Mutations du salarié possibles sans clause de mobilité

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Mutations du salarié possibles sans clause de mobilité
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En l’absence de clause de mobilité du salarié, l’acceptation de ces mobilités peut être formulée lors des entretiens d’évaluation sans que le salarié ne puisse revenir sur son accord. 


En l’absence de clause de mobilité, les différentes mutations qui ont conduit M. [V] à changer, à chaque fois, de bassin d’emploi, selon la carte produite par M. [V] et non contestée par la SAS CIC Nord Ouest, s’analysent en des modifications du contrat de travail qui auraient dû être expressément acceptées par le salarié. 

Toutefois, bien que non expressément acceptées, ces mutations correspondent à la mobilité à laquelle M. [V] s’est dit prêt lors des entretiens d’évaluation : les 2 juin 1992 et 25 septembre 1991 sur toute la France hors région parisienne, le 9 octobre 2007 sur ‘l’ensemble de la banque’, le 3 novembre 2010 sur le secteur ‘Manche Bocage’. Dès lors, à supposer que ses mutations intervenues jusqu’en 2002 aient porté atteinte à sa vie personnelle, M. [V] ne saurait en obtenir réparation, l’employeur n’ayant commis aucun manquement puisqu’il a l’a muté dans un périmètre conforme à la mobilité qu’il acceptait. 

La dernière mutation à [Localité 10] intervenue en mai 2015 (à 31,5km de son domicile à [Adresse 11]) est contraire aux souhaits exprimés par M. [V] le 3 décembre 2014. En effet, après avoir indiqué que son épouse ne pouvait plus dorénavant démissionner comme elle l’avait fait précédemment il n’avait envisagé que le fait d’aller à [Localité 9] (4 km de son domicile). 

Cette dernière mutation qui correspondait à une modification du contrat de travail qu’il n’a pas acceptée n’était pas conforme à la mobilité à laquelle il était prêt. Néanmoins, M. [V] n’établit pas qu’elle ait porté atteinte à sa vie personnelle. En effet, il est constant qu’il n’a pas déménagé et a conservé son domicile à [Adresse 11]. Son épouse n’a pas démissionné et ses enfants (à les supposer toujours d’âge scolaire) n’ont pas eu à changer d’école. Il a en outre, au niveau financier, bénéficié d’une prise en charge pendant trois ans du surcoût causé par l’augmentation de la distance domicile/travail.

M. [V] a en conséquence été débouté de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à le vie privée.


AFFAIRE : N° RG 21/02233

N° Portalis DBVC-V-B7F-GZYR

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVRANCHES en date du 29 Juin 2021 RG n° F 19/00042

COUR D’APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRÊT DU 05 JANVIER 2023

APPELANT :

S.A. CIC NORD-OUEST

[Adresse 3]

[Localité 5]

S.A. CIC NORD OUEST L’établissement de [Localité 10] est un établissement secondaire

[Adresse 1]

[Localité 10]

Représentées par Me Delphine TOUBIANAH, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me BRET, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [R] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 20 octobre 2022

GREFFIER : Mme ALAIN

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 05 janvier 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS CIC Nord Ouest a embauché M. [R] [V] comme caissier à l’agence de [Localité 13] en contrat à durée déterminée du 7 juillet 1980 au 1er août 1981, puis en contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 1982 après son service militaire. Il a été muté à l’agence de [Localité 9] le 1er décembre 1983, à Cherbourg le 1er janvier 1988, en qualité de directeur d’agence à [Localité 7] le 1er septembre 1991. Il a poursuivi sa carrière en cette même qualité à Cherbourg le 1er décembre 1997, à [Localité 6] le 25 juin 2002. Il été muté à [Localité 10] le 19 mai 2015.

La SAS CIC Nord Ouest l’a licencié pour faute le 27 décembre 2018. Il a achevé son préavis le 31 mars 2019.

Estimant son licenciement injustifié, M. [V] a saisi, le 11 juin 2019, le conseil de prud’hommes d’Avranches pour demander des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour exécution déloyale du contrat de travail, atteinte à sa vie privée et pour réclamer la prime de médaille du travail. Il a ultérieurement demandé que son licenciement soit dit nul au principal.

