la directive 2015/2436 et à l’article 7 de la directive 2008/95, dispose que : “Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans l’Union européenne ou dans l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.”
L’article L. 714-1, alinéa 5, du même code, dans sa rédaction à la date des contrats conclus entre les parties, équivalent à l’article 25 de la directive 2015/2436 et à l’article 8 de la directive 2008/95, disposait que “les droits conférés par la marque peuvent être invoqués à l’encontre d’un licencié qui enfreint l’une des limites de sa licence en ce qui concerne sa durée.
La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que “L’article 7, paragraphe 1, de la directive 89/104 (…) doit être interprété en ce sens que la mise dans le commerce de produits revêtus de la marque par le licencié, en méconnaissance d’une clause du contrat de licence, est faite sans le consentement du titulaire de la marque, lorsqu’il est établi que cette clause correspond à l’une de celles prévues à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive” c’est à dire notamment sa durée (CJCE, 23 avril 2009,C-59/08, Copad).
Dans le cadre des contrats des 20 mars 2015 et 4 février 2016, la société Promeco a reçu licence de fabrication et de commercialisation de produits sur lesquels la marque française [G] [U] n°043295699 (dont un certificat d’enregistrement était annexé) était apposée et la transaction du 23 Juillet 2018 entre les parties prolonge la licence de commercialisation de la société Promeco en France des stocks résiduels jusqu’au 30 juin 2020 et fait référence explicite à la marque (avec un extrait du registre INPI).La licence de marque – dont la validité n’est conditionnée par aucun formalisme et notamment pas à l’annexion d’un certificat d’enregistrement – était ainsi limitée dans la durée tant pour la fabrication de produits marqués que pour leur commercialisation.
La société Groupe [G] [U] n’est pas fondée à interdire l’usage de la marque pour tous les produits visés par ces contrats dans les conditions qu’ils fixent.
Au cas présent, il n’est aucunement établi ni même vraisemblable, que la société Promeco ait fabriqué de nouveaux produits marqués [G] [U], au-delà du terme de la licence, dès lors que les invendus étaient considérables à l’issue des deux opérations promotionnelles réalisées par les parties. L’inventaire annexé au protocole du 23 juillet 2018 fait état de 141.384 produits dans les entrepôts de la société Promeco auxquels s’ajoutent ceux des entrepôts des magasins Carrefour, jamais inventoriés et l’état des ventes communiqué par la société Promeco à la société Groupe [G] [U] le 5 juillet 2019 montre qu’environ la moitié de ce stock avait été vendue à cette date.
Néanmoins les ventes de produits marqués ont continué après la date de fin de la licence, caractérisant un usage de la marque dans la vie des affaires pour des produits désignés à l’enregistrement de celle-ci.
Or, les mesures de saisie-contrefaçon ont révélé des commandes et des factures d’achat de produits marqués entre la société Promeco et la société Cafom distribution, échelonnées entre le 6 août et le 6 octobre 2020 (pièce n°9 demandeur), ce qui démontre la vente de ceux-ci au-delà de la limite contractuelle du 30 juin 2020. En effet, le courriel du 28 octobre 2019 de la société Promeco à la société Cafom distribution ne suffit pas, à lui seul, à démontrer à cette date la vente de tout le stock de produits marqués en l’absence de détermination des produits sur lesquels elle portait et de leurs prix unitaires et d’accord de l’acquéreur, étant observé que les échanges entre les parties entre le 2 juillet et le 28 septembre 2020 montrent que tant les produits que leur prix étaient sujets à discussions.
Le licencié n’ayant pas respecté la durée du contrat, les défenderesses sont mal fondées à opposer l’exception de l’épuisement des droits sur la marque à l’action en contrefaçon.
La vente de produits marqués au-delà de la date du 30 juin 2020 constitue donc un acte de contrefaçon de la part de la société Promeco, comme de la part de la société Cafom distribution qui a revendu des produits eux-mêmes contrefaisants.
2 . Sur la réparation
En vertu de l’article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
À titre d’alternative, et sur demande de la partie lésée, la juridiction peut allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire, supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
Ces dispositions ne dérogent pas au principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit, conformément à la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 13 que les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit a réellement subi du fait de l’atteinte. Il en résulte que les différents éléments pris en compte distinctement ne constituent pas pour autant des chefs de préjudice distincts qui seraient cumulables.
