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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 8
ARRET DU 03 FEVRIER 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/10039 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF3ZQ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Avril 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 22/51767
APPELANTES
S.A.S. SUFFREN 75 agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 4]
[Localité 5]
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 1]
[Localité 3]
S.A. MMA IARD agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentées par Me Alexis BARBIER de la SELARL BARBIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
Mme [B] [I]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Défaillante – Déclaration d’appel signifiée à personne le 15/07/2022
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Défaillante – Déclaration d’appel signifiée à personne habilitée le 15/07/2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 janvier 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président et Rachel LE COTTY, Conseiller chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Florence LAGEMI, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Marie GOIN
ARRÊT :
– RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.
Le 10 juin 2020, Mme [I] a été victime d’une chute lors d’un transport par les préposés de la société Suffren 75.
Par actes des 24 et 25 février 2022, elle a assigné la société Suffren 75, la société MMA IARD Assurances mutuelles et la CPAM de [Localité 5] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris pour obtenir une expertise judiciaire et une provision de 3.000 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le juge des référés a :
déclaré recevable1’intervention volontaire de la société MMA IARD ;
donné acte des protestations et réserves formulées en défense ;
ordonné une expertise médicale pour déterminer les causes et l’ampleur du préjudice corporel subi par Mme [I] à la suite de l’accident dont elle a été victime et désigné pour y procéder M. [U] [C] ;
dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision à valoir sur l’indemnisation définitive du préjudice corporel ;
débouté Mme [I] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamné Mme [I] aux entiers dépens de 1’instance en référé.
Par déclaration du 20 mai 2022, les sociétés Suffren 75, MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD ont interjeté appel de cette décision en critiquant les chefs de la mission confiée à l’expert.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 15 juin 2022, elles demandent à la cour de :
dire recevable et bien fondé leur appel ;
confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a désigné le docteur [U] en qualité d’expert médical, fixé la consignation de la provision sur frais d’expertise à la charge de Mme [I], débouté Mme [I] de sa demande de provision et de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et condamné cette dernière aux dépens de première instance ;
annuler l’ordonnance entreprise en ce qui concerne l’entier contenu de la mission confiée au docteur [U] ;
statuant à nouveau,
confier à l’expert la mission de droit commun (qui figure en pièce 2) ou encore celle proposée par M. [X] « mission générale » dans son ouvrage intitulé « indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès », édition septembre 2020 (qui figure en pièce 4) ;
subsidiairement,
infirmer l’ordonnance entreprise en ce qui concerne l’entier contenu de la mission ;
statuant à nouveau,
confier à l’expert la mission de droit commun (qui figure en pièce 2) ou encore celle proposée par M. [X] « mission générale » dans son ouvrage intitulé « indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès », édition septembre 2020 (qui figure en pièce 4) ;
à titre infiniment subsidiaire,
infirmer l’ordonnance entreprise en ce qui concerne les chefs de mission suivants :
consolidation
déficit fonctionnel temporaire
assistance tierce personne
préjudice d’agrément
incidence professionnelle
préjudice d’établissement
préjudices permanents exceptionnels
statuant à nouveau,
dire n’y avoir lieu pour l’expert de se prononcer sur l’existence d’un préjudice d’établissement, de préjudices permanents exceptionnels ou encore d’une incidence professionnelle qu’il appartient exclusivement au juge d’évaluer sur les bases des renseignements contenus dans le rapport ;
pour le surplus des chefs de mission critiqués, les modifier comme ci-dessous proposé :
consolidation :
« Fixer la date de consolidation, qui se définit comme « le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il devient possible d’apprécier l’existence éventuelle d’une Atteinte permanente à l’Intégrité Physique et Psychique ». En l’absence de consolidation, dire à quelle date il conviendra de revoir la victime ; décrire l’état provisoire de la victime et préciser lorsque cela est possible pour chacun des postes pour lesquels une évaluation provisoire est possible que l’évaluation ne sera pas inférieure à »;
déficit fonctionnel temporaire :
« Que la victime exerce ou non une activité professionnelle :
Prendre en considération toutes les gênes temporaires subies par la victime dans la réalisation de ses activités habituelles à la suite de l’accident ; en préciser la nature et la durée (notamment hospitalisation, astreinte aux soins, difficultés dans la réalisation des tâches domestiques, privation temporaire des activités privées ou d’agrément auxquelles se livre habituellement ou spécifiquement la victime, retentissement sur la vie sexuelle).