Par jugement du 29 juin 2021, le conseil de prud’hommes a dit le licenciement nul et a condamné la SAS CIC Nord Ouest à verser à M. [V] : 120 000€ pour licenciement nul, 10 000€ pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et 2 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile et débouté M. [V] de ses autres demandes.

La SAS CIC Nord Ouest a interjeté appel du jugement, M. [V] a formé appel incident.

Vu le jugement rendu le 29 juin 2021 par le conseil de prud’hommes d’Avranches

Vu les dernières conclusions de la SAS CIC Nord Ouest appelante, communiquées et déposées le 20 juillet 2022, tendant, au principal, à voir le jugement réformé quant aux condamnations prononcées et à voir M. [V] débouté de toutes ses demandes, subsidiairement, tendant à voir limiter le montant des dommages et intérêts alloués à 32 850€ si le licenciement est dit nul et à 16 425€ si le licenciement est dit sans cause réelle et sérieuse, tendant, en tout état de cause, à voir M. [V] débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et de prime au titre de la médaille du travail et à le voir condamné à lui verser 4 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions de M. [V], intimé et appelant incident, communiquées et déposées le 20 janvier 2022, tendant à voir, au principal, le jugement confirmé en ce qu’il a dit le licenciement nul (subsidiairement à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse) et quant aux condamnations prononcées pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et en application de l’article 700 du code de procédure civile, tendant à voir le jugement réformé pour le surplus, à voir la SAS CIC Nord Ouest condamnée à lui verser 150 000€ de dommages et intérêts pour licenciement nul, 30 000€ de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et 5 600€ de prime pour la médaille du travail, à voir dire que les intérêts moratoires sur les sommes dues courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, à voir ordonner, sous astreinte, à la SAS CIC Nord Ouest de lui remettre des documents de fin de contrat conformes à l’arrêt, des bulletins de paie rectifiés et de voir régulariser les cotisations dues auprès des diverses caisses de protection sociale, tendant, en tout état de cause, à voir la SAS CIC Nord Ouest condamnée à lui verser 2 500€ supplémentaires en application de l’article 700 du code de procédure civile

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 28 septembre 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur l’exécution du contrat de travail

1-1) Sur l’atteinte à la vie privée

M. [V] fait valoir que les mutations dont il a fait l’objet au cours de sa carrière ont porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale l’obligeant à déménager, à vendre successivement ses maisons, obligeant, à chaque fois, son épouse à démissionner et à retrouver un emploi et ses enfants à changer d’école. Il indique également que n’ayant pas déménagé lors de sa dernière mutation à [Localité 10], ce fait lui a été reproché, portant ainsi atteinte au libre choix de son domicile.

La SAS CIC Nord Ouest indique que M. [V] a toujours, dans ses entretiens, spécifié être mobile, n’a jamais refusé ses mutations, a, à chaque fois, été augmenté et indemnisé de ses frais, s’est vu proposer le statut d’agent logé ce qui l’aurait dispensé de vendre sa résidence et est, en toute hypothèse, resté dans la Manche.

Aucun contrat de travail n’a été signé, M. [V] a seulement fait l’objet, à l’occasion de ses mutations, de lettres de mission. Lors de sa dernière mutation, son employeur lui a adressé un courrier intitulé ‘avenant’ -qui n’a pas été signé par M. [V] au vu des pièces produites- qui ‘rappelle’ l’existence d’une clause de mobilité sur tout le territoire géographique du CIC Nord-Ouest. Cette unique mention dans un document unilatéral ne constitue pas une clause contractuelle de mobilité.

En l’absence de clause de mobilité, les différentes mutations qui ont conduit M. [V] à changer, à chaque fois, de bassin d’emploi, selon la carte produite par M. [V] et non contestée par la SAS CIC Nord Ouest, s’analysent en des modifications du contrat de travail qui auraient dû être expressément acceptées par le salarié.

Toutefois, bien que non expressément acceptées, ces mutations correspondent à la mobilité à laquelle M. [V] s’est dit prêt lors des entretiens d’évaluation : les 2 juin 1992 et 25 septembre 1991 sur toute la France hors région parisienne, le 9 octobre 2007 sur ‘l’ensemble de la banque’, le 3 novembre 2010 sur le secteur ‘Manche Bocage’. Dès lors, à supposer que ses mutations intervenues jusqu’en 2002 aient porté atteinte à sa vie personnelle, M. [V] ne saurait en obtenir réparation, l’employeur n’ayant commis aucun manquement puisqu’il a l’a muté dans un périmètre conforme à la mobilité qu’il acceptait.

La dernière mutation à [Localité 10] intervenue en mai 2015 (à 31,5km de son domicile à [Adresse 11]) est contraire aux souhaits exprimés par M. [V] le 3 décembre 2014. En effet, après avoir indiqué que son épouse ne pouvait plus dorénavant démissionner comme elle l’avait fait précédemment il n’avait envisagé que le fait d’aller à [Localité 9] (4 km de son domicile).

Cette dernière mutation qui correspondait à une modification du contrat de travail qu’il n’a pas acceptée n’était pas conforme à la mobilité à laquelle il était prêt. Néanmoins, M. [V] n’établit pas qu’elle ait porté atteinte à sa vie personnelle. En effet, il est constant qu’il n’a pas déménagé et a conservé son domicile à [Adresse 11]. Son épouse n’a pas démissionné et ses enfants (à les supposer toujours d’âge scolaire) n’ont pas eu à changer d’école. Il a en outre, au niveau financier, bénéficié d’une prise en charge pendant trois ans du surcoût causé par l’augmentation de la distance domicile/travail.

M. [V] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à le vie privée. Le jugement sera confirmé sur ce point.

1-2) Sur l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail

M. [V] invoque ses mutations répétées, des reproches injustifiés concernant son implication dans la vie locale, dans l’octroi de prêts et dans la mise en place du digital et une évaluation 2019 faite de mauvaise foi.

‘ Il ressort des développements précédents que la dernière mutation de M. [V] en mai 2015 constituait une modification du contrat de travail qu’il n’avait pas acceptée et n’était pas conforme à la mobilité à laquelle il était prêt, ce dont il avait informé son employeur.

De surcroît, même s’il a pu conserver son domicile, le fait qu’il n’habite pas sur place lui a été reproché dans son évaluation en 2018. Il a ainsi été noté, en ce qui concerne la représentation locale : ‘Pas d’implication. [R] ne s’est pas impliqué dans la vie locale. Ne vit pas localement’. Ce point est repris en outre dans le commentaire final.

‘ Dans cette même évaluation, il est reproché à M. [V] de ne pas être ‘pro-actif dans l’accompagnement de la transformation de l’entreprise et notamment sur le digital’.

M. [V] avait toutefois signalé le 13 septembre 2018 qu’il n’y avait quasiment pas de réseau téléphonique dans l’agence et pas de tablette au guichet à [Localité 10] ce à quoi il lui avait alors été répondu que l’installation d’un amplificateur n’était pas prévu et que les tablettes étaient prévues par la fin d’année. Il est constant qu’elles n’ont, en fait, été livrées qu’en 2019.

Ces problèmes ont à nouveau été signalés le 28 février 2019 par le successeur de M. [V] qui écrit que la ‘wifi n’est pas assez puissante pour atteindre tous les bureaux’ et que la 3G et la 4G ne passent pas à l’agence. Il a alors demandé, à son tour, la fourniture d’un répétiteur.

Dès lors, compte tenu de problèmes de connexion basique, la SAS CIC Nord Ouest ne pouvait reprocher utilement à M. [V] un manque d’implication dans le digital.

‘ M. [V] produit un courriel que son directeur régional lui a envoyé le 27 décembre 2016. Ce message comporte un extrait du rapport d’inspection de l’agence d’Agon pour la période 2011-2015 faisant apparaître que des prêts professionnels accordés en 2006 et 2007 ont été déclassés en 2011 et précisant que l’instruction des dossiers de crédit était largement perfectible.

Le directeur conclut ainsi son message : ‘(J’) attire votre attention pour que ces pratiques ne perdurent pas à [Localité 10]’.

M. [V] a réagi avec humeur à ce message en soulignant l’ancienneté de crédits en cause et indique dans ses conclusions qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir anticipé les crises économiques.

Il ressort toutefois du message que moins que le déclassement des prêts c’est la manière dont ces dossiers ont été instruits qui lui est reprochée. Rien n’établit que ce reproche était injustifié.

‘ Le document produit par M. [V] porte sur l’entretien d’évaluation tenu le 7 février 2019. Sa présentation, différente de celle de l’évaluation faite en 2018, démontre qu’il ne s’agit pas du compte-rendu d’entretien professionnel définitif mais d’un premier document contenant les avis du supérieur et les réactions de M. [V].

En toute hypothèse, les remarques du supérieur sont, à ce stade, plutôt négatives et plus négatives que celles des entretiens précédents. Toutefois, si ces remarques sont contredites dans ce document par M. [V], les élément produits ne permettent pas d’apprécier (hormis sur le numérique) si elles étaient ou non justifiées.

Dès lors, il est établi que l’employeur a muté M. [V] sans son consentement à [Localité 10], lui a reproché dans son évaluation de ne pas s’être domicilié sur place (alors qu’il n’avait aucune obligation à ce titre), lui a reproché des carences en 2018 et 2019 sur la mise en place du digital alors même que l’agence connaissait des problèmes basiques de connexion ce qui caractérise des manquements à l’exécution de bonne foi du contrat de travail.

M. [V] indique que ce comportement a eu des répercussions sur sa santé. Il justifie avoir été placé en arrêt de travail du 1er au 26 février 2017. L’un des avis d’arrêt de travail porte la mention ‘anxieux’ et sa fille, dans son attestation, indique qu’il a fait une dépression en relation avec sa mutation à [Localité 10]. Ces éléments établissent si ce n’est une répercussion avérée sur sa santé du moins un préjudice moral qui sera réparé par l’allocation de 2 500€ de dommages et intérêts. Le jugement sera réformé de ce chef.

2) Sur le licenciement

M. [V] a été licencié pour avoir demandé le 11 octobre 2018 à la direction commerciale de lui rembourser deux factures datées des 29 juin et 28 septembre 2018, chacune de 650€ mentionnant deux prestations de restauration pour 10 personnes et avoir précisé, dans le courrier d’accompagnement, qu’il avait réalisé, à ces dates, des réunions d’équipe. Or, aucune prestation ni réunion d’équipe n’a eu lieu à ces dates.

La lettre de licenciement mentionne que M. [V] a reconnu les faits, expliqué avoir ainsi voulu éviter de perdre le budget ‘repas AFEDIM’ et indiqué avoir réalisé, depuis, ce repas d’équipe.

L’employeur conclut en indiquant que ce comportement est contraire aux valeurs de l’entreprise et constitue un manquement grave aux règles de déontologie.

‘ M. [V] soutient que le véritable motif serait économique (regroupement d’agences entraînant des suppressions d’emploi) et discriminatoire à raison de l’âge.La SAS CIC Nord Ouest aurait, ainsi, selon lui, eu recours à un licenciement disciplinaire pour éviter, dans le cadre d’un licenciement économique, d’avoir à appliquer des critères d’ordre qui ne l’auraient pas désigné comme devant être licencié compte tenu de son âge et de son ancienneté.

Hormis des tracts syndicaux (qui parlent d’ailleurs de suppression d’ETP ou de postes), M. [V] n’apporte aucun élément établissant la réalité d’une réorganisation qui, d’une part, aurait conduit à des licenciements et aurait, d’autre part, eu un motif économique. Au demeurant, après son départ, l’agence de [Localité 10] a été pourvu d’un nouveau directeur qui a lui-même été remplacé à la direction de l’agence de [Localité 8] [Localité 12].

Dès lors, M. [V] n’apporte aucun élément établissant que le véritable motif de son licenciement serait économique, ni a fortiori que le choix d’un licenciement disciplinaire procéderait d’une intention discriminatoire.

M. [V] sera donc débouté de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul.

‘ M. [V] reconnaît la transmission de deux fausses factures et le caractère mensonger du courrier les accompagnant.

Il est constant que son agence avait obtenu en janvier 2018 une prime de 1 350€ pour ses bons résultats. Le directeur devait utiliser cette prime avant le 31 octobre 2018 soit pour des manifestations internes, soit pour des opérations commerciales, soit pour des manifestations internes pour l’ensemble du personnel. Il devait, pour ce faire, faire valider l’utilisation du budget par la direction commerciale, avancer les fonds et se faire rembourser.

M. [V] indique que n’ayant pas alors encore pu organiser avec son équipe le repas au restaurant qu’il envisageait, il a transmis ces deux fausses factures pour ne pas perdre cette prime. Il est constant qu’un repas d’équipe a bien eu lieu le 23 novembre 2018 pour un montant de 1 300€.

La SAS CIC Nord Ouest soutient qu’il est ‘permis de douter de la sincérité de M. [V] quand il affirme qu’il avait vraiment l’intention d’organiser un repas d’équipe’. Toutefois, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, ne retient pas une tentative d’enrichissement de la part de M. [V] et reproduit les explications données par le salarié sans les remettre en cause. En conséquence, cette circonstance ne saurait être ajoutée par l’employeur.

De surcroît, il ressort du document établi par les 9 salariés de l’agence et signé par chacun d’eux que, le 8 novembre 2018, lors d’une réunion en présence d’un représentant de la direction régionale, M. [V] leur ‘a confirmé que le repas prévu dans le cadre de l’attribution d’un budget AFEDIM d’environ 1 300 euros serait réalisé avant le 30/11/2018″. Les salariés ajoutent que ce repas ‘a été fait et servi en présence de toute l’équipe au complet le vendredi 23 novembre 2018″.

Cette réunion a eu lieu avant que M. [V] ne soit entendu, le 9 novembre, par l’inspectrice qui a réalisé l’enquête interne sur les factures litigieuses. L’annonce aux salariés n’a donc pas été faite par M. [V] après son audition pour conforter la version donnée à l’inspectrice. En outre, dans le document précité, les salariés indiquent que M. [V] a ‘confirmé’ un ‘repas prévu’. Il s’en déduit que M. [V] leur avait donc déjà parlé de ce projet. En outre, alors que les salariés indiquent qu’un représentant de la direction régionale était présent à cette réunion, la SAS CIC Nord Ouest ne produit pas une attestation de ce représentant, nommément désigné dans ce document, contredisant ces dires.

Seul peut donc être retenu la transmission de deux fausses factures et le caractère mensonger du courrier les accompagnant. Même motivé par le souhait de ne pas perdre cette prime qu’il destinait à fêter son équipe (but qui aurait dû être recherché par d’autres moyens) ce fait est fautif, particulièrement de la part d’un directeur d’agence, et justifiait une sanction.

Toutefois, compte tenu de l’ancienneté de M. [V] (36 ans) et de son absence de tout antécédent disciplinaire, le licenciement constituait une sanction disproportionnée. Dès lors le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et M. [V] peut prétendre à des dommages et intérêts.

‘ M. [V] soutient que le barème prévu à l’article L.1235-3 du code du travail doit être écarté car il ne lui assure pas la réparation adéquate à laquelle il peut prétendre en application de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT (qui dispose que les juges devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée), et de l’article 24 de la charte sociale européenne qui consacre le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée et de la décision du comité européen des droits sociaux en date du 8 septembre 2016 par laquelle ce comité a énoncé que les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.

Eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de la charte sociale européenne révisée, les dispositions de l’article 24 de celle-ci ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

En revanche, l’article 10 de la convention internationale du travail n°158 de l’Organisation internationale du travail est, quant à lui, d’application directe en droit interne. Les dispositions des articles L.1235-3 et L.1235-3-1 du code du travail en réservant la possibilité de réintégration, en prévoyant la possibilité de fixer une indemnité comprise entre un montant minimal et un montant maximal, montants variables en fonction de l’ancienneté et en écartant l’application du barème en cas de nullité du licenciement sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail étant, en conséquence, compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée, la situation concrète du salarié ne peut être prise en compte que pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail.

Compte tenu de son ancienneté supérieure à 30 ans, M. [V] peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire.

Il justifie avoir perçu des allocations de chômage du 13 octobre 2019 au 30 septembre 2020 et en décembre 2021. Il a travaillé comme assistant comptable pour un salaire mensuel de 1 668,37€ du 2 au 11 mars 2020 et du 25 mai au 10 juillet 2020. Il justifie de deux crédits immobiliers en octobre 2020 de 1 127,32 et 2 369,80€. Le nom de l’emprunteur n’apparaît toutefois pas sur les documents produits. Sa fille atteste que ‘l’annonce du licenciement a été dévastateur pour mon père (…) Je pense que si il n’a pas essayé de faire un acte désespéré c’est grâce au soutien de ma mère, de ses trois enfants et par la présence de ses quatre petits enfants’.