L’article L.716-4-11 du même code dispose que : “En cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée”.
Il résulte des factures des 7 juillet, 8 août et 6 octobre 2020 et il n’est pas discuté que la société Promeco a vendu à la société Cafom distribution 77921 produits marqués pour un montant de 380.267,40 euros constituant le chiffre d’affaires contrefaisant total de la société Promeco.S’agissant de la société Cafom distribution, il n’est fourni aucun élément sur ses propres ventes.
Il n’est pas contesté que la société Groupe [G] [U] n’avait pas vocation à percevoir une quelconque rémunération sur les ventes de produits invendus au-delà du montant de 265.000 euros stipulé dans le protocole du 28 juillet 2018. Elle n’a donc pas subi de préjudice financier du fait de la perte de redevances, comme elle le soutient.Si elle a pu subir un préjudice financier du fait d’une concurrence des produits contrefaisants à l’égard de ses propres ventes, elle ne forme aucune demande de ce chef.
S’agissant du préjudice moral résultant de l’atteinte à la marque, la société Groupe [G] [U] faisait figurer dans tous les contrats entre les parties une obligation de vendre les produits en veillant au respect du prestige de la marque, d’obtenir son agrément préalable de chaque distributeur et d’éviter les magasins qui ne seraient pas conformes à ses normes, tout particulièrement les magasins de liquidation, de stock, d’usine, déstokage et/ou discount. Le protocole du 23 juillet 2018 autorisait la vente “en France dans les enseignes Carrefour, But, Boulanger, Darty, Vente privée, le site internet Showroom privé (…), Zodio, Alinéa, Maison du monde et en Belgique dans les enseignes Carrefour” et précisait que “la présentation des produits devra respecter la notoriété de la marque et les conditions d’écoulement ne devront pas avilir la marque”.
Les produits contrefaisants étant les mêmes que ceux dont la commercialisation était autorisée avant par la licence, l’image de la marque n’a pas été atteinte.
Néanmoins, ainsi que constaté par le procès-verbal de saisie contrefaçon du 22 décembre 2020, des produits marqués étaient offerts à la vente sur des cartons, présentés dans leur emballage, un exemplaire de chaque étant sorti et visible de la clientèle, dans le magasin du [Adresse 1], qui est un outlet, situé en sous-sol.Si les conditions de vente admises par la société Groupe [G] [U] dans les enseignes Carrefour ne sont guère différentes de celles observées par le commissaire de justice, il n’en demeure pas moins qu’elle tenait particulièrement à ce que les produits marqués ne soient pas vendus en magasins d’usine ou solderie.
En réalisant ces ventes dans de telles conditions, les défenderesses sont à l’origine d’un préjudice moral que le tribunal fixe à la somme de 10.000 euros, eu égard aux 2000 produits de 15 références distinctes, ainsi vendus dans cet établissement.
Le courriel du 28 octobre 2019 précité prévoyait l’écoulement du stock de produits marqués [G] [U] avant le 31 décembre 2020 et les opérations de saisie-contrefaçon ont montré que la société Cafom distribution avait encore en stock 9104 produits parmi lesquels 7009 entrés postérieurement au 30 juin 2020.La société Promeco indique qu’elle n’a plus de produits contrefaisants en stock mais ne produit pas d’inventaire.
Aucune circonstance ne justifie d’ordonner la confiscation des produits invendus au profit de la société Groupe [G] [U], qui n’en a pas supporté le coût de fabrication et sur lesquels elle a réalisé la valeur de sa marque, mais il y a lieu d’ordonner leur destruction aux frais des défenderesses. La mesure d’astreinte sollicitée ne se justifie pas au regard des circonstances de l’affaire et de l’ancienneté des faits ; en revanche, le caractère irréversible de la mesure commande d’écarter l’exécution provisoire sur ce point.
La destruction des 7009 produits entrés en stock chez la société Cafom distribution ou ses affiliés après le 30 juin 2023 et de tous ceux encore en possession de la société Promeco sera donc ordonnée.