En discuter l’imputabilité à l’accident en fonction des lésions et de leur évolution et en préciser le caractère direct et certain » ;
assistance tierce personne :
« Indiquer, le cas échéant : – si l’assistance d’une tierce personne constante ou occasionnelle est, ou a été, nécessaire, en décrivant avec précision les besoins (niveau de compétence technique, durée d’intervention quotidienne). Dire qu’il conviendra de prendre en compte dans le cadre de cette évaluation les aides techniques (prothèse, appareillage spécifique, véhicule aménagé) dont dispose ou disposera la victime pour l’ensemble des actes de la vie courante » ;
préjudice d’agrément :
« Lorsque la victime fait état d’une répercussion dans l’exercice de ses activités spécifiques sportives ou de loisirs effectivement pratiquées antérieurement à l’accident, émettre un avis motivé en discutant son imputabilité à l’accident, aux lésions et aux séquelles retenues. Se prononcer sur son caractère direct et certain et son aspect définitif »
statuer ce que de droit pour ce qui concerne les dépens d’appel.
Par acte du 15 juillet 2022, les sociétés Suffren 75, MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD ont fait signifier la déclaration d’appel et les conclusions d’appelant à la CPAM et à Mme [I], lesquelles n’ont pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des appelantes pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR,
Sur la mission confiée à l’expert
La cour rappelle à titre liminaire que le juge des référés est libre de choisir la mission donnée à l’expert et que la nomenclature dite « Dintilhac » visée par les appelantes n’a pas de valeur normative, les juges n’étant donc pas tenus de s’y référer.
En outre, il résulte de l’article 246 du code de procédure civile que le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien, de sorte que le juge du fond éventuellement saisi ne sera pas lié par les conclusions de l’expert, quels que soient les termes de la mission.
Sur la consolidation (point 7-a de la mission)
Ce chef de mission est ainsi libellé dans l’ordonnance entreprise :
« Fixer la date de consolidation et en l’absence de consolidation dire à quelle date il conviendra de revoir la victime ;
Préciser dans ce cas les dommages prévisibles ».
Il doit être relevé que la mission citée par les appelantes dans leurs conclusions ne correspond pas à celle énoncée dans l’ordonnance puisqu’elles indiquent qu’il est demandé à l’expert de « préciser, lorsque cela est possible dans ce cas les dommages prévisibles pour l’évaluation d’une éventuelle provision ».
Les appelantes exposent que l’évaluation prévisionnelle faite par l’expert se fonde sur des standards d’évolution dans le cadre d’un provisionnement technique obligatoire pour l’assureur et que chaque victime connaît une évolution propre de son état de santé, de sorte que seule une discussion sur des taux planchers pour certains postes de préjudices reste ouverte. Elles en déduisent que l’expertise doit comporter la mention « pas inférieur à », ce qui évitera une évaluation éloignée de l’évolution réelle de l’état de santé de la victime.
Mais ces développements, peu explicites, ne sont pas de nature à remettre en cause les termes de la mission prévue par le premier juge, rien ne s’opposant à ce que les « dommages prévisibles » soient décrits par l’expert et aucune provision n’étant en l’espèce mentionnée dans la mission critiquée.
Sur le déficit fonctionnel temporaire (point 7-b)
Le chef de mission critiqué est ainsi libellé :
« Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ;
En cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;
Dire s’il a existé une atteinte temporaire aux activités d’agrément, de loisirs, aux activités sexuelles ou à toute autre activité spécifique personnelle (associative, politique, religieuse, conduite ou autres) ».
Les appelantes soutiennent que le déficit fonctionnel temporaire recoupe non seulement le déficit de la fonction à l’origine de la gêne, mais également les troubles dans les conditions d’existence, les gênes dans les actes de la vie courante, le préjudice d’agrément temporaire, le préjudice sexuel temporaire, et ce, jusqu’à la consolidation. En conséquence, selon elles, il n’y a pas lieu d’évaluer de manière autonome avant consolidation le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel.
S’il est exact que le poste de déficit fonctionnel temporaire, qui répare la perte de qualité de vie de la victime et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique, intègre le préjudice d’agrément temporaire et le préjudice sexuel subi pendant cette période (2e Civ., 5 mars 2015, pourvoi n° 14-10.758, Bull. 2015, II, n° 51 ; 2e Civ., 11 décembre 2014, pourvoi n° 13-28.774, Bull. 2014, II, n° 247), la mission prévue par le premier juge est conforme à cette définition, dont elle ne fait que préciser le contenu en demandant à l’expert de dire si un préjudice d’agrément ou un préjudice sexuel temporaire a existé.
La mission critiquée ne conduit donc pas à une double évaluation de ces préjudices puisqu’elle n’en fait pas des préjudices autonomes mais les intègre à l’évaluation globale du déficit fonctionnel temporaire, étant rappelé qu’en tout état de cause, il appartiendra au juge du fond d’apprécier et d’évaluer ce poste de préjudice.
Sur l’assistance par une tierce personne (point 7-c de la mission)
Le chef critiqué de l’ordonnance est ainsi libellé :
« Indiquer le cas échéant si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire pour accomplir les actes, notamment élaborés, de la vie quotidienne, pour sécuriser la victime et assurer sa dignité et sa citoyenneté ;
Dans l’affirmative, dire pour quels actes, et pendant quelle durée, l’aide d’une tierce personne a été ou est nécessaire ;
Evaluer le besoin d’assistance par une tierce personne, avant et après consolidation, en précisant en ce cas le nombre d’heures nécessaires, leur répartition sur 24 h et pour quels actes cette assistance est nécessaire ».
Selon les appelantes, l’assistance par une tierce personne a vocation à suppléer la perte d’autonomie de la victime et cette perte peut également être suppléée par des moyens techniques, tels qu’un véhicule et un logement adapté. En conséquence, la méthode d’évaluation de ce poste de préjudice devrait, dans un premier temps, prendre en considération les aides techniques permettant une plus grande autonomie des personnes handicapées et, dans un second temps, le besoin en aide humaine.
Mais la mission proposée n’exclut pas la prise en considération des aides techniques permettant d’offrir une plus grande autonomie à la personne handicapée, conformément aux objectifs poursuivis par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées visée par les appelantes.
Les moyens techniques ne peuvent toutefois suppléer l’aide humaine dans nombre de situations, sur lesquelles l’expert est invité à donner son avis.
Il n’y a donc pas lieu de modifier la mission.
Sur le préjudice d’agrément (point 7-j)
Le chef de mission est ainsi libellé sur ce point :
« Décrire toute impossibilité ou gêne, fonctionnelle ou psychologique, dans l’exercice d’activités de sport ou de loisirs que la victime indique pratiquer ;
Donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette gêne, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation ».
Les appelantes affirment qu’il est demandé à l’expert de « donner un avis sur la perte de chance de pouvoir pratiquer de nouvelles activités de sport ou de loisir », alors que le préjudice d’agrément vise exclusivement à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité de pratiquer régulièrement une activité sportive et de loisirs qui était pratiquée antérieurement à l’accident, sans envisager une pratique sportive hypothétique.
Mais, contrairement à ce qu’elles indiquent, le juge des référés n’a pas demandé à l’expert de « donner un avis sur la perte de chance de pouvoir pratiquer de nouvelles activités de sport ou de loisir », cette phrase ne figurant pas dans la mission critiquée.
La critique est donc inopérante.
Sur l’incidence professionnelle (point 7-r de la mission)
Le chef de mission est ainsi libellé sur ce point :
« Indiquer si le fait générateur ou les atteintes séquellaires entraînent d’autres répercussions sur l’activité professionnelle actuelle ou future de la victime (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité professionnelle, dévalorisation sur le marché du travail).
Dire notamment si l’état séquellaire est susceptible de générer des arrêts de travail réguliers et répétés et/ou de limiter la capacité de travail ».
Les appelantes soutiennent qu’il n’appartient pas à l’expert de se prononcer sur la dévalorisation sur le marché du travail, la perte de chance ou la réduction d’opportunités ou de promotion professionnelle, de même que sur l’imputabilité de nouvelles périodes d’arrêts de travail à l’accident, cette question relevant d’une mission en aggravation.
Mais la mission ordonnée, qui tend à prendre en considération tous les aspects de l’incidence professionnelle, relève bien de la compétence des médecins, lesquels connaissent les évolutions prévisibles des préjudices qu’ils constatent, y compris s’agissant des arrêts de travails répétés que ces préjudices sont susceptibles de générer.
Aucun motif ne justifie donc de la modifier.
Sur le préjudice d’établissement (point 7-l de la mission)
Ce chef de mission demande à l’expert de :
« Dire si la victime subit une perte d’espoir ou de chance de normalement réaliser ou de poursuivre un projet de vie familiale ».
Selon les appelantes, ce poste de préjudice échappe totalement à l’avis de l’expert et relève d’un débat purement juridique devant être tranché par le juge.
Mais aucun motif ne justifie d’exclure ce poste de préjudice de la mission de l’expert, son expertise étant de nature à éclairer le juge du fond sur l’éventuelle perte de chance, pour la victime, de former un projet de vie familiale normale.
Seul l’expert peut en effet émettre un avis sur les conséquences de certaines séquelles physiques et/ou psychiques de la victime sur sa vie familiale et, dès lors que cet avis se limite à la description d’éléments strictement médicaux, il présente une utilité pour l’évaluation du préjudice subi par le juge ultérieurement saisi.
Sur les préjudices permanents exceptionnels (point 7-p de la mission)
Ce chef de mission demande à l’expert de :
« Dire si la victime subit des atteintes permanentes atypiques qui ne sont prises en compte par aucun autre dommage précédemment décrit ».
Selon les appelantes, là encore, ce poste de préjudice ne relèverait pas de la compétence de l’expert mais de la seule appréciation du juge.
Cependant, l’avis du médecin sur l’existence d’atteintes permanentes atypiques peut éclairer le juge du fond chargé d’évaluer le préjudice corporel de la victime, sans que cet avis ne revête un caractère juridique.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, l’ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens
Les appelantes, partie perdante, seront tenues aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Laisse aux sociétés Suffren 75, MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD la charge des dépens d’appel.
Le Greffier, Le Président,