Compte tenu de ces renseignements, des autres élément connus : son âge (56 ans), son ancienneté (36 ans), son salaire moyen (6 445,24€ au cours des 12 derniers mois au vu de l’attestation Pôle Emploi), l’indemnité allouée par le conseil de prud’hommes est adaptée et sera confirmée.

3) Sur la médaille du travail

La médaille d’honneur du travail comporte quatre échelons dont le dernier suppose 40 ans de service.

La SAS CIC Nord Ouest indique, sans être contestée, que M. [V] a perçu au cours de la relation de travail les primes afférentes aux trois premiers échelons. Au moment où il a quitté l’entreprise, le 31 mars 2018, M. [V] avait une ancienneté de 38 ans en incluant la période de service militaire et ne pouvait donc pas prétendre à la grande médaille d’or accessible après 40 ans de service.

Il ne peut donc fonder sa réclamation au titre de la prime pour la médaille du travail sur les textes applicables.

Toutefois, le 12 mars 2019, son employeur lui a adressé un courriel dans lequel il écrit : ‘j’ai décidé de te verser l’équivalent de ta prime de médaille du travail (soit 5 600€) dans ton indemnité de départ’. M. [V] peut donc prétendre au versement de cette somme en vertu de l’engagement pris par l’employeur.

Celui-ci indique avoir procédé à ce versement et produit des calculs pour en justifier. M. [V] conteste ce paiement et indique qu’elle n’apparaît d’ailleurs pas de manière séparée sur le solde de tout compte et sur le dernier bulletin de paie.

M. [V] critique à tort l’inclusion de cette prime dans l’indemnité conventionnelle de licenciement. En effet, s’agissant de l’équivalent d’une prime de médaille du travail qu’il n’était pas tenue de verser, l’employeur pouvait librement en choisir les modalités de paiement. La SAS CIC Nord Ouest ayant fourni des explications et calculs pour justifier du paiement de cette prime, il appartenait à M. [V] de démontrer que la somme globale perçue n’incluait pas la prime promise par la SAS CIC Nord Ouest. Faute de toute démonstration en ce sens, M. [V] sera débouté de sa demande.

4) Sur les points annexes

En application de l’article L1231-7 du code civil, auquel rien ne justifie de déroger, les dommages et intérêts alloués produiront intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2021, date de notification du jugement confirmé sur ce point en ce qui concerne ceux alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, à compter de la date du présent arrêt, en ce qui concerne ceux accordés pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

La présente décision est sans conséquence sur le contenu du certificat de travail et de l’attestation Pôle Emploi. Quant au solde de tout compte, il est inutile d’en éditer un nouveau puisque le présent arrêt fixe les sommes dues à M. [V] qui s’ajoutent à celles figurant sur ce document, document qui n’a pas d’autre intérêt que de faire l’inventaire des sommes dues au salarié. Enfin, le présent arrêt n’allouant que des dommages et intérêts il n’y a lieu ni à modification des bulletins de paie existants ni à édition d’un nouveau bulletin de paie ni à régularisation auprès des caisses de protection sociale. En conséquence M. [V] sera débouté de l’ensemble de ces demandes.

La SAS CIC Nord Ouest sera condamné à rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage versées à M. [V] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [V] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SAS CIC Nord Ouest sera condamnée à lui verser au total 3 000€.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

– Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [V] de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et d’un rappel de prime au titre de la médaille du travail et en ce qu’il a condamné la SAS CIC Nord Ouest à verser 120 000€ de dommages et intérêts à M. [V] au titre de la rupture du contrat de travail

– Y ajoutant

– Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2021

– Réforme le jugement pour le surplus

-Rejette la demande de nullité du licenciement

– Dit, en revanche, le licenciement sans cause réelle et sérieuse

– Condamne la SAS CIC Nord Ouest à verser à M. [V] 2 500€ de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

– Déboute M. [V] du surplus de ses demandes principales

– Dit que la SAS CIC Nord Ouest devra rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage versées à M. [V] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations

– Condamne la SAS CIC Nord Ouest à verser à M. [V] 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamne la SAS CIC Nord Ouest aux entiers dépens de première instance et d’appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE

 


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