II . Sur le parasitisme
La société Groupe [G] [U] soutient que les défenderesses ont également commis des actes distincts de parasitisme en vendant à bas prix, via des soldeurs, des produits marqués en profitant de la notoriété de la marque, acquise par des investissements commerciaux et publicitaires massifs depuis 2004 et elles ont désorganisé son réseau de distribution et qu’elles se sont ainsi placées dans son sillage pour tirer profit sans bourse délier de ces investissements, son travail et son savoir-faire.
Les sociétés Promeco et Cafom Distribution soutiennent que :- les produits marqués n’ont été jamais été fabriqués ni vendus par la société Groupe [G] [U] ;
– ils ont été fabriqués pour être vendus dans le cadre d’opérations évènementielles en grandes surfaces et n’ont été vendus à leur prix “réel”que sur une période d’un mois sur un site internet dédié, minimum légal pour pouvoir les solder durant ces opérations;
– les catalogues promotionnels sur les produits quasi-identiques vendus en 2021 dans des magasins Carrefour sont aux mêmes prix que ceux qu’elles pratiquent ;
– la société Groupe [G] [U] n’a jamais eu d’autre réseau de distribution que celui établi par la société Promeco.
Sur ce,
Le parasitisme, fondé sur le principe général de responsabilité civile édicté par l’article 1240 du code civil, consiste dans l’ensemble des comportements par lequel un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.Il suppose la caractérisation d’une faute en lien de causalité avec un préjudice.
Quoiqu’interpellée sur ce point par les écritures adverses, la société Groupe [G] [U] ne verse aucune pièce à l’appui des investissements publicitaires et commerciaux qu’elle invoque pour la vente d’ustensiles de cuisine, ni de la réalité du réseau de distribution qui aurait été désorganisé. Elle ne conteste pas plus qu’elle n’a jamais fait fabriquer ni vendre d’ustensiles de cuisine avant les contrats passés avec la société Promeco en mars 2015.S’agissant des prix de vente, si il est établi que les produits saisis étaient vendus à des prix inférieurs à ceux pratiqués dans les enseignes Carrefour, les contrats entre les parties ne prévoyaient aucune disposition sur un prix minimum de revente.
De plus, la société Groupe [G] [U] n’invoque aucun autre fait distinct de la vente de produits au-delà de la date limite de la licence accordée à cet effet.
Il y a donc lieu de rejeter la demande fondée sur les actes de parasitisme
III . Sur la demande reconventionnelle
Les défenderesses soutiennent que la demande en justice est abusive, en ce qu’elle constitue un détournement du droit d’agir pour purger le marché des produits avant une nouvelle opération promotionnelle dans les magasins Carrefour, et que les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées dans des circonstances dommageables et disproportionnées.
La société Groupe [G] [U] ne conclut pas sur cette demande.
Sur ce,
L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés sur le fondement de l’article 1240 du même code.
Le droit d’agir en justice dégénère en abus lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté.
La demande de la société Groupe [G] [U] sur le principe de la contrefaçon et l’existence d’un préjudice est accueillie et aucune des circonstances précitée n’est présentee.
La demande de réparation pour procédure abusive est donc rejetée.
IV . Sur les autres demandes
La société Promeco et la société Cafom Distribution, qui succombent, sont condamnées aux dépens de l’instance et à payer à la société Groupe [G] [U] la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Condamne in solidum la société Promeco et la société Cafom distribution à payer à la société Groupe [G] [U] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la contrefaçon de sa marque française [G] [U] numéro 04 3 295 699 ;
Rejette les demandes de la société Groupe [G] [U] fondée sur des actes distincts de parasitisme ;
Ordonne la destruction des 7009 produits entrés en stock chez la société Cafom distribution après le 30 juin 2023, soit entre ses mains, soit auprès de distributeurs affiliés, et de tous ceux encore en possession de la société Promeco aux frais des défenderesses ;
Rejette les demandes reconventionnelles des sociétés Promeco et Cafom Distribution ;
Condamne in solidum la société Promeco et la société Cafom distribution aux dépens de l’instance ;
Condamne in solidum la société Promeco et la société Cafom distribution à payer à la société Groupe [G] [U] la somme de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 15 Décembre 2023
Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC